ღ Chapitre 5 - Traumatismes cuisants ღ

Depuis quelques jours maintenant, Charlie parvient à prendre ses marques à son rythme. Après tout, peut-être que ses sourdes et lancinantes craintes n'étaient pas fondées ?

C'est pourquoi, soulagée face à ce retournement de situation qui lui est favorable, elle déambule avec davantage d'assurance dans les allées goudronnées du campus pour rejoindre sa prochaine salle de cours.

Légèrement en retard déjà, elle accélère le pas.

— Comment se fait-il qu'une aussi jolie fille que toi se promène seule sur le campus ? la hèlent des sportifs, à en juger par leur tenue.

Agacée, elle se stoppe.

— Laissez-moi passer, je ne voudrais pas me prendre un avertissement, grommelle-t-elle, en tentant de se frayer un chemin.

Le rire sinistre des étudiants lui glace le sang. Lui barrant la route, ils l'empêchent de passer.

— Pas si vite, ma cocotte... Tu crois aller où comme ça ?

— En classe tout simplement, répond-elle, en essayant de ne pas montrer la panique qui s'empare peu à peu de tout son être.

— Allez, t'es pas drôle, viens avec nous ! On pourrait faire plus ample connaissance dans les vestiaires si tu vois ce que je veux dire... insiste l'un des garçons.

Cette fois-ci pétrifiée, elle regarde autour d'elle.

Gabriel n'est pas là.

Encore une fois, elle ne s'en sortira pas.

C'est certain.

De manière différente, son cauchemar recommence.

Mais quelle idée avait-elle eue de penser qu'ici, en Norvège, elle pourrait repartir de zéro ?

Le cœur battant à tout rompre et les mains tremblantes, elle tente d'inspirer un grand coup.

Elle ne se laissera pas intimider.

Prête à se battre, elle se met en position, devant les têtes hilares des garçons qui ne semblent pas impressionnés le moins du monde par son attitude.

— Laissez-la tranquille ! intervient un jeune homme à la carrure imposante, contre toute attente.

— Oh ça va, Ruben... On ne fait rien de mal...

Vraisemblablement d'un autre avis, il s'interpose entre les étudiants et Charlie. Comme figée dans une autre dimension, elle ose à peine respirer. Le dos droit et musclé du Norvégien qui se contracte lui arrache un frisson et l'impressionne. Elle croirait se retrouver derrière un majestueux tigre de Sibérie qui ne s'effraie de rien et défend sa progéniture coûte que coûte.

— Prenez-moi pour un con, je vous en prie, laisse-t-il siffler entre ses dents.

Ne souhaitant pas en entendre davantage et de peur que la situation se retourne une nouvelle fois contre elle, Charlie prend ses jambes à son cou et rejoint son domicile, le visage ruisselant de larmes.

Tant pis pour les cours. Il en va de sa santé mentale.

Une fois arrivée à bon port, elle laisse claquer la porte d'entrée derrière elle malgré ses tremblements incontrôlables et s'enferme à double-tour, avant de se laisser glisser avec mollesse contre cette dernière. Secouée par les sanglots, elle ne parvient pas à se calmer. Ses forces l'abandonnent peu à peu. Si ce Ruben, son sauveur inconnu au bataillon, n'était pas intervenu, elle aurait sans nul doute subi d'autres traumatismes qu'il ne lui avait jamais été donné encore de vivre.

- - - - -

Aux environs de midi, Gabriel arrive au RU. Charlie n'étant pas présente, il ne peut s'empêcher de sourire. Finalement, elle sera parvenue à se faire des amis et à manger à l'extérieur. Il doit se l'avouer : il est très fier d'elle. Qui aurait cru qu'elle s'épanouirait autant ici et aussi rapidement ?

— Gab' ! Viens manger avec nous ! s'exclame Lars, en lui faisant de grands signes.

Ne se faisant pas prier plus longtemps, il rejoint son nouvel ami ainsi qu'un autre jeune homme à la stature athlétique, châtain aux yeux bleus. Son front large, son nez droit et son menton rond marquent son visage lisse et oval. Aussitôt, il lui fait excellente impression. Alors qu'il s'installe face à eux, Lars reprend.

— Je te présente Ruben, un très bon ami à moi. Ruben, je te présente Gabriel. Il vient d'arriver à Bergen il y a quelques jours.

— Ravi de faire ta connaissance. J'espère que pour le moment, tu te plais ici. Tu viens d'où ? s'enquiert le Norvégien, d'un air avenant.

— De France, l'informe Gabriel.

— Dis-lui Ruben de quoi on parlait à l'instant... Tu vas voir, c'est dingue qu'il se passe encore ça de nos jours...

— J'ai croisé une jeune fille tout à l'heure. Je ne l'ai jamais vue depuis que j'étudie ici. Elle était prise à partie par des gars de ma promo... Ils avaient l'air de se montrer insistants avec elle et refusaient de la laisser passer. Du coup, je suis intervenu et j'ai pris sa défense mais quand j'ai voulu me retourner pour lui demander comment elle allait, elle avait disparu. Tout ce que je sais c'est qu'elle a de longs cheveux blonds et elle est assez menue... raconte Ruben, d'une traite.

— Gabriel ? Ça va ? On dirait que tu as vu un fantôme... Tu es livide, remarque Lars, la mine préoccupée.

— Je suis désolé, il faut que je passe un appel important, dit-il en se levant précipitamment.

Arrivé à l'extérieur après avoir couru à vive allure, il s'arrête. Les mains moites et tremblantes, il compose le numéro de Charlie. Cela ne fait aucun doute. C'était elle.

— Allô ? murmure-t-elle, d'une voix cassée.

— Charlie ? Où es-tu ? Que s'est-il passé ? Est-ce-que tu vas bien ? Souhaites-tu que je te rejoigne ? 

— Je suis à l'appartement, ne t'inquiète pas. Je ne me sentais pas trop en forme, explique-t-elle, en reniflant au bout du fil.

— Est-ce-que tu as besoin que je vienne ?

— Je ne veux pas bousculer tes cours de l'après-midi mais un peu de compagnie ne serait pas de refus...

— Bon, ne bouge pas, j'arrive tout de suite. Je prends mes affaires, je suis là dans dix minutes maximum.

— Merci mon Gaby, je t'attends dans ce cas, hoquète-t-elle.

— Je t'en prie mon Bambi, je fais du plus vite que je peux, lui certifie-t-il, avant de raccrocher.

La mâchoire contractée par l'inquiétude, il rejoint à nouveau les garçons.

— Je suis désolé les gars. J'avais complètement oublié que j'avais promis à un groupe de ma classe de les rejoindre à midi pour décider du sujet d'un projet en management. Ils m'attendent, ment-il effrontément.

— Ne te tracasse pas, ça arrive. Il y aura d'autres occasions de toute façon, file donc ! s'exclame Lars, très compréhensif.

— À plus tard ! conclut le Breton, avant de s'élancer, son sac de cours sur le dos, vers leur logement.

Il ne lui avait pas menti : dix minutes plus tard, Gabriel franchit le seuil de la porte.

Surpris de n'entendre aucun bruit, il s'avance dans le salon, tous les sens en alerte. Enveloppée dans un plaid de couleur crème et recroquevillée sur elle-même, Charlie semble avoir rejoint les bras de Morphée. Bien qu'entourée de mouchoirs usagés, signe de son mal-être profond, son visage est détendu.

Il donnerait tout pour la voir sourire.

Peut-être qu'un gâteau au chocolat ainsi qu'un smoothie aux fruits exotiques pourraient avoir la vertu de la réconforter et de la requinquer quelque peu ?

Il peut toujours tenter. C'est ce qu'elle préfère. Dans le plus grand des silences, il se dirige vers la cuisine. Désireux de bien faire les choses, il s'affaire après avoir sorti les différents ingrédients spécifiés dans les deux recettes. Ce n'est pas le moment de se mélanger les pinceaux... Se mordant la lèvre de temps à autre, Gabriel s'applique.

Si Charlie était là, comment s'y prendrait-elle ?

De toute évidence, mieux que lui.

Mais après tout, ne dit-on pas que c'est l'intention qui compte ?

Soulagé d'avoir presque terminé ce travail titanesque, il s'essuie le front. Il ne lui reste plus qu'une étape. Celle-ci n'est pas des moindres. Croisant les doigts pour ne pas renverser la préparation, il la laisse couler avec lenteur dans le moule en verre qu'il vient tout juste de beurrer. Puis, une fois cela fait, il le dispose en douceur dans le four préchauffé.

Homme d'action, Gabriel s'avance ensuite dans ses cours pour passer le temps. Il n'est pas question qu'il attende, les doigts de pied en éventail, que le gâteau cuise.

Véritable estomac sur pattes, Charlie se réveille au moment où Gabriel sort le dessert moelleux qui laisse de délicieux effluves cheminer jusqu'à son nez. Une odeur enivrante de chocolat semble emplir la pièce dans laquelle elle s'est endormie.

Mais d'où peuvent bien venir ces ronronnements réguliers ?

Curieuse, elle se frotte les yeux et se redresse. Elle ne s'était pas trompée. Après avoir cherché leur source, les bruits qu'elle entendait proviennent bien de la cuisine. Son cœur se serre lorsqu'elle rencontre le regard triste de Gabriel. Au fond, elle s'en veut de lui faire ressentir tout cela. De par sa faute, il souffre.

— Comment tu te sens ? lui demande-t-il, en s'approchant avec un plateau, soucieux.

— Honnêtement, j'ai l'impression que le cauchemar que j'ai vécu à Rennes se reproduit ici aussi. J'ai le sentiment que je ne pourrai jamais échapper à mon destin. C'est comme si tout était fait pour que je reste éternelle prisonnière de mon passé... se livre-t-elle.

— Je sais que, dis comme ça, ça peut paraître utopique, mais je suis persuadé que tu arriveras à faire de belles rencontres. À titre personnel, j'en ai fait de très belles. Et, pour te prouver que j'ai raison, je pourrais même te présenter ces deux ou trois garçons très gentils et respectueux.

— Gabriel... soupire-t-elle. Ce n'est pas contre toi, mais je ne me sens pas encore capable de rencontrer ces deux ou trois garçons que tu connais. Malgré leur apparente gentillesse, je n'y arriverai pas. Je suis désolée, c'est trop tôt. J'espère que tu ne m'en voudras pas. Cela dit, je suis contente et soulagée de voir que tu n'es plus seul de ton côté. J'espère que j'aurai cette chance également un jour...


Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top