Chapitre 5 - « Une décision à prendre... »

Le chemin qu'elle suit ne semble mener nulle part. C'est cependant la seule alternative à une forêt trop dense pour y progresser facilement... La lune est totalement levée à présent. Elle teinte d'argent les quelques pierres qui parsèment le sol, et fait danser la poussière que son pas soulève.
De légères volutes s'élèvent aussi devant elle.
Est-ce qu'elle tourne en rond
?


La canicule marquée de ce début d'été rend le sommeil difficile, mais Lesia ne peut pas l'incriminer. Pas cette fois. La sensation de décalage avec la réalité, le sourd battement de son cœur qui peine à se remettre du stress nocturne... Tout ceci lui indique la cause de ses draps trempés de sueur...
Elle fixe le plafond qu'une aube timide commence à teinter de rouge, et tente de conserver quelques fragments du rêve qu'elle vient de vivre. Avec le temps, elle est devenue meilleure à cet exercice : désormais, elle parvient à garder quelques souvenirs au réveil. Il s'agit d'avantage d'ambiances et de ressentis que d'images précises, mais c'est déjà plus que les vagues impressions angoissantes que la jeune fille en gardait jusqu'ici. Malheureusement, l'état dans lequel elle reprend conscience ne change pas, lui...
A présent, quelques rayons de soleil moins timides filtrent à travers la persienne et viennent strier de lumière le parquet de sa chambre. Juste avant que la sonnerie du réveil ne se déclenche, Lesia s'extrait du désordre de ses draps et se lève.

Heureusement, ses cauchemars lui laissent un peu de répit dernièrement. Celui-ci était le premier depuis un bon mois, certainement dû à une pleine lune particulièrement lumineuse en soirée... La période de rêves quasi quotidiens qu'elle a connue précédemment semble derrière elle. Françoise - que Lesia rencontre moins souvent car elle vise une carrière dans la police et poursuit ses études dans une université différente -, prétend que c'est parce qu'elle est bien trop fatiguée, même pour rêver.

C'est certainement vrai. Lesia tombe comme une masse presque tous les soirs, y compris pendant les vacances scolaires qu'elle consacre soit aux nécessaires révisions, soit à travailler pour se constituer un petit pécule.

Au Noël dernier, elle a enfin pu apprendre les prières, aussi... Lesia est désormais une signatora patentée, à défaut d'expérimentée. Est-ce que cela aide ? peut-être... mais comme les fameux rêves perdurent, cela n'est visiblement pas suffisant... Nul ne semble savoir de quelle manière ce lien supplémentaire avec la magie influe sur les choses... malgré ses recherches, Lesia n'a trouvé aucune information à ce sujet.

Son parcours universitaire lui a permis de rencontrer un enseignant d'origine corse, avec lequel elle partage le même patronyme, Roch Casanova. La coïncidence n'est pas si grande, c'est un nom de famille très répandu sur l'île, mais c'est tout de même amusant. La spécialité du professeur Casanova étant justement le rôle des chamanes dans les sociétés primitives, Lesia ne rate jamais aucun de ses cours. Petit à petit, elle a trouvé autant d'intérêt au vieil homme qu'à ses cours, assez en tout cas pour échanger avec lui plus qu'avec un autre enseignant. D'une certaine façon, il lui rappelle un peu son grand-père, même si leurs discussions restent réduites au contexte scolaire, bien trop courtes pour aborder en détail les sujets qui intéressent vraiment Lesia : le mazzerisme et surtout, le Mal'cunciliu... En effet, le professeur lui a confié être originaire du petit village de Castagnicia où pousse l'Arbre sorcier, et ne rechigne pas à lui en parler entre deux cours. Lesia découvre ainsi ses souvenirs et les liens qu'il garde avec son village d'origine.

Cinq années - qui ont passé comme l'éclair - ont permis à Lesia d'obtenir un master en ethnologie. A présent le plus difficile commence : trouver un travail... Il va falloir s'accrocher pour cela, les places sont chères...

Mais avant tout, une pause sera la très bienvenue vu l'état de fatigue de la jeune fille : elle a décidé de s'octroyer des congés d'été, afin de réaliser le pèlerinage dont elle a toujours rêvé. Les lectures et les discussions ne lui suffisent plus, elle n'en a pas obtenu de réponses satisfaisantes. Et le temps passé n'a pas émoussé sa curiosité d'enfant, bien au contraire. Il lui semble à présent qu'elle est prête à rencontrer le Mal'cunciliu, et à chercher les explications qui lui manquent.

Le cauchemar de la nuit a renforcé sa motivation, et quelques heures lui suffisent pour organiser son séjour en Castagniccia, là où pousse l'Arbre sorcier. Elle a rendez-vous sur place avec Roch Casanova dont elle a obtenu le contact. Comme toute diaspora qui se respecte, il passera ses vacances d'été sur l'île. Et qui dit vacances dit temps libre : Lesia est certaine d'obtenir bien plus d'informations qu'entre deux cours.

Elle a pourtant longtemps hésité à le contacter. D'abord parce qu'elle préfère se débrouiller seule avec ses livres et ses recherches, comme toujours. Et ensuite à cause de ses discussions mouvementées avec Françoise. Cette dernière est du genre à aller droit au but, et encore plus à présent qu'elle est devenue... inspectrice. Et elle ne comprend pas pourquoi Lesia a choisi le professeur Casanova comme unique référent :

― Mais enfin, c'est idiot ! Pourquoi est-ce que tu ne demandes pas plutôt un rendez-vous à l'auteur de ton foutu Mal'concilio ? c'est quand même lui le mieux placé pour te parler de ce qu'il y a écrit, non ? N'oublies pas que c'est lui qui a découvert l'arbre, quand même...

― Et les experts ? vous-autres forces de l'ordre supérieur ne consultez jamais d'experts, peut-être ? lui rétorquait Lesia, sûre de sa décision, quitte à paraître un peu snob.

― Tu plaisantes ? Ce livre ne peut pas avoir été écrit sans un minimum de recherches ! Et je te signale que son auteur EST un expert ! il donne un paquet de conférences, y compris sur le mazzerisme, tu me l'as dit toi-même... C'est pas ce qui t'intéresse le plus, le lien entre les mazzeri et ton arbre ? opposait Françoise, qui connaissait bien le sujet aussi puisque Lesia en était presque obsédée.

― Oui... c'est vrai... mais un universitaire, c'est pas pareil ! Reconnais que c'est un gage de sérieux, quand même ! s'énervait Lesia. Le professeur Casanova a étudié les mazzeri lui aussi, et il connaît même d'autres formes de chamanisme, tu sais bien ! C'était son sujet de thèse. Et puis j'ai besoin d'un scientifique, pas d'un poète... finissait-elle toujours pas assener, d'un air buté qui ne laissait plus beaucoup de place à la discussion.

A chaque fois, Françoise sent bien que le raisonnement de Lesia n'est pas totalement honnête... Elle connaît le processus d'enquête puisque c'est son métier. Elle sait que pour obtenir des informations, il faut les chercher à la source, quitte à les recroiser par la suite, y compris avec le concours des fameux experts. Et pour elle, la meilleure source c'est l'auteur du Mal'concilio, forcément !
Cependant, Lesia n'entend aucun de ses arguments et s'entête dans sa vision des choses. Ce n'est pas qu'il lui semble impossible d'obtenir plus d'informations en interrogeant Jean-Claude Rogliano, mais quelque chose la retient. Un professeur, surtout ayant été le sien, cela lui paraît plus logique, et aussi plus confortable... elle a lu le livre Mal'concilio des dizaines de fois et connaît son contenu par cœur à présent. L'émerveillement causé par la poésie et le conte ne s'est pas estompé, mais pour autant, plus elle lit ce texte romancé, moins il lui semble que l'auteur pourra lui apporter ses réponses. C'est un écrivain, pas un chercheur... Roch a un doctorat en ethnologie, s'est spécialisé dans le chamanisme, a grandi tout près de l'arbre sorcier, et... et Lesia a envie de continuer à échanger avec un professeur en qui elle a confiance. L'auteur du Mal'concilio, elle ne le connaît que par ses écrits. Et ce n'est pas du tout la même chose...

Elle s'est enfin décidée. Comme toujours elle n'en fera qu'à sa tête, voilà tout.
Direction Carchetto !
Bientôt, elle aura ses réponses.


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