Chapitre 2
Je ne revis pas Addy dans les jours qui suivirent. Je fus confinée dans ma chambre, abandonnée. Je passai mon temps à tourner en rond sans savoir quoi faire. La seule personne que je voyais était mon garde-chiourme, Nahl, qui m'amenait mes repas à heures fixes. Si ça continuait, j'allais devenir folle.
S'il y avait une chose que je n'avais supporté, c'était l'inactivité. J'avais besoin de bouger, de me dépenser. Surtout maintenant que je savais que Addy était en vie, quelque part dans le domaine des Unseelies. J'avais besoin de lui parler, de vérifier qu'elle allait vraiment bien.
Cet ostracisme me laissait dans le noir. Je ne savais rien de ce qu'il se passait en dehors des murs de la Faerie. Je ne savais même pas ce qu'il se passait dans la Faerie. Il fallait que je parte, que je m'enfuis. Ce que je ne ferais pas sans Addy. Sauf que je ne savais même pas où elle était gardée. Et si je voulais m'enfuir avec elle, il fallait que je puisse la rejoindre directement sans perdre de temps.
Ensuite, il fallait que je connaisse les issues de ce palais. Pour ce que j'en savais à avoir été trimbalée par Nahl, c'était un véritable labyrinthe. J'avais du mal à savoir comment les Faes eux-mêmes parvenaient à ne pas se perdre à tout bout de champ.
Il allait falloir que je mette ma mémoire à contribution dès que je pourrais sortir de cette chambre. Je devais me créer ma propre carte pour parvenir à savoir où aller exactement lorsque viendrait le moment de mon évasion. J'avais encore le temps jusqu'au retour du printemps. Je n'étais pas assez folle pour penser pouvoir m'enfuir avant que les Unseelies ne soient affaiblis. J'allais devoir prendre mon mal en patience. Le seul avantage était que ça me donnait le temps de préparer un plan qui tienne la route.
Je fis un bond lorsque ma porte s'ouvrit à la volée. Le Roi Noir débarqua alors que je bondissais sur mes pieds. Il avait l'air furieux, complètement enragé. Je fus certaine de voir des flammes danser dans ses prunelles alors qu'il fixait son regard sur moi. Je dus lutter pour ne pas faire le moindre pas en arrière lorsqu'il s'avança vers moi.
Nahl apparut dans l'embrasure de la porte, aussi surpris que moi par l'arrivée impromptue de son roi. Visiblement, cette visite n'était pas prévue.
- Votre Altesse... ? osa-t-il doucement.
Le Roi Noir se contenta d'un geste de la main dans sa direction. Il fut propulsé dans le couloir et la porte claqua si fort qu'elle se fendit dans le milieu. Je bandai tous mes muscles pour me retenir de fuir me cacher dans un coin.
Sa main vint s'enrouler autour de mon cou et il serra. L'air passa à peine dans ma gorge et je saisis son poignet pour tenter de le faire me lâcher. Il ne broncha pas le moins du monde, ne paraissant même pas sentir mes doigts sur lui.
Lorsque ma peau commença à me brûler, je compris qu'il se passait plus qu'il n'y paraissait. Il n'était pas seulement en train de m'étrangler. Il utilisait sa magie sur moi. J'ignorais ce qu'il faisait mais la panique montait en moi et menaçait de m'étouffer plus que les doigts qui serraient mon cou.
- Regarde-moi, ordonna-t-il.
Ses mots vibrèrent d'une puissance irrésistible. Je levai les yeux pour rencontrer les siens et je tombai droit dans un véritable brasier. Il m'aspira et m'avala tant et si bien que les mots qui suivirent me parurent lointains, comme un écho dévalant le flan d'une montagne. Je fus bien incapable de les comprendre même s'ils me paraissaient familiers. C'était de l'ancien langage, comme à chaque fois que les Faes utilisaient les mots pour utiliser leur magie.
Il me relâcha aussi soudainement qu'il s'était saisi de moi. Mes jambes cédèrent sous moi et je toussai, touchant ma gorge endolorie. Le souverain Unseelie s'accroupit face à moi, appuyant ses bras sur ses genoux. Il tendit la main et j'eus un mouvement de recul incontrôlable. Je me remis à tousser alors qu'il caressait mes cheveux et jouait avec des mèches.
- Mon frère a tenté de me convaincre de ne pas le faire mais tant pis. Ce n'est pas comme s'il pouvait encore m'en empêcher, n'est-ce pas ?
- Qu'est-ce que... que vous m'avez fait ?
- J'ai fait de toi mon arme de choix. Ce n'est sûrement pas une bonne idée mais tu me connais, désormais. Je suis impulsif.
Son arme ? En quoi m'avoir presque étranglée faisait-il de moi son arme ? Qu'est-ce que sa magie avait bien pu me faire ?
- Lève-toi et suis-moi. J'ai quelque chose à te montrer.
Il se redressa avec une élégance et une grâce irréelle. Je me remis sur mes pieds en tanguant, cherchant mon équilibre. Il ne m'attendit pas. Toutefois, je n'étais plus assez idiote pour croire que je n'étais pas forcée de le suivre. Je sentais déjà sa magie tirer sur moi comme si j'avais une laisse enroulée autour de ma taille. Je me résignai à le suivre à travers les couloirs.
Mentalement, j'enregistrai chaque virage, chaque porte, chaque fenêtre. Je dressai une carte temporaire dans mon esprit, me dessinant un plan en relief. Il ne fallait pas que j'oublie le moindre détail. Je gravai même le décor derrière les vitres pour tenter de savoir ce que je trouverais une fois dehors.
Nahl ouvrit la porte avant que son Roi ne l'atteigne et nous débouchâmes sur une volée d'escaliers en colimaçon. Nous les gravîmes en silence. J'avais le tournis et les cuisses en feu lorsque l'escalier déboucha enfin sur un terrain plat. Je ne pouvais pas dénommer ça comme un toit. En baissant les yeux, je vis que je marchais sur un entrelacement étroit de branchages qui formaient un sol étonnamment solide sous mes pieds.
Le Roi Unseelie s'arrêta et fit face à l'horizon. Je me plaçai à côté de lui, encadrée par Nahl.
- Regarde.
Je suivis son regard et j'en restai bouche bée.
La frontière de la Faerie, celle-là même que j'avais pu admirer tant de fois, celle devant laquelle j'étais passée avec Ryker en allant vers le château... Cette frontière était en feu. Derrière les hautes flammes, je voyais distinctement les rangs d'oignons serrés et ordonnés de l'armée royale. J'étais bien trop loin pour distinguer les uniformes mais je savais quelle armée s'en prenait à la Faerie : celle du Grand Royaume.
- Ryker... soufflai-je.
Était-ce lui ou sa mère ? Avait-il pris la place de son père sur le trône ou sa mère avait-elle appelé à la régence ?J'étais certaine que c'était la deuxième option. Jamais Ryker ne serait assez idiot pour s'en prendre ainsi à la Faerie. Il était plus intelligent et retors que ça. Même terrassé par l'horreur et la douleur, par la haine et l'envie de vengeance, il ne prendrait pas une décision aussi stupide.
Comment sa mère avait-elle pu mettre la main sur le trône ? Ryker devrait être à la tête du Royaume, pas elle ! Pourquoi Ryker avait-il abandonné le trône vide à une femme aux humeurs si changeantes, sans aucun sens commun ? Elle n'était pas faite pour régner et cette armée aux portes de la Faerie en était la preuve. Elle allait tous les faire tuer et laisser son royaume sans protection.
- Comme tu le vois, on dirait que ton cher et tendre est assez idiot pour croire qu'il peut se battre contre nous. Il lance des assauts tous les jours. Et, vois-tu, je commence à véritablement en avoir assez.
- Ce n'est pas Ryker, objectai-je.
- Mon règne vient de commencer et je ne compte pas laisser de misérables chiens d'attaque me ruiner ma bonne humeur, poursuivit-il sans m'écouter. Alors, fredonne-moi une petite chanson.
- P-Pardon ? P-Pourquoi ? Qu'allez-vous leur faire ?
- Chante.
J'ouvris la bouche pour protester à nouveau mais Nahl fut plus rapide. Il me donna un coup dans les jambes, me mettant à genoux dans un cri de douleur.
- Tu n'as pas le choix, Sixtine. Et tu le sais. Si tu ne chantes pas, au lieu d'un avertissement, c'est le corps de leur petite princesse perdue que je leur enverrais.
Mon sang se glaça dans mes veines. Je serrai les poings, tentant de retenir la rage qui me faisait trembler. Il me tenait et il le savait. Il en abusait. Jamais je ne le laisserais faire de mal à Addy. Ce n'était qu'une enfant. Elle n'y était pour rien. Je devais la protéger. Quoi qu'il m'en coûte. Il fallait que je la protège.
C'était tout ce que je pouvais faire pour Ryker.
- Chante.
Je ravalai toute la haine que je ressentais pour laisser échapper la plus faible mélodie que je connaissais. Je ne fis aucun effort pour la chanter correctement. De toute façon, je n'en avais pas besoin. Je savais parfaitement qu'il me faisait chanter par pure méchanceté plus que par besoin. Il voulait me rappeler qu'il avait le pouvoir sur moi, que je ne pouvais pas m'opposer à lui. Il voulait que je me sente responsable, que j'ajoute à la longue liste de mes péchés. Il voulait que je fasse du mal à mon royaume.
Je regardai le mur de feu se transformer en un glacier luisant et chatoyant sous les derniers faibles rayons de soleil. Les hurlements des soldats furent portés par le vent, assourdissants malgré le faible volume. Je fermai les yeux, tentant de les ignorer.
- Suffit.
Ma voix s'évanouit et le silence revint, pesant, difficile à supporter. Combien étaient morts ? Combien d'autres étaient blessés ? Qu'avais-je fait ?
J'avais protégé Addy. Voilà ce que j'avais fait. J'avais protégé la princesse. Je n'avais pas eu le choix. C'était eux ou elle. Et si Ryker ne pouvait pas prendre le trône, il faudrait que ça soit Addy. Parce que j'étais certaine que ce n'était pas le prince qui était à l'origine de cette attaque. J'en aurais parié ma propre vie.
- Tu vas faire une arme merveilleuse, Sixtine, se réjouit-il en me forçant à me relever. Quoi que dise mon frère, je sais que tu mèneras ta mission à bien.
- Ma mission ?
Il arbora le sourire le plus sinistre que je lui ai vu jusque là. Je frémis, luttant pour ne pas me détourner.
- Oui, ta mission. Je sais que tu as senti ma magie sur toi, tout à l'heure.
Je gardai le silence. La sensation de brûlure était encore trop vive.
- Ne devines-tu pas pourquoi je t'ai montré ceci, Sixtine ? Ne devines-tu pas ce que j'attends de toi ?
Mon cerveau fonctionnait à toute vitesse, cherchant une réponse à ses questions. Je me doutais que ça avait quelque chose à voir avec le Grand Royaume. Il ne voulait tout de même pas que je le mette à feu et à sang ? Que je le détruise pour lui ?
- Allons, Sixtine. C'est une tâche que tu fais mieux que n'importe qui. Je suis certain que tu vois à quoi je fais référence.
Je fus incapable de dissimuler l'horreur sur mon visage. Il éclata de rire, se gaussant de ce qu'il me faisait subir.
- Non... soufflai-je. Je... Non. Je ne le ferais pas.
- Oh, si, tu le feras, Sixtine Aderleen. Tu tueras ton prince adoré pour moi.
___________________
NdlA : Moi ? Sadique ? Si peu, si peu ! :p
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top