Chapitre 1 : Myst-air (fin)

Il se gratte le menton, songeur.

— Hmm par quoi commencer ? D'abord, j'aimerais avoir un aperçu de ton degré d'ignorance, est-ce que tu es au courant de l'existence des Anémois ?

— Non.

Il soupire en roulant des yeux. Visiblement, il ne s'attendait pas à devoir m'expliquer ça. D'abord, je n'insiste pas. À vrai dire, je m'en fiche pas mal, de ce qu'il est. J'aimerais qu'on clôture ce chapitre et qu'il s'en aille, surtout. Seulement, monsieur aussi joue au roi du silence. Je tente une proposition, parce qu'il m'énerve.

— Vous êtes quoi, des êtres mystiques ?

Il se détend en ricanant. Vas-y, fous-toi de ma gueule, sale prétentieux.

— Je t'ai dit, on est une race humaine à part. Tu es une Anémoi, toi aussi.

— N'importe quoi, rétorqué-je aussitôt en me laissant tomber sur ma couette. Je ne peux pas disparaitre comme toi en un claquement de doigt.

Il a le sourire de celui qui explique à un petit gamin combien font deux plus deux, son indulgence de grand manitou m'exaspère.

— Je ne disparais pas. Pas vraiment. Je me départicule.

— Encore tes délires de particules...

— Mais nous sommes ainsi, Léo ! TOUT est particule autour de nous, notre monde est un ensemble de particules qui se font et se défont. T'as raté tes examens de chimie ou quoi ?

Mon petit « grrr » l'empêche d'insister sur sa moquerie. Mais il reprend quand même ses réponses farfelues.

— De toute façon, je te ferai reprendre nos cours de sciences à zéro, ne serait-ce que la base de notre biologie. Et tu pourras un jour faire comme moi, c'est sûr. Si tu veux bien m'écouter et faire ce que je te dis.

Spontanément, j'échappe une exclamation cynique.

— Ah ben bien sûr, je vais obéir à un parfait inconnu, dis donc, tu as grandi où, toi, pour si peu maitriser les relations humaines ? Clairement, les Anémois ont pas les mêmes codes qu'ici pour décider de qui peut donner des ordres à qui. Y a rien qui justifie ton autorité sur moi, je t'obéirai pas.

— J'ai vécu toute ma vie à Aéris, je ne suis allé que quelques fois passer des vacances parmi les humains, alors peut-être que c'est un peu différent parce qu'on est moins nombreux, qu'on se connait à peu près tous et que nos rôles sont assez cadrés... Je t'accorde ce point. Mais tu n'as pas envie de... vivre autre chose et voir un peu du monde ? C'est pas juste un apprentissage, en plus, c'est... je sais pas comment te le formuler, c'est... c'est une grande part de toi. Tu ne peux pas être toi-même en me disant que t'as pas envie de développer tes capacités. Que tu le veuilles ou non, tu es une Anémoi.

Il est borné, non mais comment lui faire comprendre que je m'en fous ? Je vais entrouvrir la fenêtre sans lui répondre, puis reviens me glisser sous ma couette. Si là, le message n'est pas clair, c'est qu'on vit vraiment pas sur la même planète !

— Tu te trompes de personne, grommelé-je. Va prendre quelqu'un d'autre pour ta mission. Je suis pas comme toi.

— OK. Donc, tu n'as jamais eu une partie de ton corps qui se volatilisait une ou deux secondes, lors d'un choc violent ? Genre... quand t'éternuais ou que tu as manqué de te prendre un sapin à vélo ?

Je lui jette un regard suspicieux : ils sont vachement bien renseignés... j'ai chaque fois cru à une hallu, et je ne me souviens plus bien de cette chute à vélo. J'ai pensé que je l'avais évité de peu et avais atterri rapidement dans l'herbe, sans me blesser, alors que le vélo avait percuté le tronc dans un grand fracas. Kaï continue sa litanie, ça ne fait que confirmer ce qu'il pense... mais sérieusement, moi, un être magique ? Et ça viendrait de mon père ? C'est terrifiant. Trop de terrains inconnus où je ne veux pas me risquer. Et puis, qu'est-ce que ça peut leur foutre que je les rejoigne ou pas ? Qu'on vienne pas me parler de prophéties et tout, je ne suis pas quelqu'un qui peut changer le monde.

— Je t'ai observée. Tu te jettes dehors en pleine tempête pour te sentir mieux. Tu aimes le vent. Ce n'est pas anodin. Le vent est ton meilleur allié, c'est lui qui charrie et pousse, façonne les particules du monde. C'est la seule chose inconsistante, avec l'univers. Les Anémois tirent leurs noms de la Grèce Antique, l'anem est ce qui nous différencie des humains. Anemos signifiait vent. Dans chacune des cellules qui te composent, il y a l'anem. Je suis là parce que tu as besoin d'un maitre pour te faire maitriser l'anem. On m'a désigné pour venir auprès de toi et te prendre comme apprentie. Tu vois, c'est ça, ma mission.

J'assimile toutes ces informations. Il a l'air parfaitement convaincu de ce qu'il dit. Après tout, que sais-je de ma génétique ? Si mon père est parti sans jamais montrer son pouvoir à ma mère, cela reste possible. Mais ce n'est pas clair.

— Pourquoi avoir attendu si longtemps, alors ? J'ai dix-neuf ans quoi, c'est pas un peu tard pour venir développer mes capacités, si j'en ai tant que ça ?

Il lève un doigt approbateur.

— Bonne question ! Je pense qu'ils n'étaient pas sûrs que tu aies ce qu'il faut, et ils attendent toujours la maturation physique pour entamer des entrainements, lorsqu'une personne n'est qu'à moitié Anémoi. Ta mère est bien humaine. Ce qui rend la tâche difficile, mais c'est mon boulot d'y parvenir.

J'en ai marre. Je suis en train de rêver totalement, je veux dormir, toutes ces idées tordues me filent le mal de crâne. Je tente un truc pour lui faire enfin comprendre à quel point je veux qu'on me laisse tranquille. Moi aussi, le relationnel, c'est pas mon trip. Mon orgueil prend un coup d'admettre ses propos, mais vaut mieux ça que poursuivre cette conversation farfelue.

— Je cours parce que j'aime bien sentir le vent sur moi et qu'il efface ce qui m'entoure, quand je vais assez vite, avoué-je sincèrement. Maintenant que t'as ta réponse, tu peux y aller.

Il se redresse dans un soupir las. Discussion close, le message vient enfin de passer.

— On ne peut jamais effacer les choses pour de bon, Léo. Il reste toujours une trace de ce qui s'est produit, en nous. On se reverra bientôt.

— Ouais. C'est ça. Bonne nuit.

Il hoche sa tête dépitée, puis s'évapore une fois de plus. Je ne sais même pas s'il est bien parti ou toujours là. Ça me stresse tellement que j'en dors presque pas de la nuit. 

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