ღ Chapitre 7 - Le petit chenapan ღ
D'une allure vive et déterminée, Charlie remonte les longues allées rectilignes qui mènent au logement des Lamarche. Angoissée à l'idée de ne pas être à la hauteur, elle ne peut s'empêcher de se poser mille et une questions.
Et si le petit Thomas ne l'aimait pas ?
Et si un incendie se déclarait au moment de préparer le repas ?
Et s'il s'ennuyait en sa compagnie ?
Sentant la panique envahir avec force chaque parcelle de son corps, elle s'arrête un instant.
Seuls quelques mètres la séparent désormais de sa destination. Recouverte d'une peinture vert d'eau, l'imposante bâtisse en bois se dresse majestueusement devant elle.
Pour se donner du courage, elle souffle un bon coup.
Tout ira bien, ma cocotte.
Puis, estimant qu'il est temps pour elle de reprendre son ascension, elle emprunte le chemin en sable qui serpente dans le jardin très bien entretenu de la propriété.
À bien y réfléchir, arriver en retard pour son premier jour serait vraiment malvenu...
Pour signaler sa présence, elle appuie sur la sonnette. Et, comme si elle venait de se brûler, elle retire son index précipitamment.
Retenant cette fois-ci sa respiration, elle tend l'oreille. Des bruits de pas, qui se rapprochent encore et encore, se font entendre. Le cœur au bord des lèvres, elle regarde avec crainte la porte s'ouvrir.
Un homme aux cheveux roux, grand et à la carrure svelte apparaît. Ses yeux verts, derrière de petites lunettes rondes qui lui donnent un air d'intellectuel, la scrutent attentivement.
— Bonjour, tu dois être Charlie ? l'accueille-t-il, d'un air avenant. Je suis Pierre Lamarche, le papa de Thomas.
— Merci, répond la Bretonne, en proie à une angoisse extrême.
Interloqué, le trentenaire grimace pour s'empêcher de rire. Toutefois, remarquant le désarroi de la jeune femme, il retrouve très vite son sérieux.
— Pardon, ce n'est pas ce que je voulais dire, se confond-elle en excuses, rouge comme une pivoine. Oui, c'est bien moi.
— Entre, je t'en prie. Nous t'attendions.
Bien que paralysée par l'émotion, elle s'avance. Ce n'est pas le moment qu'elle attire, une fois de plus, l'attention sur elle.
— Suis-moi, c'est par ici.
Après avoir retiré ses chaussures, elle s'exécute et détaille avec attention le mobilier, d'apparence moderne, qui défile sous ses yeux. Le moins qu'on puisse dire, c'est que le couple ne semble pas être dans le besoin.
— Bonjour Charlie, bienvenue ! l'accueille à son tour, la maman de Thomas, une brune aux formes généreuses et aux prunelles chocolat.
— Bonjour Madame, répond Charlie.
— Tu peux t'asseoir là, propose-t-elle, en désignant le canapé.
— Oui, merci.
Prenant place face à elle, les Lamarche paraissent déjà satisfaits par cette première prise de contact.
— Comment te sens-tu dans ce nouveau pays ?
— Pour le moment, je m'y sens bien dans l'ensemble.
— Tu verras, la Norvège est magnifique. Mon mari et moi-même y vivons depuis quelques années maintenant. Nous ne nous en lassons pas.
Nerveusement, Charlie mordille sa lèvre. Rien ne laisse à penser qu'un enfant de six ans vit dans cette maison trop bien rangée.
Et si elle était tombée sur des serial killers ?
— Marie, nous n'avons plus beaucoup de temps. Nous ferions mieux d'y aller si nous ne voulons pas être en retard, la rappelle à l'ordre Pierre.
— Tu as raison. Je donne les dernières explications à Charlie et puis Thomas pourra descendre.
Bien ennuyé à l'idée de devoir couper court à cette discussion, il se redresse.
— C'était un réel plaisir de faire ta connaissance, Charlie. Je suis désolé de paraître un peu abrupt mais nous avons pas mal de route à faire.
— Ne vous en faites pas, il n'y a pas de mal, lui certifie la concernée.
— Tu trouveras les ingrédients nécessaires pour préparer le repas de Thomas. Ne te tracasse pas, il n'est pas trop difficile. Il faut juste éviter de lui donner du melon ou des poivrons.
— Très bien, je ferai bien attention dans ce cas.
— Merci beaucoup. Je pense t'avoir à peu près tout dit sur lui lors de notre échange téléphonique. Ah ! Oui ! Il peut être aussi parfois assez inattendu. Je vais le chercher. Il a déjà pris sa douche et mis son pyjama.
L'attente est oppressante.
Et si elle se faisait séquestrer par ces personnes d'apparence trop parfaite ?
Ce n'est qu'à l'arrivée de Thomas qu'elle se risque à respirer de nouveau. Peut-être que finalement, tout ira bien.
Haut comme trois pommes, le petit garçon aux cheveux bruns l'observe en silence derrière ses lunettes à monture vert clair. Son regard espiègle la détaille déjà.
— Bonjour Thomas, le salue Charlie en lui souriant.
— Hallo*, répond-il d'une voix peu sûre, en contemplant avec attention le bout de ses chaussons.
Surprise, sa maman se tourne vers lui et hausse les sourcils. Malgré tout, elle s'abstient de faire une remarque devant Charlie.
Elle consulte soudain sa montre et les avertit qu'elle doit y aller.
Avec douceur, elle attire Thomas vers elle et lui chuchote :
— Bonne soirée, mon chéri. Sois sage avec Charlie.
Thomas la serre contre lui en passant ses bras autour de son cou. Attendrie, elle dépose un gros bisou sur sa joue.
— Bon courage, Charlie. Et à ce soir !
— À ce soir, Madame, conclut-elle alors que Marie laisse claquer la porte derrière elle.
Désireuse de bien faire, elle s'avance vers Thomas et s'accroupit.
— Qu'est-ce-que tu veux faire ?
— Jeg vil gjerne se tv*.
Sous le choc, elle perd l'équilibre et tombe sur les fesses.
— Tv ? Télé ? s'enquiert-elle, en montrant du doigt l'appareil.
— Ja, det er riktig*.
Mais qu'a-t-elle donc fait pour mériter cela ?
Essayant par tous les moyens de comprendre et de se faire comprendre, Charlie tente de mimer, de parler anglais...
Rien n'y fait.
Remarquant qu'elle commence à paniquer et à virer au rouge cramoisi, Thomas s'esclaffe. Jamais il n'aurait imaginé s'amuser autant ! Charlie est si drôle !
— J'ai faim, se plaint-il finalement en français.
Complètement abasourdie, elle arrondit les yeux.
— Tu parles français ? s'étonne-t-elle.
— Oui, papa et maman m'ont appris au cas où on retourne à Paris.
— Oh le petit chenapan ! Tu ne t'en tireras pas aussi facilement, ma vengeance sera terrible !
— Ouh, j'ai la trouille ! la nargue-t-il, d'une mine amusée.
— Assure tes arrières, mon bonhomme... laisse-t-elle alors planer avant de se relever avec grâce. Je vais préparer le repas. Tu peux t'installer devant la télé en attendant que tout soit prêt.
Fière d'elle, Charlie chantonne gaiement dans la cuisine. S'il savait ce qu'elle lui réserve... Elle peut s'imaginer déjà la réaction qu'il aura !
Quelques minutes plus tard, elle s'applique à disposer dans les assiettes le plat. Puis, une fois cela fait, elle retourne dans le salon chercher Thomas.
Depuis qu'elle l'a quitté, il n'a pas bougé d'un pouce. Marie avait raison de le décrire comme un enfant plutôt calme.
— On va pouvoir passer à table. J'espère que tu vas aimer. Je t'ai préparé une petite salade de melon, ça tombe bien, c'est la saison ! Et tu auras ensuite du poulet avec des poivrons et du riz, déclare-t-elle, comme si de rien n'était.
La mine déconfite, Thomas la toise.
Elle n'aurait pas pu lui faire ça !
Pourtant, son air sérieux le fait douter.
— Mais Charlie... Je n'aime pas ça... se lamente-t-il, les lèvres presque décolorées.
— Comment ça, tu n'aimes pas ça ? Allons, bon, ne fais pas le difficile...
Non sans avoir ronchonné avant, il se lève du canapé et se dirige vers la cuisine en traînant des pieds.
— Il faut manger de tout, Thomas. Allez viens, tu ne seras pas obligé de tout finir, insiste-t-elle.
— Maman ne t'a pas dit que je n'aimais pas ça ?
C'en est trop pour Charlie. N'y tenant plus, elle pouffe.
Le visage déformé par l'inquiétude, il continue de s'avancer jusqu'à son assiette. Quelle n'est pas sa surprise lorsqu'il découvre à la place un morceau de poulet accompagné de pommes de terre sautées aux herbes !
Son petit poing vient s'écraser contre le ventre de sa baby-sitter. Puis, il se ravise presque aussitôt et vient lui faire un câlin.
— Tu m'as bien eue toi aussi, râle-t-il, bon joueur.
- - - - -
Le repas terminé, Charlie emmène Thomas se coucher. Après s'être assurée que ses dents ont bien été brossées, elle l'aide à s'installer dans son lit.
— Tu me racontes une histoire ? Celle-là, c'est ma préférée, lui confie-t-il en lui tendant un livre.
Lorsqu'elle le récupère entre ses doigts fins, elle se remémore aussitôt la période où elle n'était qu'une enfant. Sa maman avait un véritable don et savait personnaliser l'intrigue pour susciter l'intérêt de sa fille. Peut-être pourrait-elle faire comme elle, s'inspirer de sa propre expérience en y ajoutant des éléments qui se trouvent dans la chambre de Thomas ? Ça pourrait marcher. Cela ne coûte rien d'essayer.
Embrassant l'espace qui s'offre à elle, elle en examine les moindres détails. Fixée au mur crème, une lampe en forme de tortue témoigne des goûts marins du Norvégien. Moelleuse, la moquette bleu nuit procure une agréable sensation sous les pieds de Charlie.
Serrant son doudou panda contre lui comme si sa vie en dépendait, il écoute avec la plus grande attention la jeune fille durant de longues minutes. Il semble bercé par ses paroles qui s'adaptent à merveille à ses goûts. Il a le sentiment qu'ils se connaissent depuis toujours et aime déjà ce lien qui les unit. Puis, sans crier gare, il l'interrompt brusquement en lui demandant, hésitant :
— Tu vas revenir ?
Visiblement, le contact est passé. Charlie lui ébouriffe les cheveux et le rassure aussitôt.
— Oui, bien sûr. Enfin, si tu veux bien de moi !
Thomas, satisfait, ajoute :
— L'autre... Ben... L'autre, je ne l'aimais pas... Toi, tu es très gentille.
À la suite de cette confidence, ses yeux se ferment tout doucement.
— Bonne nuit, Thomas, murmure Charlie en refermant alors l'ouvrage.
Thomas n'entend plus, il a sombré dans un sommeil profond.
* Hallo : signifie « Bonjour » en Norvégien.
*Jeg vil gjerne se tv : signifie "J'aimerais regarder la télé" en Norvégien.
* Ja, det er riktig : signifie "Oui, c'est exact" en Norvégien.
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