Eternels Souvenirs- Une dernière danse?
Je regarde à travers la vitre le corps délicatement allongé de Mathilde, en tentant de refouler mes larmes. Je ne comprends pas vraiment la signification des couleurs des lignes rouges, vertes, aux pics de plus en plus petits sur l'écran qui émet des bips sonores à chaque battement de coeur de mon amie. J'ai vraiment peur. Je ne sais plus quoi faire.
Mon violon est posé sur mes cuisses. J'aimerais en jouer mais je ne sais pas si j'ai le droit. Et puis, si Mathilde ne danse pas sur ma musique, ce ne sera pas la même chose. Et si notre duo n'était plus jamais réuni? Saurais je encore jouer sans elle?
Le médecin qui s'affole autour d'elle me parait flou. Il m'a dit qu'elle devrait survivre. Je n'aime pas l'hypothèse qu'a sous entendu sa phrase. Parfois je murmure son prénom. Parfois je pleure, un peu, avant de m'arrêter en me figurant ses yeux pleins de reproches. Elle n'aimait pas les larmes.
Je déteste penser d'elle au passé. Je déteste la voir si fragile. Elle qui paraissait si forte lorsqu'elle dansait, malgré la peine... Je déteste celui qui l'a brisée. Je déteste celui qui a fini de la détruire. C'était ma petite fille aux ballerines. Ma petite soeur de coeur. Je n'ai pas réussi à refermer les blessures qu'ils ont ouvert dans son joli cœur tendre. Je n'ai pas réussi à refermer les sillons sanglants tracés sur son poignet.
Je n'ai pas réussi à accompagner ce qui fut peut-être sa dernière danse pour la transformer en l'un de nos moments complices. J'ai si peur. Si peur qu'elle ne pose plus jamais ses grands yeux d'émeraude sur mes mèches bouclées. Si peur que son fragile et fin sourire n'orne plus jamais ses petites lèvres ciselées. Si peur que ses pointes discrètes n'accompagnent plus que dans mon esprit la musique de mon violon.
Je tords mes mains entre mes cuisses. Cela fait déjà une journée complète que je suis ici. Neuf heures plus précisément. J'ai lentement laissé passer les heures, de plus en plus inquiet, en tentant de ne pas prêter attention à mes cernes et à la fatigue qui alourdissait mes pensées. L'anxiété qui me ronge m'empêche de dormir de toute façon. Moi je ne veux que me mettre à somnoler sur son épaule, comme il nous arrivait de le faire après un interlude musical. Moi je ne veux que toucher son visage, chercher ses yeux, retrouver la dure lassitude qui brillait dans ses iris fatigués.
Je sens une perle de tristesse s'écraser sur ma joue et je ne fais rien pour empêcher les autres de l'imiter. Je n'y arriverai plus de toute façon. Mathilde me manque. Terriblement.
Alors, tandis ce que les pleurs mouillent mon visage, humidifient mon pull, je sors délicatement mon instrument de sa prison de velour. Je le pose sur mon épaule, appuie mon menton contre le bois froid. Je ferme les yeux. J'imagine Mathilde, figée, les bras au dessus de sa tête, un pied devant l'autre, attendant que je donne le rythme et le ton de la danse qu'elle va m'offrir. La douleur me serre le coeur et la gorge.
De tristes notes vibrent et résonnent dans le couloir vide de vie. La mélodie est douce, comme un appel à l'aide, et c'est un peu comme ça que je la vois. Elle est une supplique lancinante, un cri de mon coeur blessé, une déclaration d'amitié. J'espère de tout mon coeur que lorsque j'ouvrirai les yeux, Mathilde me regardera. Mathilde me pardonnera.
* * *
Soudain, les notes d'un violon résonnent dans l'obscurité. J'ouvre les paupières, mais ça ne sert à rien, puisque de toute façon tout est noir autour de moi. Tout est noir et tout est calme. Je ne sais pas pourquoi, mais la triste mélodie provoque une certaine nostalgie dans mon corps qui flotte mollement.
J'ai l'impression de reconnaître l'air. Mes doigts se mettent à tressauter dans le vide, mes pieds se pointent. J'ai envie de danser. Je ne sais pas pourquoi. J'ai été danseuse? Je ne sais plus. Je ferme à nouveau les yeux, et ma tête dodeline avec la mélodie. Je souris.
Quelques minutes plus tard, j'ai entamé une danse des plus étranges. Je tourbillonne dans le vide, je tends les bras, les jambes, plie les doigts, forme des immenses arabesques avec mes cheveux blonds. J'aime cela. Je ris.
Je ne sais pas si c'est joli mais j'aime la mélodie, et j'aime la façon dont mon corps réagit.
Au fur et à mesure de la musique, quelques bribes de souvenirs affluent. Je les accueille avec bienveillance, sans les juger, sans les traiter. Ils font juste partie de moi.
Et le violon s'arrête de jouer. Je suspends mon mouvement, bizarrement surprise. Je veux encore danser. J'ai vraiment envie de danser.
Un prénom. Un prénom qui vibre dans ma poitrine. Un prénom soudain remplacé par un surnom. Un surnom qui me fait sourire.
Un,
Je me sens comme aspirée par une force inconnue. Je n'essaye pas de résister, je suis bien trop surprise.
Deux,
J'ai mal dans tout mon corps. Mes membres me font à nouveau souffrir. Les souvenirs m'assaillent, m'ensevelissent sous leur torrent d'émotions, de sensations. J'entends les bips d'une machine, j'entends le bruit de pas précipités.
Trois...
Je me force à ouvrir les paupières pour échapper aux milles images qui se pressent dans mon esprit. Un soupir de soulagement retentit et résonne.
Des notes au timbre joyeux traverse la vitre en plexiglass et atteignent mes oreille. Je tourne légèrement ma tête vers mon cher petit garçon au violon.
Et j'efface d'un sourire les larmes qui mouillent les joues de mon petit frère de coeur...
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