Chapitre 2 : Volont-air (fin)
Elle ne croit pas si bien dire... Ca la met d'assez bonne humeur. Plus j'y songe, plus j'ai envie de lui demander conseil. Mais si je lui parle des Anémois, elle va sans doute me prendre pour une dingue, comme moi avec Kaï. Si elle savait pour mon père, j'imagine qu'elle m'en aurait déjà touché un mot. Mais justement... il n'y a pas que moi que ma décision affectera. Elle fait si mal son deuil de leur relation. Je ne sais même pas ce que je pourrais bien apprendre sur lui. Il peut être aussi bien prisonnier qu'en train de vivre une vie tranquille avec des petits mômes sur Aéris... Je ne peux pas décider d'une telle chose sans en parler avec elle. Avant cela, c'est elle qui m'aborde avec un grand sérieux, à table.
— Ma chérie, tu sais, ça m'inquiète beaucoup que tu n'aies pas de relations solides avec des gens de ton âge. Imagine, si demain j'ai un accident, chez qui iras-tu te réfugier ? Qui te soutiendra ? Mes parents ne sont plus là, et je n'ai jamais connu de parents du côté de... de ton père, achève-t-elle dans un soupir. Promets-moi de faire de bons choix à ce sujet, s'il te plaît. Je vais avoir cinquante ans cette année, et ton avenir me tracasse. Si ce jeune homme te plaît, ne freine pas parce que tu as peur de... vivre ce que j'ai vécu. Je ne suis pas dupe, Léo. Je sais que je ne t'ai pas offert le meilleur des cadres de vie. J'en suis désolée.
Elle vide son verre de vin, ses larmes au coin des yeux me peinent et je dois sauter sur l'occasion, tant que le sujet est sur la table.
— Maman... si j'avais la possibilité d'en savoir plus sur cet homme qui t'a quittée... est-ce que tu crois que je devrais la saisir aussi ? Peut-être est-ce mieux de ne pas creuser toute cette histoire et de continuer une bonne fois sans lui. Non ? Je... j'arrive pas à savoir ce que je choisirais, si j'étais devant ce choix.
Surprise par mon air dépité, elle coupe son début de hoquet. Je suis suspendue à ses lèvres encore un peu tremblantes. Chaque fois que je vois sa tristesse, c'est vrai que je me remplis de peur de l'inconnu. Je l'imagine vivre avec innocence et naïveté jusqu'à ce jour où il lui a planté un couteau dans le cœur, en brillant par son absence. J'ai peur pour mes propres innocence et naïveté, peur qu'elles ne s'effondrent, peur de finir comme elle, tellement blessée. Je suis déjà blessée. Une mère qui pleure, ça heurte toujours.
— Je... Je ne m'attendais pas à cette question, je ne me suis jamais dit que... tu chercherais à en savoir plus, tu... tu refuses même que je te dise son nom ! Mais tu sais, quand on vieillit, on se rend compte qu'il vaut mieux affronter les vérités en face que poursuivre dans le déni ou le mensonge, un jour ça nous retombe dessus d'une façon ou d'une autre. Le manque revient, il crée un vide, et même si tu mets un rideau dessus pour ne pas le voir, il est là, tu le sens. Mais il faut aussi s'y préparer mentalement, émotionnellement... Moi, je ne sais pas comment je serais, s'il revenait s'expliquer, par exemple. Je crois que je ne supporterais pas, pas tout de suite. Il faut y aller doucement. Tu comprends ? Et être sûre de toi.
C'est vrai, elle ne le supporterait pas, moi non plus... D'ailleurs, je vais arrêter de parler de lui aujourd'hui, j'ai eu ma dose, tout mon mental est épuisé et la vague de fatigue commence à se consolider dans mon corps. Je pense qu'elle veut tourner la page sans trouver le coin du livre, et je ne l'y aide pas vraiment. Elle ne dira rien de plus.
— OK. Merci, 'man, soufflé-je, plongée dans mes réflexions.
Le soir, dans la chambre, je reste sur mon lit, la fenêtre close. J'ai besoin d'être vraiment certaine d'être seule, face à moi-même. Mes yeux fixent le plafond, en silence. Le bruit n'existe plus que dans ma tête. Si je le revois, cet homme, je fais quoi ? Je lui mets une baffe ? Je l'écoute ? Puis-je être prête ? A côté de ça, ces pouvoirs dont Kaï m'a fait une démonstration ont vraiment l'air trop cool. Et même si je devais bouger jusqu'à son monde étrange, là... Aéris... Je ne regretterais rien. Du moins, si ma mère est capable de l'accepter. Elle veut carrément que je drague Kaï, non mais n'importe quoi ! Il est juste là pour passer son espèce de « permis d'enseigner à des humains incompétents ». Comme moi. Si je deviens une Anémoi capable de maitriser ma force, des tas de possibilités s'offrent à moi pour sortir de ce quotidien chiant. Et puis, ce monde m'intrigue. Même si mon père a fait le con, qui sait, j'y ai peut-être des cousins ? Des grands-parents ? Eux n'ont rien à voir là-dedans. Mais donner corps à ce qui a gâché ma vie reste un risque de perdre la raison. Et maintenant, je sais au moins que ma mère ne serait pas triste d'être seule, mais heureuse pour moi. C'est de rester ici seule avec elle, sans rien construire, qui la rend triste.
Je suis encore moins attentive le lendemain, en classe. Mon esprit est ailleurs. Mes yeux regardent sans rien voir. J'entends plus que je n'écoute, je dis mais je ne parle pas vraiment aux gens. Ils deviennent un autre monde, pour moi qui pensais devoir survivre dans cet univers, à défaut qu'il y en ait un second. Pourtant, Kaï n'est pas revenu. Même lorsque j'ai fait le chemin de l'école à chez moi, j'étais seule. Ce calme a prouvé à quel point il avait pu se montrer persuasif avec les trois caïds. Mais où est-il ?
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