Combien moins à un noble les paroles mensongères !
Per parti, les deux marquis se retrouvèrent seuls, au grand dam du plus jeune qui répugnait à avoir à entendre les discours du vieux barbon. Ce dernier semblait prendre plaisir à faire la morale à son neveu, le renvoyant toujours au chevalier son fils. Charles en avait conçu une immense jalousie pour ce cousin qui le surpassait en tout mais qu'il n'avait pourtant jamais vu. Parfois, il s'imaginait même que ce n'était qu'une immense fumisterie, que Peurvat n'avait jamais existé et que les histoires que lui racontait Marc'heg n'était que le fruit d'un esprit dérangé par les bigoteries et les patenôtres. Mais il y avait toujours quelqu'un pour lui rappeler son existence, et par là même tous les défauts du jeune homme. Mais ses appréhensions furent bientôt calmées, il y avait bien trois couverts sur la table en chêne : il manquait encore un invité. Invité qui arriva vite en la personne de Yann Galvaneg, chevalier de Fignant :
« - Mon neveu, » commença le marquis à Charles, « Voici le chevalier de Fignant votre cousin. C'est le fils de mon frère le baron d'Aluzan et de la baronne de la Foi. » Puis se tournant vers l'intéressé « Je vous présente le marquis de Lezyre, votre cousin issu de germain puisque petit-fils de mon oncle, le baron de Lezyre. »
Les deux cousins se saluèrent, se dévisageant l'un l'autre discrètement. Mais le doyen les fit s'asseoir de part et d'autre de lui, et ils purent reprendre leur enquête là où ils s'étaient arrêtés. Yann était un jeune homme de dix-sept ans, grand et bien décuplé. Il portait fièrement le nez droit si caractéristique de cette famille, ses longs cheveux noirs très légèrement ondulés lui tombaient sur les épaules en encadrant son visage encore enfantin mais qui déjà s'affinait. Le menton et le front s'affirmaient, laissant supposer un caractère opiniâtre, chose plutôt commune en cette province. Son costume d'un rouge foncé s'accordait avec ses yeux marrons, et contrastait avec son jabot bouffant d'un blanc éclatant.
Pendant ce temps, la servante apportait l'entrée et le vin dans un cruchon de cristal simplement taillé qui fut bientôt suivi d'un potage de légumes et de plusieurs maquereaux cuits au gros sel. En attaquant sa soupe, l'amphitryon ne manqua pas de lancer les hostilités contre son neveu.
« - Mon neveu, où vous rendez vous ainsi accompagné de cet homme ? »
L'intéressé avait prévu cette question, et il ne comptait évidemment pas dire la vérité. Comment expliquer à ce vieux soldat qu'il avait l'intention de faire fortune grâce aux mirages de la lointaine et légendaire Louisiane ? C'était difficile et promettait de subir une autre leçon à base de chevalerie, d'honneur et d'abnégation. Or notre ami détestait justement la difficulté :
« - J'ai l'intention de gagner la capitale pour défendre l'honneur de mon père. Per m'accompagne mais ne sais rien de ce désir, pour lui nous allons faire fortune grâce au système Law. »
Une lueur surprise passa dans les yeux du marquis, il ne s'attendait pas ça de son neveu. Il n'était d'ailleurs pas convaincu par cette explication, le père en question étant un libertin sans foi ni loi qui n'avait jamais eu d'honneur à défendre. De plus, ayant connu notre marquis lors de ces études à Rennes, il savait qu'il ne brillait pas par sa grandeur d'âme ou son courage dans le maniement de sa lame. Décidément, le prétexte était beau, mais peu probable. Et l'idée de faire fortune collait mieux à ce béjaune toujours la bourse vide. Cependant il ne dit rien de ses réflexions. Le chevalier lui ne connaissait pas et était donc à la fois admiratif et fier de ce cousin qui abandonnait sa tendre Bretagne pour un aussi noble dessein. Charles sentit ce sentiment, et en tira une sorte d'orgueil dans lequel flottait une pointe d'amertume, il lui sourit malgré tout sans rien laisser transparaitre. On apporta ensuite les entrées : pâtés de cerf et ragoût de sanglier au vin.
« - Le chevalier part lui aussi pour Paris vous pourrez faire le chemin ensemble. Ses parents me l'ont envoyé pour que je lui écrive une lettre de recommandation à Son Altesse le duc de Maine, qui s'occupe de l'éducation du Roy. J'avais servi sous ses ordres en Flandre. Avec ce sésame, il pourra entrer sans difficulté dans les troupes protégeant notre souverain. »
Yann s'inclina en direction de son oncle, le remerciant silencieusement des efforts qu'il faisait pour l'aider. On apportait maintenant le plat.
« - Il vous faudra faire attention là-bas, Paris n'est pas comme les autres villes, surtout celle de Bretagne ! Si les parisiens sont rebelles, ils sont surtout bavards et aussi agile de leur langue que de leur lame. Méfiez-vous aussi des commerçants, ils ne sont pas tous malins mais suffisamment pour vous soulager de vos deniers. Ne buvez jamais l'eau de la Seine, c'est un coup à attraper la peste ! » Notre ami ne brillait pas par sa médecine, mais le conseil n'en était pas moins pertinent, il but une gorgée de son gobelet pour chasser les relents olfactifs de ses souvenirs parisiens. « Enfin Paris est politique, la ville se partage entre deux partis : celui du Régent et celui de la duchesse de Maintenon. Le duc de Maine est la figure de proue de ce dernier parti, la duchesse était sa nourrice et c'est elle qui s'est battue pour obtenir du défunt Roy tous ses avantages. Depuis la mort de son père, il a beaucoup perdu mais il est encore puissant, et ses amis aussi. Surtout qu'il garde la charge de l'éducation du petit Louis ! »
Il fit une pause pour terminer l'assiette qui s'ennuyait de lui. Le silence s'installa, Charles était fatigué, mais il se réjouissait d'avoir dans ses bagages un cousin prêt à être aussi bien introduit auprès de l'un des plus grands du Royaume. Quant au chevalier, il était rassuré d'être accompagné dans ce monde hostile par son aîné. On apporta ensuite un plat d'agneau et un autre de bœuf. Aucun des deux neveux ne prit sur lui pour prendre la parole, leur oncle se fit donc un devoir, et une joie, de leur raconter ses aventures avec le duc du Maine. Enfin on arriva à la fin du repas, Dizlac'h avait bien profité des largesses de son hôte dans sa jeunesse et il était heureux d'y regoûter ; arrivèrent donc les fruits confits, les fromages et autres desserts.
« - Demain vous vous reposerez et vous partirez après-demain, le 29. Je vous montrerai la route qu'il vous faudra suivre avant votre départ. Bonne nuit mes neveux. »
Le barbon se leva, embrassa ses neveux et s'en alla vers sa chambre. Yann se tourna et lui dit de sa voix douce :
« - Mon cousin c'est un plaisir de faire ce voyage en votre compagnie ! »
Alors qu'il s'en allait, Charles s'aperçut en le regardant partir que c'était la première fois qu'il l'entendait de la soirée.
« Les paroles distinguées ne conviennent pas à un insensé ; combien moins à un noble les paroles mensongères ! »
Proverbes 17:7
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