Conversations- Pansements
- Je l'aimais bien, cette phrase, c'est tout.
Il serre son pull entre ses doigts en attendant la réponse. Peut-être qu'il va passer pour un fou auprès de Melody? Ce serait dommage, cela fait tellement longtemps qu'il n'a pas parlé à quelqu'un de son âge.
- Tu es incroyable.
- Merci.
- Non non, c'est moi qui te remercie d'avoir lu mes textes. Ta photo de profil m'a inspirée pour un de mes textes.
- Je sais. J'en ai même retenu un petit bout.
- Ah oui? Lequel?
- "Et puisque sa tristesse l'étouffait, puisque ses remords l'étranglaient et puisque le gris qui l'entourait le lassait, il décida de plonger sa tête dans le nuage tout aussi gris. Il avait envie de fuire le monde, son monde, le gris, sa couleur."
- Pourquoi tu l'as retenu celui-là?
- Parce qu'il me fait penser à moi.
Il se mord la lèvre. Il est peut-être allé un peu vite en besogne. Il aurait probablement du réfléchir avant d'envoyer ce message. Il s'en veut un peu, mais il ne dit rien. Il se contente de se mordre la lèvre et de serrer les manches étirées de son pull -gris- entre ses doigts.
- Et pourquoi il te fait penser à toi ?
- Parce que je porte un pull gris.
- En plein été?
- C'est la seule chose capable d'éloigner mes cauchemars.
- Mais tu en as fait un, non?
- Oui. Enfin en quelque sorte. C'est une longue histoire.
- Je peux te poser une question plutôt personnelle?
Il retient son souffle en tapant ses quelques mots. Il ne sait pas vraiment ce qu'elle va lui demander mais il en a un peu peur.
- Oui, mais je t'en pose une en retour.
- OK. Tu peux me raconter ton histoire?
- Mon histoire?
- Tu sais, celle qui est trop longue pour être racontée. Je ne peux pas dormir de toute façon, alors occuper mon temps.
- Elle est vraiment longue, tu risque d'attendre.
- C'est pas grave.
Il redresse l'oreiller derrière sa tête et soupire. Il ferme ses yeux fatigués et il sent le sommeil l'alourdir. Mais il n'a pas envie d'abandonner Melody. Même s'il ne la connaît pas vraiment, il a l'impression qu'elle est importante. C'est la première depuis bien longtemps qu'il laisse entrer dans son cœur après tout.
Il se met à taper, en espérant que ses mots ne seraient pas ridicules à côté des siens. Il essaye d'être léger mais sa mélancolie le rattrape rapidement. Alors, il la laisse envahir ses doigts et teinter de gris son message qu'il essayait de rendre coloré.
- Il était une fois un petit garçon très heureux, aux pantalons de velours rocambolesques et aux mèches folles mais un petit garçon très heureux. Ce petit garçon avait ses deux parents. Ils l'aimaient très fort, et même lorsque la petite sœur du petit garçon est arrivée, ils ont continué à l'aimer très fort. Sauf qu'un soir, alors que le petit garçon était en train de devenir un jeune homme, son papa n'est pas rentré. En, fait, le papa du petit garçon qui se transformait en jeune homme ne rentrerait jamais. Un conducteur trop pressé avait enlevé le papa du petit garçon. Et il lui avait donné à la place une douleur incommensurable. Le petit garçon qui s'était brusquement transformé en jeune homme se mit à faire des cauchemars, tous plus horribles les uns que les autres, où son papa mourrait dans d'atroces situations. Un soir, après deux nuits blanches, sa maman lui avait donné un vieux pull à son papa. Il était gris, triste, comme le cœur du jeune homme. Et le plus important: il écartait ses cauchemars. Alors le jeune homme le portait tous les soirs, avec l'espoir de dormir quelques heures. Et ce jeune homme, c'est moi.
- Oh mon Dieu Joachim... Je suis tellement désolée d'avoir posé la question!
- Ce n'est pas grave.
Sauf que si, ça l'était, grave. Parce les larmes qui s'étaient taries pendant deux années refaisaient surface et menaçaient de le noyer. Elles trempaient ses joues, roulaient sur son cou, s'écrasaient sur sa gorge. Sauf qu'il avait l'impression que c'était des larmes de soulagement. Parce qu'elle semblaient le libérer d'un poids sans doute imaginaire mais qui lui avait fait tellement de mal.
- À toi maintenant.
- Pourquoi vous vous êtes séparés avec ton petit ami?
- Tu vas peut-être pas me croire, mais mon histoire est presque aussi sordide que la tienne. Comme quoi, on s'est bien trouvés hein?
- Raconte la moi quand même, je voudrais beaucoup la connaître.
- Il était une fois... Non désolée, j'en suis incapable. Il est mort. Il a sauté du toit de notre lycée.
Il reste longtemps immobile face à cette révélation. Il compatit à ses malheurs. Effectivement, Melody et lui se sont bien trouvés. Même si le "bien" est subjectif.
-On va s'en sortir Melody. Je te le promets.
- On va s'en sortir Joachim. Je te le promets.
Et il y croit. Il y croit parce que le pull de son père semble plus coloré que d'habitude, peut-être parce qu'il l'a tâché hier matin avec la confiture.
En tout cas, il y croit.
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