Chapitre 36
Ce ne fut qu'une fois arrivés en haut de la falaise qu'ils exigèrent des explications. Ils m'acculèrent, m'abreuvant de questions auxquelles je n'avais pas envie de répondre.
- Bordel, Sixtine ! explosa Ryker, furieux et... inquiet ?
- Ce qu'il est venu me dire ne vous concerne en rien, dis-je. C'est mon problème.
- Non, ça ne l'est pas, rétorqua Naseok. Pas quand tu as envoyé une onde de magie si violente que tu as rasé une forêt entière ! Pas quand un vautour écoute ce que tu dis !
- Je savais que tu mentais à propos de ce qu'il s'est passé lorsque le Chasseur t'a emmenée avec lui, reprit Ryker. Je le savais et ce qui s'est passé n'en est qu'une nouvelle preuve. Alors maintenant, tu vas nous dire ce qu'il s'est réellement passé.
- Je ne peux pas en parler, d'accord ? Tout le temps que son père m'a collé au train, j'ai dû surveiller chacune de mes pensées pour ne rien laisser échapper. Oui, il s'est passé quelque chose lorsque je me suis retrouvée avec Nahl. Quelque chose que personne en dehors de lui et moi devons savoir.
- Et pourquoi ça ? De quel droit peux-tu tout nous faire raconter alors que, toi, tu ne dis rien à part des mensonges ?!
- Parce que je tiens à rester en vie ! criai-je, à bout de nerfs. Si je ne dis rien, c'est pour...
Je m'interrompis en sentant quelque chose contre ma hanche. Je baissai les yeux pour voir la main d'Addy sortir de ma poche, le message de Nahl à la main. Je tentai de le rattraper mais elle fila hors de portée trop vite pour moi.
- Rends-moi ça ! Tout de suite !
Elle m'ignora en le tendant à son frère qui l'ouvrit. Je croisai les bras alors que ses yeux parcouraient le petit morceau de papier froissé et maculé de sang.
- Ça vient de Nahl ? demanda Naseok, les sourcils froncés.
Je gardai les lèvres serrées.
- Depuis quand te protège-t-il ? continua l'héritier Madsen. Qu'est-ce qu'il s'est passé entre vous ?
- Vu le sang sur le papier, il est dans un sale état. Donc il te protège. Mais de quoi ? De qui ? Parle, Sixtine ! On peut t'aider. On est de ton côté.
Je secouai la tête.
- Je sais que vous êtes de mon côté. Pour la plupart, en tout cas, ajoutai-je avec un regard significatif vers Ryker. Mais ça ne change rien. Je ne peux rien dire. C'est bien trop dangereux pour tout le monde. Maintenant, je n'ai pas de temps à perdre.
- Pourquoi tu ne vas pas l'aider au lieu de fuir comme il te le demande ? m'apostropha Ryker, visiblement vexé par ma remarque. Ça ne te ressemble pas de fuir.
- Je ne fuis pas. Je tente un coup de poker.
Seul Naseok parut comprendre.
- Tu vas y retourner, articula-t-il. Tu vas retourner à la Cour Noire de toi-même.
- Quoi ?! se récria Addy, horrifiée. Tu ne peux pas faire ça, Sixtine ! Il te tuera !
- Non, il ne me tuera pas.
Je repris mon chemin sans rien ajouter, priant pour qu'ils arrêtent de me harceler. J'avais une migraine qui pulsait derrière mes yeux, qui ne faisait qu'empirer à chaque cri. Je ne pouvais pas leur dire. Tout comme je ne pouvais pas croire en Birn. J'allais ramener Ryker sur son trône mais je ne repasserais pas par le même chemin pour retourner dans la Faerie. Je n'avais aucune confiance dans le vautour et j'aurais mis ma main à couper qu'il amènerait des troupes du Roi Noir avec lui, qu'il le veuille ou non.
Une main s'enroula autour de mon bras pour me forcer à m'arrêter et à me retourner.
- Parle, nom d'un chien ! Pourquoi tu es encore là si c'est pour retourner auprès de celui qui t'a traquée comme un animal ?!
- Je ne peux rien dire ! Ne comprends-tu donc pas ? Ça me dépasse ! Et si je prends le risque de le dire à une seule personne... Ça ne pourra que finir en réaction en chaîne qui mènera à bien trop de morts qui auraient pu être évitées. Alors ne compte pas sur moi pour dire quoi que ce soit. Nahl se fait torturer par le Roi Noir et je sais qu'il ne crachera pas le morceau. Crois bien que je ne le cracherais pas non plus.
- Vous êtes devenus sacrément proches pour que tu l'appelles par son prénom, siffla-t-il, un air écœuré sur le visage.
- Pense ce que tu veux. Ça ne sera rien que je n'aie jamais déjà entendu quand je vivais dans ton château.
Je me dégageai de sa prise et me remis à avancer. Ils ne dirent plus rien que je puisse entendre, murmurant entre eux dans mon dos. Je serrai les poings, me forçant à les ignorer. Qu'aurais-je pu attendre d'autre ? Rien.
Nous nous arrêtâmes à mi-chemin de Pit's End. J'avais l'estomac noué de retourner là où j'avais vécu pratiquement toute ma vie. Je n'étais pas certaine d'avoir envie de revoir l'endroit où j'avais été gardée captive, aveuglée par un mensonge complexe et bien joué.
Je sentis le regard furieux de Ryker sur moi durant toute la soirée et j'allais rapidement m'installer à l'écart pour l'éviter. Je n'avais pas la force de lui faire face plus longtemps. Il finirait par se calmer à un moment ou à un autre. Sûrement lorsque je serais repartie.
Je ne dormis presque pas, ne parvenant pas à me calmer. Je me sentais mal, angoissée. Je ne cessais de penser à Nahl, aux prises avec le Roi Noir. J'espérais que la magie que j'avais déployée suffirait à l'occuper un moment. Même si ce n'était que pour quelques heures, ça serait mieux que rien.
J'aurais préféré pouvoir faire demi-tour aussitôt, retourner à la Cour Noire avec Birn. Cependant, je savais que partir était le mieux à faire, pour le moment. Cela pousserait Nahl à se taire encore plus, détournerait le Roi Noir de moi et si jamais il avait eu des soupçons, il s'en débarrasserait en ne me voyant pas revenir pour mon frère. Car je n'avais pas demandé à Birn de revenir pour rien. J'étais certaine que le Roi Noir allait le faire parler et qu'il avouerait tout.
À première vue, cela pouvait paraître contre productif mais c'était tout l'inverse. Si le Roi Noir savait que j'allais revenir par le chemin exact par lequel j'étais passée, il y avait de fortes chances qu'il vienne me chercher en personne. Sauf que je ne serais pas là, que je passerais par la grande porte grâce à Ryker (qu'il le veuille ou non) et que je pourrais atteindre sa Cour avant qu'il ne comprenne qu'il s'était fait avoir.
En tout cas, si tout se passait bien. Il y avait tellement d'éléments qui pouvaient changer, se retourner contre moi... C'était vraiment un coup de poker.
Le jour se leva et nous reprîmes la route. Pit's End se dessina à l'horizon en fin de matinée et j'en eus un coup au cœur difficile à encaisser. La maison des Marchetta était intacte si ce n'était un peu plus délabrée que dans mon souvenir. Elle était vide, abandonnée. Je regardai par les fenêtres crasseuses pour voir que tout était couvert d'une épaisse couche de poussière à l'intérieur. Personne n'était revenu ici depuis le bal. Je savais qu'il y avait encore des membres de la famille en vie. Kellan était toujours en vie et donc, il devait bien être quelque part. En tout cas, il n'était pas revenu dans la maison qui lui appartenait, désormais.
Le cœur du village était différent de ce dont je me souvenais. Tout me parut plus... triste. Il fallut un moment aux villageois pour réaliser que leur roi était là, sous leurs yeux. Je m'écartai lorsqu'ils se jetèrent à ses pieds, bénissant son retour, le suppliant d'arrêter la guerre, de renfermer la Faerie.
- La Régicide ! beugla quelqu'un. La Régicide !
Je reculai, tentant de me faire aussi petite que possible. En vain. Tous les yeux étaient tournés vers moi. Je vis plusieurs personnes tirer leurs épées de leur étui, prêts à me pendre eux-mêmes s'ils en avaient l'occasion.
- Stop, intervint Ryker en se plaçant devant moi.
- Mais, Votre Majesté... protestèrent les villageois. Elle a assassiné votre père !
- Et elle nous a sauvé la vie à ma sœur et à moi, répondit-il. Mon père a provoqué ce qui lui est arrivé. Je vous prierai donc de ranger vos épées. Sixtine Marchetta n'est en aucun cas un danger pour moi.
J'observai la foule, ne manquant aucun des échanges de regards dubitatifs, des murmures crus et insultants, des doutes qui planaient. Néanmoins, ils obéirent à leur roi et reculèrent. Ryker resta à côté de moi, Naseok se calant à ma droite. Personne n'osa faire de remarque sur le fait qu'un Fae faisait partie de l'entourage immédiat du nouveau roi.
Ils nous donnèrent à manger et nous préparèrent une escorte pour nous ramener à Phyre. Évidemment, j'eus un vieux cheval, lent et têtu qui était à deux doigts de rendre cinglée. Je gardai les lèvres serrées, refusant de me plaindre de cette bête. Du moment que nous avancions vers la capitale et que Ryker était en sécurité, je pouvais supporter une vieille carne.
Les jours se succédèrent et lorsque nous arrivâmes aux portes de Phyre, la neige tombait. Le volcan était couvert d'un chapeau blanc, les cheminées fumaient abondamment, recouvrant la ville d'un épais nuage gris. Les rues bruissaient d'activité, les capes raclant le sol humide et encrassé, les marchands hélant les riches dans l'espoir d'une vente.
J'avais presque oublié ce que cet endroit pouvait provoquer chez quelqu'un. L'émerveillement face à tous les trésors qui se cachaient dans les vitrines ou sur les étalages, l'oppression de la foule toujours si dense et mouvante, l'envie et la jalousie devant tout ce que ces riches et puissants pouvaient s'acheter.
Un garde qui naviguait dans la foule vint à notre rencontre. Il prit les choses en main dès qu'il reconnut l'héritier au trône. Ryker, sous sa capuche, demanda des nouvelles de son royaume. Le garde ne fut pas avare en renseignant, commençant aussitôt à débiter tout ce qu'il s'était passé.
- Dès votre disparition, la reine a pris le trône et la direction du royaume. Elle a ordonné que toutes les frontières soient mises sous surveillance et que celle que nous avons avec la Faerie rassemble tous les Chevaliers et toute l'armée. Elle a ordonné que nous traquions tous les Faes, tous les Demi-Sangs sur le territoire et que nous les exécutions sans attendre. Elle a aussi requis l'assistance des Tempêtes lorsque ce mur de glace a été dressé. Nous avons perdu une bonne moitié de nos hommes lorsque c'est arrivé.
Je détournai le regard, devinant le coup d'œil que Ryker tournait vers moi.
- Cependant, Votre Majesté... Votre mère n'a ordonné aucune recherche vous concernant...
- Je m'en doutais, répondit simplement Ryker. Dites-m'en plus sur la situation du royaume.
- La reine a augmenté les taxes et les impôts pour financer la guerre. Nous avons perdu énormément de récoltes et les Glaciers nous ont refusé leur aide. Le Prince Bâtard songe à s'allier avec les Faes.
Je secouai la tête. À côté de moi, Naseok fit exactement de même. Nous savions tous les deux que jamais les Rois Jumeaux ne s'allieraient avec des humains, peu importait leur royaume. Si les Glaciers leur ouvraient leurs portes, les Faes se feraient un plaisir de tous les tuer et de prendre de laisser leur royaume en ruine après leur départ.
Ryker, quant à lui, hocha simplement la tête, songeur. Le tableau que peignait le garde était d'une noirceur difficile à accepter. Surtout que l'opulence de Phyre n'avait pas changé depuis la dernière fois que j'avais parcouru ses rues.
- Très bien. Merci. Maintenant, allez prévenir ma mère de mon retour. Je suis certain qu'elle sera absolument ravie de me savoir sain et sauf et de retour à la maison.
Le garde hésita un instant avant de s'incliner et de disparaître dans la foule. Nous le suivîmes, fendant la marée de promeneurs en vêtements de soie brodés d'or ou d'argent.
Le château n'avait pas changé. Il se dressait fièrement sur le flanc du volcan, droit et majestueux, illuminé, bouillonnant d'activité. Les jardins n'étaient plus que de la boue percée de buissons et d'allées en graviers. Bientôt, tout cela disparaîtrait sous une épaisse couche de neige.
Nous entrâmes dans le hall, laissant les villageois de Pit's End rentrer chez eux après que Ryker leur eut donné de quoi aller se réchauffer dans une auberge. Je n'avais pas la moindre idée de comment il avait réussi à avoir de l'argent sur lui. Sûrement un truc de riche.
Nous fûmes débarrassés de nos capes humides et sales par des servants qui nous conduisirent dans un petit salon chauffé et où le thé avait déjà été préparé. Retrouver les moquettes, les tapisseries, les gros canapés moelleux... Tout cela me parut... faux. Je refusai de m'asseoir, préférant m'appuyer contre le rebord d'une fenêtre. Un léger courant d'air froid se glissait sous le bois, me rafraîchissant le bas du dos.
Addy se lova dans un fauteuil, ramenant ses jambes sous elle, tirant un plaid épais en laine sur elle. Son frère s'installa sur le canapé, se servant même une tasse de thé. Il en servit pour tout le monde comme si c'était tout à fait normal. Comme s'il n'avait jamais quitté son château avec ses dizaines de salons, sa salle de bal, ses manières et ses beaux costumes.
L'amertume me brûla la gorge alors que je le regardais faire. J'avais face à moi le vrai Ryker, celui qu'il serait toujours, ce qu'il ne pourrait jamais cesser d'être. Alors que j'étais une guerrière, lui était un roi. Là où je pouvais m'adapter à un environnement, en apprendre ses coutumes et les imiter, ce n'était pas son cas. Il serait toujours un roi. Même dans l'état lamentable dans lequel il était, couvert de crasse, de sang, de boue, tailladé, décharné, ressemblant plus à un squelette qui se serait tiré de sa tombe qu'au prince en chemises brodées et pantalons ajustés, il était royal.
Naseok vint se poster à côté de moi et croisa les bras, observant les trois autres comme s'ils les voyaient pour la première fois.
- Alors c'est comme ça, une cour ? me demanda-t-il tout bas. Des gens qui s'installent dans des canapés et attendent que le temps passe ?
- Globalement. Entre deux complots pour obtenir un mariage avantageux ou élargir son influence.
- Comment as-tu fait pour supporter ça quand tu étais ici ?
- J'avais de nombreuses joutes verbales avec des ladys engoncées dans des corsets et j'affrontais des assassins la nuit.
Il éclata de rire, s'attirant tous les regards.
- Ça ne m'étonne même pas de toi !
- Oh, ça va ! Il n'y a pas eu que ça.
- Je t'en prie ! Je t'ai vue te battre, Sixtine. Tu es née pour ça ! Que ce soit verbalement ou physiquement, tu ne pourras jamais faire que te battre.
- Tu me prévois une vie radieuse pleine de bonheur, quoi. Merci, bien.
Il me poussa de l'épaule.
- Tu vois très bien où je veux en venir. Tu ne pourras jamais jouer à ces jeux de cour. Servir le thé à des gens que tu méprises, passer de bal en bal, débattre de qui a la plus belle robe et de qui est la plus vicieuse... Ça ne pourra jamais être toi.
Je ne répondis pas. Je le sentis orienter la tête vers moi, m'observant. Heureusement, avant qu'il puisse ajouter quoi que ce soit, du bruit se fit entendre dans le couloir. Des voix, des pas, le grincement de la porte.
- La reine, Lux Madsen ! annonça le garde.
Je tiquai aussitôt. Pas la reine régente, pas la Régente. Non. La reine. Comme si le trône revenait à Lux et pas à son fils. La tension monta alors que Ryker levait les yeux vers sa mère, ne bougeant pas du canapé. Il demeura enfoncé dans les coussins, sa tasse de thé à la maison, alors que tout le monde s'était redressé, relevé. Addy se tenait droite à côté de Ghur, le visage blafard, le regard inquiet.
- Mère, dit calmement Ryker. Je vois que vous allez bien.
- Et moi, je vois que tu es toujours vivant, rétorqua-t-elle sèchement. Dégoûtant et puant mais vivant.
- En effet. Je suis au regret de vous informer que votre mercenaire n'a pas réussi à se débarrasser de moi. Vous auriez dû embaucher quelqu'un de plus compétent.
La reine nous regarda tous, les uns après les autres. Ses yeux de glace s'arrêtèrent sur moi et un rictus mauvais déforma ses fines lèvres.
- Il a fallu que tu la ramènes avec toi. Elle a assassiné ton père mais il a fallu que tu la ramènes. Tu es une disgrâce, Ryker. Une vraie honte pour cette famille.
L'héritier Madsen posa sa tasse sur la table et se déplia lentement. Il me fit penser à un fauve prêt à bondir sur sa proie. Il contourna la table pour aller se placer face à sa mère. Les deux étaient si différents que c'en était choquant.
La reine était belle, ses cheveux roux torsadés et élevés en une coiffure compliquée, de lourdes boucles d'oreille encadrant son visage. Elle était légèrement fardée, juste assez pour relever la couleur bleue de ses yeux. Sa robe était magnifique, tissée d'un tissu riche, d'un vert émeraude profond rehaussé de broderies argentées et de rubans et de jupons.
Et en face d'elle, son fils dans un état lamentable et pourtant si royal avec les épaules en arrière, le menton en avant.
- Vos jours sur le trône sont terminés, Mère. Je suis revenu et le peuple le sait déjà. Si vous voulez retenter votre chance contre moi, si vous voulez envoyer un nouvel assassin après moi, il va falloir faire beaucoup mieux.
Lux serra les mâchoires, son rictus ne bougeant pas de ses lèvres malgré tout.
- Crois-moi, fils. J'ai gagné ce trône et je vais le garder. Et ce n'est pas toi qui vas me le reprendre.
- Oh, vraiment ? Vous en êtes si sûre que ça ? Parce que je sais très bien ce que toute cette attente signifie. Je peux deviner tous les ordres qui ont été donnés. Jullian doit se frotter les mains. Parce que le poison ne vous ressemble pas. Pas assez violent ou sanglant.
- C'est donc pour ça que tu l'as ramenée ? Pour qu'elle te sauve encore la vie parce que tu n'es pas capable de le faire toi-même.
- Oh non, je n'ai besoin d'aucune aide. Il me suffit de quelques mots pour que tous vos petits plans s'écroulent.
La reine haussa un sourcil, ne semblant pas voir où il voulait en venir. Mon cerveau tournait à plein régime, tentant de comprendre ce que Ryker comptait faire pour contrecarrer les plans de sa mère. Je n'arrivais pas à imaginer un seul moyen aisé, ne requérant que quelques mots pour le sauver.
- Vas-y, essaie. Nous verrons bien.
Ryker sourit en hochant la tête. Je fixai la reine et sentis que son attitude se modifiait. Elle déplaça son poids sur une seule jambe, recula son bras. Il ne m'en fallut pas plus. Elle allait attaquer son fils pour ne pas laisser la moindre chance de lui voler le trône qu'elle avait acquis de force. Je passai par-dessus le canapé, atterris sur la table basse. Les tasses et la théière volèrent en éclats.
La seconde suivante, je percutais la reine, la faisant tituber en arrière, se prendre les pieds dans sa robe. Et lâcher ce qu'elle avait dans la main. C'était un accessoire à cheveux, long et acéré, orné d'améthystes d'un violet pur et lumineux.
Je le ramassai et le regardai. Il était évident qu'elle avait prévu de s'en servir pour blesser son fils. Peut-être même lui trancher la gorge, pour ce que j'en savais. Elle était capable de tout.
- Eh bien, Mère ! Je dois m'avouer surpris. Je ne pensais pas que vous aviez en vous de vous salir les mains ! Vous avez tellement bien joué la comédie auprès de Père pour qu'il accepte de prendre Sixtine comme gouvernante.
Ce fut comme un coup en plein ventre. Cela aurait donc été la reine qui aurait poussé le roi fou à m'accepter dans son château ? Lui avait revendiqué mon arrivée comme la preuve de son plan machiavélique pour finir dans les anales. Maintenant, Ryker laissait entendre que c'était sa mère qui avait tout planifié. Qui devais-je croire ? Qui avait réellement permis mon infiltration à la cour royale ?
Je laissai mon regard passer de l'un à l'autre, ne sachant pas du tout qui croire. Le pire était de me dire que, depuis le début, Ryker savait. Il avait su et ne m'avait rien dit. Et s'il avait su, il n'avait même pas tenté de me dissuader de tuer son père. Et il m'avait blâmée pour ça alors qu'il savait dès le premier jour que ça arriverait.
- Vous saviez que personne ne vous soupçonnerait de lui avoir mis l'idée dans la tête de se servir d'elle. Vous saviez que tout le monde dans ce château vous prenait pour une folle aux humeurs changeantes avec un goût prononcé pour la torture. Et pour l'Intendant. Je suppose que vous pensiez être discrète mais vous ne l'étiez pas. Il n'y avait que deux personnes dans ce château qui ignoraient que vous vous envoyiez en l'air avec Jullian : Père et Addy.
En fait, il y en avait trois. Parce que, de tout le temps où j'avais vécu à leurs côtés, pas un seul instant n'aurais-je cru que Lux puisse batifoler avec le maître de la torture.
Je tressaillis lorsque quelqu'un frappa dans ses mains.
- Bravo ! Vraiment, bravo ! Pour un sale môme ingrat et pourri gâté, vous avez de l'esprit !
La peur monta en moi à la vue de Jullian. Il ne payait pas de mine. Petit, carré, les yeux noirs et les tempes grisonnantes. Et pourtant, depuis qu'il m'avait enfermé dans l'une de ses inventions, il me terrifiait. Je n'oublierais jamais ce que j'avais vécu pendant le moment il m'avait abandonnée dans cette boite, dépourvue de tous mes sens.
Il aida la reine à se relever et ils se tinrent face à nous.
- Je suis désolé, Ryker, mais vous n'auriez jamais dû revenir.
Il claqua des doigts et des gardes envahirent la pièce. Nous luttâmes contre eux mais ils étaient plus nombreux que nous. Nous nous retrouvâmes rapidement maîtrisés, soumis. Jullian vint saisir mon menton et plongea ses petits yeux porcins dans les miens.
- Toi et moi, on va bien s'amuser. Emmenez-les. Enfermez-les bien, nous déciderons de ce que nous ferons d'eux plus tard.
Les gardes nous traînèrent tous ensemble dans les cachots. Ils nous étalèrent dans plusieurs cellules, claquant les grilles, enroulant de lourdes chaînes autour des barreaux, verrouillant un cadenas en plus du loquet de la cellule. Nous étions tous prisonniers.
Heureusement, ils n'avaient pensé au fait que Naseok était un Fae. Il ne lui fallut que quelques secondes pour faire fondre les verrous et nous ouvrir.
- Qu'est-ce qu'on fait ? demanda Addy. Mère et l'Intendant ont pris le contrôle du château. Bien plus que tu ne l'avais prévu !
- Je sais bien mais ça ne veut pas dire que c'est impossible. Il faut qu'on réunisse des troupes de notre côté.
Il se tourna vers Ghur et Naseok.
- Vous pensez pouvoir trouver des Faes dans les environs ? Ils pourraient nous être d'une aide immense.
- On peut essayer, je suppose, répondit Naseok.
Ryker hocha la tête, satisfait.
- Tu penses pouvoir reprendre contact avec le Roi des Assassins de Phyre ? me demanda-t-il ensuite.
- Parce que tu crois que je vais t'aider après ce que je viens d'apprendre ? rétorquai-je.
- Pardon ?
Je pointai mon index vers lui, tremblante de fureur.
- Tu savais. Depuis le début, tu le savais ! Tu savais que ta mère avait appuyé mon entrée à la cour. Tu savais ce qu'elle manigançait, ce à quoi ça mènerait ! Tu le savais et tu ne m'as rien dit ! Tu m'as laissée aller jusqu'au bout d'une vengeance qui n'aurait jamais dû avoir lieu ! Et tu as eu le culot de m'accuser, de me blâmer d'avoir tué ton père alors que, dès notre première rencontre, tu savais ! Tu as eu le culot de m'accuser de t'avoir utilisé alors que je n'ai jamais été qu'un pion pour toi !
Il me saisit par le bras et m'entraîna à l'écart. Pas assez loin pour que les autres ne nous entendent pas mais assez pour avoir une illusion d'intimité.
- Tu as raison, souffla-t-il. Je le savais depuis le départ. Ce que j'ignorais, c'était que j'allais tomber amoureux de toi. Que tu allais prendre une place si importante dans ma vie que je traverserais la Faerie pour aller te chercher.
- Tu voulais que ton père meure. Tu voulais que je le tue. Et tu m'as blâmée pour ça. Tu m'as traitée comme une moins que rien. Comme un monstre !
- Je sais. Mais ce n'était pas parce que tu as tué mon père.
- Pourquoi alors ? Quelle raison serait suffisante pour que tu me fasses ça ?
- Pour exactement la même raison qui te pousse à me crier dessus malgré le danger. J'ai sincèrement pensé que tu te servais de moi.
Je secouai la tête, abasourdie.
- Je sais ce que tu vas dire, reprit-il. Non, ce n'était pas juste ni bien ni rien. C'était même sacrément idiot.
- Plus que ça encore... marmonnai-je.
- C'est vrai. Je l'admets. Et je suis sincèrement, profondément désolé.
Je le regardai, ne parvenant pas à le croire.
- Tu ne dis ça que pour que je prenne part à ta guerre, que j'aille rallier les Assassins à ta cause. Tes sentiments n'étaient que des mensonges, que de la manipulation. Tu ne vaux pas mieux que tes parents, au final. J'ai tué un roi fou pour mettre un roi vicieux sur le trône...
Il parut blessé par mes mots. Je me dégageai de son bras et reculai.
- Je ne changerai pas mes plans. Et je ne ferais plus rien pour toi. Si tu veux que l'aide des Assassins, va les chercher toi-même.
Je tournai les talons mais il me retint par le bras. Il me ramena de force contre lui. Ses doigts saisirent mes cheveux et ses lèvres se plaquèrent sur les miennes. Je le repoussai violemment et lui assenai la plus grande gifle que je n'aie jamais donnée à quiconque.
- Je ne t'ai pas menti, Sixtine ! plaida-t-il. Sur ça, j'ai toujours été sincère !
- Je ne crois plus un seul des mots qui sortent de ta bouche. Fais ta guerre, récupère ton trône ou finis dans un fossé, ce n'est plus mon problème.
Je contournai l'héritier Madsen et ignorai le regard des autres qui était rivé sur nous. Je ne resterais pas ici une seconde plus.
- Sixtine ! Sixtine !
- Fiche-lui la paix, gronda Naseok. J'en reviens pas que tu fois un tel enfoiré. Même mon père serait impressionné par tes talents de manipulateur. Je vais avec elle. Je refuse d'aider quelqu'un comme toi à monter sur un trône.
- Dis plutôt que tu veux la suivre comme un chien en chaleur ! tonna Ryker.
- Ne joue pas la carte de la jalousie, c'est de mauvais goût après tout ce que...
La suite des paroles de Naseok s'effaça dans la distance. Les gardes étaient postés à l'entrée, raides, la main sur leur épée. Je tranchai la gorge du premier et assenai un coup de coude en plein dans le visage de l'autre. Il grogna en se tenant le nez. Je pus en finir avec lui sans mal.
Je tressaillis lorsque la main de l'Unseelie apparut sur mon épaule. Il ne dit rien, se contentant de marcher à côté de moi. Avec sa magie, il nous traça un chemin droit vers les écuries où nous prîmes les chevaux les plus rapides.
- Où allons-nous ? me demanda-t-il en sortant.
- Sauver mon frère.
- Tu as un frère, toi ?
Je pivotai, et cillai.
- Jedrek...
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NdlA : Tadaaaaaah ! Et voilà ! Nous avons atteint le dernier chapitre, les amis ! Alors ? Vous ne me haïssez pas trop ? Je dois avouer que je suis plutôt fière de moi, sur ce coup ! Niark !
Dites-moi tout ! Qu'avez-vous pensé de ce chapitre ? De ce tome ? Que va-t-il se passer ? Je suis vraiment curieuse de savoir ce que vous pensez, mes petits lecteurs !
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