Chapitre 3

Je fus reconduite dans mes quartiers par Nahl. Le Roi resta à admirer les dégâts qu'il avait infligé à l'armée royale. Ma tête bourdonnait tellement que j'oubliai de regarder où j'allais. Je me contentai de suivre le Fae en retournant les mots de son souverain dans mon esprit.

Tuer Ryker ? Moi ? Même avec toute sa magie, il ne saurait jamais m'y forcer. C'était impossible. Jamais je ne pourrais lui faire ça. J'avais déjà assassiné son père sous ses yeux... Comment pourrais-je le tuer aussi ?

Au-delà de cela, je ne comprenais pas comment le Roi Noir ne pouvait pas voir que Ryker n'était pour rien dans ces attaques. Il était intelligent. Impulsif mais intelligent. Aussi devrait-il se rendre compte que ce n'était pas l'œuvre du prince. Alors pourquoi ne voyait-il rien ?

- Vous pensez si fort que je vais finir par avoir la migraine.

Je trébuchai. Nahl ne me parlait pour ainsi dire jamais et seulement quand il y était vraiment forcé. Les seuls moments où j'entendais sa voix, c'était pour parler à son souverain ou à d'autres Faes. Ça ne lui ressemblait pas. À croire que le début du règne Unseelie avait transformé tous les Faes...

Il poussa la porte de mes quartiers et j'entrai. Je me retournai pour le regarder et je sentis mon estomac se nouer lorsqu'il entra après moi. Ça aussi, c'était une première. Que me voulait-il ? Il n'allait tout de même pas... ?

- Il faut que nous parlions, assena-t-il de sa voix si dure et froide.

Je reculai jusqu'à heurter l'armoire vide qui me rappelait que j'étais une prisonnière et pas une invitée. S'il y avait une chose que j'avais rapidement comprise en arrivant ici, c'était que savoir me battre même désarmée ne me serait d'aucune utilité. Surtout contre Nahl. Il savait ce que j'allais faire avant même que je le fasse. Parfois, j'étais presque prête à croire qu'il lisait réellement dans les pensées.

- De... De quoi ? De quoi devrions-nous parler ? demandai-je, incapable de retenir les tremblements dans ma voix.

- De ça.

Il pointa le doigt droit vers moi et je m'aplatis contre le meuble. Il s'approcha et posa le bout de son doigt sur ma gorge. Dans un réflexe incontrôlable, je frappai sa main pour l'éloigner de moi. Il ne réagit pas à ma rebuffade.

- Il ne plaisantait pas lorsqu'il a dit que vous tueriez votre prince. Je sens le sort enroulé autour de votre cou, prêt à vous étouffer à la moindre résistance...

Pour la première fois, une émotion apparut sur le visage du Fae. De l'admiration. Il admirait le travail de son souverain, l'utilisation qu'il avait fait de sa magie. Il ne m'en fallut pas moins pour deviner qu'il n'en était pas capable lui-même. Nahl était-il seulement capable d'utiliser la magie ? Par moments, j'en doutais. Il savait en être le réceptacle. Toutefois, je savais le faire aussi et ça ne voulait pas dire que je savais la manipuler. Peut-être Nahl n'était-il capable que de frapper, handicapé par une incapacité à user de la magie...

Si c'était le cas, j'avais une ouverture à étudier...

- Quoi que vous fassiez, peu importera combien vous lutterez... Vous le tuerez. Exactement comme vous avez tué son père. Vous n'avez aucune chance d'y échapper.

Un sourire machiavélique et mauvais joua sur ses lèvres. Il effleura ma joue avec l'air du chat qui a dévoré la souris.

- Aucune.

Il éclata de rire en sortant de ma chambre. La porte se referma doucement derrière lui, enfermant l'écho de son rire dans la pièce. Mes jambes cédèrent sous moi et je m'effondrais contre l'armoire, le souffle court.

C'était impossible. Il ne pouvait pas m'avoir fait ça. Sa magie ne pouvait pas m'obliger à me plier à son bon vouloir. Surtout si je parvenais à lui échapper. Tant que Ryker et moi n'étions pas à portée du Roi Noir, son sort ne pourrait jamais avoir d'effet. Il était puissant mais à ce niveau... Même lui ne pouvait pas y arriver. Il ne devait pas en être capable.

Parce que si c'était le cas...

Non. Je refusais de croire qu'il pouvait faire de moi sa marionnette même si je parvenais à fuir à des centaines de kilomètres de lui. Il ne pourrait pas avoir une telle influence sur moi. C'était totalement impossible. Aucun Fae ne pourrait jamais être aussi puissant, pas même le roi sur le trône. Pas même au cœur de l'hiver, à l'apogée de sa force. Je refusais d'y croire.

Je ne tuerai pas Ryker. Ça n'arriverait pas. Et même si le Roi Noir était assez fort pour poser un tel sort sur moi, je trouverais un moyen de le rompre. Je protégerais Ryker. Je le fuirais au besoin.

De toute façon, je ne resterais pas longtemps en vie si je venais à me retrouver face à lui. Il me mènerait lui-même à la potence avec ce qu'il m'avait vue faire.

Je fermai les yeux et pressai mes paumes dessus. Pourquoi n'avais-je pas retenu ma main ? Pourquoi avais-je assassiné son père sous ses yeux ? Si je m'étais retenue, je ne serais pas dans cette position. Addy non plus.

Je ne regrettais pas d'avoir tué le roi. Loin s'en fallait. Mon seul regret était de l'avoir fait sous les yeux de son fils. J'aurais dû mieux me contrôler, ne pas me laisser avoir par la colère et l'énervement.

Mieux valait que je cesse de penser à tout ça. Ce n'était pas ce qui m'aiderait à fuir la Faerie, à fuir Ryker après lui avoir ramené sa sœur. Il fallait que je commence à dresser ce plan pour pouvoir sortir.

Mais j'eus beau retourner la pièce, je ne trouvai pas la moindre feuille. Tous les meubles étaient vides. Si ce n'était pour les draps sur le lit, il n'y avait rien dans cette chambre qui puisse suggérer qu'il y avait quelqu'un qui l'utilisait. Comme si j'avais cessé d'exister quelque part entre l'attaque du château et mon arrivée ici.

Je vis défiler les jours sans faire autre chose qu'attendre. Je demeurai pour la majeure partie du temps assise sur le rebord de ma fenêtre à regarder le paysage changer à mesure que le règne des Unseelies s'affirmait sur les terres de la Faerie. En plissant les yeux, je pouvais distinguer le mur de glace que le Roi Noir avait dressé avec mon aide.

Mon aide... Pas vraiment.

La seule chose qui me parvenait, c'était Nahl avec mes repas. Quand il ne les oubliait pas. Que ça soit volontaire ou non, il lui arrivait souvent de ne pas venir de la journée ou d'apparaître en plein milieu de la nuit pour me déposer un plateau de pain rassis et d'eau croupie auquel je ne touchais pas.

Mon refus de manger dût parvenir aux oreilles du Roi puisqu'il finit par débarquer. Il était drapé dans cette cape faite d'ombres mouvantes et répugnantes qui me donnait la chair de poule. Je ne pris même pas la peine de tourner la tête lorsque la porte s'ouvrit. Je sentis tout de suite le parfum de pluie et de sang qui suivait le souverain partout où il allait.

- Quelle impolitesse, dit-il. Tu ne salues même pas ton souverain.

- Vous n'êtes pas mon souverain, répliquai-je d'une voix égale.

- Tu crois cela, Demi-Sang ?

- Comme vous le dîtes, je suis un Demi-Sang. Ce qui signifie que j'appartiens aux deux mondes. Ce qui veut dire que je peux choisir celui que je veux. Et ce n'est assurément pas le vôtre que je vais choisir.

Je tournai la tête vers lui, peu perturbée par la colère qui commençait à crépiter autour de lui.

- Tu m'appartiens, Sixtine Aderleen. Que tu le veuilles ou non, comme tous les Unseelies, tu es à moi. Tu es un membre de ma Cour. Et il est plus que temps que tu apprennes à te conduire comme telle.

- Allez vous faire voir.

Il n'eut pas besoin de me rejoindre pour m'assener une gifle monumentale. Je crus que ma mâchoire n'allait pas s'en remettre, cette fois. Je soupirai en me la massant, empêchant les larmes de douleur de couler.

- Lève-toi. Tout de suite. Je te veux propre et habillée correctement dans une heure dehors.

Il sortit sans attendre une réponse et une Fae entra, absolument magnifique malgré les cicatrices dans son cou et celle qui barrait son front. Ses yeux noir d'encre se fichèrent sur moi pendant qu'elle relevait sa longue chevelure bleu nuit et rouge sang dans un chignon rapide.

- Ne joue pas à la plus fine avec moi, Aderleen. Tout hybride que tu sois, j'aurais le dessus. Alors fais ce que je te dis et tu garderas tous tes os intacts.

Je ne cherchais même pas à résister plus que ça. Je me laissais laver par la Fae qui ne pipa pas le moindre mot. Elle me sécha et me força à enfiler une robe tissée dans un tissu qui coulait comme de l'eau sur mon corps, léger et fluide, d'une intense couleur violine. À chacun de mes mouvements, la robe bougeait, caressant ma peau avec la délicatesse d'une aile d'oiseau. Que des Unseelies possèdent de telles choses était assez incroyable. Je me serais plutôt attendue à me retrouver affublée d'un pantalon et d'une tunique.

Toutefois, en voyant la Fae, je n'aurais pas dû être si surprise. Elle aussi portait une robe, plus épaisse et plus collante, plus pratique si jamais elle devait se battre. Je pouvais voir le fourreau de dagues dépasser de l'ouverture rectangulaire sur le devant de sa robe. Elle avait des jambes musclées et bronzées, puissantes, comme le reste de son corps. C'était peut-être une femme mais elle n'en restait pas moins de la Cour Noire et j'étais prête à parier qu'un seul coup de poing pourrait parfaitement me fracasser les os.

Pendant qu'elle me brossait et me nouait les cheveux, je me retrouvai devant un miroir. Je n'y avais pas prêté attention depuis le début de ma captivité. La première chose que je remarquais, ce fut ma perte de poids. J'avais beaucoup perdu et je pouvais voir le dessin de mes os sous ma peau. Même mes muscles avaient disparus. Tout mon entraînement était probablement réduit à néant...

Au-delà de ça, j'avais pâli. Ce qui faisait ressortir la marque sur mon visage. Un arabesque d'un noir intense débutait entre mes sourcils et se déroulait sur mon front jusqu'à mes tempes à la manière d'un bijou. Je devais avouer que le dessin était magnifique. Ça n'empêcha pas la panique de monter en moi.

- Qu'est-ce que... Qu'est-ce que c'est que ça ? criai-je.

La Fae haussa les épaules.

- Le sort de Son Altesse. Ne t'en fais pas, ton petit prince humain ne le verra pas. Seuls les Faes pourront le voir. Pour qu'ils te laissent en vie en sachant que tu es en mission pour nous. Enfin, disons plutôt que tu es le jouet de Son Altesse. C'est plus près de la vérité, non ?

J'ignorai son sarcasme, trop concentrée sur cette marque. Elle était impossible à camoufler. Mais si les humains ne pouvaient pas la voir, ni Addy ni Ryker ne pourraient la voir. Ils ne pourraient pas savoir que j'étais un danger pour eux. Si jamais le sort du Roi était aussi puissant que tout le monde me le laissait sous-entendre.

Malgré tout, avoir ça sur le visage, devoir le voir... Ça rendait ma situation cent fois pire. Je ne pouvais plus nier avoir du sang Fae dans les veines. Je ne pouvais plus nier que le Roi avait posé un sort sur moi.

Qu'il avait fait de moi son jouet.

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