Chapitre 5 : Second-air (4)


Les jours de la semaine s'écoulent et, à chaque fois, je ne parviens pas à créer mes particules sur demande. A défaut, nous faisons des parcours d'obstacles pour améliorer mon équilibre, des entrainements de mouvements inspirés d'arts martiaux et de lutte, des cours théoriques sur la dynamique des fluides -indigeste-, les cartes de courants anticycloniques ou l'Histoire des Anémois. J'ai enfin appris pourquoi ma famille était si importante aux yeux des habitants d'Aéris.

-Eole, ton ancêtre, est à l'origine d'Aéris. Fils d'Eos et d'Astréos, il vivait avec ses parents sur la côte. Il avait développé ses capacités en bord de mer, à l'abri des regards. Le hasard avait voulu que ses parents se soient rencontrés et rapprochés grâce à ces pouvoirs en commun qu'ils avaient. A l'époque, il n'y avait pas de génétique, on les trouvait magiques. Et ses parents avaient caché ça à leur famille, mais leur fils s'est montré moins prudent. Les gens ont eu peur d'eux. Un jour, ils les ont attaqués, quand Eole était un jeune homme, ils ont tué Eos, au lever du jour.

-Ouais, éole c'est comme éolien, éolienne, c'est resté lié au vent chez nous.

-Et « Eos » est associé à « l'aurore ». Alors que « eo » est pour le vent. A cause de la mort du père d'Eole. Ca s'est passé sous ses yeux et, au lieu de fuir en courant, Eole était fou de rage et il a déchaîné les rafales et les flots du rivage. Les assaillants sont morts jetés des falaises, noyés ou écrasés par des arbres. Alors, ça a fait le tour de la Grèce, ils se sont mis à le considérer comme un dieu et à le craindre. Quand je te disais que c'était de famille, de partir au moindre coup de vent et de faire face.

Son ricanement me fait sourire. J'avoue que je peux être un peu difficile, comme élève. Il reprend le cours, avec son livre de référence dont les pages semi-illustrées se tournent au fil du récit.

-Eole en voulait trop aux hommes et sentait qu'il n'était pas de leur espèce, même s'ils avaient la même apparence. Il a migré sur une des îles grecques à proximité. Si des gens s'approchaient, il déclenchait des marées. Les marins le craignaient autant que les sirènes, mais ainsi, il avait la paix. Il a voulu mettre sa mère à l'abri, mais elle ne venait que de temps en temps lui rendre visite en barque, elle tenait beaucoup à leur maison familiale et aux rares amis des environs. D'autres Anémois sont arrivés, encouragés par les rumeurs sur Eole. Ils voulaient interroger le dieu du vent sur ces pouvoirs développés, qui ressemblaient fort à celui du soi-disant dieu. Quand Eole comprit que certains visiteurs de la mer maitrisaient eux aussi les vents violents qu'il projettait, il les accueillit. Il avait créé un refuge et comprenait leur détresse. Tous se sont mis à le défendre. C'est là qu'est né leur nom, des Anémois. Les « fils d'Eole » que celui-ci libérait à la demande de Zeus. Relis un cours de mythologie grecque, tu verras. C'est ainsi que les humains interprétaient les choses. Mais un jour, en représailles d'avoir perdu deux bateaux à cause des Anémois, des soldats romains venus s'installer à proximité ont poignardé la mère d'Eole, trop âgée pour se défendre. Fou de rage, il a rasé le camp entier, et a récupéré le corps de sa mère, avant qu'elle ne s'éteigne. Quand elle est morte sur l'île, ils pensaient la brûler et en garder les cendres dans une grande jarre, mais elle a commencé à se départiculier, doucement. En mourant, les cellules perdaient leur magnétisme et se détachaient des autres. Alors Eole est resté à son chevet, récupérant les particules dans la jarre, petit à petit, jusqu'à ce qu'arrive la cellule dorée.

-La cellule dorée ? C'est quoi, ça ?

-C'est la particule-mère. Elle émet le message pour regrouper ou défaire ton corps, elle a une taille un peu plus grosse qu'une cellule classique, pour dominer le magnétisme des autres. Quand on meurt dans son corps complet, on meurt comme un humain, parce que le cœur s'arrête, puis notre corps se défait. Mais quand on meurt en étant départiculé, c'est parce que quelqu'un a tué la particule-mère. Du coup, ton corps ne se reforme plus jamais et les cellules s'éparpillent, puis meurent dans leur errance, jamais stimulées par les autres cellules.

-Ouaw... En combien de temps peuvent-elles mourir comme ça ?

-Je crois que ça peut être en deux jours ou une semaine maximum. Ca dépend des conditions dans lesquelles elles vivent. C'est ce qu'Eos a eu. Eole et Astréos n'avaient jamais récupéré son corps. Il était mort en plein combat et avait disparu aussitôt. Par contre, la mort naturelle de notre corps nous permet de garder une partie de nos cellules encore vivantes, quand on devient des particules éternelles. La cellule est l'être vivant le plus petit du monde. Elle mange et elle respire, indépendamment de notre corps, pourvu qu'elle reçoive le nécessaire. Elle peut donc, dans de bonnes conditions, perdurer après la mort du corps. Après tout, les greffes d'organes reposent sur ce fait et la production de cellules souches aussi.

-Ca se tient, avoué- je plus captivée que je ne l'admettais, quel est le rapport avec la mort d'Astréos ?

Kaï sourit, ravi d'avoir enfin une leçon qui ne tourne pas au vinaigre, à mon avis. C'est quand même fou de découvrir qu'une partie de ses lointains ancêtres ont vécu des choses si dures et sont devenus à leur façon des héros.

-Ce jour-là, Eos a observé le comportement de la cellule dorée dans la jarre. C'est la seule visible sans loupe, elle a la taille d'une miette. Quand elle remuait, le reste des particules survivantes la suivaient. Il pleurait encore et ses larmes sont tombées dans la jarre. La cellule dorée est venue dessus, suivie des autres qui retirèrent toute l'eau du fond de la jarre. Si leur absorption n'était pas visible à l'œil nu, l'absence d'humidité au fond après leur passage était bien nette. Ensuite, la cellule dorée est allée effleurer le nez d'Eos. Une légère masse comme un souffle de poussière a frôlé le même endroit, puis tout est retombé dans la jarre. Selon les écrits d'Eos, c'était un geste que sa mère faisait. Il a émis la théorie que l'âme restait dans les cellules, mais bon, à l'époque, on n'avait pas les connaissances scientifiques de maintenant. En vrai, il s'agit du cerveau, qui est autant fait de cellules que le reste et donc, il reste lui aussi actif après l'arrêt du cœur. D'ailleurs, quand je suis départiculé, je tiens une conversation avec toi ! Ici, les cellules ne réfléchissent pas seules dans un temps présent qu'elles ne vivent plus, mais sont porteuses des souvenirs latents. Elles ne voient pas, elles n'ont plus de corps pour exécuter des pensées, mais elles réagissent aux anems qu'elles connaissent et aux cellules humaines proches. Elles avaient réagi aux anems d'Eos. C'est plus disons... des réflexes qui restent qu'une entité claire. On ne sait pas encore tout à ce sujet, mais ce jour-là, Eos a ouvert la voie sur la recherche biologique spéciale des Anémois. Il a émis l'hypothèse qu'une part de nous reste, pourvu que les cellules aient le nécessaire et que la particule de reflet doré guide les autres. Ce sont deux découvertes majeures des particularités des Anémois. Regarde... Je vais me départiculer et réduire la force magnétique qui attirent mes anems entre eux. Toi, essaye de voir la cellule dorée. Juste la voir. Ne la touche pas. 

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