Chapitre 30
Je remontai à cheval pour m'éloigner au plus loin de cet arbre. Si le Traître était derrière moi, ça allait forcément attirer son attention. Je ne tenais pas à tenter ma chance. Je fis de mon mieux pour demeurer hors du halo des flammes qui transformait le paysage.
Ma monture était nerveuse, sa queue fouettant l'air dans un rythme saccadé, les oreilles plaquées en arrière. Elle rechignait à avancer, piétinant, renâclant. Elle sentait le danger, quel qu'il soit. Nonobstant, il fallait qu'elle avance. Il était hors de question de rester ici, près de cet arbre, à peine dissimulées par un creux dans la roche.
Je lui donnai un grand coup de talons dans les flancs qui la fit bondir en avant avec un hennissement outré. Je parvins à la faire longer la falaise, restant au maximum hors de vue. Je continuai quelques kilomètres après que le noir soit revenu, l'arbre n'étant plus qu'une torche derrière nous, la fumée allant se mêler aux nuages, grise et épaisse. Je descendis, tentant de trouver un endroit où m'asseoir pour attendre le retour du jour. Je renonçai, m'asseyant au sol, enroulant les rênes autour de mon poignet pour ne pas les perdre. La poudre de Dant fonctionnait vraiment bien puisque la présence de la bande de cuir contre ma peau brûlée provoqua à peine un léger pincement.
Mon cheval finit par se coucher et je m'appuyai contre lui, volant une partie de sa chaleur pour me réchauffer. La pluie ne semblait pas s'arrêter et je sentais que cette lui allait être très longue. Je ne pouvais même pas me laisser à somnoler sans savoir s'il n'y avait pas quelqu'un dans les parages. Cet arbre n'avait pas pris feu tout seul et je doutais d'être la responsable. Je n'avais pas la magie nécessaire.
Tu refuses la réalité... C'est triste.
Cette voix. Le Traître. Il m'avait retrouvée.
Je bondis sur mes pieds et fouillai les ténèbres. C'était inutile, je le savais. Je ne voyais pas le bout de mon nez alors comment aurais-je pu voir quiconque s'approcher ? Et si j'étais incapable voir, comment lui pouvait-il savoir que c'était moi ?
Les oiseaux ont une plutôt bonne vue dans le noir. Ce n'est pas l'idéal mais c'est plutôt pratique.
Les oiseaux ? Comment pouvait-il voir à travers des oiseaux ?
La magie, ma jolie. La magie.
Évidemment. Je me doutais bien que ça avait quelque chose à voir avec la magie mais je ne voyais pas comment il pouvait utiliser la vision des oiseaux pour avancer dans la nuit. Aucune affinité ne pouvait permettre ça.
Je m'attendis à ce qu'il réponde dans un coin de mon crâne mais rien ne vint. Je restai dans le silence, angoissée. Je ne savais pas où il était. Il pouvait aussi bien être devant moi, derrière moi, à quelques mètres ou peut-être même à des kilomètres. Et je ne savais pas où aller.
Je dirais plutôt à quelques mètres au-dessus de toi.
Il était en haut de la falaise. Il ne pouvait pas la descendre maintenant, il allait devoir la contourner comme je l'avais fait. Ça me laissait de longues heures d'avance.
En aveugle, je remontai sur le dos de mon cheval, glissant quelque peu à cause de sa robe trempée. Je m'accrochai à sa crinière en le talonnant. Cette fois, il le rechigna pas et s'élança droit devant lui. Je ne cherchai pas à contrôler sa trajectoire. Je me guiderai dès qu'il ferait jour grâce au mur. Il faisait plusieurs kilomètres mais c'était toujours un point que je pourrais utiliser pour me repérer.
Je galopai pendant ce qui me parut être des heures. Je ne ralentis que lorsque le soleil commença à enflammer le ciel, le faisant rayonner de rouges, d'oranges, de roses, de violets. J'allais droit vers l'est, droit dans le soleil levant. Autour de moi, le paysage commençait à se découvrir.
Sur des kilomètres s'étalait une mer de verdure si haute qu'elle m'arrivait aux genoux. L'herbe arborait des reflets turquoise, dansait dans le vent, imitant une marée agitée, roulante et furieuse, une eau profonde et dangereuse. J'avais envie de croire que ce n'était que de l'herbe mais je n'arrivais pas à y croire. Si c'était de l'herbe simple, naturelle, il en émanait quelque chose d'étrange, de magique et de menaçant.
Je regardai derrière moi, cherchant une issue qui ne me ferait pas perdre mon avance sur le Traître. Je ne pouvais pas faire demi-tour. De façon incompréhensible, mon cheval avait galopé sur un sentier qui courait le long du champ, nous évitant à tous les deux d'avoir à pénétrer à l'intérieur.
Cependant, le sentier arrivait à son terme. Si je continuais à avancer, je tombais dans un canyon. La pente était raide, lisse, dévalant jusque dans le noir complet. Je crus entendre de l'eau couler mais je ne pouvais pas être certaine de ce qu'il y avait au fond de ce trou. Le soleil n'était pas encore assez haut pour éclairer les profondeurs devant lesquelles je me tenais.
Un grognement sourd résonna. L'herbe se figea. Les battements de mon cœur se mirent à résonner dans mon crâne, dans mes oreilles. Je sentis la panique courir dans mes veines. Le son n'avait rien d'humain. Une bête vivait dans ce canyon. Je n'avais aucun doute là-dessus.
Je fis virevolter mon cheval, le forçant à repartir de là où nous venions. Je préférais encore affronter le Traître plutôt que ce qui se cachait dans ce canyon.
COURS !
Le hurlement du Traître me vrilla le crâne, faisant jaillir des larmes. Je talonnai mon cheval, le forçant à aller au maximum de sa vitesse bien que je le sente fatigué. Il fonça, fuyant ce qui continuait de gronder depuis le fond de la terre.
PLUS VITE !
Je ne pouvais pas aller plus vite. Mon cheval était à son maximum. La pluie me battait le visage, les gouttes qui heurtaient mes iris me forçant à fermer les yeux. Je faisais confiance à l'instinct de survie de ma monture pour m'emmener en sûreté.
Il vira brutalement sur la droite. Mon corps glissa sur sa robe détrempée. Mes doigts crispés sur les rênes, sur sa crinière me permirent de ne pas le laisser fuir. Je pendis à moitié sur son flanc, tordue dans un angle insoutenable. Je sentis mon cri vibrer dans ma gorge alors que je tirai sur ses crins pour me replacer sur son dos correctement. Mais je glissais trop. Il allait trop vite, à un rythme trop saccadé, continuant à me désarçonner à chaque fois que ses sabots frappaient le sol. J'allais tomber, je le sentais.
Tiens encore un peu !
Je me crispai toute entière, refusant même de réaffirmer mes prises. Je fermai les yeux, concentrée pour ne plus perdre le moindre millimètre. Néanmoins, ce n'était pas quelque chose de faisable.
Je heurtai le sol avec violence. Mon dos prit la majorité de l'impact. Mon souffle fut chassé de ma poitrine. Sonnée, je fus incapable de bouger. Une main saisit l'arrière de ma tunique et me hissa sur mes jambes.
- Dépêche-toi ! Monte !
Le Traître m'aide à me hisser derrière lui. Je serrai sa taille de toutes mes forces alors qu'il donnait un coup de talons à son cheval, nous renvoyant dans un galop infernal.
Lorsque je repris mes esprits – plus ou moins, en tout cas –, je redressai la tête. Je frémis lorsque la bête émit un nouveau grondement. Elle semblait se rapprocher.
Elle se rapproche.
J'aurais préféré qu'il garde cette confirmation pour lui. Ce qui n'aidait pas, c'était son attitude. À être ainsi collée contre son dos, je sentais la tension de ses épaules, la raideur de sa colonne vertébrale, la crispation des muscles de ses bras, de ses cuisses. Il avait toujours eu cette façade d'insouciance, avait toujours prétendu ne pas se faire le moindre soucis sur la tournure des événements. Le sentir aussi concentré, aussi... anxieux... Ça ne faisait qu'amplifier ma propre peur.
Ne regarde pas en arrière. Ne regarde surtout pas.
J'eus envie de demander pourquoi. Ma tête s'était déjà tournée à moitié vers ce qui nous poursuivait. Je voulais savoir à quoi ça ressemblait, ce que c'était. Le bruit que la bête émettait ressemblait au brame d'un cerf mais en plus fort, en plus sinistre, en plus féroce.
Ne tourne pas la tête ! Concentre-toi !
Me concentrer ? Mais sur quoi ? Perdait-il l'esprit ? Qu'attendait-il de moi ?
Recommence ce que tu as fait avec l'arbre ! Fais-le prendre feu !
Était-il en train de sous-entendre que c'était moi qui avais mis le feu à l'arbre ? Que c'était ma magie ? Ça n'avait aucun sens. Cela ne pouvait pas être moi.
ARRÊTE DE RÉFLÉCHIR ET FAIS CE QUE JE TE DIS !
Sa voix explosa dans mon crâne. Je ne pus retenir un couinement de douleur alors que mes yeux se noyaient à nouveau.
Si tu veux survivre, UTILISE TA FOUTUE MAGIE ! Ou je te jure que je te fous en bas de ce cheval pour qu'il s'occupe de toi et me laisse le temps de fuir !
Outrée et frustrée, je me forçai à obéir. J'étais certaine que ça n'aurait aucun effet mais puisque lui semblait convaincu du contraire, j'allais lui prouver qu'il avait tort. Malgré la peur et l'urgence, je me forçai à fredonner la première chanson qui me vint. J'eus un mal fou à convoquer assez de magie pour tenter quoi que ce soit. Derrière mes paupières closes, je me dessinai un mur opaque qui montait jusqu'au ciel, qui entourait la bête, la coinçant dans une prison dont elle ne pourrait pas s'échapper facilement. J'imaginai chaque pierre, chaque creux et rebord, chaque joint.
Et puis, le cheval commença à ralentir. Je me décrispai, redressant la tête et cillant pour revenir au moment présent. Le Traître me parut encore sur ses gardes mais moins tendu. Il respirait fort et serrait encore les rênes de sa monture si fort que ses doigts en étaient blancs. Je fis pour regarder derrière nous mais me stoppai, indécise.
- C'est bon. Tu as réussi.
Je me retournai, ayant peine à le croire. Avais-je réellement créé ce mur que j'avais inventé de toute pièce dans mon esprit ?
La réponse était oui. Et non. Ce n'était pas un mur de pierres qui montait jusqu'au ciel mais une tour de flammes qui encerclait le monstre dont je ne pus que deviner une silhouette. C'était moi qui avais créé ça. Cette fois, c'était indéniable. À moins que ça ne soit qu'une manipulation du Traître. Mais dans une telle situation, ça me semblait peu probable.
- Ça ne vient pas de moi, assura-t-il. Je n'ai aucune affinité avec le feu. Toi, par contre, tu en as une très grande.
Mon esprit était si plein de questions que j'ouvris la bouche sans même savoir par où commencer. Je ne pus qu'émettre un coassement qui fit sourire le Traître.
- Et si je commençais par le début ? Je ne pensais pas que tu survivrais, je dois l'admettre. Tu as gagné un tout nouveau respect de ma part. Tu es vraiment une Aderleen.
- C'était un test ?!
- En partie, oui. Un peu imprévu mais efficace. Je n'y ai pensé que lorsque je faisais ce marché avec l'Ancienne. Je n'ai pas compris pourquoi elle voulait tant tes larmes. Et puis, lorsqu'elle t'a dit que les larmes avaient de grands pouvoirs, j'ai compris. Venant d'une héritière Aderleen, d'une guerrière de sang, tes larmes avaient une puissance qu'elle ne pourrait pas trouver chez n'importe qui.
- Alors vous avez décidé de traverser la ville, de foncer dans le tas en espérant prouver que votre petite théorie sur mon héritage était réel ?
- C'est ça. Ça sonne vraiment barbare quand tu le dis comme ça, par contre.
Son ton me donna envie de lui arracher la tête. Il ne me laissa pas le temps de dire quoi que ce soit, reprenant la parole.
- Toujours est-il que tu t'en es sortie avec brio bien qu'une peu... amochée.
Je grinçai des dents, enfonçant mes ongles dans ses côtes.
- Mais toujours aussi teigne, pesta-t-il. En tout cas, tu ferais mieux de taire notre petit incident. Sinon, ta dette envers l'Ancienne ne fera qu'augmenter. Sa poudre coûte une fortune et elle te l'a offerte sans rien demander. Le jour où tu la recroiseras, le prix va être élevé.
- Je n'ai rien demandé. Pourquoi aurais-je une dette envers elle ?
- Parce que c'est comme ça. Tu peux être certaine que si l'Ancienne fait quelque chose pour toi sans qu'il ne s'agisse d'un marché, c'est qu'elle attend quelque chose de toi.
C'était bien ma veine...
- Enfin bref. Lorsque je me suis rendu compte que tu avais pris la poudre d'escampette, j'ai tranché la gorge du démon, volé un cheval et foncé sur tes traces. Tu aurais dû penser à les couvrir, d'ailleurs.
- Parce que je n'avais que ça à faire, peut-être ? répliquai-je.
- Ne sois pas si désagréable. Je disais donc que je t'ai suivie et j'ai tout de suite compris où tu allais. J'aurais sûrement pu attendre que tu te fasses dévorer mais je me suis souvenu que je suis censé me racheter une conduite alors j'ai forcé mon cheval à sauter de la Falaise aux Mille Morts pour couper le chemin en deux. Tu peux te douter qu'il n'a pas survécu.
Je fronçai les sourcils. Je regardai enfin la monture sur laquelle nous étions perchés. Ce n'était pas un cheval. C'était un cerf. Ses bois n'étaient pas encore très développés et ça avait permis au Traître de lui passer le harnais.
- Je t'ai rattrapée grâce à notre ami ici (il flatta l'encolure du cerf) et voilà. Quant au monstre que tu as rôti comme un gros poulet, je ne peux pas te dire ce que c'est. Personne ne sait et les rares personnes qui l'ont vue en sont mortes. Comment je peux être aussi sûr que regarder ce monstre tue ? C'est simple. Des Faes ont vu des personnes regarder la bête et mourir dans la seconde. Comme si elle avait sucé la vie de leurs corps. Ils ne restaient plus d'eux que des os. Quant aux Faes ayant vus de façon indirecte la bête et ayant vécu pour le raconter ? Ils sont tombés malades et sont tous morts dans la semaine suivant leur rencontre avec le monstre.
Je frémis.
- Est-ce que... Est-ce qu'elle est morte ?
- La bête ? J'en doute. Une légion de démons s'est attaquée à elle, formant le canyon où elle s'est réfugiée. Imagine la quantité de magie et la violence que ça a demandé pour former cette fosse sans fond. Et la bête est toujours en vie. Je pense que tu l'as blessée, au maximum. Elle doit être retournée dans son trou jusqu'à ce qu'un autre malheureux voyageur passe par là.
Le silence tomba. La Faerie aurait ma peau avant que j'atteigne la frontière. J'avais hâte d'en finir avec ce voyage. Peu importait ce qui m'attendait dans le Grand Royaume. Ça serait toujours mieux que ce que je subissais depuis que j'avais mis un pied dans la Faerie. Les monstres, les Faes, la magie... Je n'en pouvais plus.
- Tu ne vois que le négatif, jeune Aderleen. La Faerie est bien plus que des monstres, des Faes et de la magie. C'est vrai que, depuis la Libération, les choses ne sont pas toutes roses et gentilles. Mais lorsque la Résurrection sera terminée... La Faerie redeviendra une terre de puissance, d'unité et de création.
- D'unité ? Alors qu'il est évident que les Seelies et les Unseelies se détestent ?
- C'est plutôt qu'ils ne se comprennent pas. Chaque race a ses torts et ses vices. Le problème majeur vient des Rois Jumeaux. Ils s'opposent, ne confrontent à chaque occasion. Le Roi Blanc méprise son jumeau et le Roi Noir l'abhorre plus que tout. Il y a une rivalité et une haine sous-jacente entre eux qui pourrit à la racine les relations Seelies-Unseelies des nouvelles générations. Ce n'est pas totalement de leur faute. Leurs prédécesseurs ont semé la graine durant le dernier siècle de leur règne. Il faut attendre la relève pour que la situation entre les deux Cours s'améliore.
- Si c'est seulement possible.
- Tout est possible, jeune Aderleen. Tu devrais avoir compris cela, désormais.
Je ne pus nier. J'avais vu et vécu tant de choses que croire quelque chose impossible devenait de plus en plus complexe. La Faerie était vraiment la terre de tous les possibles.
- Je peux vous poser une question ?
- Comme si tu avais déjà eu à demander.
- Vous les tirez de mon crâne, ce n'est pas pareil que de les poser à voix haute, volontairement.
- Je t'écoute. Pose ta question.
- Comment êtes-vous sorti du Val ? Les autres Seelies de la Maison de la Honte n'y sont pas parvenus.
- Parce que ce sont des idiots. Ils ont été trop hâtifs. L'enfermement dans cette Cage nous a tous mis les nerfs à vif. Déjà être enfermé dans cette Maison, ce n'était pas la joie mais dans la Cage ? C'était cent fois pire. Alors ils ont eu un jugement hâtif et cela s'est retourné contre eux. Le Chasseur a débarqué et ses vautours les ont renvoyés à la Maison. Mais pas moi. Parce que j'ai regardé par où vous êtes tous partis. Il m'a suffi de patienter pour réussir à sortir. J'ai dû sacrifier mon colocataire mais ça en valait la peine. Je suis libre !
Il disait ça avec un contentement qui me donna envie de vomir. Je ne me ferais jamais à la facilité avec laquelle certains Faes – pour ne pas dire la plupart – parlaient de leurs crimes. Ils n'avaient aucun mal à avouer ce qu'ils avaient fait à d'autres, toujours dans la cruauté, dans la souffrance et dans le sang. Les Unseelies étaient vraiment de grosses brutes. Et les Seelies étaient encore pires.
- Tu ne peux pas imaginer ce que ça fait, gamine. Après plus de deux siècles enfermé dans cette fichue baraque, avec ces abrutis finis... Revoir le monde extérieur... Tu ne peux pas imaginer ce que ça fait.
- Vous êtes resté dans la Maison de la Honte malgré la Cage ?
- La Cage est une chose complexe. Lorsque tu penses à une cage, tu vois des barreaux retenant quelque chose à l'intérieur. Mais la Cage de Fer, ce n'est pas ça du tout. Le temps passé dans la Cage, peu de monde osera t'en parler.
- Pourquoi ?
- Parce que ça a été une torture. Une torture que même les démons n'auraient pas su imaginer. C'est un moment de nos vies que tout le monde veut oublier. Tout ce qui importe, c'est la Résurrection. Une fois que cela sera fait, la vie reprendra normalement. Ce séjour restera toujours au fond de la mémoire collective mais ça finira par s'effacer.
Il tournait autour du pot. Il ne voulait pas parler du temps à l'intérieur de la Cage. Ça ne faisait que me rendre encore plus curieuse. Ce n'était pas des informations capitales pour moi mais c'était un savoir toujours utile.
- La Cage... Imagine la Faerie happée sous terre, dans une cave bourrée de fer, toute magie impossible. Être dans la Cage, c'était comme être dans une Faerie différente, parallèle à celle-ci. Pas de soleil, pas de lune, pas de magie. Nous étions dans une réplique rétrécie et concentrée de notre territoire plongée dans une nuit infinie. Imagine tout ce que tu vois aujourd'hui mais mort. Plus aucune vie. Des limbes qui s'étiraient sur des milliers de kilomètres. Nous étions là, figés dans le temps, obligés de répéter la même journée encore et encore et encore dans ce décor atroce de mort et de vide...
Il frémit et secoua la tête, comme si c'était trop dur pour lui de repenser à tout ça. Je ne voyais pas ce qui était si terrible à propos de cet enfermement. Pour sûr, ça n'avait pas dû être agréable mais ça ne ressemblait pas à de la torture.
- Tu n'as pas été dans la Cage, tu ne peux pas comprendre. Tu ne peux pas imaginer ce que c'est de vivre durant des années dans un environnement toxique, dans un endroit qui ressemble à ton territoire mais qui ne l'est pas du tout. Dans un enfermement total, où tu ne peux pas être toi-même, où ce qui chante dans ton sang est retenu, bloqué. Pour un Fae habitué à utiliser la magie tous les jours, pour tout et n'importe quoi... C'est horrible de ne plus pouvoir le faire, de perdre tous tes repères d'un coup. D'être faible, tout le temps, constamment. Tu ne peux pas imaginer ce que c'est. Tu ne peux pas comprendre.
Je gardai le silence, ne sachant pas quoi répondre. Il avait raison. Je ne pouvais pas comprendre ce qu'il avait vécu, ce que tous les Faes avaient vécu dans cette Cage. Je n'avais pas été à leur place et je ne le serais jamais.
Nous continuâmes de chevaucher durant quelques heures avant que le Traître ne s'arrête. Je redressai la tête, regardant autour de nous, cherchant à comprendre pourquoi il s'était arrêté. Devant nous, l'herbe bleu-vert s'était étendue, coulait partout autour de nous. Elle continuait de se balancer, de danser sous les assauts du vent et de la pluie. Il n'y avait qu'un fin sentier qui se glissait entre deux pans du champ.
- Il faut qu'on s'arrête. Tu es en train de mourir de froid. Pour quelqu'un capable de créer des tours de feu comme toi, c'est sacrément ironique.
Il descendit du cerf et me força à faire de même. Je réalisai alors que je claquais des dents, que je tremblais violemment. Mes doigts étaient raides, rougis par le froid intense. Je ne m'étais même pas rendue compte que j'étais à ce point glacée.
Le Traître fit coucher le cerf et j'allai me blottir contre son flanc pour puiser dans la faible chaleur qui émanait de lui.
- Je t'aurais bien dit de te servir de ta magie pour te réchauffer mais je ne voudrais pas que tu te transformes en bûcher vivant. Tu n'as absolument aucune maîtrise de ta magie.
- J'ai encore des doutes sur le fait d'en avoir, admis-je entre mes claquements de dents.
- Ça ne peut pas venir de moi, jeune Aderleen. Donc, ça ne peut venir que de toi. C'est toi qui as fait brûler la Bête, après tout.
C'était vrai. Mais ça me paraissait toujours aussi impensable. C'était trop soudain, trop violent, trop... Incohérent.
- Sommes-nous encore loin des autres ? De la frontière ?
Le Traître regarda le sentier, l'horizon.
- Ils sont passés ici il n'y a pas si longtemps que ça. Dans quelques heures, nous devrions les avoir rattrapés.
Je relâchai un long soupir Bientôt, je pourrais terminer d'escorter Ryker chez lui. Je pourrais retrouver le Grand Royaume et faire face à ce qui m'attendait. Du moment que Ryker montait sur le trône, le reste n'avait pas trop d'importance. Advienne que pourra.
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