Gardez bien le sel en vous, et soyez en paix les uns avec les autres.
Ils partirent de Dreux , impatients d'en finir avec ce voyage qui tirait sur leur bourse et leur moral. Cette fois-ci, c'était le barbon qui accompagnait le nabot à l'avant-garde. Il aimait prendre la tête, se sentant alors plus jeune mais aujourd'hui, il voulait surtout réfléchir à la fin de leur voyage. Deux choix s'offraient à eux, continuer vers Paris et s'y arrêter pour y prendre le pouls de la capitale ou bifurquer vers Sceaux pour aller directement chez le duc du Maine. La première option avait comme défauts de faire perdre du temps et de risquer de froisser la duchesse en ne la plaçant pas au sommet de leurs priorités. Mais la seconde était dangereuse si la disgrâce s'était aggravée, car non contente d'entraîner le duc et la duchesse du Maine, elle détruirait tous ceux qui se seraient attachés à eux. Il voulait donc profiter de cette chevauchée pour discerner la solution la plus sûre. Tout le monde savait que cette question le tourmentait, et ils se gardaient bien de l'interrompre, craignant son caractère. Faldec'h s'ennuyait donc n'osant adresser la parole à son compagnon, et n'ayant pas encore dépassé le stade où l'on parle à son cheval. Pire encore, il n'osait profiter de sa fiole, le regard réprobateur du marquis lui enlevait toute sa saveur. Pour se divertir, il pensa au reste du trajet qu'ils leur restaient mais il le regretta vite, Paris étant encore loin, beaucoup trop loin. La lassitude le reprit et l'idée même de monter Malloruz pendant de longues heures faisait mal à son séant. On aurait pu penser que l'approche du but de leur voyage lui aurait fait oublier le reste, mais pour lui Paris n'était qu'une Rennes en plus grand et n'avait donc d'intérêt que pour le rendre riche. Il sombra donc dans un rêve plein de faste et d'éclat.
Ils étaient dans une forêt depuis maintenant une heure, et leur attention était totalement émoussé. Per n'en avait pas moins son fusil sur les genoux, même si ses pensements ne correspondaient pas spécialement à cette ambiance. Lorsqu'ils avaient pénétré dans les bois, les avertissements du guet de Dreux leur étaient devenus bien plus concrets. Les gendarmes de la province combattaient depuis des mois des bandes de malfrats qui pullulaient. Mais malgré les questions du marquis, il fut impossible d'obtenir quoi que ce soit de plus que de vagues explications. Cette inquiétude pourtant légitime s'était maintenant éteinte depuis longtemps, elle se ralluma cependant quand les fourrés se mirent à branler. Sorti de ses réflexions, le marquis tira sa lame en silence, la plaçant le long de sa jambe pour la dissimuler, et plongea sa main dans les fontes, le tout sans le moindre geste brusque, les chevaux gardant la même allure. Le marquis se félicitait d'avoir enfilé son plastron, armure qu'il maudissait quelques instants auparavant à cause de l'atmosphère lourde qui pesait autour d'eux. Les deux hommes surveillèrent les alentours cette fois-ci avec beaucoup plus d'attention. La touffeur de l'air rendait immobile la végétation alentour, et d'autant plus suspects les buissons. Un frisson parcourut une aubépine sur leur droite, un peu en avant. D'un léger coup de talon, Marc'heg porta sa monture vers le bruit. Le fourré s'immobilisa instantanément, mais il était trop tard pour lui. D'un large revers il coupa le haut du fourré et le visa de son pistolet :
« - Sortez à découvert ! Sinon votre ami aura la cervelle brûlée ! »
Le silence lui répondit, et le nabot craignit que ce ne soit que leur imagination qui ait transformé un quelconque animal en brigand sanguinaire. La situation en deviendrait très gênante, et de son point de vue, elle l'était déjà. Le marquis tira le chien de son arme pour donner plus de poids à ses arguments. Ces derniers finirent par convaincre deux hommes qui sortirent des bois, armés l'un d'un bâton et l'autre d'une lame mal affutée, et visiblement assez mécontents d'être ainsi découverts. Outre leur air malengroin, ils semblaient pauvres d'après les haillons qu'ils portaient, et leur barbe naissante montrait qu'ils avaient quitté leur chacunière depuis des jours. Satisfait de son examen, il les laissa sous la menace du nain et de son pistolet pour faire sortir le dernier du fourré décapité. C'était un très jeune homme, à peine sorti de l'enfance et très inquiet de se voir ainsi menacé. Dans sa précipitation, il avait gardé outre un couteau, un sac lourd et bien rempli s'attirant les foudres de ses aînés. Pierre fut le premier à comprendre, ayant sans doute fait lui-même ce métier. Il se détendit et reposa son arme, laissant le marquis quelque peu interloqué de ce manque de prudence.
« - Monsieur, il n'y a rien à craindre d'eux. Ce sont des faux-saulniers, des contrebandiers du sel pour éviter la gabelle ! »
Il montrait de sa main le paquet plein de sel que tenait le gamin et que ce dernier n'avait pas eu la présence d'esprit de cacher. Encore méfiant, le marquis se décida néanmoins à baisser son arme pour montrer sa bonne volonté. Le garçon se réfugia derrière les deux hommes, ces derniers se demandèrent si cela signifiait qu'ils pouvaient s'en aller. A ce sujet, le marquis était indécis. N'ayant qu'une connaissance que limitée dans le domaine des contrebandiers. Il faut dire qu'en Bretagne ce phénomène était rare, et c'est un euphémisme car la gabelle n'existe tout bonnement pas dans cette province. Du reste, pendant ses campagnes loin de sa province, il n'avait pas pris la peine de s'intéresser à ce phénomène. Marc'heg regarda donc son compagnon, cherchant un conseil. Ce dernier le comprit ainsi :
« - Laissons les partir, ils ne sont pas dangereux. Pour nous du moins ! »
Les autres n'attendirent pas la résolution du barbon et disparurent dans les ombres. Le marquis avait dégainé, mais plus par habitude que pour les abattre. Un peu vexé de s'être vu ignoré par des petits hors-la-loi. Il se peut aussi que l'arrivée de la voiture ait eu sa part dans leur fuite précipitée. Le coche avait ralenti en les voyant arrêtés sans raison apparente, le conducteur ne pouvant voir les trois hommes à l'ombre des arbres. Il venait maintenant de s'arrêter derrière leur avant-garde, et commençait à s'inquiéter sérieusement. Mais le marquis les rassura d'un mouvement de tête et repartit, suivi avec un temps de retard par le nabot puis la voiture. Après le galop et avoir repris leur souffle, il demanda :
« - Tu as dit « pas pour nous » tout à l'heure à propos des contrebandiers, pourquoi ?
« - Les faux-saulniers sont la plupart du temps des gars du pays, ils sont soutenus par toute la population locale qui les cache et protège. Ils ne tuent ni ne cambriolent qui que ce soit, sauf les gabelous qui cherchent à les arrêter. De plus ceux-là ne semblaient pas très dégourdis, faire leur métier en plein jour et si près de la route ! Il faut qu'ils soient stupides ou très pressés. »
Le barbon se demanda si son interlocuteur avait participé à ce genre de « métier » la gabelle étant un impôt si impopulaire que certains voyaient son contournement comme un devoir, un devoir rémunératif de surcroit. En tout cas, cette rencontre expliquait l'attitude étrange du guet, considérant que ces petits malfrats étaient dangereux, ce qui était certes vrai de leur point de vue, ils avaient mis en garde nos amis contre eux. Maintenant rassuré sur ce point, le marquis reprit sa réflexion interrompue.
Pendant ce temps dans la voiture, on s'ennuyait confortablement. Depuis le départ, les deux cousins n'avaient échangé que des banalités pour s'occuper. Dizlac'h avait bien tenté de trouver l'inspiration dans la nature environnante, mais les muses semblaient être restées en Bretagne. L'autre se demandait comment il serait reçu auprès du duc, puis dans son régiment. L'arrêt intempestif le sortit de ses inquiétudes et lui offrit un nouveau sujet de réflexion, et de conversation :
« - C'était étonnant cet arrêt...
« - Ils auraient trouvé quelque chose de suspect. »
Le silence plana de nouveau, Jean déçu du manque d'intérêt de son interlocuteur pour ses discussions porta son attention sur lui. Depuis leur première rencontre, il portait à son aîné une grande admiration due à sa volonté de défendre la mémoire de son père. Il s'essaya sur ce sujet :
« - Me permettez-vous une question indiscrète ?
« - Je mettrai de la discrétion pour deux. » répondit-il dans un sourire.
« - Comment comptez-vous défendre la mémoire de votre père ? »
Prit de court, il arqua ses sourcils qu'il avait bien dessinés. Sur le coup il avait oublié l'excuse qu'il avait donné à son oncle, mais son habitude du mensonge reprit le dessus et sans qu'il en eu l'air, il se rappela ce qu'il avait dit et prépara sa réponse.
« - Il y a des mauvaises langues pour oser affirmer » il marqua une pause artificielle comme s'il était dégoûté par ce qu'il allait prononcer, tournant la tête vers la fenêtre dans une mise en scène dramatique « que mon père était un libertin et un athée. Il n'a pas supporté ces infâmes accusations, la mort de ma mère l'a achevé. Il me faut laver son nom, et j'espère que le duc du Maine, qui est un homme d'honneur dit-on, m'y aidera. »
La fin de la phrase se voulait comme une conclusion, et ils se turent.
La route continuait comme auparavant, la forêt était moins épaisse, mais plus accidentée et on ralentit. Le soleil se faisait toujours plus chaud, et l'avant-garde regretta que les feuillages ne soient plus aussi touffus qu'auparavant. Et comble de désespoir pour le nabot, son compagnon s'obstinait dans un silence revêche. Il se mit donc à admirer la nature autour d'eux. Certaines feuilles commençaient à prendre une jolie teinte or, mais dans l'ensemble tout baignait dans un vert clair lumineux. On fit une pause près d'un petit ruisseau qui tombait en cascade d'eau pure, et on repartit une heure plus tard, le marquis en tête, ayant refusé de céder sa place d'éclaireur. A leur droite, le terrain se creusait de plus en plus, laissant supposer le travail millénaire d'un cours d'eau pour façonner la vallée. En plus des arbres, le relief de l'endroit rendait difficile le repérage de voleurs de grand chemin indélicats. L'avant-garde allait de virage en tournant pour vérifier que derrière ne se cachait rien d'autre que la terre de la voie, puis attendait d'être rejointe pour reprendre le même manège, les deux équipes ne se perdant jamais de vue. Au début Faldec'h ressentait une peur mêlée d'une certaine excitation à découvrir si la mort les attendait au tournant, mais l'exercice se répétant, il fut tout bonnement surpris de découvrir un tronc d'arbre à travers le chemin. Le marquis s'était laissé un peu distancer pour discuter avec le cocher, et notre ami se retrouvait donc seul, si ce n'est son fidèle fusil et sa gourde qu'il avait ressortis en l'absence de son compagnon, devant cet imprévu. De leur cachette sortit une petite dizaine de bandits, armés faiblement de tromblons, de fusils et de piques si ce n'est le chef qui arborait en plus d'un sourire édenté, un fort beau pistolet.
« Gardez bien le sel en vous, et soyez en paix les uns avec les autres.»
Marc 9:48.
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