Chapitre 25
Il n'y eut aucun mot échangé jusqu'à ce que nous fussions tous les trois attablés. Ce fut moi qui lançai la conversation, voyant que ni l'un ni l'autre n'était décidé à jouer les conteurs.
- Alors ? Je l'attends toujours, ce conte de fées que l'on m'a promis.
Ce fut le haussement de sourcils de Nahl qui me fit réaliser le jeu de mots involontaire que je venais de faire.
- Quoi ? Pour moi, c'est ce que c'est. Et je doute que vous parveniez à me convaincre du contraire.
- Et si tu nous laissais une chance ? répliqua-t-il. Ce n'est pas que je sois ravi que tu sois ma sœur mais je n'ai pas eu trop eu le choix. Ce n'est pas comme s'il y avait des centaines de Sixtine dans les rues. Encore moins de Sixtine avec le sang des Aderleen dans les veines.
Là-dessus, il n'avait pas tort. J'avais un prénom plutôt rare.
- Et si je commençais du début ? proposa Miléna en posant sa fourchette.
- Faites donc.
Nahl me fusilla du regard face au ton que j'avais employé avec sa mère. Cette dernière n'en prit nullement ombrage.
- J'ai rencontré votre père il y a près de soixante-dix ans maintenant.
Je ne m'habituerai jamais à la notion de temps Fae. Pour eux, soixante-dix ans, ce n'était rien. À peine le quart de leur vie. Pour un humain, c'était une vie entière.
- Tout s'est passé très vite, entre nous. J'ai mis très longtemps à comprendre dans quoi je m'étais engagée avec lui. J'ai compris lorsqu'il était trop tard pour faire demi-tour. Je l'aimais profondément et lui... J'ignore encore s'il sait ce qu'est l'amour. Toutefois, il a toujours été très possessif et c'est en partie ce qui fait que je suis cloîtrée ici depuis plus d'une décennie.
Pourquoi ne disait-elle pas directement qui était – soi-disant – mon père ? Était-ce un secret si honteux ?
- Qui est-il ? Pourquoi éviter de le nommer ? demandai-je.
- C'est le Roi Noir, lâcha Nahl.
- Quoi ?
- Notre père, c'est le Roi Noir. Nous sommes ses bâtards.
- J'ai vraiment besoin de toute l'histoire...
- Alors laisse maman raconter et tais-toi.
Je lui lançai mon regard le plus meurtrier ; il resta de glace.
- Comme Nahl te l'a dit, tu es la première fille de Kaiser, le Roi Noir. Il n'a aucune idée de ton existence. Je vais en arriver à cette partie.
Miléna déglutit en repoussant ses cheveux en arrière, laissant son regard se perdre.
- Kaiser m'a amenée à la Cour Noire et j'ai compris que, contrairement à ce qu'il m'avait toujours laissé croire, je ne serais jamais sa femme. Qu'il allait devoir se trouver une Fae au sang pur pour lui donner des enfants, pour s'asseoir à côté de lui sur le trône. Je n'étais que sa maîtresse, celle qu'il gardait sur le côté. Je commençais déjà à songer à partir lorsque je suis tombée enceinte. Trop occupé par la préparation du solstice, il n'a rien remarqué. J'ai saisi cette occasion pour partir chez ma sœur, à la frontière du Grand Royaume. Lui s'est retrouvé piégé par l'arrivée du printemps.
« Ce que tu dois savoir, c'est qu'il t'aurait tuée avant mêmeque tu n'aies poussé ton premier cri s'il avait su que j'étais enceinte. Les Rois Jumeaux sont en perpétuelle lutte et la question de la descendance ne déroge pas à la règle. C'est au premier à fournir des jumeaux. Le problème est que les Rois Jumeaux ne peuvent avoir des jumeaux qu'avec la Fae au sang pur avec qui ils régneront. Et ne pas avoir de jumeaux est une disgrâce.
« C'est pour ça que je suis partie chez ma sœur dès que j'ai appris ma grossesse. Pour ne pas perdre la face devant son frère, il m'aurait fait perdre le bébé. Je ne pense pas qu'il m'aurait tuée mais il me l'aurait fait payer. De ça, je suis sûre.
« J'ai accouché chez ma sœur et je t'ai laissée là-bas, avec elle, lorsque l'automne est revenu. Je savais qu'elle prendrait bien soin de toi et je me disais que je pourrais toujours venir te voir de temps en temps. Tu n'aurais jamais su qui j'étais réellement pour toi mais c'était mieux que rien.
Sa voix connut un accroc sincère, comme si elle se retenait de montrer qu'elle souffrait encore de son choix. J'avais toujours des doutes sur la réalité de tout cela. Toutefois, son émotion semblait authentique.
- C'était bien mieux que de te laisser tuer par ton propre père. Alors je suis retournée à la Cour Noire et j'ai prétendu qu'il ne s'était rien passé. En tout cas, j'ai essayé. Il s'est rendu compte que le sujet des enfants devenait sensible. Il a fait le lien entre ma sœur ayant désormais une petite fille et mon attitude. Il s'est décidé à me donner un enfant.
- Comment ça ?
- Il a choisi une Fae au sang pur au hasard et l'a mise enceinte. Et il m'a mise enceinte juste après. C'était sa façon de me donner ce qu'il pensait que je voulais et de répondre aux attentes que la Faerie avait de lui. Comme tu peux le deviner, ça a échoué. Le sang Fae, la magie qu'il contient... Il sait tout. Et ça a réduit à néant le beau plan qu'il avait fomenté à la fois pour prendre l'ascendant sur son frère mais aussi pour remplir ses fonctions et me rendre à nouveau heureuse. Ce plan... Ça a été une véritable catastrophe.
Il était visible que c'était une partie difficile à raconter pour elle. Elle semblait plus dure encore que celle de mon abandon chez sa sœur.
- La Fae a accouché d'un petit garçon. Un seul et unique enfant. Tout de suite, Kaiser a fait de son mieux pour étouffer le scandale et a prétendu qu'elle avait été trop faible pour garder les enfants et que tous les trois étaient morts durant l'accouchement. Évidemment, son frère a su la vérité et l'a directement accusé d'avoir des bâtards cachés quelque part. Le soupçon s'est porté sur moi. J'arrivais au terme de ma propre grossesse alors ils se sont contentés d'attendre. Et Nahl est né. Seul. Et...
Sa voix se cassa. Je me tournai vers Nahl qui semblait aussi mal que sa mère. Que s'était-il passé qui les mette dans un tel état ?
- Lorsque... Lorsque Nahl a poussé son premier cri...
Elle secoua la tête.
- L'autre bébé est mort, acheva Nahl d'une voix dure, vide. Quand je suis né, l'autre enfant est mort.
- Comment est-ce possible ? m'écriai-je, abasourdie.
- Le sang Fae, répondit Miléna. Nahl partage ton sang. L'autre enfant n'en avait qu'une partie. Or, les trônes de la Faerie n'acceptent que des enfants partageant le même sang. Et comme l'autre enfant n'était pas entièrement du même sang et que Nahl était né après lui... Son sang.. Sa magie l'a tué.
- Il est mort parce que je vivais, conclut le Chasseur, son ton froid se fendillant sur la fin.
- C'est plus complexe que cela et tu le sais.
- Globalement, c'est la vérité. Le reste, ce n'est que des détails.
- Nahl...
- Raconte la suite.
Il s'en reprit à son assiette, signifiant à sa mère que le débat était clos. Je les regardai tous les deux. Leurs attitudes étaient crédibles. S'ils jouaient un jeu, ils devaient l'avoir répété depuis très, très longtemps. Ce qui, en soi, n'était pas très crédible.
- Après la mort de l'autre enfant, j'ai dû protéger Nahl. Le Roi Blanc voulait l'éliminer et redonner une chance à leur lignée. La Fae que Kaiser avait choisie s'y est opposée. Elle a dit que, mort ou vif, ça ne changerait rien à la situation. Que l'un des deux frères avait déjà un enfant quelque part. Elle a ravivé la guerre entre les deux Rois et ils ont momentanément oublié le vrai sujet. Pas assez longtemps. Kaiser a tenté de savoir si j'avais eu un autre enfant avant Nahl. Malgré tout ce qu'il m'a infligé, je n'ai rien dit. Alors même qu'il tenait un couteau sur la gorge de mon bébé... Je n'ai rien dit. Ça a suffi à le convaincre. Il a cessé de croire que j'avais un autre enfant. Il m'a reléguée dans un coin avec Nahl et s'est attelé à la tâche de prouver que c'était son frère qui avait déjà un enfant quelque part.
- Il t'a abandonnée comme un jouet cassé, gronda le Chasseur. Cet enfoiré t'a traitée comme de la merde et même pire que ça.
Miléna ne répondit pas. Elle baissa la tête, faisant glisser ses doigts sur sa fourchette. J'avais beau analyser chacune de leurs réactions, cherchant une faille à leur mascarade, je ne trouvais rien. Tout me semblait cohérent. Il me restait encore de nombreuses questions. De plus, l'histoire n'était pas terminée. Il y avait encore une dizaine d'années à couvrir.
- Et après cela ? Que s'est-il passé ?
Les grands yeux verts de Miléna se fixèrent dans les miens.
- Je suis partie de la Cour en emmenant mon bébé avec moi alors que Kaiser était en voyage. J'ai saisi l'occasion. Je suis venue retrouver un oncle ici, à WreitheKeep. C'est lui qui a demandé à l'Ancienne de poser les sorts qui protègent cette maison.
- L'Ancienne ?
- C'est la plus vieille humaine au monde. Elle est des rares qui connaissent l'art des potions et de la magie immatérielle.
Les Faes ne peuvent pas poser de sort comme ceux qu'elle a créépour cette maison. Manipuler les éléments est inné mais lereste... Ça demande de la discipline, de l'entraînement et de lapuissance et très rares sont ceux qui y parviennent. Étant humaine,il lui a fallu encore plus de travail mais la forme de magie qu'ellea développée... C'est incroyable. Pour se protéger, l'Anciennehabite à Wringden, la ville Fae la plus... horrifique qui existe.S'il y a bien un endroit à éviter, c'est celui-là.
« Toujours est-il que mon oncle l'a amenée avec son armée de Faes sanguinaires sous le couvert de la nuit pour qu'elle protège cette maison. Elle m'a piégée à l'intérieur. Si Nahl et toi pouvaient entrer et sortir à votre guise, je ne peux pas. Elle m'ascellée avec la maison. Ce qui est pour le mieux puisque si je mets le pied dehors, Kaiser me retrouvera.
- Et pour votre sœur ? C'est quoi, l'histoire ? J'ai ma version, après tout.
Je me souvenais de tout ce que Jon m'avait dit sur ma famille. Qu'elle avait été assassinée par Quinten Madsen, qu'il les avait massacrés gratuitement, oubliant la fillette de cinq ans cachée dans un recoin de la cave. Que c'était lui qui m'avait sauvée, qui m'avait trouvée dans la forêt. Que je lui devais la vie que j'avais eue à Pit's End.
- Je l'ai appris assez tard. Avoir des nouvelles du monde, c'est compliqué lorsque l'on est emprisonnée dans une maison que personne ne voit.
- C'est moi qui l'ait appris, admit Nahl. Comme j'étais le seul à pouvoir sortir de la maison, j'étais celui qui allait au marché, chez le couturier... Alors quand j'ai entendu le nom Aderleen, j'ai tendu l'oreille.
- Lorsqu'il est revenu en courant dans la maison, j'ai cru que le Roi Noir nous avait trouvés. Quelque part, j'aurais préféré.
- Ça ne me répond pas.
Je leur paraissais sûrement insensible – ce qui m'importait trop à mon goût – cependant je voulais mes réponses. Ce qu'ils allaient dire pouvait tout changer. J'avais toujours vécu en pensant mes parents assassinés par un roi sadique et meurtrier qui prenait du plaisir à tuer des innocents sans raison.
Et si Jon m'avait menti sur ça aussi ?
- J'ai fait mes recherches, reprit Nahl. J'ai profité de ma position à la Cour Noire, de la proximité avec le Roi Noir pour obtenir l'histoire exacte. Il s'est fait un plaisir de me raconter en détails ce qui était arrivé à ma tante, mon oncle, ma cousine. Il ne m'a rien épargné. C'est l'une de ses nombreuses vengeances envers moi...
- Que s'est-il passé ? insistai-je.
Mes doigts se serraient autour de ma fourchette. J'étais tendue à l'extrême, comme si je m'apprêtais à recevoir un coup. Ça n'allait pas me plaire. Je le savais rien qu'à regarder Nahl. Son expression me disait que je n'allais pas aimer ce qu'il avait à révéler.
- Tu connais l'histoire qui unissait Jon Marchetta et Quiten Madsen ?
- Bien sûr. Ils étaient amis jusqu'à ce que Quiten devienne roi en épousant Lux. Jaloux, l'ego vexé, Jon a épousé Patsy pour blesser son ancien ami. Quinten et Patsy ont continué de se voir dans le dos de Jon, la guerre a été déclarée entre eux. Quiten a banni Jon de la Cour et Jon a cherché à se venger.
- Globalement, c'est ça. Jon a toujours été fasciné par les Faes et lorsque Quiten a enfermé la Faerie dans la Cage, Jon était censé pouvoir interroger des Faes. Quiten ne l'a jamais laissé faire. Alors Jon s'est tourné vers les Aderleen. Ces Demi-Sangs qui s'étaient réfugiés dans le Grand Royaume juste avant que la Cage n'avale toute la Faerie. Il s'est rapproché d'eux, convoitant leur pouvoir, pensant pouvoir les rallier à sa cause. Ça n'a pas fonctionné.
J'avais du mal à imaginer Jon Marchetta fraternisant avec des Aderleen qu'il nommait lui-même comme « une famille de monstres ». Au demeurant, connaissant Jon, il ne fallait s'étonner de rien. Pour assouvir sa vengeance envers Quiten Madsen, il était prêt à tout.
- Ils ont refusé de l'aider. Jon l'a mal pris. Il a cherché un moyen d'obtenir ce qu'il voulait. Pour lui, tu es devenue la clé. À moitié Fae, jeune et malléable... Tu étais exactement ce qui lui fallait pour obtenir sa vengeance tant espérée. Une vengeance qu'il voyait comme grandiose. Il pourrait lui rappeler sa promesse brisée, détruire son royaume, le détruire lui. Tout ça à travers toi.
- Tu veux dire que...
- Oui. C'est Jon qui a tué notre tante et notre oncle et t'a laissée errer pendant des jours dans la forêt avant de venir te rechercher. Il avait tout prévu, Sixtine. Puisque tes parents ne voulaient pas l'aider, il allait se servir. Il les a tués, t'a traumatisée, te rendant encore plus malléable, et a fait de toi son arme ultime, celle qui lui apporterait sa vengeance sur un plateau d'argent.
J'avais du mal à y croire. Je n'avais pas de souvenir de mon enfance avant de vivre chez les Marchetta. Je ne me souvenais pas du visage de mes parents, de ce que nous avions l'habitude de faire, de leurs voix... C'était le vide le plus complet.
Je ne voulais pas croire bêtement à ce que me racontait Nahl. Je ne pouvais pas. Y croire voudrait dire admettre que toute mon histoire était un tissu de mensonges. Que j'avais vécu presque toute ma vie avec l'assassin de ma famille, que j'avais vu comme un père celui qui avait tué le seul véritable père que j'aie jamais eu.
Quel genre de monstre froid et dépourvu d'humanité pouvait faire cela ? Jon était un être mauvais, pour sûr. Je ne pouvais pas le nier. Il avait la haine dans le sang. Toutefois, de là à ce qu'il aille tuer une famille pour leur prendre leur enfant et le transformer en arme...
C'était tout à fait le genre de Jon. Aussi difficile que cela soit à admettre... Il en aurait été parfaitement capable. Pour sa vengeance, il n'avait redouté aucun extrême.
- Qui te dit que c'est la vraie version ?
Je détestais les octaves que ma voix avait perdus.
- En dehors de toi, il y avait un témoin.
- Qui ?
- Kellan Marchetta.
- K-Kellan ? C'est impossible ! Il avait à peine deux ans !
Il hocha la tête.
- Il a suivi son père, ce soir-là. Il a tout vu. Les images sont restées gravées dans sa mémoire.
- Et comment... ? Comment le Roi Noir a-t-il pu être au courant ?
- Le gamin en a parlé avec son père alors qu'ils étaient au château. Un Fae – l'un des rares qui a échappé à la Cage parce qu'il n'était pas dans la Faerie – les a entendus. Il a rapporté le tout à son Roi dès qu'il a été libéré. J'ai parlé avec le Fae en question. Il ne mentait pas. Il n'avait aucune raison de le faire. Il ne connaissait pas les Aderleen, ignorait que le Roi Noir avait quoi que ce soit à faire avec cette famille. Il n'avait rien à gagner à inventer cette histoire.
Kellan... Kellan avait toujours su que son père avait assassiné mes parents. Il avait tout vu. Il connaissait le côté monstrueux de sa famille et il avait été obligé de vivre toute sa vie avec ça. Pourquoi ne m'avoir rien dit ? Pourquoi l'avoir toujours caché ? Jon devait savoir que son fils était présent, ce jour-là. Et s'il l'avait su... Comment avait-il pu faire face à son propre enfant et agir comme si de rien n'était ?
Je me forçai à respirer profondément à me contrôler. J'allais devoir réfléchir à tout ça. Mais pas maintenant. Plus tard. Cette nuit. Lorsque je serais seule.
- D'accord. J'ai ta version. Bien.
Nahl et Miléna échangèrent un regard que j'ignorai. Ils n'avaient toujours pas gagné. Il me faudrait bien plus que ça pour me convaincre. Leur histoire était bien ficelée et ne semblait avoir aucune fausse note. Nonobstant, il me restait des questions à poser. Lorsque j'aurais toutes mes réponses, j'aviserais. Je verrais de quel côté penche la balance.
- Sinon, comment as-tu fait pour devenir le Chasseur ? Pourquoi ne t'a-t-il pas tué ?
- Parce que je le fais chanter.
- Toi ? Tu fais chanter le Roi Noir ?
- En effet.
- Comment ? Pourquoi ?
- Je suis allé à la Cour Noir quand j'avais dix-sept ans. Maman venait enfin de me dire qui était mon père, pourquoi elle était bloquée à la maison. La vraie histoire, pas celle qu'elle avait inventée pour quand j'étais un gamin.
- Tu as voulu te venger, conjecturai-je.
- Pas du tout. J'ai voulu te retrouver avant lui.
Je clignai des yeux.
- Tu as été voir l'homme qui a sûrement le plus envie de te voir mort juste pour retrouver une sœur dont tu ignorais tout ?
- Tu es ma sœur. Ma famille. Forcément que je voulais te retrouver. Surtout que, tant que tu es vivante, ça veut dire qu'il peut mourir.
- Mais encore ?
- Les Rois Jumeaux vivent aussi longtemps qu'il leur faut pour obtenir des héritiers. Si la vie normale d'un Fae est dans les quatre cents, cinq cents ans, pour les Rois Jumeaux, ça ne s'applique pas. Tant qu'ils n'ont pas d'héritiers, ils restent sur le trône. Mais toi et moi sommes là. Ce qui veut dire que leur règne touche à la fin.
- Et pourquoi ne t'a-t-il pas tué dès qu'il t'a vu ?
- Il ne m'a pas reconnu, au début. J'ai dû aller me présenter à sa Seigneurie et lui dire que je savais où se trouvait ma mère, que j'étais le seul moyen qu'il avait de la retrouver. Je peux te dire que, tout ce temps, il a essayé de ruser pour que je lâche le morceau. Il m'a torturé, manipulé... Je n'ai rien lâché. Je lui ai dit que, lorsque j'aurais obtenu ce que je voulais, je lui dirais. Ce que, évidemment, je ne ferais jamais. Et il le sait aussi. En attendant, j'ai pu l'empêcher de te retrouver, de comprendre que tu étais l'enfant qu'il recherche depuis vingt ans. Et moi, je t'ai trouvée.
- Pourquoi ? Qu'est-ce que ça vous apporte de me dire tout ça ?
Nahl soupira. Il saisit son verre d'eau et le but d'une traite. Miléna se redressa, faisant grincer le dossier de sa chaise.
- Il faut que tu saches qui tu es vraiment, Sixtine, dit-elle. Tu es dans la Faerie, plus au Grand Royaume. Tant qu'il ne sait pas qui tu es vraiment, tu es en sécurité. Mais tu es l'aînée. Tu dois hériter de l'un des trônes avec Nahl. Tu dois te préparer à faire face. Tu ne peux pas traverser la Faerie sans savoir que, partout, Kaiser a des gens qui guettent le moindre signe de cet enfant perdu qui maudit les trônes.
- C'est pour ça que, dès qu'il t'a laissée partir avec Ryker, je suis parti derrière toi. Il ne m'en a jamais donné l'ordre. J'ai menti aux vautours pour qu'ils me suivent. J'avais besoin d'eux pour t'éloigner de ton petit groupe et pouvoir t'amener ici sans qu'ils tentent de venir te sauver.
- Il m'a laissée partir ?
- Bien sûr. Ton petit prince humain n'aurait jamais su rentrer dans la Cour Noire si le Roi Noir ne l'avait pas laissé faire. Il ne t'a pas maudite simplement pour passer le temps, tu sais. Il t'a maudite pour que tu tues ton prince. Il veut que tu le tues. Je suppose qu'il veut se venger du père puisqu'il ne peut plus le tuer.
- C'est lui qui m'a poussée à le faire. À tuer Quinten. Ça ne lui suffit pas ?
- Évidemment que non. Il lui en faudra toujours plus.
- Mais en quoi tuer Ryker... ? En quoi ça va l'aider à se venger ?
- C'est une double vengeance. Triple, même, expliqua Miléna. Une vengeance envers les Madsen en tuant leur seul héritier mâle, une vengeance envers toi pour lui avoir résisté et une vengeance envers le peuple qui l'a enfermé.
- Vous voulez dire qu'il veut prendre d'assaut le Grand Royaume ?
- Ça ne lui ressemblerait pas mais avoir passé tant de temps enfermé dans une Cage... Cela rendrait fou n'importe qui. S'il élimine les deux seuls hommes de la famille, il ne reste que des femmes et il est bien connu que des femmes ne peuvent conduire un royaume, aux yeux des humains. Donc, ma supposition serait qu'il va mettre le Grand Royaume à feu et à sang.
Ce n'était pas une hypothèse agréable. Pas du tout. Ça paraissait plausible. Tuer Ryker ne lui apporterait rien, en soi. Ça ne ferait qu'affaiblir un peu plus le Grand Royaume qui se retrouverait sans roi, sans personne d'autre que Lux pour mener la guerre. Et elle n'y connaissait rien. Elle les mènerait tous à la mort et le Roi Noirs avait cela.
Je secouai la tête. Je commençais à attraper une migraine infernale. Ça faisait beaucoup d'informations. Beaucoup trop même. Toute cette histoire devenait juste... énorme. Bien trop énorme pour moi. Une nouvelle famille ? Encore plus de vengeance ? J'avais du mal à avaler tout ça.
Je baissai les yeux vers mon assiette, me remettant à picorer. J'avais l'estomac noué mais je savais que je n'allais pas tarder à retourner sur la route alors j'avais besoin de manger. J'avais besoin d'avaler autant que je pouvais avant de devoir à nouveau compter chaque bouchée. Quand bien même, je mourrais de faim.
- Ça fait beaucoup d'un coup, dit doucement Miléna. Je me doute que nous croire ne doit pas être facile.
- Ça ne l'est pas du tout. Surtout que je n'ai aucune preuve. Vous pouvez me dire tout ce que vous voulez. Sans preuve, je ne peux pas. Je ne peux pas croire une telle histoire sans aucun élément qui soit capable de dire clairement « c'est ce qu'il s'est passé ». Oh, c'est sûr, votre histoire tient la route. Je ne dirai pas le contraire. Mais de là à y croire sans demander de preuves ? Non.
- Je... J'ai peut-être quelque chose qui pourrait te convaincre.
Nahl et moi relevâmes la tête alors que Miléna se levait. Elle disparut à l'étage. Je tournai le regard vers Nahl qui semblait aussi curieux que moi. Se pouvait-il qu'elle ait quelque chose qu'elle ne lui avait jamais montré ?
- Qu'est-ce qu'elle va chercher ?
- Je n'en ai aucune idée, admit-il.
Il me parut sincère. Il se tourna vers moi et plongea son regard dans le mien.
- Avoue-le, Sixtine. Tu sais que nous ne mentons pas. Nous n'avons aucun intérêt à te mentir. Rien à gagner si ce n'est des soucis à la pelle. Le fait demeure que tu es ma sœur et que tu dois le savoir pour te permettre de rester en vie plus longtemps.
- Parce que ça te protège. Tant que je suis en vie, le Roi Noir n'a pas de raison de tuer autre que le fait que tu sois son fils. À travers toi, il peut avoir des informations sur Miléna et sur moi. Il te fera parler. Il sait déjà que tu sais où se cache Miléna mais s'il soupçonne que tu as trouvé ta sœur, l'enfant bâtard que les deux Cours cherchent si activement...
- C'est un risque, c'est vrai. Je sais comment il est. Encore mieux que toi. Je n'ai pas peur de ce qu'il peut m'infliger. Je sais que je ne parlerai pas.
- Comment peux-tu en être aussi certain ? Il doit avoir des moyens de torture dont tu n'as aucune idée. Et même toi, tu ne pourras pas résister.
- Tu me sous-estimes. Je comprends, tu ne me connais pas. Pas vraiment, en tout cas. Mais pour moi, ma mère est tout ce que j'ai. Avant que je trouve, elle l'était. Et jamais, jamais je ne pourrais donner l'adresse de cette maison à l'homme qui veut s'en prendre à elle.
- Si tu es sûr de toi. Je serais toi, je me méfierais quand même.
Miléna choisit ce moment pour redescendre avec un petit coffret. Elle le posa sur la table et le poussa vers moi entre les assiettes. Je le récupérai et l'ouvris doucement. Je m'attendais à beaucoup de choses mais certainement pas à des bracelets, une lettre et un papier plié en deux.
Nahl se rapprocha et vint regarder. Il prit les bracelets et les démêla l'un de l'autre, les retourna et les examina.
- Oh.
Je reposai la lettre pour regarder dans sa direction. Il me tendit l'un des bracelets. Je trouvai mon nom gravé dessus, encadré par deux petites émeraudes. Nahl avait un bracelet identique si ce n'était que son nom était gravé entre deux rubis.
- Je les ai fait faire à vos naissances, expliqua Miléna.
- Pourquoi ne m'avoir jamais donné le mien ? demanda Nahl.
- Parce que ta sœur ne pouvait pas porter le sien. C'est sûrement idiot mais... Je ne voulais pas que tu puisses porter ton bracelet si elle ne le pouvait pas. Maintenant que vous êtes réunis... Ils sont à vous.
Je ne répondis pas, considérant le bijou dans ma main. Je n'avais jamais vraiment aimé les bijoux. Je n'en portais jamais. Ce n'était pas pratique lorsqu'on se battait constamment. Un collier qui se coince, une boucle d'oreille qu'on arrache... Autant de raisons pour ne pas en porter. Sans compter que ça coûtait les yeux de la tête et que ça n'avait aucune utilité.
Je posai le bracelet sur la table et repris la lettre.
- Elle vient de Kaiser. Je l'ai reçue peu après avoir accouché de toi.
Je ne la lis pas. Pas pour l'instant, en tout cas. Je pris le dernier papier et le dépliai. C'était une peinture. Elle était petite, de la même taille que le papier à lettres. Un bébé potelé aux cheveux blonds comme le soleil et aux grands yeux verts me regardait. C'était censé être moi. Il était évident que cette peinture datait. La peinture était craquelée et le papier avait jauni là où la peinture s'était décollée.
- Regarde, me souffla Nahl. Qu'est-ce que c'est écrit ?
Il s'était encore rapproché, son bras se retrouvant collé au mien. Il me prit la peinture des mains et la retourna, pointant deux petites lignes dans le bas.
Sixti e Ad rle n
22 septemb
Les lettres étaient difficiles à déchiffrer tant l'encre était passée et le papier usé. Il manquait le N de mon prénom en plus de deux E dans le nom de famille, de la fin de « septembre » et l'année.
- Je l'ai commandée le jour-même de ta naissance pour pouvoir avoir quelque chose de toi lorsque je devrais repartir. Kaiser l'a vue, une fois.
- Et il n'a pas compris ?
- Non. Il a cru que c'était le bébé de ma sœur. Et il n'a pas vu le nom inscrit à l'arrière. Il n'a jamais été très intéressé par les enfants des autres.
Je me mordis la langue pour ne rien dire. Je regardai longuement la peinture. Je reconnaissais mes traits dans cette image. Les pommettes hautes, le nez droit et pointu, le menton volontaire et la mâchoire fine. Même potelée, ces traits étaient déjà marqués. Maintenant que j'étais maigre, ils se voyaient encore plus.
Je repensais à mon reflet dans le miroir. Je regardais Miléna qui débarrassait la table. Je trouvai plusieurs points communs entre elle et moi. Nos hanches, nos cheveux, nos yeux. La ressemblance n'était pas flagrante mais elle demeurait plausible. Possible.
Avec Nahl, c'était à la fois plus flagrant et plus flou. Ce n'était pas une question de physique mais d'attitude. Il avait des attitudes, des réactions, des paroles qui auraient parfaitement pu être les miennes sans que ça ne paraisse étrange. Au niveau physique, il paraissait Fae, brutal, sombre et animal mais, niveau caractère, lui et moi n'étions pas si différents.
Je remis tout dans la boite et la rendis à Miléna. Elle l'ouvrit et en ressortit mon bracelet. Elle le déposa dans ma main.
- Il est à toi. Garde-le.
Je voulus protester mais elle se détourna pour continuer de débarrasser. Discussion close.
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