Chapitre 9 : Tourne à tous les vents (1)


Je m'éparpille et le nœud dans ma gorge disparait avec le visage fermé de Léo. Dans la nuit que je ne vois pas, je stagne avec un faible ressenti du froid ambiant. Léonie l'a jeté, d'une ultime réplique dévastatrice, et l'a répandu partout à l'extérieur, où je flotte avec confusion. Cette conversation m'a permis de me rendre que compte que, malgré ses sautes d'humeur, Léo est plus lucide que moi. Elle sait ce qu'elle ressent, elle l'accepte, elle avance, parce que rester sur place est pour elle signe d'ennui intersidéral. Je devrais moins m'inquiéter pour elle que pour moi-même. Je me recompose au fond du jardin. Aussitôt, je me sens honteux de ne pas avoir prévenu Noah de mon retard. Le pauvre, je mange chaque fois avec lui et là, je suis aux abonnés absents. L'air glacial me saisit, je frictionne mes bras, puis m'empare de mon téléphone. Ces appareils se recomposent toujours avec toute leur mémoire, mais s'éteignent dès qu'on se départicule. Je rallume et vois trois sms de Noah et... un de mon père ? Daté de cet après-midi, mais avec un « bonsoir » dedans ! Encore ces réseaux brouillés à hauteur d'Aéris, en plus du décalage horaire... OK, une erreur à la fois...

-Allô, Noah ? ... Ouais, désolé, je... je suis vraiment rentré tard de l'entrainement, aujourd'hui, et elle était assez épuisée, j'ai préféré attendre qu'elle se couche pour la laisser, j'ai oublié de te dire de ne pas me garder ma part au chaud... Ah ? OK, tu rentres quand ? Non ça va, j'attendrai jusque-là, sans problème. A tout à l'heure. Merci, mec.

Bon ! Des potes l'ont invité à boire un coup avec eux après l'heure de table. Je comprends qu'il ait sa vie, aussi. Rentré dans une heure et demie. Je mets une bonne demi-heure pour arriver chez lui. Ça me laisse largement le temps d'appeler mon père. Deuxième faute à avouer... Je décide de lancer un appel vidéo, si le réseau passe suffisamment bien, ça serait pas mal pour le mea culpa.

-Salut 'pa ! Tu me captes ?

L'image de mon paternel se ternit par moment, mais montre bien son bas de visage poivre et sel et son regard empli de joie. Celui qu'il a toujours quand on se retrouve. Derrière lui, le paysage est éclatant d'un soleil en pleine journée.

-Hey, mon fils se souvient de mon existence !

-Oh, t'exagères ! Je viens seulement d'avoir ton message. Alors, comment tu vas ?

Sa barbe frémit sous sa bouche qui se tord. Ses yeux de glace me fusillent... Ah oui, l'évaluation !

-J'allais plutôt bien jusqu'à ce que Tyler me contacte avant de reprendre la route vers Aéris. Apparemment, tu as eu onze sur vingt à ta première évaluation en cours de formation pratique. Tu m'expliques ?

Je frissonne devant sa frustration, mais récupère un sourire assuré en repensant à aujourd'hui. D'un point de vue d'apprenti-maitre, j'ai passé une journée excellente ! C'est l'homme dessous qui s'interroge... je camoufle des pensées de ce genre loin derrière mes analyses de futur maitre.

-Oh, il est arrivé durant une mauvaise passe de mon élève, elle... elle pétait un câble de ne pas parvenir à se départiculer. Tu sais, ça faisait deux bonnes semaines que j'essayais plein de trucs pour l'y aider, mais elle n'y arrivait quand même pas et hier, elle a craqué rapidement, devant les yeux de Tyler. Je lui ai bien proposé de me suivre chez moi pour voir toutes les leçons que j'avais basées sur la théorie apprise en classe, mais il n'a voulu les consulter. Il a dit qu'il voyait bien qu'elle me faisait confiance et que j'essayais d'adapter mes exercices à son cas, et moi je lui ai promis qu'il pourrait interrompre mon stage si après deux semaines je n'obtenais rien de Léonie. Ça a sauvé ma peau, je pense. Et puis, il m'a reproché de...

Quand j'y repense, il avait bien raison. Le simple fait de l'énoncer à mon père me démontre le ridicule de ma réflexion. Je baisse les yeux dans un soupir. Quel abruti.

-Je ne savais pas comment amener le sujet auprès de Léo. Tu n'imagines pas à quel point elle a haï son père, papa, c'est... viscéral, elle explose à sa moindre évocation et là, on me chargeait d'annoncer la mort de Néos, je... j'étais pas préparé à ça en suivant mes études.

Mon père souffle à son tour avec mélancolie.

-Nous pensions qu'elle le savait. Je présume que Tyler n'a pas trop donné de poids à ce problème dans ton stage. S'il se basait sur ça pour mal te noter, il aurait de mes nouvelles !

Je ne suis pas inquiet pour ça. Je suis inquiet pour elle. A quoi pense-t-elle ? Arrive-t-elle enfin à dormir ? Elle a déjà une piètre opinion de sa personne, quelles dérives pourraient naitre d'une vérité difficile à supporter ? Je ne sais même pas ce que ça fait ! Peut-être mon père... il a eu deux parents, lui... Même s'ils étaient Anémois.

-Mais j'espère que ça ne va pas trop l'empêcher d'avancer. J'avais fait le choix de ne rien lui dire tant qu'elle n'aurait pas découvert la joie de se départiculer et de voyager dans les airs. Je me suis dit que sinon, elle aurait pu abandonner... Elle a réussi aujourd'hui. Alors je lui ai dit. Mais j'ai peur pour « après ». Je suis mal placé pour comprendre ce qui peut la traverser, mais je ne peux pas lui dire, je dois être solide devant elle pour qu'elle ne décroche pas. Enfin, 'pa, j'ai pas eu deux parents, moi ! Ça fait quoi quand il en reste un seul sur les deux ?

Mon père se laisse happer par ma mélancolie, revenu à une époque lointaine.

-Oh. Étrange question. Le nombre ne change rien. Quand tu connais une personne depuis tout petit, qui a pris soin de toi et t'a aimé... ça te fait mal, ni plus ni moins. Mais quand il en reste un, c'est pour lui que tout est différent. C'est de lui qu'il faut s'inquiéter. Souvent, le deuil est insupportable, il a besoin qu'on s'occupe de lui. Alors, notre rôle est différent. On se doit d'en prendre soin et de veiller plus que jamais sur celui qui reste.

-Oui, admets-je à mi-voix, elle a dit spontanément qu'elle ne pourrait pas cacher ça à sa mère. Alors qu'avant, il était hors de question pour elle de tracasser son dernier parent en expliquant ce qu'elle apprenait sur lui. Cette donnée a changé sa vision des choses, par rapport à madame Blancourt.

Il récupère un sourire, qui passe de la tristesse à la fierté.

-Et donc, elle a réussi à se départiculer, c'est fait ?

J'acquiesce. Moi aussi, une vague de satisfaction envoie bouler ma peine. Le fait d'avoir tant douillé pour y parvenir rend la victoire plus savoureuse. Mon paternel poursuit avec bonheur :

-Le vrai travail peut commencer ! Ça va être beaucoup plus intéressant, de donner cours, à présent ! Tu vas voir, une fois ce cap franchi, le reste va plus vite. Tyler sera plus généreux à la prochaine visite, s'il voit que tu as tenu parole. Tu vas l'avoir, ton diplôme ! 

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