Chapitre 29

 — Qui c'est ? demande Noé quand Jade et moi passons par l'ouverture de la coque de l'Arche. 

Ils sont tous dans la cale, agrippant la barque flottante pour la ramener à l'intérieur. Je suis frigorifiée par la pluie, et je n'ai qu'une envie, avoir des vêtements secs sur moi et être près d'une source de chaleur. 

 — Une fille qui nous suivait dans le bateau, dit Jade. Est ce que quelqu'un peut aller nous chercher des serviettes ? 

Elodie a déjà anticipé, et nous tend deux serviettes moelleuse. Je prends la mienne pour y emmitoufler la petite. 

 — On avait dit que personne d'autre ne devait entrer dans ce bateau, s'agace Noé. 

 — Pourquoi il y a eu des explosions ? je demande alors. Qu'est ce qu'il s'est passé ? 

Noé et Logan échangent un regard. 

 — Je devais faire quelque chose, où ils seraient revenu, finit par admettre Noé. 

 — Tu as fait explosé le bateau ? je m'exclame d'une voix suraigu. 

Je n'arrive pas à croire ce que j'entends. Que Noé aurait délibérément mis en danger la vie d'hommes et de femmes à bord du porte container. 

 — Tu n'as pas vu qu'ils étaient dangereux ? 

 — Cela ne te donnait pas le droit de décider qu'ils devaient mourir. 

La petite est toujours en train de pleurer. 

 — Je vais aller lui donner à manger, je dis en la prenant avec moi. 

Et alors que je retourne aux quartiers, au fond de moi, je sens que si un jour j'ai ressenti de l'amour pour Noé, maintenant je ne ressens plus que du dégoût. 

Je sèche les cheveux de la fille. 

 — Comment tu t'appelles ? je tente. 

Elle ne répond pas. Ses grands yeux sombres scannent la pièce autour d'elle. Je l'ai fait s'assoir sur le grand canapé de la salle commune. 

Je continue de passer la serviette dans ses longs cheveux bruns, les démêlants doucement. 

 — Ca va ? demande Elodie qui vient me rejoindre. 

 — Tu étais au courant que Noé allait faire ça ? 

 — Je t'avoue que je me suis contentée de monter la garde pendant que les trois partaient se jeter dans la mêlée. Je devais juste empêcher quiconque de remonter dans l'Arche. Je ne sais rien de ce qui a pu se passer à l'intérieur du bateau. 

Des larmes me montent aux yeux. Je me sens responsable de la mort de ces personnes, parce que j'ai participé à cette expédition sur leur bateau. Je n'ai pas posé de questions, et Noé a fait comme bon lui semblait. 

 — Personne n'est noir ou blanc, on est chacun gris. Noé voulait juste nous protéger, dit-elle en se faisant médiatrice. 

 — Tu le défends ? 

 — Pour tout te dire, je préfère savoir ces gens...

Elle cherche à éviter le mot "mort"

 — ...partis plutôt qu'en train de nous menacer sur l'Arche. 

 — Mais avec Jade on avait éloigné le bateau. On ne les aurait plus jamais croisé. 

Elodie hoche la tête.

 — Je sais. 

Elle se relève. 

 — N'oublie pas qu'on est une équipe. Et qu'on sera sûrement coincés ici tous les six jusqu'à la fin de notre vie. 

Comme la fille est fatiguée, je la laisse somnoler, lui apportant une couverture pour se réchauffer. 

Dans la cuisine, les cinq sont assis autour de la table, en train de discuter. Noé croise mon regard. Je vois qu'il veut me dire quelque chose, mais je lui tourne le dos pour m'assoir à côté de Taïs. 

 — Hé, je suis désolé, me souffle celui-ci. Je ne savais pas. 

 — On est une équipe, on devrait toujours se concerter, mais certains décident de se la jouer solo, je dis à voix haute. 

Une main se pose sur mon épaule. 

 — Clarisse, est ce qu'on peut... ? 

Je balaye sa main avec la mienne et racle ma chaise contre le sol pour me rapprocher de la table. Noé bat en retraite, sentant qu'il sera impossible de me farcir la tête d'excuses. 

 — Elle s'appelle comment la petite que tu as ramené ? me demande Taïs. 

 — Impossible de savoir. Je crois qu'elle ne parle pas notre langue. 

 — J'ai des traducteurs automatiques sur mon téléphone. On pourra essayer de communiquer avec elle cette après-midi.

L'après-midi. C'est difficile de se dire qu'autant d'événements ont pu se dérouler en une seule matinée. 

Je m'approche du hublot de la cuisine. De ce côté, on ne voit pas le cargo qui s'éloigne, en flamme. Mais l'image est restée incrustée derrière mes paupières. Noé a fait de ce bateau un vrai tombeau. 

 — Tu devrais manger un peu, me dit Taïs. On a vécu pas mal d'émotions en quelques heures à peine... 

 Je prends un morceau de lasagne décongelé, et y plante ma fourchette sans grande conviction. Le goût de la sauce tomate est amer, la pâte est sèche, et la viande trop grasse. 

Noé essaye plusieurs fois de me parler, mais je l'évite du mieux que je peux. Je consacre toute mon énergie à calmer l'enfant qui a atterrit dans notre bateau. D'après le traducteur de Jade, elle parle espagnol. Le lecteur à empreinte d'iris a confirmé son identité, tout en nous donnant une information précieuse : son prénom. Elle s'appelle Tara. 

 — Tara, tu veux manger quelque chose ? 

La petite croque avec avidité dans le sandwich que je lui ai préparé. Je ne sais pas ce qu'aiment les enfants, donc j'ai suivi les conseils de Taïs et j'ai tartiné de la pâte chocolaté sur deux tranches de pain de mie. 

 — Bois un peu aussi, je dis en l'observant dévorer son goûter. 

Elodie essaye ensuite de l'occuper en lui montrant des jeux de société. Mais la petite réclame sa mère. C'est dur, comment lui expliquer que sa mère est morte. 

Je ne vois pas Noé de la soirée. 

 — Il se sent vraiment mal, me dit Elodie. 

Il devrait se sentir mal. J'espère qu'il ressent toute la culpabilité, tous le poids des vies dont il a mis la fin. Pour qui s'est-il pris un instant ? 

Il ne vaut pas mieux que les scientifiques qui avaient tranché que la vie des hommes et femmes vivant sur les continents n'en valaient plus la peine, et qui laissent actuellement l'eau détruire notre civilisation. 

Je me demande ce qu'il restera, une fois que la pluie, les ouragans, la fonte des glaces, le débordement des rivières et des fleuves auront fait leur ravage ? Est ce que des monuments rejailliront, comme mémoire des personnes qui ont foulés cette planète ? Ou seront nous les seuls porteurs de leur mémoire ? 

Au diner, je finis ma part de lasagne de ce midi. Les autres ont compris qu'il ne fallait pas me reparler du porte container. A présent, on ne l'aperçoit même plus. 

Tara s'est à nouveau endormie. Cette fois, je lui ai laissé mon lit, et je dors sur le même matelas que Jade. 

 — Promis, je tenterai de ne pas trop bouger dans mon sommeil. 

C'est plutôt moi qui risque de perturber son sommeil, vu les cauchemars que je vais me taper. Je le sens, je ne suis pas prête à fermer mes paupières. Je ferai mieux de regarder la télévision toute la nuit, jusqu'à ce que les images du porte container prenant feu, et les cris des personnes coincées à l'intérieur, s'effacent. 

 — Je reviens après, je dis à Jade qui préparait le lit. 

Mais je n'allumerai jamais la télévision. Car quand j'entre dans la salle commune, j'aperçois Noé. Il est assis par terre, contre le canapé, une bouteille à la main. Une bouteille presque vide. Je ne pensais même pas qu'on avait de ça dans le bateau. Ou alors, il en a pris dans sa valise. 

 — J'ai merdé, souffle t-il alors qu'une larme roule sur sa joue. 


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