ღ Chapitre 4 - Charlie Montaland ღ
Assise sur la banquette en cuir face à son meilleur ami, Charlie observe d'un air pensif ce qui les entoure en sirotant son cocktail de fruits. Constatant de son œil expert que le mobilier est principalement conçu en sapin, elle ne peut s'empêcher de s'interroger.
Et si travailler le bois sous toutes ses facettes était un véritable phénomène de mode ici ?
Le plafond, les murs, le comptoir, les tables, les tabourets : rien ne semble y échapper.
— Alors ? Cette journée ? la coupe dans son examen méticuleux, un Gabriel piqué par la curiosité.
La mine songeuse, Charlie prend son temps pour lui répondre de la façon la plus juste qui soit.
— Elle m'a semblé moins catastrophique que je l'avais imaginée. Les professeurs que nous allons avoir cette année ont défilé un à un pour présenter leur matière. Certaines m'ont d'ailleurs plus intéressée que d'autres. Et puis, comme chaque jour de rentrée rime avec papier, nous avons eu le droit à tout un tas de documents inutiles. Mais pour autant, cela ne m'a pas spécialement dérangée, relate-t-elle, en esquissant un faible sourire. Et la tienne ?
— Elle s'est bien passée. Tu te souviens des garçons que j'ai rencontrés l'autre soir ?
Pour le lui confirmer, elle hoche la tête.
— Je les ai croisés dans les couloirs. Ils m'ont proposé de venir manger avec eux en ville. Et étant donné que je ne te voyais pas sortir, j'ai accepté. Tu étais avec qui ce midi, toi ? reprend-il.
— Avec personne, un de mes plus fidèles amis depuis des années, répond-elle avec cynisme. De toute façon, j'ai à peine eu le temps de finir mon sandwich, ajoute-t-elle, en balayant ce qu'elle vient de dire d'un revers de la main, exactement comme si cela n'avait aucune espèce d'importance.
L'air désolé, il la dévisage l'espace de quelques instants.
— Ta promo n'est pas sympa ? s'inquiète-t-il.
— Je n'en ai aucune idée. Je ne leur ai pas encore parlé.
— Charlie... soupire-t-il. Il faudra bien leur adresser la parole un jour, tu ne crois pas ?
— Le plus tard sera le mieux, répond-elle, sans tergiverser.
Gabriel ne peut que comprendre sa réticence à s'ouvrir aux autres à nouveau. Durant sa longue convalescence, Charlie lui avait confié toutes ses craintes.
Celle-ci en fait malheureusement partie.
C'est pourquoi, se rendant compte qu'il commence à aller sur un terrain glissant, il décide de ne pas insister. À la place, il lui propose de rentrer dès que leurs consommations seront terminées.
Soulagée face à la faculté de Gabriel de réagir exactement comme il le faut selon les situations, elle accepte. Il ne se sera pas risqué à ouvrir une nouvelle fois les plaies béantes du passé dont elle ne parvient pas encore à se détacher.
Tant mieux.
Abattant leur verre respectif avec une certaine force sur la table, ils se redressent ensuite et, ayant réuni leurs affaires, se dirigent vers la sortie.
La chance semble être cette fois-ci de leur côté : ils rentrent chez eux sans encombres et sans avoir à affronter d'autres averses torrentielles qui les auraient obligés à se sauver à toutes jambes.
— Tu pourrais peut-être prendre un bain pour te détendre et évacuer tout le stress de la journée ? soumet Gabriel à sa meilleure amie, après avoir refermé la porte derrière eux.
Sans une once d'hésitation, elle acquiesce.
— Tu as raison, c'est une bonne idée, admet-elle. Je vais chercher ce dont j'ai besoin dans ma chambre.
Pleine de bonne volonté, elle s'y rend une fois ses chaussures retirées et son sac posé à terre. Puis, elle revient quelques minutes plus tard sur ses pas, les bras chargés cette fois-ci de tout ce qui va lui servir.
— Pendant que tu prends du bon temps pour toi, je vais préparer le repas. Comme ça, quand tu arriveras, il ne te restera plus qu'à mettre les pieds sous la table, lui annonce Gabriel solennellement.
Touchée par la bienveillance dont il fait toujours preuve à son égard, elle pose sur lui un œil attendri.
— Merci mon Gaby. À charge de revanche, promet-elle alors.
Un sourire aux lèvres, il conclut.
— Allez, file avant que je ne te pique la place.
Laissant échapper un rire enfantin, elle se précipite dans la salle de bain et enclenche aussitôt le verrou.
— J'ai été plus rapide, lance-t-elle, malicieuse.
Retrouver une Charlie plus insouciante dans de rares moments comme celui-ci le rend heureux.
Avant, c'était cet adjectif qui la définissait le plus.
Avant, elle avait cette lueur d'espoir au fond des yeux.
Avant, elle avait cette joie de vivre que nul n'aurait pu lui enlever.
Mais ça, c'était avant.
Le regard empreint de nostalgie, il se remémore leur rencontre.
Plus vite qu'ils n'auraient pu l'imaginer, ce voyage scolaire en Espagne fin juin avait viré au cauchemar.
Chaque jour, la chaleur étouffante et l'air irrespirable de Barcelone pesaient un peu plus au-dessus des têtes de ces jeunes adolescents de quatorze ans.
Sortir l'après-midi était inconcevable. De peur de vivre le même sort que le goudron qui se désagrégeait au fur et à mesure de l'avancée du soleil jusqu'à son zénith, les collégiens et leurs professeurs devaient se résoudre à rester enfermés dans la fraîcheur. Ouvrir les fenêtres le matin ne changeait pas grand chose. Les températures ne baissaient pas tellement durant la nuit.
C'est pourquoi, en ayant plus qu'assez de s'ennuyer et de suffoquer presque continuellement depuis son arrivée, Charlie s'était éclipsée dès le deuxième soir après le dîner sans que personne ne remarque rien. Excepté une.
Gabriel.
Avec discrétion, il l'avait suivie alors qu'elle courait jusqu'au point culminant du bâtiment de plusieurs étages dans lequel ils logeaient pendant cette semaine.
Un air déterminé sur le visage, elle avait ouvert la porte qui donnait sur l'extérieur avant de la laisser claquer d'un coup sec juste derrière elle.
Peu sûr de lui à l'époque, il avait hésité dans un premier temps à la suivre.
Des milliers de questions se bousculaient dans sa tête.
Et s'ils se faisaient prendre ?
Les conséquences seraient sans doute terribles. Le corps enseignant leur ayant interdit d'aller aussi haut, ils se feraient sûrement punir jusqu'à la fin du séjour, voire plus.
Toutefois, il était déjà ici. Cela signifiait qu'avec sa curiosité, il avait déjà dépassé la limite à ne pas franchir. Et puis, il mourait d'envie de voir où se trouvait cette jeune fille si mystérieuse. Il ne pouvait plus reculer maintenant qu'il était si près du but.
Il avait alors poussé à son tour la lourde porte en fer et ce qu'il avait découvert alors l'avait figé d'horreur.
En équilibre sur le rebord du toit de l'immeuble, Charlie, les bras à l'horizontal, se déplaçait telle une funambule.
Paniqué, Gabriel avait retenu sa respiration. Il savait qu'elle pouvait tomber à tout moment s'il faisait le moindre faux pas.
Il ne se le pardonnerait jamais si tel était le cas.
Elle était totalement inconsciente et ne voyait pas le danger : il ne voyait pas d'autres explications.
Puis, contre toute attente, elle s'était alors retournée vers lui un sourire aux lèvres et les yeux pétillants de bonheur.
Avec agilité, elle avait sauté du muret.
— Ne me regarde pas comme ça. Je ne comptais pas mettre fin à mes jours. Tu devrais venir, la vue est sublime.
Méfiant, Gabriel s'était tout de même risqué à s'approcher.
— Je peux savoir ce que tu cherchais à faire ? lui avait-il demandé sans détour, en s'arrêtant juste avant d'arriver à sa hauteur.
— Simplement sentir la brise venir caresser mon visage, lui avait-elle répondu avec sincérité. Tu n'as pas trop chaud, toi ?
— Si, mais je ne serai pas prêt à risquer ma vie pour autant.
— Ce que tu peux être classique... s'était-elle plaint, la mine boudeuse.
— Et toi, insouciante... lui avait-il rétorqué.
Riant aux éclats face à leurs réparties, ils s'étaient assis l'un à côté de l'autre et avaient laissé retomber leurs jambes dans le vide.
C'était ici que chaque soir, ils se donnaient rendez-vous pour se rafraîchir un peu et pour apprendre à se connaître davantage malgré les remontrances de leurs professeurs.
Il aimerait tellement la retrouver...
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