Chapitre 3 : bon vent ! (fin)


Lorsque je retrouve les voix lointaines des étudiants, les particules de poussières des pierres du mur d'enceinte, l'odeur humide des arbres du parc, je pars glisser mon être disséminé le long des feuilles qui s'agitent, puis concentre mon énergie pour tout réunir. Je reparais ainsi discrètement dans le feuillage d'un saule pleureur, à deux pas de l'école de Léonie. J'en descends comme si de rien n'était, et regarde ma montre : encore trente minutes avant sa sortie de classe, si elle n'a pas de professeur absent. Dans le doute, je vais m'assoir au pied de cet arbre en fermant les yeux, dans le petit parc, et mettre une alarme pour ne pas la louper. Ahhh... ça fait du bien, après une si longue route. Mon corps et mes sens se reposent... Ah ! Vu le sursaut que j'ai eu lors de l'alarme, je m'étais bien assoupi !

Soudain, les premiers jeunes sortent. Il s'agit de ne pas louper la chevelure blond-châtain bien longue et lâche qui fend la foule sans un regard à personne. Elle traverse toujours une partie du parc, puis deux rues avant d'atteindre la passerelle. Je m'enfonce dans l'espace vert publique, afin de la voir au croisement. Je ne sais pas si elle apprécierait que des élèves lui posent des questions à mon sujet. Ne la brusquons pas, surtout pas maintenant. Mon avenir et le sien en dépendent.

Ah, voici mon éclair jaune préféré qui passe au pas de course ! Elle a mis des baskets... plus de petits cons pour la harceler... petites foulées... Aucun doute, mademoiselle court pour le plaisir. Ou pour se changer les idées, peut-être. Je me décide à la suivre sans employer mes capacités au milieu de tant de témoins, mais je ne suis tellement pas habitué, moi ! Je pique un dernier sprint pour l'atteindre et arrive essoufflé devant elle. Ah ben bravo, Kaï ! Tu dois avoir un tronche d'enfer pour les retrouvailles ! Ca ne fait que deux jours, mais vu sa tête surprise, elle s'imaginait un départ plus important. Croit-elle que j'abandonne si vite ? C'est mal me connaitre. Elle continue tranquille sa petite trotte, sans scrupule pour ma fatigue. Peste !

-Oh ! Kaï ? T'étais où ?

-Je... des affaires à régler... Je suis en stage, alors... y a des obligations... Tu... tu peux arrêter de courir, s'te plaît ? Je... j'en peux plus !

C'est pas ma sieste de trente minutes qui va me remettre d'aplomb à ce point, après deux longs voyages en deux jours ! Je vais me taper une journée un peu plus longue que vingt-quatre heures et je parie que je dormirai tôt, chez mon point de chute à moitié Anémoi qui vit à trente kilomètres d'ici.

-Toi ? T'en peux plus ? s'étonne-t-elle.

Tu crois que j'ai pas vu ton regard moqueur ? Mais c'est flatteur ; en gros, elle me prend pour Superman.

-Léo, j'suis pas surhumain... ralentis... je reviens à peine... d'un long voyage...

Elle s'arrête tout à coup, plus sérieuse.

-Aéris ?

Les mains sur les genoux, soulagé qu'elle ait fait une pause, j'acquiesce.

-Elle est où, cette cité, au fait ?

-Sur une île qui flotte en rase-motte. Un processus de cyclonique un peu complexe, qui nous protège. On se déplace, mais on reste plus ou moins aux Bermudes.

Sa façon d'afficher sa perplexité a quelque chose de mignon, à chaque fois je remarque qu'elle entrouvre et tord sa bouche à la fois, puis lève haut les sourcils.

-Donc, là... tu reviens des Bermudes ?

-Par éparpillement, oui. Tu serais capable de le faire aussi d'ici quelques mois si... si tu disais oui.

-A ce propos...

Elle emploie un ton qui ne trompe pas : ça la divertit de ménager le suspense. C'est un jeu pour toi, hein ? On voit qu'elle n'a pas encore conscience de son patrimoine génétique. Elle lève un doigt songeur, nous passons la passerelle et moi, je suis suspendu à ses jolies petites lèvres.

-Il se pourrait que j'accepte ta proposition.

Une explosion de joie m'envahit si fort que, quand je serre les poings de la victoire contre moi d'un geste victorieux, ceux-ci disparaissent d'un coup. Conscient de mes particules disséminées sous son air éberlué, j'envoie celles-ci à la surface de l'eau près de nous et lui fait exécuter une spirale vive, avant de récupérer des mains toutes mouillées. Son « ohhh » stupéfait devant mon petit numéro lui donne un air d'enfant innocent. Je lui tends ma main refaite, non sans reprendre une contenance solennelle.

-Alors nous sommes d'accord. Désormais, mademoiselle Léo, je suis ton maître d'apprentissage, et les entrainements commencent.

-OK, à condition que tu rencontres ma mère. ET que tu ne me dises plus jamais mon prénom complet. D'acc' ?

Bon, le prénom, passons, mais sa mère ! Que vais-je lui dire ? Je ne sais pas ce que son mari lui a expliqué. Devant mon inquiétude, mon élève perspicace réagit.

-Je t'arrête tout de suite, ma mère ne sait absolument rien des Anémois. Je pense qu'il lui a caché cet aspect de sa vie. Clairement, j'ai arpenté la maison hier, rien n'est en rapport avec le vent, et de mon père, il n'y a que des photos et certaines affaires au grenier. Par contre, tu lui dois en partie ma réponse positive, et depuis que je lui ai dit qu'un gars m'avait aidé contre des voyous, elle ne désire qu'une chose, « rencontrer Kaï ».

J'éclate de rire ! Sa mère doit me voir un bon chevalier servant, à l'heure qu'il est !

-Et puis, poursuit-elle, je crois pas que tu aies le choix. Comment veux-tu m'entrainer sans qu'elle ne te voie ? Je suis toujours chez moi ! Si je m'en vais quelque part, ce sera suspect. S'il fait moche, où veux-tu aller ? Il vaut mieux qu'elle te pense ami avec moi et ne s'inquiète pas de nous voir ensemble, comme ça elle nous laissera tranquille tous les deux pendant qu'on s'entraine. T'y as pensé ?

-Hmmm ça se tient, petite futée. OK, je vais te suivre et jouer l'ami sympa devant ta mère. Je présume que tu ne veux pas lui dire la vérité ? Est-ce qu'à elle aussi, je dois parler de ton père ?

Elle hoche une tête dépitée. Son regard part ailleurs. La mélancolie adoucit ses traits et j'ai l'impression de voir apparaitre la véritable nana cachée sous son rock téméraire.

-Laisse-la en dehors de tout ça. S'il te plait. Elle l'attend toujours et elle en souffre. Si j'ai tant envie de lui donner une baffe quand je le reverrai, c'est pour elle, plus encore que pour moi. Ce qu'il lui a fait... je pardonne pas. T'as pigé, Kaï ? Je t'ai dit OK pour l'entrainement, pour moi et mon avenir. Mais je pardonne pas.

Elle tourne les talons, une fuite formelle face à un tel sujet. Encore. Je soupire : ça va vraiment pas être simple. Mais j'ai soudain une idée qui me ramène le sourire et je file vers elle, arrêtant son pas vif d'une main sur l'épaule.

-Eh ! On a conclu le marché, alors, avant que ta mère ne soit là... je dois te dire une chose.

-Quoi ? lâche-t-elle sans comprendre.

Je dégage son visage de sa tignasse sauvage et la fixe, pour appuyer mes mots. Ma main ne se décolle pas encore de sa joue et mon regard de ses deux petites perles grises.

-Tu as les mêmes yeux que Néos.

-Néos ? souffle-t-elle.

-Ton père.

Ses paupières s'écarquillent. Sa respiration se coupe et son masque de haine a disparu. J'avais raison, ça lui fait quelque chose et, même si c'est douloureux, ça la répare de l'intérieur. Elle esquisse un petit sourire. Je constate en retirant ma main de son visage que celle-là tremble. Aïe ! La distance sera de rigueur. Si mon maitre de stage passe et que je réagis au contact, il ne le loupera pas.

-Oh. Je savais pas. Ca fait bizarre.

Si je lui disais que je suis le portrait craché de mon père physiquement, elle trouverait ça encore plus bizarre. Tout le long du chemin, je me demande comment me présenter à sa mère. Un ami potentiel, OK. Déclarer que je ne serai là que quelques mois, trouver une astuce... qu'elle ne se fasse pas des plans sur la comète non plus. Mais est-ce la seule chose qui me gêne ? Non... Ce n'est pas que la mère de Léo, c'est aussi l'épouse d'Néos. Mon père l'a-t-il déjà vue ? Si elle ne sait rien de nous, comment a-t-elle considéré son mari ? Pénétrer ainsi dans l'intimité de la famille d'Néos a quelque chose d'étrange. Je suis intrigué et embarrassé à la fois. Tout à coup, je constate que Léonie a une mine très sérieuse. Je ne la lui ai jamais vue. Elle prend les choses à cœur, mais le sang-froid dont elle fait preuve, comme si présenter son maitre d'apprentissage sous couverture était trois fois rien, lui sera bien utile.

Nous arrivons devant la demeure de sa mère. Dire qu'hier, je survolais celle de son père, si loin d'ici. Quand on entre, je ne peux m'empêcher de balader mes yeux partout.

-Eh, mamaaaan ! Devine avec qui je revieeeens ?

Gloups ! C'est le moment, c'est l'instant. J'espère que je serai à la hauteur. Inutile de rendre la mission plus difficile encore.


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