ღ Chapitre 23 : Instants volés ღ

Quelques semaines plus tard

N'y tenant plus, Brenda fait les cent pas dans son appartement. Ses colocataires, une Irlandaise et un Brésilien, sont sortis faire des achats en ville. Elle, elle attend que Gabriel vienne la chercher en taxi pour aller au cinéma.

Leur relation est à nouveau au beau fixe depuis qu'ils se sont réconciliés sur l'oreiller. Gabriel n'est certes pas toujours présent pour elle mais il sait lui prouver qu'elle compte pour lui quand il a envie que leurs corps s'enlacent pendant l'amour. Brenda s'imagine que ce doit être le comportement de tout Français. Sans doute le sexe prévaut-il sur tout le reste dans leurs relations amoureuses ?

Souhaitant lui plaire à tout prix, elle vérifie une dernière fois l'image que lui renvoie son reflet dans le miroir. Une robe fluide florale emprisonne sa poitrine généreuse et ses collants noirs affinent ses jambes et ses chevilles épaisses. Un gilet camel en cachemire complète sa tenue féminine.

Relevés en un chignon travaillé, ses cheveux roux semblent être tirés à quatre épingles tandis que quelques mèches folles bordent son visage fin. Sa peau laiteuse laisse ses yeux verts ressortir à la perfection. Consciente qu'ils représentent un véritable atout, elle s'est amusée à les souligner d'un trait d'eye-liner mordoré et a appliqué une couche de mascara sur ses longs cils.

La vibration de son portable l'arrache à son examen méticuleux. Gabriel est arrivé.

Ni une, ni deux, elle enfile ses bottines à talons et une veste en jean, qui suffira sans doute pour la saison. Ses doigts agrippent l'anse en cuir de son sac, qu'elle lance sur son épaule. Elle prend ses clés, ouvre la porte à la volée, referme derrière elle puis dévale les escaliers.

Lorsqu'elle atteint l'extérieur, Brenda s'arrête dans sa course pour prendre le temps d'observer cet environnement qui lui plaît tant.

Des bourgeons commencent à éclore, signe que le printemps a pointé le bout de son nez. Laissant apparaître de jolies fleurs blanches pour certaines, rose clair pour d'autres. C'est si beau ! Pour leur part, les arbres se parent de jeunes feuilles vertes qui amènent un peu de vie au quartier dans lequel elle réside.

Brenda n'a pas le loisir de s'émerveiller plus longtemps. Après avoir baissé la vitre, Gabriel, pressé et impatient au possible, la rappelle à l'ordre.

De crainte de l'avoir contrarié, elle comble l'espace qui les sépare et s'empresse de s'excuser. Ses joues s'empourprent sous le coup de l'émotion tandis qu'elle met sa ceinture de sécurité.

Après avoir vérifié qu'ils sont bien attachés, le chauffeur démarre en douceur. Le trajet se passe en silence. Brenda n'ose plus dire quoi que ce soit même si les traits de Gabriel semblent apaisés.

Elle détourne son attention de lui, intimidée, et regarde le paysage défiler par la fenêtre. Gabriel se rend compte de son côté qu'il est peut-être allé trop loin. Il culpabilise.

Ses mots ont dépassé encore une fois sa pensée. Et son ton a été plus cassant qu'il le voulait. Ils vont bientôt terminer la course du taxi et personne ne parle. L'ambiance est lourde, pesante. Il faut qu'il essaie de se rattraper avant qu'ils ne descendent. Cette situation le rend mal à l'aise.

Les doigts tremblants, il s'approche avec une timidité qu'il ne se connaît pas, de la main de Brenda qui paraît tendue. Crispée. Ses ongles rentrent dans le siège en cuir. Son estomac se serre.

Aussitôt, il se remémore les moments où il a fait pleurer Charlie ou lui a fait de la peine alors qu'elle souffrait le martyr. Il s'en veut. Il aimerait tellement remonter le temps, empêcher le harcèlement, le cambriolage, toutes ces épreuves qui ont brisé sa meilleure amie chaque fois un peu plus. Mais il se rappelle également les mots qu'elle a échangés avec Ruben et sait qu'elle ne lui en veut pas. Il a beau essayer de comprendre, il ne saisit pas comment Charlie peut pardonner les actions pourtant blessantes de ceux qu'elle aime.

S'ancrant à nouveau dans la réalité, il ne réfléchit pas davantage et entrelace ses doigts à ceux de sa petite copine. Surprise, Brenda sursaute mais ne met pas pour autant fin à leur étreinte. Elle est touchée, au fond, par la capacité de Gabriel à se remettre rapidement en question. Il s'est confié à plusieurs reprises sur son impulsivité et les dégâts qu'elle peut faire. Elle doit l'accepter pour lui, et ses défauts ainsi que ses qualités.

Le conducteur appuie sur la pédale de frein. Ils ont atteint leur destination.

L'ayant remercié chaleureusement, ils s'extirpent de la Mercedes, rabibochés, et sprintent jusqu'au cinéma en riant aux éclats. L'attente pour acheter les billets n'est pas longue. Galant, Gabriel paye pour Brenda et l'embrasse chastement devant l'employé qui louche un peu trop à son goût sur ses seins. Puis, ils continuent leur épopée et s'arrêtent devant le stand alimentaire.

Ils se laissent tenter par du popcorn – un classique –, des friandises et deux gobelets de coca. Les bras chargés de victuailles et un sourire aux lèvres, ils cheminent ensuite vers la salle. Gourmands tous les deux, ils se lèchent les babines. Ils vont se régaler. C'est certain.

Les bandes annonces défilent déjà lorsqu'ils pénètrent dans la pénombre. Seul l'écran leur permet de s'orienter avec lenteur. Prenant la direction des opérations, Gabriel invite Brenda à le suivre au fond. Il n'y a pas grand monde, pas de pieds à enjamber ni de personnes à gêner.

Durant la séance, Gabriel et Brenda échangent sur les péripéties, sur l'intrigue en elle-même et les nombreux rebondissements du dernier Star Wars. Une franchise qu'ils jugent intemporelle. Le son, puissant, les plonge dans l'univers qu'ils aiment tant. Les répliques, remarquables, les épatent. Les décors et effets spéciaux, spectaculaires au possible, les font rêver.

Signe que le film est terminé, le générique défile et les lumières se rallument. Gabriel et Brenda se fixent les yeux arrondis comme des soucoupes, stupéfaits. Ils n'ont pas vu le temps passer ! Après s'être relevés, ils se rhabillent, placent leurs déchets dans la poubelle et quittent précipitamment la salle. Ils traversent des couloirs qui leur paraissent sans fin, s'imaginant qu'ils sont respectivement Rey – jeune pilleuse d'épaves solitaire – et Kylo Ren – le principal antagoniste –. Ils se poursuivent avec en guise de sabres laser, un prospectus enroulé. Ce n'est que quand ils atteignent une lourde porte en fer qu'ils se stoppent et revêtent leur masque sérieux. Dès l'instant où ils l'ouvrent, le vent glacial s'infiltre dans le bâtiment et y voit comme une invitation pour s'enrouler autour d'eux.

Brenda se félicite d'avoir eu la présence d'esprit de prendre une veste. Ils bravent le froid mordant, et sur le chemin décident de s'arrêter manger un bout dans un petit restaurant sans prétention. Qui doit, lui aussi, pratiquer des tarifs exorbitants dont Brenda et Gabriel ne se formalisent même plus.

Main dans la main, ils déambulent dans les rues, en quête de la perle rare. Les nuages menaçants qui planent au-dessus de leur tête les obligent à accélérer la cadence s'ils ne veulent pas terminer trempés comme des soupes. Les Norvégiens qu'ils croisent leur adressent des mines amusées. Ils doivent savoir qu'ils ne sont pas d'ici...

Heureusement pour eux, une poignée de minutes plus tard, juste avant que la pluie s'abatte avec férocité sur eux, ils jettent leur dévolu sur un établissement proposant des plats traditionnels.

Une serveuse, blonde aux yeux bleus, les scrute derrière une monture épaisse en bois. À en juger son sourire, elle paraît douce et gentille.

— Bonjour, les accueille-t-elle dans un anglais parfait. Que puis-je faire pour vous ?

— Bonjour, nous souhaiterions dîner s'il vous plaît. Pour deux.

— Très bien, suivez-moi.

Et sur ces paroles, elle glisse deux menus sous son aisselle et les emmène à une table à l'écart de l'agitation et des autres clients bruyants.

Tandis que Brenda et Gabriel s'installent, la jeune femme dépose la carte devant eux.

— Vous désirez un apéritif ? s'enquiert-elle en sortant de sa poche un petit calepin et un stylo.

— Je vais prendre une bière. Une Hansa blonde.

— La même chose pour moi.

— C'est noté. Je vous apporte ça.

À la vitesse de l'éclair, elle file s'activer derrière le comptoir.

Ayant choisi ce qu'elle va prendre, Brenda en profite pour jeter un œil à ce qui les entoure. Gabriel, ne le remarquera pas. Il est bien trop concentré à éplucher les mets proposés.

Élaborée avec goût, la décoration plaît aussitôt à l'Américaine. Une moquette épaisse émeraude et noire contraste avec les murs en crépi sable. Des nappes et housses rubis recouvrent le mobilier.

Un peu plus loin, différentes variétés de plantes disposées dans de larges caisses descendent du plafond et sont retenues par une chaîne épaisse en argent. Des luminaires en forme de nichoir les éclairent d'une lueur chaude.

— Et voici les Hansa commandées. Avez-vous pu décider ou souhaitez-vous plus de temps ?

— Je vais me laisser tenter par un fenalår* avec des pommes de terre, déclare Gabriel.

— Et moi par du skrei* avec du riz.

— Vous ne serez pas déçus. Nous avons de très bons retours. Je transmets tout ça en cuisine.

Ne souhaitant pas les faire attendre, elle tourne les talons et disparaît de leur champ de vision.

Alors qu'ils patientent, Brenda sent le pied de Gabriel remonter avec lenteur le long de sa jambe. Il a des idées derrière la tête sans l'ombre d'un doute. Son sourire en coin vaut plus que mille mots.

Une douce chaleur se diffuse dans leur ventre respectifs. Le désir qu'ils éprouvent l'un pour l'autre monte en flèche. Leur soirée s'annonce mouvementée ! Cependant, les plats tout juste positionnés devant eux empêchent le Breton de poursuivre son jeu de séduction.

Pressés de rentrer, ils ne prennent pas la peine de se concentrer sur les saveurs qui éveillent leurs papilles. Au lance-pierre, ils dévorent le contenu pourtant délicieux de leur assiette. Puis, ils règlent l'addition en se partageant cette fois-ci les frais.

Mus par l'envie, ils ne voient pas défiler le trajet jusqu'à l'appartement de Brenda.

Ils montent les marches quatre à quatre, mettent la clé dans la serrure et referment derrière eux. Il n'y a aucun bruit et les lumières sont éteintes. Gabriel appuie sur l'interrupteur, fébrile. Personne à l'horizon. Après avoir retiré leurs chaussures, ils se précipitent dans la chambre de Brenda. Leurs habits volent dans les airs.


*fenalår : gigot d'agneau.

*skrei : cabillaud. 


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