ღ Chapitre 19 - Confessions nocturnes ღ

Une fois Lars arrivé chez Gabriel, Ruben s'autorise à souffler. Très anxieux à l'idée de recevoir Charlie d'ici quelques instants et de dîner seul avec elle, il vérifie une dernière fois qu'il est bel et bien prêt à l'accueillir. Pour se rassurer, il jette un coup d'œil au repas qu'il a préparé et qui finit de mijoter tranquillement sur la plaque à induction.

La sonnette qui retentit soudain l'arrache brusquement à ses pensées.

Le cœur battant à tout rompre, il observe son reflet dans le miroir de l'entrée et vérifie qu'il est bien présentable. Vêtu d'une chemise blanche et d'un pantalon noir, il arrange ses cheveux une dernière fois et ouvre finalement la porte.

Sur son trente-et-un, Charlie ne peut s'empêcher de le détailler de la tête aux pieds. Ainsi habillé, le Norvégien est diablement séduisant. Hésitante, elle s'avance vers lui. Sa petite robe noire suivant ses mouvements, elle se met sur la pointe des pieds et laisse claquer un bisou sur la joue de son sauveur. Tous deux délicatement parfumés, ils profitent de cette proximité pour s'enivrer de ces délicieuses senteurs.

— C'est un réel plaisir de venir ici, merci Ruben pour l'invitation. J'ai apporté une bouteille de vin blanc pour accompagner le repas, mais peut-être avais-tu déjà prévu ?

— Au contraire, je suis content que tu y aies pensé. Je savais bien que j'avais oublié quelque chose... bougonne-t-il, esquissant une grimace.

— Ce n'est pas grave, Ruben. Je suis sûre que ce que tu as fait est parfait. Ne te mets pas la pression pour si peu, essaie-t-elle de le tranquilliser d'une voix douce.

Refermant derrière elle, elle dépose son manteau sur une patère et se penche ensuite pour retirer ses chaussures. La bouteille en main, Ruben se racle la gorge.

— Quand tu es prête, rejoins-moi dans le salon. Je vais nous servir en attendant.

— De toute manière, je n'en ai pas pour longtemps. À tout de suite !

De nature coquette, Charlie arrange son vêtement et tourne sur elle-même devant la glace du hall pour s'assurer que sa robe n'est pas restée coincée dans son collant. À bien y penser, quelle honte ce serait d'avoir traversé le centre de Bergen accoutrée de cette façon !

— Qu'as-tu préparé de bon, cette fois-ci ? s'enquiert-elle, en se rendant, comme convenu, dans la pièce de vie.

— Gabriel m'a dit que vous n'en aviez jamais mangé depuis votre arrivée : j'ai préparé un Finnbiff*. J'espère que tu aimeras !

— C'est une autre spécialité de la Norvège ?

— Oui, c'est un traditionnel scandinave incontournable mais je ne t'en dis pas plus. Il faut que tu te fasses ta propre opinion.

— Bon, je te donnerai mon avis alors. Au moins, tu ne m'auras pas influencée avant.

Ravi qu'elle soit d'accord avec lui, le sportif lui adresse un sourire franc. Toutefois, il se retrouve vite rattrapé par le moment présent. À l'entente du ventre rugissant de Charlie, il lui propose sans plus tarder de prendre place.

Terriblement gênée, elle ne se fait pas prier et s'assoit sur une des chaises en bois. Face à elle, Ruben observe ses réactions. Surprise au premier abord, Charlie semble finalement apprécier la texture fondante du renne.

— C'est délicieux, lui certifie-t-elle. Vraiment très savoureux.

— Ça me fait plaisir que tu aimes. Je voulais changer un peu des poissons que tu manges régulièrement depuis que tu es arrivée ici. En général, c'est un plat qui est bien apprécié de ceux qui découvrent notre culture.

— Tu peux être fier de toi : j'adore. J'en viens à me demander dans quel domaine tu n'excelles pas, le taquine-t-elle.

Rouge comme une pivoine, Ruben mordille sa lèvre nerveusement. Il n'a tellement plus l'habitude qu'on le tire vers le haut comme Charlie le fait...

— Mais ne dis pas de bêtises, marmonne-t-il, le regard baissé vers son assiette. Je ne suis pas très doué dans mes relations avec les autres, par exemple.

— N'importe quoi, regarde comme tu es entouré. Ton frère t'adore, tu peux compter sur Lars, Gabriel et moi, commence-t-elle à énumérer.

— Et mes parents ?

— Ils ont une dent contre toi parce que vous n'avez pas la même vision de la réussite dans la vie. Une fois que tu leur auras prouvé que tu avais fait le bon choix, ils reconnaîtront qu'ils se sont trompés... C'est parfois compliqué de répondre aux attentes de certains parents mais on ne peut pas s'entendre avec tout le monde, ce n'est pas pour autant que l'on doit penser que le problème vient de nous.

— Tu crois ?

— Je ne crois pas, Ruben, je suis certaine de ce que j'avance. Tu sais, j'ai moi aussi des ennemis ou simplement des personnes avec qui ça ne passe pas. Gabriel en a aussi. On en a tous.

— Merci, Charlie, de me réconforter. C'est très gentil de ta part.

— C'est surtout normal, conclut-elle, en se relevant pour l'aider à débarrasser.

Terrorisé à l'idée de se prendre un vent en lui dévoilant ses sentiments, Ruben tente tant bien que mal de s'occuper l'esprit en nettoyant la vaisselle. L'estomac tiraillé par la peur de la perdre pour toujours, il se concentre pour respirer le plus normalement possible. Les gestes mal assurés, il pose ce qu'il lave sur l'égouttoir au fur et à mesure de son avancée.

Le visage déformé par l'angoisse, il propose à Charlie d'aller s'asseoir sur le canapé. Alarmée de le voir dans cet état, elle imagine déjà le pire.

— Tout va bien ? Tu n'as rien de grave à m'annoncer ? Tu ne vas pas mourir, hein ? le questionne-t-elle, le cœur au bord des lèvres.

— Non, non. Je ne vais pas mourir, Charlie. Il faut juste que je te parle de quelque chose d'important...

— Ah, oui ? Dis-moi donc, petit chat. Je t'écoute.

À la recherche d'une meilleure position, Charlie pivote vers lui de façon à pouvoir mieux le scruter avec attention. Puis, une fois bien installée, elle ne bouge plus d'un pouce.

— Dès l'instant où nous nous sommes croisés pour la première fois, j'ai su que nous nous reverrions. Tu te souviens de notre rencontre ? lui demande-t-il, en se stoppant dans son récit.

— Je m'en souviens tellement bien, oui. Je t'avais fauché avec ma valise et tu t'étais étalé par terre comme une crêpe, se remémore-t-elle, les yeux rieurs. Je ne t'avais pas fait trop mal ? se reprend-elle, inquiète.

— Non, finalement la chute a été plus spectaculaire qu'autre chose, mais c'est tout.

— Ça me rassure alors. Mais pardonne-moi, je t'ai coupé. Tu voulais me dire ?

Ruben souffle un bon coup pour se donner du courage. Il en a conscience : le plus difficile est à venir.

— Plus je passe de temps avec toi et plus je me rends compte que j'ai l'envie constante de prendre soin de toi, de te protéger, de te réconforter. Tu es si pétillante, pleine de vie et d'humour, et si jolie. Je vais sans doute te paraître niais mais lorsque je t'aperçois ou bien lorsque tu replaces une mèche derrière ton oreille, mon cœur s'affole. Lorsque je respire ton parfum qui embaume les différentes pièces que tu traverses, je perds la tête. Quand je t'ai revue au bar en compagnie des gars, j'ai su que si je devais un jour envisager de me mettre en couple, c'était avec toi. Ça a toujours été toi, Charlie... Pour être tout à fait honnête, lorsqu'on s'est embrassés à la fête foraine la dernière fois, j'ai ressenti tout un tas de choses en moi, que je n'avais jamais ressenti avec personne auparavant. Je tenais juste à te dire, avant que tu ne prennes ta décision, qu'être vu désormais comme ton petit ami serait un véritable honneur. Maintenant, j'ai peur de te perdre après avoir terminé mon monologue pathétique mais je ne pouvais plus garder ça pour moi. Je rêverais de continuer notre relation en ce sens si tu l'acceptes et si tu ressens la même chose que moi. Surtout, ne te sens en aucun cas forcée de me répondre de la même façon si ce n'est pas réciproque, conclut-il, la voix vibrante d'émotions.

Tremblant de tous ses membres, il tente de redevenir maître de lui-même. Toutefois, c'est sans compter sur le silence pesant que laisse planer Charlie depuis qu'il s'est ouvert.

S'imaginant alors qu'il a déjà tout gâché, ses yeux s'embuent.

— Ne prends pas mon silence pour un refus, Ruben. Je cherche juste une façon de te répondre le plus honnêtement qui soit. Ne pleure pas, s'il te plaît, le supplie-t-elle, en essuyant les larmes du Norvégien qui coulent sur ses joues.

Réfléchissant encore quelques instants, elle se lance finalement.

— Tu es une des plus belles personnes qu'il m'ait été donné de rencontrer. Tu sais, ça fait cliché de dire ça mais sans toi, ma vie ne serait pas pareille. Chaque jour qui passe, je me sens chanceuse de t'avoir à mes côtés. Tu es celui qui m'a sauvé, Ruben. Grâce à toi, je me reconstruis, j'apprends à m'ouvrir aux autres, j'apprends à m'aimer et à aimer à nouveau. Il n'y a que toi qui fais battre mon cœur de cette façon. Ça a toujours été toi aussi. Et je ne le dis pas pour te faire plaisir. Je le pense du plus profond de mon âme. Je te remercie de m'avoir parlé de tes sentiments, je te trouve très courageux. Tu as réussi à t'ouvrir à moi, à te confier, alors que moi je n'en ai pas eu la force. J'ai préféré attendre, priant intérieurement pour ne pas être seule à ressentir cela. Je suis prête à essayer un nous et à voir jusqu'où ça nous mène. Mais à une condition : que nous gardions notre histoire secrète un temps, le temps de renforcer davantage encore notre relation.

Mu par un élan irrésistible, Ruben attire Charlie contre lui et plaque ses lèvres sur les siennes. Ils restent ainsi, enlacés, savourant pleinement ce moment. Sur un petit nuage, il peine encore à y croire.

— Comme tu voudras, Charlie. Je n'y vois aucun inconvénient, et je suis en accord avec ce que tu désires. Nous pourrons aller à notre rythme, prendre le temps de nous découvrir, ensemble. Savoir que je ne te laisse pas indifférente non plus fait de moi l'homme le plus heureux. Tu n'as pas idée. Je n'arrive pas encore à réaliser, ça me paraît si beau.

— Merci, Ruben. Je suis soulagée que tu acceptes.

D'humeur câline, elle reste blottie dans les bras de son sauveur et désormais amoureux.

Tout compte fait, peut-être a-t-elle enfin le droit de goûter au bonheur ?


*Finbiff : il s'agit d'un repas traditionnel scandinave. Composé de renne finement tranché, ce ragoût est servi avec de la purée de pommes de terre et des baies rouges. Ce plat est réputé pour être extrêmement tendre et savoureux. 


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