Blessure pour blessure, meurtrissure pour meurtrissure

« - Pas si vite monsieur, pour passer il vous faudra payer un droit de passage. Choisissez, la bourse ou la vie ? »

Étrange spectacle de voir un gueux rançonner un autre gueux. On aurait dit une comédie, plutôt mauvaise d'ailleurs. Nous avions côté jardin des voleurs découvrant que leur victime ne leur rapporterait pas la peine qu'ils avaient eu à mettre l'arbre sur la voie, mais qui jouaient leur rôle malgré tout par conscience professionnelle. Etface à eux côté cour, notre ami, peu habitué à faire le spolié, qui se demandait si on ne pouvait pas rejouer la scène depuis le début. Des deux côtés on attendait quand un étrange cri d'oiseau résonna, rendant nerveux les malfrats. Se doutant qu'un de leurs congénères leur communiquait de bien mauvaises nouvelles, Per chercha à leur fausser compagnie. Abandonnant tout espoir de discrétion il tira dans la direction du chef en tournant la bride. Ce dernier eu le réflexe salutaire de se jeter à plat ventre, laissant à ses camarades le soin d'arroser le fuyard. Ce fut donc une pluie de clous et de pierraille qui vola vers le nabot, mais dans un galop frénétique, son cheval reprit le virage et fut abrité par la paroi rocheuse. Il n'eut pas besoin de dire quoi que ce soit, ses compagnons comprirent que la situation était délicate. Marc'heg ressortit son pistolet et son épée, imité par les deux conducteurs et les deux passagers.

« - Une embuscade, une dizaine d'hommes derrière un tronc d'arbre.

« - Leurs armes ?

« - Des vieux tromblons, deux ou trois fusils et un pistolet. »

Le marquis fit signe à ses neveux de venir les rejoindre et ils détachèrent deux chevaux de l'attelage. Une minute à peine après la retraite, les voyageurs contre-attaquaient. Ce plan ne se voulait pas subtil, il consistait simplement à charger pour faire s'éparpiller les bandits comme une nuée d'oiseaux. Ils se lancèrent au galop, prirent le tournant et furent sur leurs ennemis. On ne peut pas dire que ce fut une surprise pour ces derniers, la charge n'ayant pas été très discrète. Mais comme l'avait supposé le marquis, ils ne pouvaient pas grand-chose contre des hommes entrainés et décidés. Les coups partirent dans un bruit assourdissant, la poudre forma un nuage entre les deux camps, rapidement dissipé par le passage des cavaliers. Les jeunes étaient un peu désorientés, mais leurs chevaux suivirent celui du marquis et sautèrent par-dessus l'arbre. La panique s'empara des brigands, fuyant sous les coups d'épée des nobles et de l'éterpe du nabot. Ce dernier peinait d'ailleurs dans ce combat à cheval, et malgré le courage de sa monture, il se retrouva rapidement en mauvaise posture. Voyant cela, Marc'heg se porta à son secours, assommant du pommeau de son épée un malfrat un peu trop virulent. Il fut ainsi au niveau de son compagnon, laissant ses neveux se débattre avec succès contre les hors-la-loi. Voyant que son affaire tournait mal, le chef tenta de s'échapper, comptant sur ses hommes pour protéger sa fuite. Mais le bâton de notre ami, frappant l'un, continua sa route jusqu'au plexus du commandant. Le souffle coupé, assis bêtement sur le sol, son énervement déjà important atteignit son paroxysme et sans même daigner se relever, il rechargea son précieux pistolet et visa l'impudent. Ce dernier ne se doutait pas de cette menace, se demandant s'il n'eut pas mieux fait de démonter plutôt que de peiner ainsi. Il ne le remarqua que lorsque le marquis chargea la pointe en avant pour le sauver. L'épée s'enfonça dans le cœur, avant qu'il n'ait pu tirer. Mais dans un ultime sursaut, il sera le poing et le coup partit. Dans le fracas des armes, ce bruit retentit comme un orage dans les montagnes. Ce fut le signal de la déroute, les brigands se débandèrent sans demander leur reste, laissant deux morts en plus de leur chef, et peu des fuyards pouvaient se vanter de ne pas avoir reçu un souvenir de leur attaque. Côté cavalier, peu de dégâts. Des rayures sur leur armures, l'éterpe de Faldec'h brisée et le marquis s'en sortait avec une blessure dans le gras de la cuisse. Elle ne semblait pas grave, bien que douloureuse, et on le fit asseoir sur une pierre du bord du chemin. Fanch s'occupa de son maître, laissant les plus jeunes dégager la route de l'obstacle. Le majordome nettoya la blessure mais, dénué de toute connaissance médicinale, il ne put extraire la balle. Il fit un garrot et on le plaça dans la voiture. Dizlac'h le remplaça comme éclaireur, et on partit au galop. Ils laissèrent les cadavres sur place, sachant que les voleurs n'étaient pas partis bien loin et reviendraient vite pour offrir à leurs camarades des sépultures décentes.

Ils traversèrent sans s'arrêter le petit village de la Queue pour atteindre Gallius en toute fin d'après-midi. L'église Saint-Martin s'élevait au centre du village, ses teintes orangées lui donnaient un petit air de ville du sud de la Loire. Mais nos amis ne s'intéressèrent qu'assez peu à l'architecture du lieu, et Lezyre se précipita dans l'édifice sacré, espérant arriver pour la fin des vêpres. Ce fut d'ailleurs le cas, les fidèles sortaient pour discuter sur le parvis, formant un barrage mouvant entre l'homme et l'entrée. Finalement il réussit enfin à traverser la foule, sous le regard intrigué des uns, suspicieux des autres. Sans s'en préoccuper, il y pénétra enfin, et se mit à la recherche du prêtre. Il vit la fin de la procession et la suivit. Ils pénétrèrent dans la sacristie, remarquant pour la première fois ce nouveau paroissien. Le célébrant enleva ses habits sacerdotaux, avec une lenteur désespérante, puis se tourna vers l'individu nerveux qui trépignait devant la porte. Manifestement il n'était pas là pour une confession, il semblait mal à l'aise et impatient.

« - Bonjour mon fils.

« - Bonjour mon père, il faut que vous m'aidiez, mon oncle est blessé et a besoin de soins ! »

Le vieillard surpris rappela l'enfant de cœur qui sortait. Lui chuchota deux mots et le galopin partit en courant, laissant le marquis conduire le prêtre auprès de son oncle. Ils amenèrent ce dernier dans le presbytère, blanc comme la mort. Ses neveux le portèrent à l'intérieur et le posèrent sur une paillasse, bientôt rejoint par un chirurgien d'un certain âge. Les présents s'en émurent, ne doutant pas de ses qualités mais quelque peu circonspect sur leur état après des années sans les avoir pratiqués. Mais l'intéressé ne s'en préoccupa pas, faisant penser à Dizlac'h qu'il était sourd en plus d'être peut-être aveugle ; le vieillard s'approcha du blessé et commença son examen. Il est indéniable qu'il avait gardé les réflexes acquis lors des innombrables batailles, la plupart victorieuse mais non moins sanglante, qui constellèrent le règne du Grand Roy. Posant d'abord la main sur son front pour la fièvre, il écouta la respiration sous le regard curieux de Lezyre qui se demandait donc s'il entendait réellement quelque chose ou s'il faisait cela par force d'habitude. Enfin il inspecta la blessure, l'accompagnant d'une moue boudeuse devant le travail qui l'attendait. La blessure n'avait pas un bel aspect, large, profonde et propice à vider son patient de son sang. Sans quitter la blessure des yeux, il tendit sa main vers l'enfant de cœur qui lui remit une mallette de cuir en piètre état, ne présageant rien de bon sur ce qu'elle contenait. Heureusement pour le marquis, le nettoyage des instruments avait été consciencieux, le barbier hésita un instant ; se retournant vers les spectateurs, il demanda :

« - Qu'est-ce qui a causé cela ?

« - Une balle de pistolet, monsieur. »

Répondit Fanch. Un soupir accueillit cette nouvelle, il fallait au chirurgien qu'il retirât la balle. Une seconde de battement passa comme un siècle puis il se releva, enleva son pourpoint, remonta sa chemise et fit chasser la compagnie, ne gardant que le garçon comme assistant, le prêtre pour des possibles derniers sacrements et enfin Fanch qui refusait catégoriquement de laisser son maître, la menace d'un scalpel n'y faisant rien.

« - Il me faut du linge propre, de quoi le panser. »

Tel un vas-y-dire parisien, l'assistant s'échappa de la pièce pour revenir quelques minutes plus tard, se différenciant ainsi de ses semblables de la capitale beaucoup moins efficaces, avec du tissu en quantité. Le vieillard refit un garrot, arrachant une grimace au blessé et défit celui qu'avait fait le majordome. Il fit laver la blessure pendant qu'il préparait une étrange mixture, qu'il apporta bientôt satisfait. Marc'heg espéra de tout son cœur que ce fut l'anesthésie, ne désirant pas être charcuté à vif et cet espoir fut comblé. Lui faisant ingurgiter un mélange d'opium et d'alcool, notre ami s'abîma vite dans le sommeil, permettant aux choses de devenir plus sérieuses à défaut d'être plus propres. On épargnera au lecteur la boucherie qui suivit, mais il l'intéressera sans doute de savoir que la balle, ou du moins ce qui s'en apparentait, avait été retirée, la blessure recousue et recouverte d'un pansement. On laissa le marquis et le chirurgien se reposer, et c'est le prêtre qui annonça la bonne nouvelle, laissant Fanch surveiller son maître. L'abbé fit venir les neveux, le nabot et le cocher dans la salle à manger du presbytère et leur servit un repas frugal mais qui fut le bienvenu. Il en profita pour les éclairer :

« - Le marquis doit se reposer, la blessure semble bénigne à présent. » Soupir de soulagement des présents. « Seulement il ne faudra pas le laisser ici, si elle s'aggrave nous ne pourrons que lui offrir une place au cimetière. »

Cette déclaration fut suivie de regards allant de l'épouvante à une incompréhension totale et légitime.

« Je comprends que cela puisse vous sembler étrange, mais notre barbier est vieux et je crains qu'il ne reste des petits bouts du projectile que ses yeux n'ont pu voir. »

Sortant la balle de la boîte qu'il tenait cachée dans sa soutane, il la remit à Dizlac'h qui l'ouvrit. Elle dégagea une odeur âcre et découvrit des morceaux de plomb informes de toutes les tailles. La refermant, il la donna à son cousin et repoussa l'assiette devant lui, il n'avait décidément plus faim.

« Voyez comment elle est brisée, si vous allez à Paris comme je le crois, faîtes le examiner par un médecin. »

Les laissant réfléchir à tout ce qu'il leur avait dit, le prêtre sortit et se confondant avec les ombres du soir, se glissa dans l'église pour prier saint Jude, patron des causes désespérées.

« Blessure pour blessure, meurtrissure pour meurtrissure. »
Exode 21:25

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