Les choses anciennes sont passées; voici, toutes choses sont devenues nouvelles

Le 28 août 1718 était un dimanche. Toute la maisonnée se prépara donc pour l'office, négligeant la collation du matin à cause du jeûne eucharistique. Quand les cloches se mirent à sonner, la voiture du marquis attendait devant la porte pour conduire ces messieurs à la cathédrale. Les trois hommes montèrent, les deux jeunes faisant face au barbon, et Per monta avec le cocher. Il ne fallut pas longtemps pour atteindre la cathédrale, s'élevant fièrement près des portes Mordelaises. Construite en granit dans un style classique, son entrée monumentale est encadrée par deux tours rectangulaires à colonnes de 5 étages et par un vitrail d'une taille impressionnante. Mais seul Le Faldec s'arrêta pour admirer l'édifice, les autres y pénétrèrent sans même lui accorder un regard. Il faut dire qu'ils la connaissaient déjà et que la chaleur était étouffante malgré l'heure matinale.

La messe finie, ils sortirent et avant de repartir dans la voiture aux armes du marquis, ils discutèrent avec les autres paroissiens. Marc'heg détonait dans ce tourbillon de chapeaux noirs et de dentelles blanches, portant fièrement sa perruque il s'attirait les regards à la fois moqueurs et charitables des bretons plus traditionnels. Notre ami n'arrêtait pas son particularisme à sa coiffe, son vêtement depuis longtemps passé de mode ne lui permettait même pas d'être confondu avec un parlementaire, mais apprécié par ses voisins, personne n'osait lui en vouloir de préférer la vêture étrangère, comprendre française, d'un siècle désormais résolu. Mais une rumeur détourna l'attention des badauds, rumeur qui se faisait grandissante et inquiète. Peu habitué à prêter oreille à ce genre de bruit, le marquis fut bien obligé quand son neveu vint vers lui la face décomposée :

« - Mon oncle, c'est horrible, le duc de Maine s'est fait retirer son rang de prince légitimé ! [1] On lui retire aussi la gouvernance de l'éducation du Roy ! »

Fronçant les sourcils, l'intéressé se demanda à quel point il pouvait et devait croire ce conte. Les fausses nouvelles n'étaient pas rare, et il lui semblait inconcevable que le Régent ait pu désobéir à ce point à la mémoire du feu Roy. Pourtant il avait déjà convaincu le Parlement de le faire en obtenant la Régence et le commandement des armées de la maison du Roy, ce dernier avait pourtant été dévolu au duc de Maine par le testament de Louis XIV. Maintenant inquiet, il se mit à la recherche de la source dans le secret espoir, bien que faible, que ce ne soit qu'une rumeur sans fondement. Il la trouva en la forme d'un jeune messager poussiéreux et puant la sueur qui s'entretenait avec des parlementaires visiblement agités :

« -Vendredi 26 le Régent a organisé un lit de justice aux Tuileries. Il l'a fait dans le secret, personne n'était au courant, pas même le Roy ! Là s'est rassemblé le conseil de Régence, les deux bâtards royaux étaient là mais comprenant que cela les concernait, et pas en bien, ils sortirent mais furent obligés de rester au palais pour ne pas lever des troupes fidèles. Alors le conseil les a réduits à leur rang de duc et pair, sauf le comte de Toulouse par égard à ses qualités. Monsieur le duc a alors exigé la gouvernance de l'éducation du Roy, arguant que le maréchal de Villeroy ne pouvait pas être sous les ordres du duc de Maine car le duché-pairie de ce dernier est plus récent que celui du maréchal. Le Régent a accepté, le Parlement a bien tenté une marche sur le palais mais le peuple n'a pas suivi ! Pire, Messieurs Blamont, Saint-Martin et Feuydeau de Calendes ont été arrêtés dans la nuit qui suivit ! »

Des cris horrifiés accompagnèrent cette dernière annonce, la solidarité entre les magistrats poussait à la compassion, et les bretons craignaient les mêmes désagréments que leurs collègues parisiens. Mais le marquis ne resta pas là pour admirer toute l'étendue de leur charité, et il remonta dans la voiture en fulminant contre ce débauché d'Orléans. Voyant la colère de leur oncle, les neveux observèrent un silence stratégique, au grand dam de Per qui n'avait rien compris.

Ils revinrent à la maison de la rue Tristin et le marquis s'enferma dans son bureau qui lui servait accessoirement de chambre. Les deux cousins et Pierre s'assirent autour de la table de la bibliothèque, sans trop savoir comment réagir. Le chevalier sans saisir toute l'étendue de la nouvelle comprenait qu'elle risquait de compromettre son voyage voire sa carrière. Charles était partagé, il appréciait la cuisine gratuite dont il profitait ici, mais son désir de liberté lui faisait craindre un report de ses rêves américains. Enfin le dernier commençait à se demander si le plus dangereux à Paris n'était pas l'orgueil des grands plutôt que l'indigence des petits. Finalement Marc'heg revint vers eux, anxieux et nerveux.

« - Il nous faut reporter notre voyage, je suis très inquiet sur l'issue de cette affaire. La dernière fois qu'un régent s'est attaqué aussi brutalement au parlement de Paris ce fut la guerre civile : la Fronde. Se serait suicidaire de se jeter dans la capitale dans une telle ambiance. Surtout que je doute que la duchesse se laisse ainsi bafouer ainsi sans réagir, c'est une Condé après tout et elle en a tout l'orgueil... De plus il n'est sans doute pas très prudent de venir se faire recommander maintenant, Dieu seul sait où s'arrêtera la haine du Régent. Attendons les événements, c'est le plus sage à faire, attendre. »

Sur ces dernières paroles on apporta une nappe blanche et le service en porcelaine. Il y avait quatre couverts, notre paysan se sentit flatté d'être convié à cette noble table. S'il n'était pas choquant de voir des roturiers à la table des nobles pour des repas plutôt intimes, nombreux pourtant était ceux qui refusait de mêler leur sang bleu avec du sang plus commun, surtout dans la capitale. En Bretagne, la noblesse plus modeste, à tout point de vue, c'était un peu plus commun, mais néanmoins valorisant. On s'installa, le barbon au bout de la table, encadré de ses neveux et le nabot à gauche de Yann. Le déjeuner fut morne, malgré la saveur des nombreux plats que comportait le service à la française. La chaleur se faisait de plus en plus forte, et elle le contraignit à se reposer, attendant la fraicheur de la soirée pour revivre. Charles s'effondra dans son lit et somnola, ses rêves troublés par les visages austères de ses ancêtres qui le tourmentaient.

Il fut soudain réveillé par un bruit de lames qui s'entrechoquaient. S'asseyant sur son lit, il maugréa contre la cuisine trop grasse, puisqu'elle lui faisait faire des cauchemars et écouta plus attentivement. Le même bruit retentit. Il descendit, sa curiosité éveillée, et entra dans la salle à manger. Cette dernière était rarement utilisée, le marquis recevant peu ou dans sa bibliothèque, lieu plus convivial. Maintenant, cette salle où les meubles avaient été enlevés servait de salle d'entrainement. Il assistait à l'assaut entre l'oncle et le neveu. Ce dernier se défendait bien, sa technique était plutôt bonne mais son style manquait de fluidité. Son oncle lui avait gardé la fougue de sa jeunesse, mais la souplesse l'avait quitté depuis bien des années et sa vitesse s'était émoussé ! Per quant à lui regardait avec une certaine admiration ces lames qui virevoltaient élégamment. Il suivait la mouche des yeux, cherchant à saisir sa trajectoire et d'en deviner la suite. L'assaut se termina enfin, Marc'heg laissa une ouverture, une invite, sur son flanc gauche permettant à son neveu d'y porter son attaque. Mais le barbon para et contrattaqua, le touchant en plein cœur. Les spectateurs applaudirent pendant que les deux adversaires se saluaient. Le chevalier se retourna et vit que son cousin s'était réveillé.

« - Cousin ! Voulez-vous tirez avec moi ? »

De mauvais gré, Dizlac'h prit une épée sur le présentoir et prit la place de son oncle. Ce dernier se plaça près de Per, suant à cause de l'effort et de la chaleur.

« - Comment trouves-tu l'escrime ?

« - Fascinante, peut-être pas très utile face à un mousquet mais très élégante ! »

Les deux adversaires se saluèrent et se mirent en garde en sixte. Pour tous ceux qui comme Pierre ne connaissent de l'escrime que l'élégance, laissons les explications au marquis :

« - Voici la garde, la position si tu préfères, à la mode. La paume vers le haut et l'épée dirigée vers le dessus, la partie haute du corps défendu par le fer. Charles fait une passe avant, » Il venait de faire passer son pied arrière à l'avant, son adversaire recula rapidement, « Il rompe, et fait un battement » un coup sec vint conclure la phrase. Yann fit un mouvement circulaire, un moulinet d'après notre commentateur, suivit d'une rapide attaque d'estoc. Parée facilement, elle céda à une riposte qui obligea le chevalier à reculer. Restant sur sa dynamique le marquis se fendit et toucha son adversaire. L'assaut avait été court, mais le vainqueur n'appréciant qu'assez peu l'exercice allait au plus rapide sans se préoccuper de la beauté d'un sport qui l'ennuyait. Ils se saluèrent derechef, mettant fin à l'entrainement du jour.

« Les choses anciennes sont passées ; voici, toutes choses sont devenues nouvelles. »
2 Corinthiens 5:17

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[1] Auparavant, ils étaient juste en dessous des princes de sang mais au-dessus des ducs et pairs.

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