Chapitre 7 : spectacul-air ! (1)
Enfin, après avoir fait la limace sur des roches un peu inconfortables mais chaudes, je me rhabille. Je ne sais pas depuis combien de temps Kaï est allé se reposer. Je dois être lourde à porter, avec ma nullité en éparpillement, il est tout de même courageux de me déplacer aussi loin. Je suis à des centaines de kilomètres de chez moi, ici. Et je n'ai pas de smartphone sur moi, j'espère qu'il sait ce qu'il fait ! Je ne parle même pas croate ! Mais il m'a toujours trouvée, dans ma ville, je ne vois pas pourquoi ici ce serait un souci. Une fois rhabillée, j'entends des voix lointaines de touristes et me cache dans les fourrés. Dès que les personnes au loin s'en vont, je me faufile sous de grands arbres et décide de m'éloigner de la rivière en courant à la perpendiculaire. Je commence à tâtons, pas habituée à faire un circuit sauvage sur des sols si irréguliers. Mais ce goût de défi m'inspire de beaux sprints et des gestes souples pour des appuis audacieux, je file entre les troncs. Quand je m'arrête, j'observe autour de moi, avec une envie d'être la moins repérable possible et de contempler la nature dans un état le plus véritable. Il y a des chants d'oiseaux que je ne connais pas. Je crois avoir vu même passer des écureuils surpris de ma visite.
Je commence à avoir soif. Il me semble entendre le clapotis de la rivière qui n'est jamais bien loin. Il me suffit de descendre des pentes pour atteindre le creux de la vallée, non ? Alors je cavale par là. L'eau a l'air si claire... en amont, peut-être n'est pas toxique pour moi ? Je me sens sauvage et j'aime ça. Seule, survivant avec des gestes simples, à l'écoute des feuilles et des volatiles... le vent m'accueille sur l'étendue sans arbres des rives. Je me penche pour récupérer l'eau en coupelle, non sans jeter un œil aux traces du passage de l'Homme dans le coin. Telle une biche, je suis farouche à découvert. A peine ai-je bu deux gorgées que des paroles échangées dans une langue inconnue me font redresser le cou. Je vois des silhouettes s'avancer sur la rive en face, puis je ne vois plus rien après un sursaut, et je me sens comme happée par une bourrasque froide. Kaï ? L'image qui suit, je suis derrière un grand tronc, quelques mètres au-delà de mon point d'eau. Les gens ne s'exclament pas, ne photographient rien... et Kaï ne répond pas à mon appel discret. Toute seule. J'ai bougé. Ils n'ont rien vu. Est-ce que... ?
Soudain, l'excitation me gagne, la joie me fait détaler avec volupté au loin. J'ai envie de crier et je sais exactement ce que je dois scander à tous les arbres, en espérant me faire entendre.
-Kaï ! Kaï ! T'es où ! Je crois que ça y est ! Kaï !
Il reparait tout à coup sur le sentier, assez loin pour que je freine mon élan. Aussitôt, il a le sourire aussi large que moi. Mais quel maitre passionné ! Ou alors il pense à sa jolie note de stage ?
-C'est vrai ? T'en es sure ? Vas-y, raconte, comment c'est arrivé ?
Je lui explique, mais je bafouille, car je n'ai pas vraiment contrôlé la chose. J'espère que lui comprend plus que moi le déroulement des faits. Songeur, il s'assoit sur un tronc couché. Je l'imite en attendant la suite de ses consignes. Vaut mieux pas déraper avec ces nouvelles choses que je ne maitrise pas. L'heure n'est pas à la taquinerie.
-Donc... quand tu as ressenti une sorte de menace, et que tu étais seule face au danger, ça s'est bien enclenché... Il faudrait recréer de telles conditions pour que tu l'actives de plus en plus consciemment... Et si on utilisait la technique des oiseaux ?
Alors là... moi qui espérais mieux voir où ça me menait, je suis perplexe. Mon expression le fait sourire.
-OK... Est-ce que tu me fais confiance, Léo ?
Ses mains se posent sur mes épaules et je me sens plus détendue, d'un coup. La chaleur de ses paumes me fait du bien. Je ne le crains pas une seconde. Je l'ai même laissé m'embarquer jusqu'ici !
-Quand j'étais seule ici, même paumée et sans téléphone, je n'ai pas paniqué. Tu avais dit que tu me retrouverais facilement je sais que tu ne dis pas des paroles en l'air. Alors... je suppose que c'est un signe de confiance ?
Alors là, ma grande, il est marqué « Associale 2.0 » sur ton front ! Sérieux, moi et les relations proches, ça fait deux ! La cruche qui n'est même pas sûre de quand elle fait vraiment confiance aux gens et quand ça ne lui suffit pas... En tout cas, lui, ça semble lui suffire !
-Très bien. Alors je vais te faire tomber du nid ! Visiblement, tu lances tes capacités quand ça te prend les tripes, alors faisons en sorte que ça se reproduise ! Et dis-toi que je ne ferais pas ça si je ne me sentais pas capable de garantir ta sécurité. Vu ?
Ma grimace s'accentue.
-Là, Kaï, tu commences franchement à me faire peeUUUurahhh !
Il m'a soulevée avec encore sa technique d'éparpillement express, mais cette fois-ci, il ne me met pas dans une bulle ! Il me prend pour Sangoku et joue au nuage magique, mais eh, je ne suis pas entraînée à ça, moi ! J'essaye inutilement de me cramponner sur ces petits points qui me chatouillent la peau sans cesser de s'agiter. On monte, putain, on monte !
-Kaï, chevroté-je, surtout, tu ne me lâches pas, tu m'entends ?
-Attention, je vais te lâcher, annonce-t-il aussitôt en crépitant entre les sons.
-Non non non !
Mais il s'écarte et je chute dans un cri à faire fuir les pauvres bestioles du coin. Le sol se rapproche, mon cœur devient fou, puis la rancœur renait d'un coup de ses cendres. Si je ne meurs pas après l'impact, je le tue ! A mesure que je vois les arbres grandir et la distance se réduire, une adrénaline nait et s'amplifie en moi. Soudain, tout s'arrête. Plus d'anxiété terrible, je suis... vaseuse. Légère. Je ne vois plus rien. Mais je perçois qu'il était moins une. Je suis paralysée par l'inconnu, difficile de m'adapter à l'absence de vue. Pourtant, je ne sens plus mes yeux fermés. Je ne sens plus des épaules d'où me pèsent des bras, ou des pieds qui recherchent le sol, ni même un endroit de l'envers. Comme une respiration mélangée à un sonar, j'ai de réguliers regains d'énergie qui s'étende dans tous les coins et je repère alors les obstacles les plus proches. Ils ont une texture tout à fait extraordinaire. Je sens les aspérités des roches, les nervures des feuilles, les fentes des écorces... Je bondis de toutes mes particules lorsque je reconnais Kaï même sans le voir. Et vu comme il se meut, il est réunifié. Moi, je ne remue rien volontairement, les courants d'air qui arrivent à franchir les feuillages me portent de temps en temps. Je suis ballotée comme une feuille morte.
-Eh ben, voilà donc à quoi tu ressembles, départiculée ! lance la voix de Kaï.
Elle est éloignée comme s'il me parlait au-delà de la surface, pendant que je nage sous l'eau. Mais sans les clapotis marins. Alors, je me concentre et je décode ses propos.
-On dirait.
Oh ? Est-ce ma voix ? Elle n'a pas la résonnance habituelle, j'aurais activé un enregistrement, c'était pareil. Et tout comme Kaï, il y a des interférences, sauf que cette fois, je les sens. Elles font frémir mes particules, telles des dents sur une fourchette qui crissent.
-Arriverais-tu à te réunifier ?
-J'sais pas.
Il s'est avancé. Je sens son souffle sur une part de moi, je suis telle une grande toile d'araignée où une onde se répercute sur un ensemble. J'essaye de m'approcher de lui, de m'imaginer me déplacer et de savoir quelle expression il a. Il inspire soudain, indice de sa stupéfaction.
-Je vois ta particule-mère, murmure-t-il. Pense très fort à te remettre sur la terre ferme. Evoque le désir d'avoir tes pieds au sol. Donne-toi l'impulsion mentale. C'est comme quand tu veux frapper quelqu'un avec la volonté de lui faire très mal. Ou que tu veux effectuer un saut en allant très loin. Évalue, fixe l'objectif à travers tes sensations. La mémoire sensorielle est la plus parfaitement synchronisée avec les cellules départiculées. Ce que tu ne perçois plus en vrai, tu t'en souviens, et ensuite quand tu te reformes, les contacts surgissent, tellement tu les as préconçus. Vas-y !
Je me figure une compression, comme celle qu'on active lors d'un repli en boule crispé, et je me sens occuper moins d'espace. Petit à petit, mes sens reviennent, sans que je ne parvienne à sentir mon corps se réunifier. Ça ne prend qu'une seconde, c'est impressionnant ! Je suis campée au sol comme si je luttais contre une tornade, la lumière agresse mes yeux malgré les arbres ombrageux, l'ouïe se déclenche en percevant différemment les choses. J'entends plus fort, mais moins loin. Et les nervures des feuilles ne sont plus un détail que je peux deviner sans devoir les serrer fort entre mes doigts. Je me ressens plus les obstacles situés dans l'espace vide, seulement ce que je touche et ce qui se situe à proximité. Mes paupières cillent, mon corps reste immobile quelques secondes, sous le sourcil levé de Kaï rempli d'orgueil.
-Alors ? Ta première fois ? m'interroge-t-il.
Je décide de le prendre à revers et lui affiche un sourire coquin.
-Oh voyons, maître, cette question est très indécente ! Si tu veux tout savoir, c'était il y a trois ans et...
-Ah tais-toi, vilaine cancre ! ordonne-t-il avec une grimace qui provoque mon rire contenu. Tu sais très bien que je parlais de ta départiculation. Comment c'était ? Je suis très curieux ! Moi, je la pratique depuis petit et je ne me souviens plus du tout de l'effet que ça m'a fait.
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