Severus Rogue récupère sa baguette et se retourne, s'apprêtant à quitter pour deux mois sa salle de classe. Il traverse la pièce enténébrée mais n'a pas encore passé le seuil que les professeurs McGonagall et Dumbledore arrivent dans son bureau.

Sans préambule, le directeur de Poudlard entame la conversation :

— Severus, je vais reformer l'Ordre du Phénix. J'aimerais que tu en deviennes un membre à part entière. Je peux te faire confiance, n'est-ce pas ?

— Evidemment, Monsieur.

— Sirius Black en fait partie lui aussi, l'informe Minerva McGonagall.

Rogue émet un grognement contrarié. Il n'a aucune envie de travailler avec celui qui a rendu sa scolarité infernale. Mais il demeure de marbre et prend un ton innocent en demandant :

— Et alors ?

— Severus, je sais parfaitement que des tensions existaient entre vous et Black quand vous étiez étudiants à Poudlard.

— Cela appartient au passé, Minerva, sourit Albus. Alors, Severus, puis-je te faire confiance ?

« Cela appartient au passé », se répète mentalement Severus sans en penser le moindre mot. Il n'a rien oublié des actes commis par Black et Potter. Il ne leur a jamais pardonné. Mais face à Dumbledore, il ne peut que s'incliner.

— Vous savez bien que oui.

— Parfait. Allons donc...

Des bruits de pas provenant du couloir résonnent jusque dans la salle de classe déserte. Les trois professeurs tournent la tête, étonnés, et laissent entrer un Argus Rusard essoufflé, accompagné de sa chatte.

— Que se passe-t-il, Argus ? demande doucement Dumbledore.

— Laura Potter vous attend dans le grand hall, Monsieur le Directeur.

— Laura ? répète McGonagall, étonnée. Que vient-elle faire ici ? L'année est terminée, elle devrait...

— Elle veut vous voir, Professeur. Tous les trois.

McGonagall et Dumbledore échangent un regard circonspect et s'empressent de quitter la salle, laissant Rogue seul. Rusard lui jette un dernier coup d'œil avant de disparaître à son tour.

Laura, songe-t-il. Que vient-elle faire là ?

Elle ne fait pas partie des rares élèves qui restent à Poudlard pendant les vacances d'été et comme elle a terminé ses études, le maître des potions se demande vraiment ce qui la motive à revenir.

Rogue ne sait pas s'il a envie de monter et suivre ses collègues pour rencontrer la jeune femme ou rester là, en retrait, loin d'elle.

Depuis quelques mois, sa présence provoque en lui des sentiments qu'il tente de refouler voire de nier. Pendant ses premières années à Poudlard, pourtant, rien ne lui aurait permis de présager cela.

Laura, avec son visage ressemblant beaucoup à celui de sa mère, s'est rapidement démarquée des autres élèves, par son talent, son travail et son caractère bien trempé. Elle a toujours été la seule Gryffondor à oser tenir tête au directeur de Serpentard, au risque de perdre des points. Elle tient son audace, son arrogance et son impulsivité de son père. Et c'est justement cela qui n'a jamais plu à Rogue.

Un visage d'ange mais un caractère de démon.

Mais en grandissant, les ressemblances avec sa mère sont devenues plus flagrantes. A partir de sa Cinquième Année, en devenant Préfète, elle s'est assagie.

C'est justement depuis sa dernière année à Poudlard que de vieux sentiments enfouis en Severus commencent à remonter.

Et la voilà qui revient... que veut-elle ? Que manigance-t-elle ?

Le maître des potions émet un grognement à peine audible et rejoint ses collègues à pas rapides. Il traverse le couloir sombre et remonte les escaliers qui donnent sur le grand hall.

Quand il arrive, le professeur McGonagall salue chaleureusement la jeune femme, vêtue comme une simple Moldue.

Laura Potter tourne alors la tête et plonge ses yeux verts dans les siens. Rogue s'immobilise en sentant son ventre se nouer. La sorcière secoue la tête pour le saluer puis reporter son attention sur Dumbledore.

— J'ai eu les résultats de mes ASPIC, Monsieur.

— Je sais que vous avez été acceptée partout, dit Minerva, bravo !

— Et donc, vous ne pouvez pas vous empêcher de venir vous pavaner en venant faire votre Miss Parfaite ? commente Severus en s'avançant lentement. Heureusement que tous les étudiants ne sont pas comme vous...

Laura pivote vers lui, affiche un sourire railleur et lâche, ironique :

— Toujours aussi agréable, à ce que je vois.

Rogue se crispe, contrarié : quand elle se met à parler sur ce petit ton narquois, elle ressemble plus à James qu'à Lily. Et il déteste cela.

— Ceci dit, vous avez raison : je ne suis pas venue ici pour me « pavaner ».

Elle se retourne vers Dumbledore et déclare sombrement :

— J'ai été convoquée par le Ministre de la Magie en personne.

— Que s'est-il passé ?

— Il refuse de croire au retour de Voldemort.

Rogue grimace quand Laura prononce ce nom. Il ne se souvient que trop bien du moment où il l'avait rejoint, plusieurs heures après son retour. Il frémit mais se reprend rapidement.

— C'est une bien mauvaise nouvelle, Albus, confirme tristement Minerva.

— Ce n'est pas le pire, Professeur.

— Quoi donc ?

Laura se passe la langue sur les lèvres et murmure :

— Il a refusé que je passe les tests pour devenir Auror. J'ai pourtant obtenu les ASPIC nécessaires à cela. Je...

— Vous êtes trop sûre de vous, l'interrompt Rogue, agacé. Il va peut-être falloir admettre que vous n'avez pas les épaules pour...

— Severus, assez, ordonne fermement Dumbledore.

L'intéressé incline légèrement la tête et obéit. De toute façon, il sait très bien que ses piques n'ont aucun effet sur la jeune femme. Elle ne se laisse plus impressionner depuis sa Troisième Année. Et ne l'était que rarement avant. A croire que, comme pour son idiot de père, l'autorité lui glisse dessus sans l'atteindre.

Cet échec auprès du Ministre lui ouvrirait peut-être les yeux sur son arrogance et sa suffisance. Enfin, ce n'est pas gagné, puisqu'elle se trouve là, à pleurnicher devant le directeur de Poudlard.

— Vous croyez vraiment que je serai revenue ici sans une bonne raison ?

— Non. Parle, je t'en prie. Severus va se taire.

Le maître des potions se contient de décocher un regard acerbe au vieux sorcier. Minerva approuve d'un hochement de tête.

Laura prend une profonde inspiration et hésite à se jeter à l'eau. C'est la première fois que Rogue la voit ainsi et il ne sait pas si cela le réjouit ou l'ennui. Dès que les ignobles traits de caractère de son père disparaissent, il revoit en elle Lily. Et cela ne le laisse pas indifférent.

Enfin, Laura avoue dans un chuchotement à peine audible :

— Le Ministre était prêt à m'offrir un poste d'Auror... seulement, il y avait une condition. Une condition que je n'ai pas pu accepter.

— Quelle était cette condition ?

— Il voulait que je vous espionne pour son compte. Que je sois son agent au sein même de Poudlard. Le Ministre pense que vous soutenez le récit de mon frère au sujet du retour de Voldemort. Il n'a aucune confiance en vous.

L'horreur se peint sur le visage de McGonagall, tandis qu'Albus demeure de marbre. Rogue, quant à lui, fronce les sourcils et digère les informations dévoilées par Laura. Le directeur croise les bras et se retourne pour réfléchir. Il se passe une main dans la barbe.

Finalement, il déclare :

— Tu aurais dû accepter, Laura.

— Pardon ? répètent les trois autres personnes en chœur.

Rogue observe Dumbledore, sans comprendre. De toute évidence, McGonagall et Laura semblent aussi dans le flou.

— Pourquoi aurais-je dû accepter, Professeur ? Je perçois cela comme de la trahison. Vous m'avez tout appris ! Sans aucun de vous trois, je ne serai pas la sorcière que je suis ! Je ne vous renierai pas de...

— Je suis certain de ta loyauté envers Poudlard, Laura, sourit Dumbledore en se retournant.

— Alors pourquoi, Albus ? demande Minerva.

— Maintenant que Voldemort est de retour, et avec le Ministre contre nous, nous devons calculer chacun de nos coups. Avec Laura comme apprenti Auror choisie par le Ministre, nous aurions pu espionner nous aussi le Ministère.

Un sourire s'affiche sur le visage de la jeune femme.

— J'aurais été un agent double..., comprend-elle.

Rogue se retient de ricaner : elle, avec sa franchise légendaire et son manque de discrétion, un agent double ? Elle se ferait prendre en moins d'une semaine.

— Vous voulez que je gagne la confiance du Ministre, Professeur ?

— Tu peux essayer, oui. Mais ne retourne pas tout de suite auprès de lui, ce sera trop suspect. Tu devrais aller rassembler tes affaires et déménager...

— Professeur, je viens de me prendre un nouvel appartement et...

— Déménager au 12 Square Grimaud, à Londres.

— Pourquoi là-bas ?

— C'est le quartier général de l'Ordre du Phénix, répond Minerva.

— Je pense qu'il est temps pour toi d'en faire partie.

— L'Ordre du Phénix ?

— Une organisation qui regroupe les meilleurs sorciers pour lutter contre le Seigneur des Ténèbres, explique Severus d'un ton lent, encore faut-il que vous en fassiez partie...

Laura lève les yeux au ciel mais ne rétorque rien.

— Va récupérer tes affaires chez toi et rejoins-nous au 12 Square Grimaud. Le professeur Rogue va t'accompagner.

La tête déconfite de Severus suscite un bref rire moqueur de la part de la jeune femme. Pourquoi lui faire subir cela ? Laura peut se débrouiller toute seule pour récupérer des affaires ! Il n'a aucune envie de s'introduire chez elle ! Il veut juste rentrer chez lui et passer un été en paix... enfin, autant que cela est possible avec le retour du Seigneur des Ténèbres.

Dumbledore a-t-il oublié, de plus, ce que le Seigneur des Ténèbres lui a demandé de faire, le soir où il a été le retrouver ?

Severus ferme les yeux et se remémore cet entretien.

— Voldemort veut capturer Laura Potter ? répéta Albus, inquiet. Tu es sûr de toi, Severus ?

— Oui, Monsieur. Il m'a chargé personnellement de cette mission.

— Oui, parce que tu as été son professeur pendant sept ans, elle ne se méfiera pas de toi.

— Promettez-moi que vous ne la mettrez pas sur ma route : il faut que je reste crédible aux yeux du Seigneur des Ténèbres, si vous voulez que je continue à jouer mon rôle...

— Pourquoi Voldemort veut-il Laura ? le coupa Dumbledore.

— C'est une sorcière puissante, intelligente et talentueuse dans bien des domaines. Je pense qu'il veut faire d'elle un Mangemort.

Albus sourit sous ses lunettes en demi-lune. Severus leva un sourcil.

— C'est bien la première fois que je t'entends faire l'éloge de la fille de James Potter. Je suppose que sa grande ressemblance avec sa mère n'y est pas étrangère. Tu veux faire croire à tout le monde que tu la détestes, mais au fond, nous savons tous les deux que c'est faux...

— Ne lui dites jamais rien...

— Non, ce sera à toi de le faire.

— Quoi qu'il en soit, il faut la protéger. Je ne veux pas que le Seigneur des Ténèbres se serve d'elle... Elle est...

— Elle ? Elle est quoi ?

Severus réfléchit, mais ne savait pas quoi dire. Devant le regard insistant du vieil homme, il trouva une banalité à déclarer :

— Trop puissante, termina Rogue.

— Professeur Rogue ? l'appelle une voix féminine.

Severus s'ébroue mentalement et baisse les yeux vers Laura, qui se plante devant lui et le dévisage avec son sourire suffisant.

— Je vous attendrai Square Grimaud, dans une heure, prévient Dumbledore. Ne perdez pas de temps.

— Entendu, nous sommes partis ! s'exclame Laura.

Et elle part sans l'attendre. Après avoir échangé un regard appuyé avec le directeur de Poudlard, Rogue s'empresse de suivre la jeune femme. Quel plan traverse la tête de Dumbledore ? Il sait très bien que le Seigneur des Ténèbres veut capturer Laura et qu'il l'a chargé de cette mission. Pourquoi n'a-t-il pas envoyé le professeur McGonagall pour l'escorter ?

Ce n'est pas comme si elle avait besoin de protection, en plus...

Le maître des potions rattrape rapidement la jeune femme. Tous deux remontent la grande allée de Poudlard jusqu'au portail sans échanger le moindre mot. Il ne sait pas quoi lui dire et de toute évidence, elle non plus. Il l'a connu plus bavarde que cela, notamment pendant ses propres cours.

Rogue profite du silence de Laura pour essayer de se concentrer. Ne pas se laisser distraire par ce qui est en train de ressurgir en lui.

Une fois parvenu aux grilles, Laura s'arrête. Severus en fait autant.

— Je suppose que je vais devoir vous montrer le chemin, déclare-t-elle.

— Effectivement.

A contrecœur, Rogue lui tend son bras gauche. Laura s'en saisit non sans un petit sourire et transplane.

Ils réapparaissent l'instant d'après dans une rue calme d'un paisible village de campagne. Les volets sont fermés et la nuit est tombée.

Laura lâche le bras du professeur et s'avance vers le petit immeuble de trois étages où se trouve son appartement. Rogue entre dans la cour à son tour et observe les environs. Cet endroit peuplé de Moldus lui rappelle le quartier dans lequel il a grandi et cela ne lui plait pas. Mais il constate une chose qui lui plait encore moins.

— Vous n'avez lancé aucun sort de protection autour de votre demeure..., dit-il pendant que Laura prend ses clés.

— Non.

— Vous êtes vraiment inconsciente du danger...

Laura se retourne et fusille Rogue du regard.

Ce dernier ne se laisse pas impressionner, même si à ce moment, Laura lui rappelle Lily quand elle était en colère. Notamment pendant leur Cinquième Année, où ils avaient rompu leur amitié.

— Et vous, vous oubliez une chose fondamentale.

— Laquelle ?

— Je ne suis plus votre élève. Je n'ai plus de leçon à recevoir de vous.

— Toujours aussi arrogante... Vous êtes bien comme votre père...

Laura lui lance un autre regard assassin avant de l'ignorer avec superbe. Elle se retourne et insère la clé dans la serrure de la porte. A cet instant, Rogue est tenté de sortir sa baguette et de lui lancer un sort pour l'immobiliser. S'il espère jouer son rôle d'agent double à la perfection, il doit la capturer et la ramener au Seigneur des Ténèbres.

Pourtant, il hésite...

Malgré sa ressemblance de caractère avec James Potter, Laura reste bien plus proche de sa mère. Ses magnifiques yeux verts lui rappellent tellement Lily... ainsi que sa chevelure rousse, pourtant plus sombre que celle de sa mère.

Sa baguette, sous sa cape, tourne entre ses doigts.

Finalement, Rogue se résigne : il ne peut pas lui faire de mal... Il le sait depuis déjà quelques mois, mais il refuse de l'admettre.

Si elle parvient à effacer son arrogance, elle ressemblera trait pour trait à Lily, songe-t-il.

Et quand ce moment arrivera, Severus sait qu'il sera incapable de lutter contre ses sentiments.