Rebelle dans l'âme
- Résumons, pour que je sois sûr d'avoir tout compris : tu reçois des patients du lundi au vendredi, tout en t'occupant de Marius... Parce qu'Emma travaille à l'hôpital. Tu prends soin de ce garçon, le jour comme la nuit, en lui préparant ses biberons, en le changeant, en le lavant et en le portant, c'est bien ça ?
Hanna fixa Livaï un instant, les pupilles fixes, pour être certaine d'avoir entendu tous ses arguments.
- Oui, confirma-t-elle en enjambant le banc. Le repas sera composé d'une salade verte en entrée avec oeufs du poulailler et tomates du jardin, d'un plat de magret de canard fourni par Conny et sa ferme, d'une purée et d'un pain faits maison et d'un moelleux au chocolat, indiqua Hanna en enfilant et en nouant son tablier vert émeraude.
Livaï resta concentré sur Marius, la pause du midi pouvait attendre : "Tu as en charge... Enfin, je veux dire : tu as la responsabilité d'un enfant qui est pas le tien."
- Et ? Je l'aime comme mon fils, il est de mon sang. Marius grandit dans un environnement privilégié et serein. Si je ne suis pas présente dans la mémoire et les souvenirs de mon neveu, quel être pensera à ma soeur, à Erwin et à moi quand ce monde nous aura oublié ? Elle avait raison Hanna, bien qu'elle omettait un détail.
- Dont le père aurait pu être à ses côtés tous les jours de sa vie, si j'avais fait le bon choix..., avoua-t-il amèrement. Hanna et Livaï étaient dans les confessions, autant rester dans cette situation inconfortable pour le cœur, les nerfs et le corps.
- Tu as pris le temps de ramener Erwin, de lui trouver un lieu de repos décent, de le laver, de l'allonger dans un lit, de laisser des fleurs à côté de lui, de t'être certainement assis à même le sol durant des heures pour le veiller, et tu me confies que tu as des regrets et des remords ? Hanna haussa légèrement le timbre de sa voix, mais rejoignit Livaï, la tête et les yeux baissés de honte. D'ailleurs, comment connaissait-elle tous ses détails ? Je l'ai trouvé apaisé et beau. Ma soeur était si amoureuse, si tu savais... Erwin ne reste jamais seul plus d'une journée : vendredi, samedi, dimanche et lundi sont les jours d'Emma... Mardi, mercredi et jeudi sont les miens, expliqua-t-elle en posant courageusement ses doigts sur la main de Livaï.
Il sursauta. Jamais personne ne se serait permis de le toucher, même pour un geste réconfortant. Sauf que Livaï ne réagit pas brusquement, car Hanna ne méritait pas d'être déçue et blessée. En réalité, ses doigts étaient plutôt agréables, chauds et doux... Mais le détail qui déstabilisait Livaï, c'était la sensation d'une étrange énergie dans son corps.
- En tant que beau-frère, il était comment ? Livaï préféra briser le silence, surtout pour revenir à une conversation plus joyeuse.
Au plus grand malheur de Livaï, Hanna retira ses doigts, tourna son dos vers le plan de travail, et saisit les tomates lavées sur l'évier, la planche en bois, le petit couteau. Elle s'installa confortablement autour de la table, et commença à couper délicatement les légumes. Même si les gestes de la médecin étaient assurés, il ne pouvait s'empêcher de les surveiller, de peur qu'elle se coupe... Surtout parce que son regard se perdit dans le vide : elle plongeait dans le passé.
- Gentil, comme son fils. La preuve : tu as entendu Marius pleurer depuis tout à l'heure ? Hanna était agaçante à ne pas avoir tort. Pour calmer sa frustration, Livaï tendit son bras vers les œufs : il essayerait de les éplucher.
- C'est un brave gamin, lui répondit-il par politesse. Marius gazouillait dans son berceau. Livaï ne s'était encore jamais approché d'un bébé.
- Prévenant, protecteur... Il me faisait rire, également. Il était l'homme en qui j'avais le plus confiance, confessa-t-elle en s'essuyant les mains sur le torchon.
Livaï devait lui demander. Ce moment était propice, assurément la dernière occasion dont il profiterait.
- Tu vis seule ? Livaï savait que la question pouvait paraître intrusive, mais il devait savoir. Il attendit la réaction agacée de Hanna... Qui ne vint curieusement pas.
- Oui ! Hanna l'exprima comme si elle donnait son consentement à l'officier de l'état civil : avec un grand sourire, et surtout d'un rire qui envahissait et craquelait les murs. C'est mon choix Livaï, l'informa-t-elle en cisaillant si finement la peau du magret que Livaï s'interrogea sur la conséquence et la finalité de sa demande. Mais je ne suis pas seule : Mikasa m'apporte des fleurs fraîches toutes les semaines, Annie participe à mon maintien en forme, Jean m'aide pour le bricolage, Reiner me coupe du bois... Avec Armin, ils viendront bientôt tous manger un soir à la maison. Mon plaisir reste intact de les recevoir, déclara-t-elle en épluchant doucement les pommes de terre.
Soudainement, Marius brisa l'intimité de Hanna et de Livaï. Le nourrisson babilla : il devait avoir faim. Sa tante se leva, se rinça les mains, s'approcha du garçon et le serra. Elle le berça, et plongea son nez dans son cou. Cette image était émouvante, même pour un soldat : "Tu veux le prendre dans tes bras ? Pendant que je prépare le biberon ?"
Livaï suivit du regard Hanna. Il voulut décliner poliment son invitation, mais ses cordes vocales n'émirent bizarrement aucun son. En vérité, il mourait d'impatience de faire connaissance avec le fils d'Erwin.
- Tenir un enfant, lui parler : je sais pas faire Hanna, confia-t-il. Les enfants : il ne s'était jamais permis de rêver à une telle prouesse, lui qui n'avait connu que la misère, la faim, la soif, la crasse, la pauvreté, la violence... Et s'il m'aime pas, qu'il se met à... Hurler ?
Hanna posa Marius dans les bras apaisants et chauds de Livaï. La tête du bébé dans le creux de son bras gauche, il touchait du bout des doigts une vie toute neuve. Les yeux du nourrisson étaient ouverts, et lorsqu'ils croisèrent ceux du caporal-chef, l'Ackerman sentit une envie inexplicable naître au fond de ses entrailles.
Lui qui ne connaissait pas son père, ses gestes étaient instinctivement paternels. Livaï tint la tête de Marius, défit la couverture d'emmaillotage et posa sa main consolante sur le ventre du garçon, qui lui serra le petit doigt.
La rencontre était... invraisemblable : "Tu as le regard, les sourcils et les cheveux de ton père Marius. Je l'ai bien connu.". Marius écoutait-il réellement Livaï ? "J'ai l'air ridicule de parler à un enfant qui me répondra pas.", dit-il tout haut alors que Hanna s'approchait avec le breuvage miracle.
- Pas encore, précisa Hanna en nouant un bavoir autour du cou de Marius. Elle s'assit à côté de Livaï, et approcha la tétine de la bouche du bébé, qui mangea aussitôt avec un grand appétit. Livaï monta sa main jusqu'aux doigts fins de Hanna, et saisit enfin le biberon.
- Je comprends enfin pourquoi tout le monde se précipite pour le donner, révéla-t-il. Un sourire naquit du coin des lèvres de Hanna. Il mange combien de fois par jour ? Elle se tourna vers l'horloge, et réfléchit un instant.
- Toutes les deux heures, mais des petites quantités... Même la nuit. Hanna anticipa la question de Livaï, mais ne s'attendait pas à sa déclaration.
- Je prendrai le relai de 21 heures à 7 heures.
Hanna ne contesta pas, parce qu'elle savait que la réparation du sommeil de Livaï serait progressive. Avant de tourner les talons vers la cuisine, elle mémorisa cette si belle scène pour la garder en mémoire à jamais.
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