Éternels Souvenirs- Folie

Un rire. Le mien? Le sien? Mes poignets sont intacts. Je ne sais pas quel âge j'ai mais tout me parait si simple. Si beau. Si pur. Je cours après ma soeur. Amandine! Reste là! Reste avec moi!

Amandine... C'est elle qui veillait sur moi?

Un petit garçon me regarde. Un petit garçon qui tient dans son dos l'étui d'un violon. Un petit garçon qui ne me semble pas si petit. Il me sourit et je sens que mes lèvres s'étirent aussi. Il fait doux. Le ciel est bleu. Encore. Mon âme est blanche. Intacte.

Le petit garçon au violon et la petite fille aux ballerines. C'était notre surnom. C'était comme ça que les grandes personnes s'amusaient à nous appeler.

Je déplie mes bras, m'élance, saute, virevolte, comme la mélodie que me joue Célian. C'est un moment qui n'appartient qu'à nous. Un moment où les soucis se taisent, où les problèmes refluent, où la musique nous emporte. C'est un moment que j'aime tant.
Je replie mes bras, fait quelques pas à reculons, tends une jambe, pointe un pied. Je souris. Mon visage brille. De joie. Flambe. De passion. J'aime ce moment.

Je sanglote tout doucement, recroquevillée sur le sol, parce que c'est tout ce que j'arrive à faire. La douleur qui avant pulsait dans mes veines semble s'être liquéfiée et traverse mes muscles, mes organes, chaque minuscule parcelle de ma peau. Je ris. Je pleure. J'ai mal. C'est flou. Des tâches colorées flottent devant moi, comme des milliards de petites lucioles. C'est rigolo.

Je ne sais plus vraiment ce qui s'est passé, je crois que mon esprit a tenté tant bien que mal d'effacer cet affreux moment de mes souvenirs. Tout ce que je sais c'est que je me sens blessée, humiliée, détruite. J'ai toujours dénigré les personnes qui incisaient volontairement leur peau. Je trouvais cela stupide. Mais aujourd'hui je ne sais plus quoi faire. Alors j'attrape les ciseaux qui me narguent, posés sur mon bureau. Je sais que je vais regretter ce que je vais faire. Je le sais mais je ne peux m'empêcher d'essayer. Est-ce que ça réglera mes problèmes? Non bien sûr que non. Mais peut-être que cette amertume, cuisante, profonde, coulera un peu, en même temps que mon sang?

Un, deux, trois...

Je ris. Mes yeux se révulsent. Ma poitrine se tord. Se serre. Je ris parce que tout cela me semble irréel. Parce que parfois, on ne peut que rire ou pleurer et que j'ai appris à rire malgré la douleur. Je ris parce que la lame qui s'enfonce dans mon poignet - Dans son poignet? Dans notre poignet? - me paraît familière. Parce qu'elle est comme une vieille amie, toujours à mes côtés même dans les pires moments. Surtout dans les pires moments.

Un, deux, trois...

Les larmes d'incompréhension qui roulent sur ses joues me désolent.

Pourquoi tu as recommencé?

- Je n'en sais rien, je hurle, je n'en sais rien laisses moi tranquille!

Est-ce moi? Elle? Je suis assise, les genoux repliés contre ma poitrine, la tête posée sur mes rotules. Je dodeline la tête. Je me balance d'avant en arrière.

Un, deux, trois...

Les perles translucides que je détestent tant roulent sur nos joues. Son violon joue un air si triste que cela me fait mal. Encore. Une nouvelle peine qui s'ajoute aux autres. Mais je tiens bon. Mes mouvements sont délicats, légers, fragiles, comme ses doigts qui courent sur les cordes. Je ne saute pas, ne virevolte pas, ne vole pas. Aujourd'hui je suis calme, tranquille, j'épouse avec tendresse l'air lancinant que souffle son violon. Célian et moi sommes reliés par la peine qui plombe mon cœur.

Et je ne sais plus si ce sont des rires ou des sanglots. Je ne sais plus si j'ai vraiment mal en fait... C'est flou, si flou...

Je lui souris. Je lui souris pour le rassurer. Je lui souris pour le rassurer mais il n'est pas dupe. Il sait lire la détermination dans mes yeux. Il sait lire la détresse que même son violon ne peut plus calmer. Il sait lire le profond dégoût que je m'inspire. Il sait lire la danse mortelle que j'effectuerai probablement ce soir. Et il ne sait plus comment m'en empêcher.

J'ai arrêté d'essayer d'échapper à mes souvenirs. Cela ne sert à rien. Et puis ils sont presque doux comparés à la douleur de mon corps.

Je sens le vent. J'entends son cri. J'ai dansé avec la brise ce soir. J'ai dansé sans lui. Il arrive trop tard. Il jouera seul désormais. Je me sens soudainement très égoïste mais c'est trop tard. Je sais qu'il ne peut pas m'entendre mais je lui souffle, tout doucement, un adieu plein de remords.

Et je souris. Je souris à travers mes pleurs. Je souris parce que la douleur a laissé sa place à un grand vide. Je souris parce que j'ai l'impression de voler. Je souris parce que je vis enfin la béatitude que j'attendais après la mort. Je souris parce qu'enfin, je ne me souviens plus.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top