Chapitre 8
La salle commune est à présent pleine : Anastasia, notre formateur Antonio et mes six nouveaux colocataires. Deux filles et trois garçons. Nous nous dévisageons en silence, tandis qu'Antonio nous rappelle les instructions qui étaient déjà inscrites dans les missives que nous avons reçu.
Le premier homme a la peau mate. Il a des cheveux bruns bouclés, des yeux un peu en amande. Un sourire qui semble franc. Il est grand et habillé d'une chemise et d'un pantalon noir.
Le second est blond, ses cheveux paraissent en fait presque blancs sous la lumière de la pièce. Ses yeux bleus perçants sont dénués d'expression particulière. Il porte une chemise blanche et se tient nonchalamment contre le rebord de la cheminée.
Le troisième a des cheveux châtains bouclés, une barbe bien taillée, des yeux clairs. Il est à peine plus petit que les deux autres et est habillé plus confortablement.
Pour ce qui est des deux jeunes femmes, elles sont l'opposé l'une de l'autre. La première est élancée, presque athlétique, a une peau sombre d'une belle couleur ébène et de magnifiques cheveux tressés qui lui tombent dans le bas du dos. L'autre a la peau pâle, les joues roses, elle est petite avec beaucoup de courbes et porte une robe d'été qui fait ressortir ses cheveux blonds.
Je sens leur regard sur moi, et mes joues sont roses d'appréhension. Je me demande ce qu'il pense de mon allure. De mes cheveux coupés au carré, avec des mèches sur le devant impossibles à coiffer, mes tâches de rousseur qui parsèment mon nez, ma posture timide, mon pull en laine qui me monte jusqu'au bas du cou.
Anastasia nous demande de dire chacun notre prénom. Je suis tellement stressée que j'oublie instantanément celui des autres. Enfin, plutôt, je les retiens, mais sans plus trop savoir qui est qui. Jade, Elodie, Noé, Taïs et Logan. Je crois que la blonde avait dit Jade. Le gars à la barbe ne s'appelerait-il pas Noé ? Et le bronzé, Taïs ?
Il faut que je sois plus attentive, car j'ai l'impression que tout ce qu'Antonio dit ressort par mes oreilles sans que je puisse rattraper les informations.
— Vous allez avoir une courte semaine de formation, après quoi le bateau partira avec vous seulement à bord. Il s'agit d'un bateau complètement autonome, ne vous inquiétez pas. Il est entièrement régulé par une intelligence artificielle.
— Comment ça ? demande la dénommée Elodie. Je pensais qu'on serait plusieurs dans le projet ?
— Vous êtes six, dit Antonio en nous montrant.
— Mais nous ne sommes pas des scientifiques, rétorque t-elle. Il n'y a personne d'autre avec nous ?
— Vous avez été sélectionné pour ce projet. Et non, il n'y a pas besoin de centaine de personnes pour utiliser l'Arche. Le petit groupe que j'ai formé convient parfaitement.
Aucun de nous six ne semble convaincu ou rassuré. Antonio continue de parler.
— Vous avez une chambre pour deux personnes. Je vous laisse donc former des paires.
Ma gorge se serre alors que je vois Jade et Elodie se regarder et se mettre ensemble d'un accord mutuel. Pareil du côté de l'homme aux cheveux blonds et de son acolyte à la peau mate. Je me retrouve donc avec le troisième jeune homme.
Il n'a pas l'air plus enchanté d'être avec moi que moi avec lui.
— Super. Vous pourrez vous installer dans vos chambres après. Pour le moment, allons faire le tour du bateau.
Antonio fait glisser vers nous une boîte en carton, et l'ouvre, laissant découvrir six montres à l'intérieur.
— Ce sont des montres connectées qui vous permettent de vous localiser à tout moment et de vous appeler. Elles vous donnent aussi accès à toutes les salles du bateau.
Je prends un des gadget et attache le bracelet autour de mon poignet. Elle est un peu grande, et se balance donc du haut de ma main à mon avant bras. Je la cale dans ma manche pour la rendre un peu plus stable.
Nous sortons des quartiers et empruntons un couloir. Les murs sont revêtus de bois précieux, soigneusement polis et brillants. Des sculptures délicates représentent différents animaux : ici, un fauve, là, un dauphin. Ils ornent les coins, comme pour nous rappeler à chaque tournant ce pour quoi nous sommes ici.
Les autres ont commencé à discuter, et j'entends derrière moi des bribes de leur conversation, mais je suis comme paralysée, incapable de joindre ma parole à la leur. Je n'arrête pas de penser que je vais devoir dormir dans la même chambre qu'un homme que je n'ai jamais vu de ma vie. Je n'ai jamais eu de petit copain, contrairement à Alexandra ou aux autres filles de mon âge, et je ne me sens jamais très à l'aise en présence d'un garçon.
— On va prendre l'ascenseur pour aller plus vite, dit Antonio. On va commencer par le haut du bateau, on fera les cales à la fin.
— Les cales, c'est un peu une sorte de cave ? Demande Elodie.
— C'est ça. Ici, ce sont les réserves et la centrale qui sont en bas de la coque.
Antonio s'arrête à côté d'une porte en métal lisse.
— Pour activer l'ascenseur vous avez juste à poser votre montre sur le capteur. Qui veut essayer ?
L'un des hommes, Noé ou Logan, je ne sais toujours pas, s'approche et pose l'écran digital sur le capteur noir. Les portes s'ouvrent automatiquement, dévoilant un petit habitacle éclairé, avec un sol en moquette et des parois en métal.
— Il va falloir se serrer un peu, dit Antonio alors que nous nous engouffrons dans l'étroit espace un à un.
Je tente de me faire la plus petite possible pour ne frôler personne. Antonio nous montre comment nous servir de l'écran sur la paroi de droite, mais je ne vois rien, car le grand garçon blond me cache la vue.
Heureusement, nous nous arrêtons un étage plus haut, et nous pouvons donc sortir et respirer un peu. Nous sommes à nouveau dans un hall en bois, identique à celui de l'étage du dessous.
— Sur cet étage, vous allez avoir des reproductions d'écosystème. C'est là où vous pouvez étudier les interactions entre différents animaux. Pour le moment, nous avons seulement recréé les cadres de vie mais aucune espèce n'a été introduite. Ce sera votre premier travail.
Antonio déverrouille la porte qui se trouve devant nous.
— Bienvenue dans une reproduction minimaliste d'une forêt Amazonienne du début du 21ème siècle.
Comme je suis derrière les autres, je ne vois pas au début ce qui provoque leur admiration. Et puis, quand j'entre enfin, mes yeux s'écarquillent de surprise. La première chose que je perçois, c'est une douce brume chargée d'arômes exotiques. Et puis, le bruissements des feuilles d'arbres. Le murmures des ruisseaux. La terre sous mes semelles. Les couleurs.
— Wow !
— Ce sont de vrais ruisseaux ?
— Non, ils sont artificiels. Mais nous avons utilisé des échantillons d'eau de l'ancien fleuve Amazone pour en reconstituer la composition.
Taïs caresse le tronc d'un arbre.
— Il est gigantesque, dit-il en levant la tête pour tenter d'en discerner la cime.
— C'est un Kapokier, encore appelé Ceiba pentandra.
Je pensais que c'était le moniteur qui avait donné l'information. Mais je me rends compte que c'est l'homme blond qui a en fait parlé.
— Si je me rappelle bien, c'est toi qui suit le cours approfondi de botanique ? demande Antonio à son égard.
— C'est ça. C'est ma majeure de cette année.
— Pour travailler au niveau des serres, cela sera bien utile. Bon, je vous laisse découvrir l'endroit.
Aussitôt dit, et tout le monde se disperse. Je me prête au jeu, et longe un petit chemin créé artificiellement entre les arbres. J'admire la végétation luxuriante qui m'entoure. Les couleurs vives des fleurs exotiques. L'écorce rugueuse des arbres. Le parfum sucré des pétales. Je dois faire attention où je marche, car de grosses racines sortent de la terre, et le chemin a des courbes et des bosses.
Alors que je marche près d'un petit courant d'eau, je me retrouve face à face avec Taïs.
— Clarisse, c'est ça ? dit-il alors que je me décale pour le laisser passer.
— Exactement. Et toi c'est Taïs.
Il sourit.
— Même plus besoin de faire les présentations. Tu viens d'où ?
— Je viens d'Isterphan. Ce n'est pas loin d'ici. Et toi ?
— La capitale. En fait, on est trois à venir de la même université.
Je fais une moue surprise, mais en fait ça ne m'étonne pas. La meilleure université du pays se trouve à Prita, donc forcément, s'ils ont choisi les candidats les plus talentueux, il y avait de forte chance que la moitié de nous viennent de là bas.
— Vous vous connaissez déjà alors ?
— L'université est grande. Mais on a certaine matière en commun, donc j'avais déjà pu discuter avec Noé quelques fois, et j'ai reconnu Jade d'un de mes cours de Sciences appliqués. Tu vas aussi à l'université ?
— Je suis dans une école spécialisée de préparation aux Grandes Etudes.
— Quel était ton projet de base ?
— Je voulais intégrer soit l'université de Prita pour finir mes études, soit intégrer directement un corps d'études scientifiques.
Je m'apprête à lui demander ce que lui envisage pour l'avenir, mais son ami blond nous rejoins.
— Un moment, j'ai cru que tu parlais aux arbres, dit Noé. Je ne t'avais pas vu, me lance t-il.
— Pas de souci.
— Tu t'appelles comment déjà ? Gladys ?
— Clarisse, le reprend Taïs.
— Ok. Moi c'est Noé.
— Enchanté, je dis.
Il se désintéresse aussitôt de moi.
— Tu viens Taïs ?
— J'arrive.
Alors que Noé repart, Taïs m'invite à rester avec eux.
— On ne mord pas, plaisante t-il.
— C'est gentil. Je suis toujours un peu timide au début.
— Je comprend.
Je le suis donc jusqu'au petit groupe qui s'est formé entre lui, Noé et Jade.
— Salut, me dit Jade quand j'arrive près d'elle.
Sans que je m'y attende, elle passe son bras sous le mien, et me tire à l'écart.
— Je voulais te dire, j'espère que tu ne m'en veux pas de m'être mis avec Elodie pour la chambre.
Je fronce les sourcils.
— Euh, non, pas de souci.
— Parce que je ne veux pas que tu te sentes gênée d'être avec Logan. Si tu veux, tu pourras squatter avec nous, me confie t-elle.
— Non, ça ne me dérange pas. C'est juste pour dormir de toute façon.
— J'espère pour toi qu'il ne ronfle pas, plaisante t-elle.
Antonio nous demande ensuite de tous le rejoindre.
— Je vous propose de découvrir un autre écosystème, et après on montera dans la salle des archives et des échantillons.
Antonio nous emmène devant une nouvelle porte, sur le même étage. La porte coulisse sur le côté. Nous entrons dans le sas de sécurité. Puis, quand la porte de derrière nous est bien scellé, Antonio ouvre l'accès à l'écosystème. Une légère brume s'échappe de l'ouverture alors que le battant se déverrouille.
— Que diriez vous de faire un petit tour dans la reconstitution d'un marécage de l'Ancienne Floride ?
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