Chapitre 8 : débonn-air (fin)


Sympa, merci... La galanterie pour ne pas devoir se mouiller le premier ! Mais j'ai tant hâte de savoir ce qui se mijote dans sa caboche... J'ai beau inspiré de l'air pour me lancer, mon élan s'interrompt à chaque fois. Après trois départs loupés, j'ai tellement envie d'abandonner la course. Kaï ne montre aucun signe d'impatience, il guette sans réaction hautaine mon discours sincère. Il faut que j'essaye de lui marmonner un truc, même si je suis confuse.

-Euh... Ma motivation personnelle, tu veux ? Je croyais que tu la savais, je... j'en ai marre de tourner ici comme un lion en cage.

-L'image est particulièrement bien choisie, me taquine-t-il.

Je ne me laisse pas démonter et rétorque avec un sourire narquois.

-Merci. En fait, mon père était un obstacle comme tu le sais, mais après, oui, j'ai eu envie de trouver la clé du problème et j'ai cru que je la trouverais à Aéris, mais tu... tu me l'as donnée, tout à l'heure.

-Tu veux toujours aller sur Aéris ? Uniquement pour le goût de l'aventure ?

-Oui ! Putain, oui, je veux voir ! La moitié de moi vient de là, et je dois comprendre ce qui m'arrive avec ces pouvoirs bizarres... Ça dépasse mon père, OK ? Il s'agit de moi, j'ai envie de voir jusqu'où je pourrais aller avec mes capacités. Ici, je... je ne sers à rien. Peut-être que là-bas...

-On sert tous à quelque chose. Mais j'ai maintenant la certitude que tu ne baisseras pas les bras à cause de la mort de ton père. Tu voulais évoquer... d'autres points ? Tant qu'on est juste nous deux.

Il me tend la perche, alors...

-Hmmm juste nous deux, oui, ça me plait bien ça, le soir, tout seuls, on pourrait pimenter ça facilement !

Comme je m'en doutais, il s'en agace tant que j'ai envie de rire de lui.

-Tu n'as aucune dignité, persiffle-t-il.

Un poil vexée, je recroise les bras alors qu'il entame son troisième bout de pizza, la gorge bien moins nouée que la mienne de devoir passer aux aveux !

-Pas du tout, ce n'est pas ça, la dignité ! La dignité, c'est agir sans dévier de sa morale, c'est ne pas perdre de vue ce qui est important à nos yeux et s'y tenir, dès lors qu'elle ne nuit foncièrement à personne. Kaï, j'ai qu'une vie, et dans cette vie, il y a si peu d'occasions sympas que je ne suis pas du style à les laisser s'enfuir quand elles se présentent à moi, sous prétexte que le moment n'est pas idéal. Ça fait longtemps que l'idéal a quitté mon chemin, je fais sans lui. Mais je respecte ce que je suis et ce que je ressens. Faire semblant n'est pas dans mes habitudes et je n'en dérogerai pas. Tu me plais bien, je ne l'ai pas décidé, c'est comme ça ! Mais je ne te la cacherai pas. J'estime que sinon, je te manquerais de respect.

Il gratouille sa courte barbe, révisant peut-être son jugement derrière ses paupières plissées. Un grommellement sous la main qui couvre à présent son menton me prouve son apaisement. Seulement, il se redresse avec un corps plus tendu que d'habitude. Le changement subit est surprenant.

-Donc, si je te cache des choses, pour toi, je te manque de respect ? Alors pourquoi ne m'en veux-tu pas d'avoir attendu pour annoncer la mort de ton père ?

Bonne question ! Ce que j'aime bien avec cet homme, c'est qu'il n'est pas idiot. Il ne passe par quatre chemins, non plus, à sa façon.

-Tu avais de bonnes raisons. Je crois que j'aurais en effet eu du mal à me départiculer sinon. C'était déjà compliqué, ainsi... Mais... je sais aujourd'hui que je n'ai pas le choix. Au fond de moi, cette force m'appelle, je ne peux pas la nier. Et toi ? As-tu une force qui t'appelle aussi et que tu refuses ? As-tu peur pour moi ?

Il regarde ailleurs : oups ! Je suis dans le bon...

-Ce n'est pas vraiment ça, je...

Ah non, raté ! Cependant, il est très nerveux. Il a même interrompu sa phrase, ouaw ! Mais où est passé Kaï, qui est ce type embarrassé face à moi ?

-Je ne sais pas comment te dire. D'un côté, y a mon père qui n'est pas à l'aise, il a toujours eu l'impression que le combat entre ton père et Sifen n'avait pas tout réglé, alors il me demande de garder un œil alerte, mais rassure-toi, rien de bien concret. C'est sa conviction personnelle.

-Hmhm, et de l'autre côté ?

Je prends les choses avec pragmatisme, inutile de paniquer pour des intuitions, je note dans un coin de mon cerveau que le père de Kaï a dû être sacrément marqué et que peut-être il espère ainsi ne pas enterrer mon père. L'autre versant de sa réponse m'intéresse bien plus. Kaï gratouille sa barbe, encore... tic nerveux ? Ses paroles filent comme une bourrasque.

-Eh bien... on est réceptifs à l'autre, c'est indéniable, mais je ne suis pas partisan de relations interdites, à vrai dire, je ne sais même pas si officiellement elles sont interdites ou non, mais je ne tenterai pas le diable, ce... ce stage, c'est mon épreuve finale pour concrétiser un vieux rêve, je ne peux pas prendre un tel risque, même... même pour une attirance quelconque. On n'est pas obligés de céder à des pulsions primaires dès qu'elles apparaissent, on n'est plus à l'âge de pierre, non plus. C'est bon, tu as le sentiment que je ne te manque plus de respect, là ?

Je me redresse, petit à petit prise de fatigue, et définitivement convaincue qu'on ne dira plus grand-chose constructif après ça. Il faut digérer les clashes idiots. Mais mon sourire est revenu.

-Donc, tu admets. C'est bien, tu dois te sentir plus léger, non ?

-Madame l'associale donne des cours de psychologie, maintenant, se moque-t-il.

Je lève les yeux au ciel, encore, et me dirige d'un pas ferme vers lui en contournant la table. Si seulement je pouvais déjà me départiculer à ma guise ! Je pourrais encore plus le surprendre qu'en me plantant à côté de lui. Remarquant d'un regard gêné la hauteur de ma poitrine par rapport à sa tête, il se relève aussi. Les plis sur son visage se sont multipliés, il a l'air méfiant ou perplexe. Mais il ne dit rien de plus. Mes mains sur les hanches, j'essaye de paraitre fière, imposante, je bombe même un peu le torse ! Son expression gagne en inquiétude lorsqu'il baisse les yeux sur mes lèvres. Rassure-toi, mon gars, je ne forcerai pas ta serrure mentale. Je me contente de me pencher vers lui avec une sévérité qui se joue de son incertitude. Quand je respire cette odeur appréciable, douce comme un petit vent en plein été, au creux de son cou, je ne peux nier son frisson, son souffle vacillant, et cette fièvre qu'il combat. Je n'ai aucune envie d'élever la voix. Ce n'est pas la première fois qu'être si proche de lui me parait aussi intime que me retrouver dans les draps d'un autre. Mon murmure perce le silence pesant.

-Une attirance quelconque. Bien sûr. Selon toi, elle l'est peut-être. Je suis sûre que tu as même déjà été plusieurs fois en couple et que tu te vois dans le futur avec une jolie Anémoi de l'île. Pour moi, cette envie n'a rien de quelconque. C'est la première qui n'est pas entièrement guidée par une décompression instantanée pour tuer l'ennui du quotidien. Tu vois, je te dis la vérité, rien que la vérité, comme tu le désires, Kaï. Mais moi, mes désirs, je préfère les vivre pleinement. Tu as envie que je ne te cache rien, mais es-tu seulement prêt à tout entendre et apte à tout comprendre ? Si tu veux que j'arrête de monter sur mes grands chevaux, toi, descends un peu de ton carrosse. Je viens d'apprendre que mon père est mort avant d'avoir pu vivre pleinement sa vie. Tu crois vraiment que je vais gaspiller la mienne en laissant passer les moments de chance sous mon nez ? Qui te dit que je ne sortirai pas plus forte de mes entrainements, avec ce jeu de chat et souris qu'on a entamé malgré nous ? S'il y a une chose qui n'est pas négative dans ce monde, Kaï, c'est bien l'attachement. Sans lui, on dérive. Alors, refuse si tu veux, mais ne fuis pas cette réalité. OK ?

Il ne perd pas son air songeur, mais hoche la tête avec gravité, comme une promesse. C'est bon pour moi... pour l'instant. J'entrouvre la porte du jardin dans un petit sourire entendu, auquel il répond avant de se disperser. J'attends de longues secondes, lourdes de pensées embrouillées vis-à-vis de notre échange instructif. Enfin, je sens que je suis seule. Du moins, je le crois, tant le silence me pèse. Je monte et me contente de me changer avant de m'effondrer dans mon lit. 

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