Chapitre 16

Je devais avouer que Nahl était... impressionnant. Déjà sa stature était massive, puissante. Mais ce n'était pas ce qui était le plus saisissant. C'était ce halo qui l'entourait, qui transformait sa chevelure en flammes dansantes, vivantes et menaçantes. C'était ses yeux sauvages et brûlants qui reflétaient la lumière incroyable d'un simple arc-en-ciel... Il ressemblait à un seigneur de la guerre, à un dieu de la mort.

Son sourire devint carnassier lorsque je sortis du couvert des bois, me plaçant entre lui et le frère et la sœur. Il était là pour moi, pas pour eux. Tant que je servais de bouclier, il ne s'occuperait pas d'eux, seulement de moi. Le tout, c'était qu'ils se décident à fuir et à rejoindre Miach et Naseok. Je doutais qu'ils soient véritablement en sécurité avec eux mais rien ne pouvait être pire que Nahl.

- Sixtine... Il n'aura pas été bien difficile de te retrouver.

- Tu m'as peut-être sous les yeux mais ça ne veut pas dire que tu m'as attrapée, Chasseur.

Il sourit et avança vers moi. L'eau s'écarta devant lui, créant un passage droit vers la rive. Droit vers moi.

- Ne crois pas pouvoir m'échapper. Tu es peut-être une survivante mais je suis le Chasseur. Personne ne m'a jamais échappé et tu ne seras pas la première.

- N'en sois pas si certain. Tu sais me suivre comme un chien de chasse parce que je le veux bien. Tu serais surpris de ma capacité à disparaître.

- Qu'attends-tu alors ? Tu es la personne la plus recherchée dans le monde entier. Le moindre Fae ou Demi-Sang espère te croiser pour te ramener à la Cour Noire avant moi. Et chaque humain de chaque royaume veut ta tête pour avoir tué le roi sadique. Qu'attends-tu pour disparaître, Sixtine Aderleen ?

Il escalada la faible butte qui l'amena à deux mètres de moi. À sa portée.

- Tout ce temps où tu aurais pu disparaître, tu les as cherchés. Pour les protéger, tu m'as fait tomber dans cette rivière et dès que tu l'as pu, tu es partie à leur recherche. C'est si aisé de te mettre la main dessus. Je n'ai même pas à chercher. Tu es une proie décevante.

- Et toi, tu es un très mauvais chasseur.

Il éclata de rire. Un rire franc et massif qui me laissa bouche bée. Je n'avais jamais entendu quelque chose de semblable. Les rires des Unseelies étaient rocailleux, pervers, graveleux. Mais celui de Nahl était entièrement différent. Il était léger comme une brise de printemps, chantant comme les pépiements des oiseaux lors des jours de soleil, pur comme l'amusement d'un enfant. Ce rire si sincère me toucha et me terrifia. J'avais face à moi l'un des pires Unseelies après le Roi Noir. Comment pouvait-il rire ainsi ? Comment pouvait-il paraître soudain si jeune et si innocent ?

Je reculai et jetai un rapide coup d'œil vers l'arbre. Ryker et Addy avaient disparu. C'était à la fois un soulagement et agaçant. J'allais encore passer combien de temps à les poursuivre ?

- Si j'étais un si mauvais chasseur, ne penses-tu pas que nous ne serions pas face à face ?

- Si tu étais plus doué, je ne t'aurais pas échappé autant de fois. Et je ne t'échapperais pas une nouvelle fois.

Il sourit et jaillit. J'eus à peine le temps de ciller qu'il avait ses doigts autour de mes cheveux et une dague sur ma gorge.

- Tu disais ? rit-il à mon oreille.

Je fermai les yeux et me concentrai. Je pouvais le faire. Le surprendre suffisamment pour pouvoir lui voler sa dague et fuir. Je n'étais pas capable de l'affronter et j'en avais pleinement conscience.

Je me préparai pour la douleur avant de virevolter dans sa prise, lui arrachant mes cheveux, m'ouvrant la gorge sur sa lame. Il recula aussitôt, pris au dépourvu. J'en profitai pour donner un coup dans son poignet, envoyant sa dague voler. Je la rattrapai du bout des doigts avant de détaler droit dans les bois. Je me doutais que Ryker avait emmené sa sœur vers Miach. Et il fallait que nous partions tous au plus vite. Nahl allait être furieux et il n'hésiterait plus à utiliser les héritiers Madsen contre moi s'il parvenait à leur mettre la main dessus.

Je retrouvai l'endroit où j'avais laissé Miach et Naseok mais il n'y avait plus personne. Un hennissement résonna, suivi par d'autres. Ils s'éloignaient. Au moins l'un d'eux avait eu la bonne idée de voler des chevaux aux rebelles. Mais aucun n'avait prit mon étalon. Me faire voler un cheval que j'avais déjà volé... Ça aurait été sacrément ironique.

Le branle-bat de combat dans le camp me permit d'accéder à l'enclos sans mal. Je sautai sur le dos de All Noir et il s'élança, loin d'être inquiété par le peu de distance qu'il avait à parcourir avant de devoir sauter. Il franchit la barrière avec une aisance surnaturelle, me donnant la sensation de voler pendant de trop courtes secondes.

Et puis, il galopa à la suite des autres qui n'étaient déjà plus que des silhouettes à l'horizon. Il fonça comme une flèche à travers la poussière et les rochers, gagnant petit à petit du terrain. Il ne mit pas longtemps à les rattraper. Naseok se retourna sur sa monture, une lame brillant dans sa main. Une lame qu'il rangea lorsqu'il me reconnut. Ça, c'était étonnant et inattendu.

- C'est un sacré cheval que tu as là, me lança Miach, l'air fiévreux et à deux doigts de s'évanouir.

Je laissai All Noir se caler sur la cadence des deux autres montures sans répondre.

- Sixtine ! cria Addy en me voyant, assise devant son frère. Ta gorge !

Le sang continuait de couler mais je n'avais pas de quoi me faire un bandage. Je n'avais pas pensé à tout... Si je continuais à saigner comme ça, j'étais certaine de ne pas voir le prochain lever de soleil.

- Attrape.

Je me tournai vers Ryker qui avait contourné Miach et Naseok pour amener sa monture à côté de la mienne. Il semblait réticent, froid et distant, mais il me tendait un petit rouleau de gaze d'un blanc immaculé. Je m'en saisis.

- Merci...

J'hésitai. Pouvais-je encore l'appeler par son prénom, désormais ? Ou devais-je l'appeler par son titre ? Il n'était peut-être pas encore couronné mais il n'en restait pas moins le nouveau roi du Grand Royaume et nos relations n'étaient plus aussi cordiales qu'elles l'avaient déjà été. Au moins ne me laissait-il pas me vider de mon sang... Peut-être sa haine avait-elle cédé au moins un peu.

Je coinçai les rênes sous ma cuisse et me fiai à All Noir pour suivre les autres pendant que j'enroulais le bandage autour de mon cou. Ce n'était pas pratique de le faire soi-même mais c'était mieux que rien. Je pourrais toujours arranger ça une fois que nous pourrions ralentir un minimum. Ce qui n'était pas près d'arriver, je le savais. Nahl était derrière nous et la troupe de Brycen aussi. Il fallait que l'on s'éloigne d'eux le plus possible. Pour les rebelles, c'était facile. Pour le Chasseur, je doutais que ça soit seulement possible.

Et comme s'il répondait à un signal, un aigle nous survola. Il tourna au-dessus de nous avant de piquer. Je baissai la tête, tout comme Ryker et Addy, lorsqu'il passa entre nous. Ses ailes frôlèrent nos têtes. Il remonta en ligne droite vers le ciel, disparaissant derrière des nuages.

- Il faut aller à couvert ! cria Ryker.

Je regardai autour de nous. Il n'y avait qu'une vallée qui courait jusqu'à une chaîne de montagne. Il n'y avait nulle part où se cacher. Le mur de pierre qui nous faisait face était entièrement aveugle, sans la moindre cavité visible où s'abriter.

- Il va falloir contourner les Falaises Aveugles, nous dit Naseok. Elles font partie de BarrenLand. On ne peut pas les traverser ni s'y abriter.

- Le Chasseur va nous rattraper si on les contourne ! objecta Ryker. Il doit bien y avoir un autre moyen !

- Il n'y en a aucun, assura Miach, la voix faible. On ne peut pas escalader ni traverser les Falaises Aveugles.

- Imagine l'inverse d'un canyon, reprit Naseok avec impatience. Là où la pierre aurait dû être creusée par l'eau, elle s'est élevée sur plus de deux cents mètres de haut. Sans la moindre grotte ni crevasse par laquelle passer pour la traverser. Rien de plus que de la pierre.

- Et ça va nous faire un détour de combien ?

- Au moins deux à trois jours. Les Falaises Aveugles complètent BarrenLand.

- Ça ne veut rien dire pour moi, s'agaça Ryker.

Naseok bouscula légèrement Miach dont la tête roulait sur ses épaules devant lui.

- Tu ne lui as pas parlé de BarrenLand ?

- Non... souffla-t-il, aux limites de l'inconscience.

Naseok soupira et talonna son cheval pour relancer un galop que je n'avais pas réalisé que nous avions tous abandonné. Je n'hésitai pas à lui emboîter le pas. Ryker pesta dans les cheveux de sa sœur mais nous suivit aussi. Nous nous rapprochâmes des Falaises, nous dissimulant au mieux dans leur ombre.

- Il faut qu'on passe par l'est, énonça Naseok. C'est plus long mais le Chasseur est un aérien, il aura plus de mal par l'est.

- Tu... Tu es fou, objecta Miach. Pas les... Pas les marais de lave !

- Les marais de lave ? relevai-je, peu enthousiaste.

Le Unseelie hocha la tête, l'air sombre et sérieux. Il regardait droit devant lui, les yeux plissés. Lui non plus n'avait pas l'air très enthousiaste à l'idée de prendre cette route mais n'avait pas l'air prêt à changer d'avis.

- Personne à part vous et Miach ne connaît le terrain, s'agaça Ryker. Dites-nous tout de suite vers quoi nous allons.

Je n'avais jamais entendu Ryker se montrer aussi autoritaire. Aussi... royal. Il était plutôt impressionnant. Même Naseok parut pris au dépourvu, tournant la tête vers lui. Je vis les émotions se succéder sur son visage. Il ne devait jamais avoir été confronté à une autorité aussi pure et naturelle.

- C'est simple. BarrenLand forme une délimitation autour des Cours, un cercle irrégulier et totalement infertile qui traverse toute la Faerie. Les Falaises Aveugles en font partie. Sur leur flanc est, il y a les marais de lave. Les traverser nous permettra de semer le Chasseur parce que l'air y est tellement chaud qu'il en devient difficile à respirer. Pour un aérien comme lui, survivre là-bas est pratiquement impossible et il le sait.

- C'est vraiment de la lave ? demanda doucement Addy.

- Pas encore. La Résurrection n'a pas encore atteint les marais. L'air y sera toujours insupportablement chaud mais la lave devrait y être sèche.

- Devrait ? releva Ryker.

- Je ne sais pas jusqu'à quel point l'influence du Roi s'est étendue. C'est à travers son pouvoir que vit la Faerie. Je doute qu'il ait atteint aussi profondément la Faerie pour avoir ressuscité les marais.

- Mais vous n'en êtes pas certain ?

- N'y étant pas allé, non, je n'en suis pas certain.

- Quelles sont les chances que la lave ait fondu ?

- Proches de zéro, je dirais.

- Vingt, souffla Miach. Vingt pour cent de chance. Au minimum.

Ryker parut considérer l'option.

- Et de l'autre côté ?

- C'est BarrenLand. Un désert de roche qui s'étend sur plusieurs kilomètres. Ça serait plus court mais le Chasseur nous rejoindra avec facilité. Nous aurons plus de chance de le semer dans les marais.

- Il nous attendra sûrement à la sortie, objectai-je. Il se doutera qu'on est passés par là et il patientera calmement à la sortie pour nous attraper comme des poulets rôtis.

- Pas par là où nous passerons. Il s'attendra à ce qu'on sorte par le flanc des Falaises, pas par le Val. C'est une sortie un peu plus éloignée que par les Falaises et ça nous prendra une journée de plus mais ça nous permettra de le semer. Une fois dans le Val, il aura beaucoup plus de difficulté à nous retrouver.

- Pourquoi ? En quoi le Val est si différent du reste de la Faerie ?

- Les vents y sont puissants. Ils emporteront nos traces plus vite que nous ne pourrons en laisser. Et pour lui voler, ça sera impossible. Il sera obligé soit de nous suivre sous forme humaine, soit de tout contourner. Et je suis certain qu'il préférera tout contourner.

- D'un côté où d'un autre, il nous rattrapera, remarqua Addy. On ne pourra pas lui échapper.

Le découragement dans sa voix m'attrista. Le pire était qu'elle avait entièrement raison. Quoi que l'on fasse, où que l'on aille, Nahl serait toujours derrière nous, dans notre ombre. Il y avait de quoi être découragé. Je commençais moi-même à en avoir assez. La seule chose qui me faisait tenir, c'était la promesse que je m'étais faite de ramener Ryker et Addy dans leur royaume. Après ça, j'abandonnerais la lutte. Je laisserais Nahl me ramener à la Cour Noire ou Ryker me faire pendre haut et court.

Le cri d'un aigle retentit dans les hauteurs des Falaises Aveugles et je frémis. Il était là, il savait que nous étions juste en dessous. Il le savait et il nous prévenait que nous ne lui échapperions pas aussi facilement.

- Pressons-nous. Nous camperons à l'entrée des marais. J'espère que vous savez tous supporter la chaleur.

Naseok prit la tête de l'expédition et personne ne lui renia ce droit. Il semblait vraiment connaître les environs et c'était ce dont nous avions besoin. Miach n'était pas en état de lui guider. Je doutais même qu'il tienne encore longtemps. Il était pâle comme la mort, couvert de sueur et à moitié en train de délirer.

- S'il n'est pas soigné, il ne survivra pas.

La voix de Naseok me sortit de mes pensées. Je levai les yeux vers lui ; il regardait droit devant lui.

- On ne peut rien faire pour lui ? questionna Ryker, incapable de masquer l'inquiétude sur son visage.

- Non. Nous n'avons rien pour le soigner. Ameor lui a cassé la jambe et déboîté le genou. J'ai remis son genou en place mais pour le reste, je ne peux rien faire. Et là où nous allons, il n'y a pas d'herbes pour faire un cataplasme. S'il veut survivre, il va devoir le vouloir de toutes ses forces.

Le silence tomba entre nous alors que nous étions obligés de ralentir, le terrain devenant traître. Et puis, les chevaux commençaient à fatiguer. Les deux montures qu'ils avaient choisi étaient couvertes de sueur et avaient de la bave mousseuse aux lèvres. Si on voulait les garder le plus longtemps possible, il fallait les économiser. Et pour ça, il fallait ralentir.

Ma tête se remit à bourdonner. Je priai pour que ça ne soit que la perte de sang qui me fasse cet effet. Pas ce sort, pas ces voix. Je ne pouvais pas avoir à supporter cette influence maintenant. Pas alors que j'arrivais au bout de mes forces et que je continuais de saigner. Je n'étais pas en état de résister à ça.

- Il commence à vraiment faire chaud ou c'est juste une idée ? geignit Addy.

Elle avait raison. La chaleur commençait à monter, étouffante. Ce n'était pas le genre de chaleur d'été, douce et appréciable mais bien celle étouffante et insupportable d'un espace restreint et sans air qui circulait. J'avais l'impression d'être enfermée dans la buanderie souterraine des Marchetta. Lorsque je me retrouvais à faire la lessive, j'étouffais à moitié à cause du manque d'air dû à la chaleur de l'eau et de l'effort physique. Ici, c'était similaire. Il faisait une chaleur infernale.

- Préparez-vous parce que ça sera encore pire lorsque nous serons dans les marais.

Naseok avait un don pour remonter le moral des troupes...

- Comment ça pourrait être pire ? J'ai l'impression d'être dans un four.

- S'il y a un truc à retenir avec la Faerie, c'est que ça peut toujours être pire, soupirai-je. Toujours. À croire que les règles ne s'appliquent pas.

J'ignorai le regard que me jeta Ryker, cravachant All Noir pour le faire monter la pente rocheuse face à nous. Je n'avais pas menti : avec la Faerie, il était impossible de toucher le fond. Les Faes avaient cette capacité de nous faire miroiter l'idée que le pire avait été atteint avant de nous faire endurer encore pire. Et ils savaient se montrer créatifs...

Du haut de la butte, j'eus une vue plongeante sur ce qui nous attendait. Une vaste étendue fumante, couverte d'un épais brouillard grisâtre, un sol brûlé, craquelé où rien ne vivait. Le nom de marais de lave ne convenait pas vraiment. Je les aurais plutôt appelés les marais de la mort...

- Installons-nous là-bas, nous dit Naseok. Nous avons tous besoin de récupérer un peu. Nous avons beaucoup à préparer avant de commencer notre traversée.

Nous hochâmes à peine la tête en réponse, l'incertitude et l'inquiétude nous rongeant tous autant les uns que les autres.

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