Chapitre 6 "En coup de vent" (fin)


Je descends d'abord à pied, fébrile, mais tout aussi curieux de découvrir à quel point elle est impudique. Elle n'a déjà plus que sa culotte, je déglutis sévère et me départicule dans la seconde. Voir ses fesses nues aurait été la goutte de trop pour mes nerfs ! La fébrilité agite mes particules. Je zone sur la surface, guettant le moment où son corps va créer des ondes et provoquer l'irrégularité des flots. Guidé par les clapotis, je m'approche et... je me sens frôler sa peau, lorsque je dévie sec. Non, mauvaise idée, très mauvaise idée, ça ! Je dois rester à proximité pour la protéger au besoin, voire faire barrage si des touristes courageux préfèrent venir jusqu' ici au lieu des deux autres cascades dans le coin, autrement plus impressionnantes. Je m'approche donc de l'air chargé d'humidité par les écumes bruyantes. La voix de Léo, qui me parvient sourdement vu mon état, est étouffée par l'eau dégringolant sur elle. Il me faut être plus près, quitte à tremper en partie mes particules dans les flots fracassés. Et à encore effleurer sa peau... mince... comme une vague d'air chaud dans un décor glacé, la tiédeur de son corps attire mes particules avides de chaleur à tout prix. Le réflexe primitif se déclenche et je n'ai pas le temps de me raisonner que, déjà, j'englobe ce corps qui s'agite.

-... est-ce qu'il y a déjà eu des cas de descendants d'Anémois purs qui n'ont plus de pouvoirs du tout ? je veux dire, au bout de combien de générations ça serait possible ? A force de diviser chaque fois en deux, il doit bien avoir un point de non-retour, non ? Eh, Kaï, toujours là ?

-Ouais. Toujours là. Je sais pas, pour ta question. Au moins quatre générations, je pense.

Bon sang, la concentration est difficile ! Si je n'étais pas dépourvu de sensations et réactions corporelles de base, je ne pourrais lui répondre. En réalité, je ne souffre pas d'entourer ce corps nu, mais j'en perçois toutes les aspérités, le grain de beauté dans le creux de ses lombaires, le moindre poil collé à sa peau humide, la courbe de ses seins, le pli de son aine... et maintenant, ses soupirs de bonheur sous l'eau fraîche.

-Ça fait un putain de bien fou, tu devrais essayer, je te jure !

-Non merci !

Ma réponse est vive, et pour cause, je panique au fond de mon esprit ! L'avantage de ne pas avoir mon corps réunifié est de me dispenser de réactions visibles face à elle. Pas de frissons le long de mon échine, pas d'enflement gênant entre les jambes, pas de râle à camoufler sous un soupir pathétique, pas d'envie de saisir ses lèvres dont je devine malgré moi tous les reliefs. Mes cellules bougent avec elle, en attendant que je me décide à forcer le décrochage de cet endroit confortable pour mes particules fatiguées. Pourquoi je ne fuis pas si rapidement ? Tout simplement parce que c'est après que ça se corse ! Fichue mémoire sensorielle ! Elle va tout me faire revivre d'un coup quand je vais me reformer ! Et plus je me charge, plus mon éparpillement devient fébrile et compliqué à gérer. Je n'aurai pas d'autres choix que de subir de plein fouet tout ce que je n'ai pas pu vivre pleinement avant. Ici, c'est pareil. Je n'ai jamais vécu ça, des amis m'en ont parlé, mais je n'y suis pas prêt, bordel ! Ça tourne au vinaigre. Je dois lui cacher ça ! Imaginez-vous ressentir la même chose que quand un corps qui vous attire se colle pleinement à vous. Tout ce que provoque la silhouette qu'on épouse avec envie, tout ça, du cœur à la peau, on le propage alors sur l'ensemble du corps. C'est comme si, d'une étreinte intense, la chair de l'autre nous enveloppait des pieds à la tête. Voilà ce qui m'attend, c'est bien tout ce que j'en sais, et dans cette situation, c'est de plus gênants ! Mais elle sort de la cascade et je dois m'y résoudre : il faut continuer l'entrainement. Une solution, vite ! Que je me tienne loin d'elle !

-Les touristes vont bientôt revenir se promener, la chaleur est plus supportable. Je te propose un truc. Je suis un peu crevé de notre long voyage, si tu me laisses me reposer une demi-heure, pendant ce temps-là, tu pourras explorer les forêts en courant comme tu veux. De toute façon, je te retrouverai. Essaye de te laisser porter par ton envie de courir, tu me diras si ça a porté ses fruits.

-OK, maître !

Elle fait un salut militaire avant de ricaner et de sortir de l'eau. Je m'enfuis avant d'être tenté de rester près d'elle tandis qu'elle se sèche au soleil, à l'abri de la vue des passants sur les sentiers balisés. Aussitôt, je grésille un soupir lourd, je vais craquer ! Je file rapidement au loin et me cale au pied d'un grand arbre paumé dans les bois. Dès que je me reforme, c'est l'apocalypse des sensations. Je gémis, non de douleur, je gémis de manière pitoyable comme si un orgasme s'était retenu en moi sans oser s'expulser de ma carcasse. J'étouffe l'espace d'une seconde ou deux, ou même trois je ne sais pas, désorienté par la bombe de chaleur qui m'a envahi les pores. L'humidité sur ma peau n'est pas seulement due à l'eau de la cascade, mon thermostat intérieur vient de grimper d'un bon degré, mon cœur est fou, ma peau en frisson se tend sous le froid comme si elle souffrait du vide qui l'entoure. Mes boyaux sont tordus avec la vigueur d'un émoi qui aurait dû naitre dans d'autres circonstances. Des circonstances que je n'ai pas le droit de vivre. Mes lèvres s'humectent, hantées par le souvenir d'un baiser qui n'a jamais eu lieu. Mes pupilles se sont sûrement recréées avec une dilatation éloquente, qu'est-ce que j'aurais eu l'air grotesque face à elle ! Bon sang ! J'halète avec la force d'un homme qui a tout donné. Mes potes avaient raison. C'est atroce, pas de montée en subtilité, pas de jeu, que le physiologique multiplié par trois en puissance, qui te fiche KO et frappe tes côtes. Suis-je déçu ? Non, je ne peux pas. Être déçu signifierait avoir envie de découvrir les choses dans les règles. Hélas, mes règles s'y opposent fermement. Et sans doute aussi celles de mon école !


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