ღ Chapitre 2 - À la découverte de Bergen (Partie 2) ღ

Le vent polaire qui s'infiltre sous leurs habits d'été et qui s'engouffre partout où il peut les cloue sur place. Claquant des dents et tremblant de tous ses membres, Charlie supplie Gabriel de rentrer chez eux pour enfiler une veste et changer de chaussures avant de continuer leur épopée. Étant frigorifié lui aussi, il finit par céder. Au pas de course, ils regagnent leur appartement et se couvrent davantage. Les lèvres bleues, Charlie frictionne énergiquement ses bras glacés dans l'espoir de retrouver une chaleur corporelle adéquate.

— Laisse-toi tenter par un chocolat chaud, l'apostrophe Gabriel de la cuisine. Ça va nous faire du bien ! Viens !

Ne se faisant pas prier, elle rapplique aussitôt et aide son meilleur ami dans la préparation de cette boisson réconfortante. Ni une ni deux, les voilà désormais attablés. Les doigts refermés autour de l'anse de sa tasse bouillante, Gabriel sirote quelques gorgées en prenant garde de ne pas se brûler. Charlie, quant à elle, savoure la délicieuse odeur qui s'élève jusqu'à leurs narines. Ses papilles s'éveillent au contact du liquide légèrement sucré sur son palais et sur sa langue.

Tous deux revigorés, ils jettent dans l'évier la vaisselle qu'ils ont utilisée et s'empressent de sortir à nouveau dans le froid mordant. En quête d'aventures, ils décident de se rendre dans un endroit touristique réputé pour sa vue à couper le souffle. Le soleil étant au rendez-vous, leur visite n'en sera que plus belle. C'est certain. D'une démarche déterminée, ils traversent des rues remplies de passants et se dirigent jusqu'à la destination qu'ils se sont fixés. Les billets achetés au distributeur, ils s'installent en silence dans le funiculaire situé à quelques pas de Bryggen. Charlie ne tient plus en place et se trémousse sur son siège. D'impatience, elle laisse ses doigts pianoter sur sa cuisse. Gabriel, lui, parvient à se maîtriser. Lorsque les portes s'ouvrent, la communicante se précipite à l'extérieur. Les mains sur les hanches, elle emplit ses poumons de l'air vivifiant du Mont Fløyen, ferme les yeux un court instant puis tente de rattraper tant bien que mal son meilleur ami qui court vers l'extraordinaire et mythique panorama qui les attend depuis le belvédère.

S'appuyant sur une des rambardes de la plateforme en béton désactivé, ils embrassent l'espace qui s'offre à eux. Des fjords spectaculaires au Sud et un chapelet d'îles à l'Ouest encadrent la ville en contrebas. En maîtresse incontestée, la mer, dont les limites leur échappent, s'étend jusqu'à l'horizon. Entourés d'arbres, des immeubles et des maisons semblent recouvrir petit à petit la colline sur laquelle les Bretons se trouvent. Des sapins dont s'échappent de puissantes senteurs caractéristiques et des rochers protégés par des grillages pour éviter des éboulements de pierres complètent le charmant tableau. De peur que cette sublime vision disparaisse, Charlie ne cesse de prendre des photos et vidéos en gloussant de contentement. Plus discret, Gabriel l'imite et en profite pour enrichir sa collection de clichés de paysages verdoyants qui en feraient rêver plus d'un.

— Gab'? Tu veux bien prendre un selfie avec moi s'il te plaît ? l'interrompt la jeune femme. Promis, ça ne sera pas long !

D'excellente humeur, il vient se positionner à côté d'elle et fait son plus beau sourire à l'objectif. Le pouce de Charlie appuie à plusieurs reprises sur le bouton sur l'écran.

— Je croyais que c'était juste un ? Tu ne sais plus compter ? la taquine-t-il.

L'expression soudain grave, Charlie le fixe avec inquiétude.

— Je ne voulais pas t'embêter, pardon, marmonne-t-elle en baissant le nez.

— Je disais ça pour rire, se rattrape aussitôt son compère. Ne t'excuse pas.

Le regard interrogateur, elle relève la tête. Le visage empli de sincérité de Gabriel la rassure. Il ne doit pas mentir et n'oserait pas la mettre en boîte alors qu'elle est en plein doute. Souhaitant à tout prix s'en convaincre, elle autorise ses épaules remontées à s'affaisser et reprend une respiration normale. Ou presque.

— On peut peut-être se balader ? propose-t-il pour la calmer.

— Oui, d'accord.

Ravie qu'elle accepte, il l'entraîne alors sans la brusquer vers un sentier de randonnée emprunté par de rares promeneurs. Bien que sur ses gardes, elle pénètre dans la forêt, agrippée au bras de Gabriel. Une poignée de minutes de marche plus tard, la clarté qui perce à travers les feuilles au fur et à mesure de leur avancée sur le chemin à peine marqué lui fait lâcher sa prise. Recouverts d'une mousse verte épaisse, le sol et les troncs humides paraissent habités par des Nisses* et des Huldres*. Tout en discrétion et alors qu'elle enjambe des racines enchevêtrées, Charlie essaie d'en distinguer mais ces êtres magiques doivent être timides et malins. Pleine d'espoir, elle balaie les alentours. Des trolls pourraient tout aussi bien les observer, dissimulés derrière des épicéas, des bouleaux ou des pins sylvestres.

— Qu'est-ce-que tu fais ? s'enquiert Gabriel, après avoir remarqué qu'il prend de l'avance sur son amie.

— Moi ? Oh, rien... murmure-t-elle, d'un air innocent. J'admire juste la nature autour de nous.

— Viens donc près de moi. Je ne voudrais pas que tu te fasses enlever par les monstres qui nous suivent depuis des centaines de mètres.

Terrorisée et son sac à main contre son cœur en guise de bouclier, Charlie galope vers lui.

— Remarque, ils se rendraient compte de l'erreur qu'ils ont faite en découvrant le personnage et te relâcheraient aussitôt ! ajoute-t-il, blagueur.

— T'es méchant avec moi... bougonne-t-elle. Moi je suis gentille en toute occasion.

— Ce n'est pas un reproche mais c'est pour cette raison que les connards de ta promotion s'en sont pris à toi. Ils se sont rendus compte que tu ne sais pas te défendre et que tu as bon fond. Je n'ai aucun doute là-dessus.

— Tu n'as pas tort, admet-elle tristement. Je suis une cible facile.

— Tu es aussi la personne la plus forte et la plus combative qu'il m'ait été donné de rencontrer. Tu as réussi à t'en sortir. Certains ont abandonné mais pas toi. Jamais. Tu peux être fière de ce que tu as accompli. Tu as su surmonter bon nombre d'obstacles. Moi je suis fier de toi.

Les pieds hésitants, Charlie continue sa progression avec Gabriel sur le sentier désormais disparu.

Des fleurs sauvages dans les herbes hautes bordent un lac dont l'eau dort. Menaçante. Hostile. Si un Gjenganger* ou le Storsjöodjuret* en sortait pour les emporter dans le fond, Charlie ne serait même pas surprise. Presque préparée à cette éventualité, elle cherche un moyen de défendre bec et ongles Gabriel.

— Merci pour ces mots, mon Gaby. J'en avais besoin je crois, dit-elle comme si de rien n'était.

— Et je plaisantais par rapport au kidnapping. Tu es fabuleuse : toujours là pour me remonter le moral et toujours présente peu importe la situation.

— Tu veux me faire pleurer, c'est ça ? souffle-t-elle d'une voix chevrotante. Je ne mérite pas tous ces compliments.

— Au contraire, toi plus que personne d'autre, les mérites.

— J'ai de la chance de t'avoir auprès de moi. Qu'est-ce que je ferais sans toi ?

— Pas grand chose, j'en ai bien peur ! s'esclaffe-t-il, d'un rire tonitruant.

Se raidissant, Charlie le rappelle à l'ordre d'une petite tape sur l'épaule. Mieux vaut qu'ils ne se fassent pas trop remarquer et signalent leur présence à ces créatures malfaisantes qui n'attendent que de les croquer. Un deildegast* pourrait surgir sans crier gare derrière eux et les violenter.

— Gabriel, ne tardons pas trop. J'aimerais rentrer en un seul morceau !

— Faisons demi-tour dans ce cas. Il faut qu'on soit en forme pour la rentrée de demain !


*Nisses : Créatures qui peuvent être comparées aux lutins en France.

*Huldres : Équivalent d'un humain avec des particularités (homme : force exceptionnelle ; femme : ensorceleuse).

*Gjenganger : Créature du folklore scandinave. Revenant ou mort-vivant (par exemple : homme noyé qui entraîne ses victimes vers la mer ou un plan d'eau).

*Storsjöodjuret : Monstre lacustre qui résiderait dans le lac Storsjön en Suède. Signifie « Monstre du grand lac ». Selon la légende, le monstre fait six mètres de long, a une tête de chien et un corps de serpent.

*Deildegast : Dans le folklore norvégien, c'est un revenant. Il peut emprunter parfois l'image de petits lutins noirs ou même du Diable. 


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