ღ Chapitre 17 - La fête foraine ღ
Les quelques rayons du soleil qui percent à travers les volets de la chambre de Charlie font émerger Ruben de son sommeil en douceur. Il reprend conscience et pense avec mélancolie que les émotions ressenties et toutes les larmes qu'il a versées la veille l'ont épuisé et l'ont fait sombrer dans un sommeil réparateur malgré tout. L'entrevue une fois de plus désastreuse avec ses parents, la terrible nouvelle de la disparition de sa grand-mère bien aimée l'assaillent à nouveau dès qu'il ouvre les yeux. Avant de se lever, il tente de détendre ses muscles endoloris par les violents coups de pieds involontaires décochés par la Bretonne qui dort encore à poings fermés. Il s'étire alors en prenant soin de ne pas la réveiller au passage. Puis, il se lève le plus silencieusement possible, se glisse hors de la chambre et rejoint le salon où il consulte son portable.
Au vu des notifications qui ne cessent d'apparaître sur son écran, il jure tout bas. Lars, Gustav et Gabriel l'ont bombardé de messages et d'appels, tout aussi inquiets les uns que les autres. Touché par la sollicitude de son frère et de ses amis, il s'empresse de les rassurer.
Son estomac le rappelant à la réalité, il commence à fureter dans les placards ainsi que dans le frigidaire. Soudain, il lui vient une idée lumineuse : pourquoi ne pas préparer à Charlie un petit-déjeuner typiquement norvégien pour la remercier du délicieux repas français qu'il a dégusté au dîner ?
D'ailleurs, la chance semble être de son côté : rien ne manque. Satisfait, il sourit et se met au travail. Tout compte fait, cela lui évitera en plus de cogiter.
Quelques instants plus tard, les cheveux remontés en un simple chignon et emmitouflée dans une polaire gris souris, Charlie arrive dans la cuisine et découvre, ravie, ce que Ruben a préparé. Disposées dans son assiette, des tranches épaisses de saumon Gravlax mariné à l'aneth sont accompagnées de brunost* et de knekkebrød*.
Cette délicate attention lui allant droit au cœur, elle comble l'espace qui la sépare du sportif et vient, sans hésiter, enrouler ses bras autour de lui.
— Mille mercis, Ruben. Je suis sûre que ça va être délicieux. On se préparait mentalement avec Gabriel ces derniers jours pour y goûter.
— Comme quoi, l'occasion sera venue plus tôt que prévu, s'amuse-t-il. Tu m'en diras des nouvelles ?
— Bien sûr, tu auras droit à mes réactions en direct. Je te propose même qu'on mange maintenant. Qu'est-ce-que tu en dis ?
— Ça me tente bien. Bon appétit, Charlie.
— Bon appétit à toi aussi, conclut-elle, avant de rejoindre la table et de s'installer sur une des chaises en bois.
Soucieux que ce qu'il lui a préparé ne lui plaise pas, Ruben guette ses moindres mimiques. Il doit l'avouer : au premier abord, elle semble apprécier les différentes saveurs des aliments qui viennent au contact de son palais.
— J'avais raison de ne pas en douter. J'adore !
— Tu n'es pas trop étonnée de commencer une journée par ce type de nourriture ?
— Oh, c'est un peu surprenant, si. Je n'avais jamais mangé de poisson aussi tôt, mais ça ne me dérange pas pour autant. J'imagine que tout pays a ses spécialités et ses habitudes.
— C'est vrai. En France vous prenez quoi ?
— En général, du pain et du beurre. Mais on peut aussi se laisser tenter par quelques petites viennoiseries ou encore des fruits.
Peu à peu, il découvre avec intérêt les us et coutumes du pays où vit son amie. Il aimerait tellement voyager un jour lui aussi... Si seulement il avait l'argent nécessaire...
- - - - -
Une fois douchés et habillés, Ruben et Charlie enfilent leurs chaussures dans le hall d'entrée. Tenant absolument à le faire penser à autre chose, elle lui propose d'aller faire un tour à la fête foraine qui prendra fin d'ici le soir-même.
Revêtus de leurs manteaux d'hiver, ils ferment la porte et dévalent les escaliers, pressés à l'idée d'arpenter les rues qui les mèneront à bon port. Tout autant couverts qu'eux, des passants se dirigent vers les centre commerciaux des environs. Cinq bonnes minutes plus tard, les deux amis prennent un billet chacun pour la grande roue. Bien qu'elle ait le vertige, Charlie hésite à en parler à Ruben. Le voir des étoiles dans les yeux n'a pas de prix, surtout au vu de la période difficile qu'il vit... Pour une fois, elle veut bien essayer de surmonter cette terreur. De toute manière, ce ne doit pas être sorcier !
Ou pas...
Alors qu'ils montent jusqu'au point culminant de l'attraction, Charlie sent ses dernières forces l'abandonner. Très mal en point, elle s'interdit de regarder les bâtiments qu'elle voit désormais d'en haut. Paniquée à la seule perspective que leur cabine s'écrase en contrebas, elle avale avec difficulté sa salive. Remarquant qu'elle est au plus mal, Ruben tente le tout pour le tout et plaque ses lèvres sur les siennes. Après tout, la faire se concentrer sur autre chose ne peut qu'être bénéfique. D'abord surprise, elle finit par répondre au baiser de son sauveur. Dans leur bulle, ils ne remarquent pas tout de suite qu'ils redescendent déjà. Ce n'est que lorsqu'ils sentent à nouveau l'air frais du vent fouetter leur visage qu'ils prennent conscience qu'ils ont à nouveau les pieds sur terre. Tous deux gênés par le fait qu'ils se soient laissés autant emporter, ils se relèvent avec maladresse de leur siège et échangent un regard timide. Le cœur battant à tout rompre, ils se raclent la gorge.
— Je suis désolé, je ne t'ai pas demandé la permission, s'excuse Ruben, d'une voix à peine audible.
Rouge comme une pivoine, Charlie met du temps avant de trouver les mots.
— Ne le sois pas, j'étais consentante. Et puis, au moins, tu auras réussi à réduire, voire faire disparaître mon angoisse. J'aurais dû te dire que j'avais le vertige... admet-elle, penaude.
— Tu voulais me faire plaisir, ce n'est rien. C'est moi qui aurais dû me rendre compte que tu n'étais pas totalement emballée...
— Non, non. C'est de ma faute, Ruben. Pardon.
— Il n'y a pas de mal, Charlie. Vraiment. Ça te dit de faire autre chose pendant qu'on est là ?
— Si ça te va, j'aimerais beaucoup essayer la carabine.
— Parfait, allons-y dans ce cas, accepte-t-il, soulagé de changer de sujet.
Comme une enfant prête à découvrir ses cadeaux au pied du sapin, Charlie se presse d'aller à l'endroit qu'elle a repéré. Contraint de faire de grandes enjambées pour la rattraper, Ruben la suit de près.
— Allez, je paye, annonce-t-il, en tendant le montant demandé au forain.
Tout sourire, ce dernier accepte l'argent et lui rend la monnaie. Puis, il charge l'arme et la tend à la jeune femme.
— Merci, dit-elle à l'attention des deux hommes, en la récupérant.
Décontenancée par son poids, Charlie perd presque l'équilibre. Heureusement retenue par la taille par Ruben, elle se positionne pour tirer dans les ballons de baudruche qui virevoltent dans tous les sens et paraissent la narguer. Sept tentatives infructueuses plus tard, elle se retourne dépitée vers lui.
— C'est truqué, se plaint-elle. Je voulais une peluche moi...
— Laisse-moi essayer. En général, je me débrouille plutôt bien.
— Mais tu as payé pour une partie déjà. On ne va pas en faire une autre et perdre...
— Juste une autre. Promis, pas plus.
— Bon, c'est d'accord. Mais c'est moi qui paye.
— Non, Charlie. Tu pourras payer pour autre chose mais là, c'est moi qui invite, lui impose-t-il, en tendant une nouvelle fois dix couronnes.
Grommelant dans sa barbe, elle pense déjà à la façon dont elle pourrait le rembourser. Prête à assister à cette nouvelle partie, elle se décale et observe Ruben se mettre en place avec la carabine à nouveau chargée. Deux ballons éclatés du premier coup ! Réellement admirative, elle se concentre et essaie de lui envoyer toutes les bonnes ondes possibles. Deux autres ! Plus qu'un et la victoire sera leur...
Ça y est ! Couinant comme un cochon qu'on égorge, elle bondit sur le dos de Ruben.
— On a gagné ! explose-t-elle de joie. Tu es le meilleur, Rubichon !
Riant aux éclats, il dépose la carabine et place ses mains sous les cuisses de Charlie pour éviter qu'elle tombe.
— Quelle peluche vous ferait plaisir ? s'enquiert alors le propriétaire du stand, en anglais.
— Le grand ours crème si c'est possible, demande-t-elle.
— Bon, normalement il faut jouer plus que cela mais vu que je trouve votre couple très mignon et que c'est le dernier jour, prenez-le. C'est cadeau !
— Merci beaucoup, Monsieur. C'est très gentil de votre part, conclut-elle, en se saisissant de l'énorme animal en peluche. Bonne journée !
— Bonne journée à vous aussi !
Désormais motivée comme jamais, elle propose à l'heureux gagnant de prendre une boisson chaude dans un bar. Ravi de passer du temps avec elle, il accepte avec joie.
— Peut-être que nous pourrions même prendre nos boissons à emporter ? Et on se pose ensuite chez moi. Si ça ne te dérange pas, j'aimerais voir comment mon frère tient le coup...
— Il n'y a aucun problème. Ne traînons pas dans ce cas.
À l'affût d'un endroit sympa, ils ne tardent pas à en trouver un réputé pour faire d'excellents produits. L'ambiance familiale qui s'en dégage les met aussitôt à l'aise. Après s'être frayés un chemin entre des tables en bois clair, ils arrivent au bar. D'un air avenant, le serveur qui les accueille leur demande ce qu'ils veulent consommer. Cette fois-ci, Charlie paie sa tournée. Alors que Ruben commande un café ainsi qu'un chocolat chaud à emporter, elle fouille dans son portefeuille, prête à dégainer le montant dû.
— Cela vous fera dix couronnes, s'il vous plaît, dit le serveur, en tendant le sac en kraft contenant les deux gobelets commandés à Ruben.
— Tenez, s'empresse de donner Charlie. Vous pouvez garder la monnaie.
Touché, le barman lui adresse un sourire sincère.
De retour à l'extérieur, ils s'empressent de rejoindre le logement du Norvégien. Et, une fois arrivés à destination, il s'autorise enfin à souffler. Lorsqu'ils poussent la porte, Lars vient aussitôt à leur rencontre.
— Gustav n'a pas du tout le moral, il a besoin de soutien je crois... chuchote-t-il. Le décès de votre mamie, l'embrouille avec vos parents quand il a voulu prendre ta défense et le fait que tu n'aies pas répondu avant ce matin l'ont achevé. Venez vite tous les deux.
Alarmés, ils pénètrent dans le salon. Les yeux pleins de larmes, Gustav relève la tête vers eux.
— Hey, les salue-t-il, d'une voix cassée.
— Gustav, on va t'aider à surmonter cette douloureuse épreuve, lui promet Charlie en s'approchant de lui. On est là, tous ensemble. D'accord ? poursuit-elle, en s'asseyant à ses côtés, la main posée sur son avant-bras.
— Merci, Charlie. J'avais tellement peur qu'il soit arrivé quelque chose en plus à Ruben. Il était avec toi ?
— Oui, on était ensemble et il était tellement mal lui aussi. J'aurais dû vous prévenir, je n'y ai pas pensé. Je suis désolée, s'excuse-t-elle.
— Le principal, c'est qu'il soit toujours là. Tu sais, Ruben, j'ai moi aussi dit le fond de ma pensée à papa et maman. Ils n'avaient pas à nous annoncer le décès de mamie sur un ton aussi léger... Je les déteste.
— Je suis tellement navré de te voir dans cet état. Ils sont tout ce que je ne voudrais pas être. Je suis là pour toi... Toujours...
Gabriel écoute ses amis sans rien dire. Son regard s'attarde brusquement sur Ruben. Il remarque un détail pour le moins surprenant : une trace du rouge à lèvres de Charlie se trouve sur sa bouche...
* brunost : Il s'agit d'un terme générique pour désigner un type de fromage norvégien à pâte brune et au goût caramélisé. Il ne s'agit pas d'un fromage au sens strict du terme, mais d'une réduction de petit-lait, additionné de lait ou de crème selon la variété.
* knekkebrød : Pain croquant. Connu également sous le nom de « pain Wasa » en France.
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