ღ Chapitre 20 - Motus et bouche cousue ღ
Depuis quelques semaines maintenant, Charlie et Ruben expérimentent pleinement la vie de couple. Désirant se voir régulièrement, ils organisent bon nombre de sorties ou de rendez-vous chez l'un ou chez l'autre.
Encore aux prémices de leur histoire, ils tiennent malgré tout à garder le secret le temps que leur relation se renforce comme ils le souhaitent.
Alors que Charlie se prépare dans la salle de bain, Gabriel se saisit de son portable et avise le message qu'elle vient de recevoir. La stupéfaction se peignant sur son visage, il laisse ses yeux curieux parcourir l'écran. Les doutes qu'il avait n'étaient donc pas complètement infondés... Il n'arrive pas à y croire !
Ruben vient de proposer à Charlie de passer un week-end rien que tous les deux, en amoureux !
Toutefois, lorsqu'il perçoit le bruit du verrou de la pièce d'eau tourner, il repose précipitamment le mobile de sa meilleure amie à l'endroit où elle l'avait laissé et s'installe sur le canapé, comme si de rien n'était.
Vêtue d'une tunique vieux rose et d'un skinny bleu clair, elle rejoint Gabriel dans le salon et lui annonce, solennellement, qu'il peut prendre une douche à son tour.
— Merci, Charlie. J'y vais dans ce cas !
Et, alors qu'il s'éloigne, elle plisse le front.
Depuis quand fuit-il son regard et s'empresse-t-il d'aller ailleurs ?
À bien y réfléchir, il lui avait fait le coup une seule et unique fois : lorsqu'il avait su, sans qu'elle lui en parle, qu'elle était harcelée. C'était après lui avoir tiré les vers du nez durant plusieurs jours qu'elle avait appris qu'il avait entendu des filles de sa classe parler au RU de ce qu'elle subissait...
Dans un élan de panique, elle se jette littéralement sur son cellulaire et vérifie que rien de suspect n'y traîne.
Saperlipopette !
Comment a-t-elle pu faire la bêtise de l'oublier tout à l'heure et de le laisser autant en évidence ?
Gabriel y a jeté un œil, c'est certain.
Nerveuse, elle découvre le SMS de Ruben, lui demandant si elle accepterait de passer une fin de semaine en sa compagnie dans un chalet avec jacuzzi et piscine chauffée... Gabriel a découvert le pot aux roses, il n'y a plus de doute...
Charlie n'a pas le choix : lorsqu'il sortira, elle devra tirer la situation au clair. Le plus vite sera le mieux...
En attendant, refusant de faire attendre Ruben plus longtemps, Charlie lui répond qu'elle accepte avec plaisir sa proposition. Ce moment sera à n'en pas douter, exceptionnel. Rien que d'y penser, elle a déjà hâte d'y être !
Tout sourire, elle laisse défiler les images du logement qu'ils pourront occuper dès qu'il aura fait la réservation. Bordé de sapins et idéalement situé, il offre une vue imprenable sur les fjords*. La pièce de vie, qui bénéficie d'une cuisine équipée et d'un poêle à bois, plaît immédiatement à Charlie. Baignée d'une luminosité chaleureuse grâce au bois qui recouvre les murs et aux bougies disposées ça-et-là, la chambre la séduit également. Sur la table de chevet, la tige d'une orchidée se courbe sous le poids des fleurs. Elle ne pouvait pas rêver mieux !
Rattrapée par la réalité en entendant la porte s'ouvrir, elle reprend son air grave.
— Ah, te voilà ! s'exclame-t-elle, en se plaçant, ses mains sur les hanches, face à son meilleur ami. J'avais une question importante à te poser.
— Laquelle ? s'enquiert-il, l'air désinvolte.
— Je te trouve louche depuis que je suis revenue. Qu'est-ce-que tu as ?
Les sourcils froncés par la contrariété, il tente d'éviter Charlie en la contournant, sans succès. Cette fois-ci pour exprimer son agacement, il souffle bruyamment.
— Rien du tout. Pas besoin de te monter la tête pour si peu... grommelle-t-il. Si ce n'est pas trop te demander, sois gentille et laisse-moi tranquille.
Blessée par ses mots, Charlie recule de quelques pas.
Il n'a pas le droit de te parler sur ce ton, crie sa voix intérieure. Pas après tout ce par quoi vous êtes passés... poursuit-elle.
Au bord des larmes, elle cherche à comprendre ce brusque changement d'attitude.
— Très bien, puisque c'est ton souhait le plus cher, je vais te laisser respirer. À plus tard, conclut-elle, le cœur lourd, avant de prendre son manteau chaud et de sortir prendre l'air.
Marcher ne pourra que l'aider à se changer les idées... Ses jambes la guidant vers une destination inconnue, Charlie remonte sans réfléchir les rues du centre-ville de Bergen à vive allure. Si bien que rapidement, elle se retrouve dans Byparken*. Elle longe les barrières qui la séparent du lac, insensible à la beauté du cadre qui l'entoure. Elle s'arrête un instant, essoufflée. Perdue, elle semble chercher quelqu'un ou quelque chose autour d'elle. C'est dans cet état de désarroi profond que Ruben, qui faisait son jogging, l'aperçoit. Tremblante d'émotion, elle tente de redevenir maîtresse d'elle-même.
— Charlie ? Qu'est-ce-que tu fais là ? s'étonne-t-il, après avoir interrompu son effort.
— Tu cours ici ? le questionne-t-elle, en retour.
— Oui, de temps en temps. Tout va bien ?
Reniflant bruyamment, elle essaie de ne pas craquer. En vain. Secouée désormais par des sanglots incontrôlables, elle hoquette dans les bras du sportif.
— C'est... Gabriel... Il ne... veut plus... de moi... Je l'ai... perdu...
— Ne dis pas ça, mon ange. Il t'aime plus que tout... Tu veux que je l'appelle ?
— Non... Il va... dire... encore... que je... ne le... laisse pas... tranquille...
Sidéré, Ruben la scrute.
— Bon, Charlie, désolé mais tu ne discutes pas. Je l'appelle, et il va s'expliquer.
Surprise par son ton catégorique, elle relève la tête mais ne pipe mot.
— Oui, Gabriel, c'est Ruben. Je ne te dérange pas, j'espère ?
— Non, non du tout. Qu'est-ce-qu'il y a ?
— J'ai croisé Charlie, elle n'a pas l'air en forme. Tu peux m'expliquer ce qu'il se passe ?
— Je n'aurais pas dû lui parler de cette façon, je suis désolé. C'est juste qu'elle insistait pour que je lui dise ce que j'avais et ça m'a énervé...
— Elle a vraiment insisté ? Je suis étonné...
— Pour tout te dire, elle n'a pas vraiment insisté, elle m'a demandé une fois ce que j'avais mais je ne souhaitais pas lui répondre dans l'immédiat.
— Et tu l'as envoyée bouler, c'est ça ?
— Oui... bougonne-t-il, au bout du fil. Comment elle va ? Elle est avec toi ?
— Oui, on est ensemble. Comme je te disais, ce n'est pas trop la forme...
— Tu peux lui dire quelque chose de ma part ? Ou mettre le haut-parleur ?
— Bien sûr, je mets le haut-parleur. Vas-y, tu peux parler.
— Charlie, ne pleure pas s'il te plaît. Je ne veux pas que tu sois mal à cause de moi. J'ai vu le message que Ruben t'a envoyé. Je t'avoue que j'ai été vexé que tu ne m'en parles pas, c'est pour ça que je ne souhaitais pas qu'on en parle tout de suite. Je suis désolé de t'avoir mal parlé, ce n'était pas ce que je voulais.
Cette fois-ci au bord du malaise, Charlie peine à respirer. Son amitié avec Gabriel est peut-être encore intacte mais il désapprouve sa façon d'avoir agi. Le décevoir est une des pires choses qui pouvaient lui arriver... Tout compte fait, son instinct ne l'avait pas trompée : Gabriel était au courant !
— Charlie, tu es là ? s'inquiète le Breton. Tu sais que je t'adore, hein ?
— Encore ? Tu ne dis pas ça pour me rassurer ?
— Mais oui, Bambi. Toujours, rien ne pourra y changer. Ne te tracasse pas.
— Oh, c'est pas vrai !
— Qu'est-ce-que tu as, Bambi ?
— Mais tu es au courant ! Comment on va faire... Ruben, tu ne m'en veux pas ?
— Rassure-toi, petit cœur. Gabriel a toute ma confiance. Je sais qu'il ne le dira pas si on lui en fait la demande.
— C'est vrai, Gaby ?
— Promis, je ne dirai rien. Motus et bouche cousue.
*fjord : vallée unique érodée par un glacier avançant de la montagne à la mer, qui a été envahie par la mer depuis le retrait de la glace.
*Byparken : parc citadin situé dans le centre de Bergen.
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