ღ Chapitre 1 - La lumière au bout du tunnel ? (Partie 4) ღ

Quelques minutes de marche plus tard, les deux compères atteignent la destination qu'ils s'étaient fixés.

Face au REMA 1000* – enseigne de supermarché typiquement norvégienne  –, Charlie et Gabriel y pénètrent après avoir pris leur courage à deux mains. Déroutés par la présence de palettes de manutention en acier galvanisé regorgeant d'articles disposées à même le sol, ils remontent, d'un air hagard, les allées des différents rayons. Slalomant entre les divers obstacles, le futur manager, suivi de près par Charlie, stoppe le chariot de temps à autre pour se saisir de quelques denrées. De son côté, la jeune fille prend plaisir à observer tout ce qui l'entoure. Tout est si nouveau pour elle...

Qui sait ? Bien que difficile à voir pour le moment, peut-être verra-t-elle enfin la lumière au bout du tunnel ?

— On aura fait vite, hein ? s'émerveille-t-elle, une fois arrivée à la caisse.

— L'union fait la force, n'est-ce-pas ?

— Je n'aurais pas mieux dit !

Hvordan vil du betale* ? s'enquiert l'employée, après avoir passé leurs achats de l'autre côté.

Pensant avoir une idée de génie et certaine de réussir à gérer la situation, Charlie se retourne vers Gabriel et lui adresse un clin d'œil.

— Nous ne comprenons pas ce que vous avez dit. Pourriez-vous répéter, s'il vous plaît ? demande-t-elle à son tour, en anglais.

Jeg snakker ikke språket ditt, fru*, lui répond la quarantenaire, le rouge aux joues.

Les sourcils froncés et les yeux plissés, Charlie tente de comprendre. En vain. Le visage déformé par l'inquiétude, elle fait volte-face et demande aux personnes situées derrière eux, s'ils peuvent avoir l'amabilité de lui traduire ce que vient de dire la salariée.

— Elle est en train de vous expliquer qu'elle ne parle pas votre langue et elle vous demande comment vous souhaitez régler la somme due, intervient un jeune homme châtain.

— Oh merci beaucoup, Monsieur, le bénit-elle avec sincérité. Gabriel, vite... s'il te plaît, montre ta carte bancaire, continue-t-elle, en français cette fois-ci.

Obéissant, il la lève.

Sans doute soulagée, la caissière leur indique l'endroit où ils peuvent procéder au paiement.

Une catastrophe vient d'être évitée... C'était moins une !

Heureusement que le ridicule ne tue pas. Auquel cas, cela ferait bien longtemps qu'elle serait six pieds sous terre...

La situation devient vite oppressante pour Charlie. Malaise. Sentiment de ne jamais être à la hauteur. Perte de temps infligée à cette pauvre femme. Autant d'émotions la poussant à se précipiter à l'extérieur, les bras chargés de sacs de course. Toutefois, malgré sa bonne volonté, elle se retrouve très vite freinée par le poids de ce qu'elle porte. Contrainte de s'arrêter et de poser le tout par terre, elle finit par se redresser.

Mais où peut-il bien être ?

Tournant la tête de gauche à droite, elle cherche du regard son meilleur ami. Serait-il encore à l'intérieur à discuter le coup on ne sait comment ?

Soudain, elle se fige. 

Brisée, elle assiste impuissante à une scène qu'elle n'a que trop vécue. Moquée par un groupe de garçons, une lycéenne, le dos reposant contre un mur, cherche à se défendre tant bien que mal. 

D'effroi, les poils de ses bras se hérissent. La tête commence à lui tourner, ses oreilles bourdonnent, ses épaules s'affaissent. Les paumes de ses mains deviennent moites et les battements de son cœur accélèrent à vive allure. Peu à peu, ses dernières forces l'abandonnent. Elles aussi touchées par cet état de panique, ses jambes semblent se transformer en coton.

Totalement désemparée et angoissée, Charlie respire aussi fort qu'un taureau qui s'apprête à charger un toréador. Rattrapée par son passé sans qu'elle ne puisse lutter, ses souvenirs refont brutalement surface.

— Mais dégage, sale pu*e ! Tu vois pas que tu gênes ? s'emporte Ronan, en l'envoyant valser par terre.

— Bah alors, chérie ? Tu tiens plus sur tes jambes ? se moque Briac en la rouant de coups, encouragé par les rires de tous ces moutons dénués d'humanité.

— Hey les gars, faudrait peut-être qu'on investisse dans une corde et qu'on la lui donne, elle nous fera moins chier une fois dans la tombe ! C'est vrai quoi, personne ne l'aime... T'as pas encore remarqué ça, bouffonne ? Personne te regrettera, lance Romuald, d'un air dédaigneux, avant de la tirer par les cheveux pour la forcer à se relever.

— T'as perdu ta langue, le squelette ? Tu dis plus rien ? surenchérit Erwann, en lui écrasant les doigts sur lesquels elle tente tant bien que mal de prendre appui pour se relever.

Non, elle ne dit rien. Elle voudrait lui porter secours mais son corps est de plomb. Seuls les mots parviennent à son esprit sans qu'elle puisse les formuler à haute voix. 

Je sais ce que tu vis. Je reconnais ta frayeur. Je me vois en toi. Ce n'est pas la peine de donner des coups d'épée dans l'eau comme tu le fais, tu t'épuises inutilement. Ils continueront, coûte que coûte. Ils ne te lâcheront pas. Jamais.

Tu étais là au mauvais moment, au mauvais endroit.

Le destin peut se montrer cruel des fois. Tu ne crois pas ?

— Charlie, la hèle Gabriel, tu ne pouvais pas m'attendre, non ?

Remarquant son absence de réaction, il se plante devant elle. Le visage ruisselant de larmes, elle semble ailleurs.

C'est en suivant son regard qu'il comprend.

— Charlie, l'appelle-t-il, en la secouant avec énergie.

Toujours rien.

Voulant lui prouver qu'il sera toujours là pour elle, il ne réfléchit pas plus longtemps et l'enlace.

Ce geste affectueux a pour effet de la faire revenir sur Terre.

— Mon Bambi, je suis là... tente-t-il de la rassurer.

— Gaby... hoquette-t-elle, contre lui. Je voulais l'aider, tellement l'aider... 

— Ça va aller, c'est terminé... Des gens viennent d'intervenir et de prendre sa défense, lui murmure-t-il, en passant une main, avec tendresse, dans ses longs cheveux blonds.

— On peut rentrer ? demande-t-elle, d'une voix à peine audible.

— Bien sûr mon petit chat. Chargés comme nous sommes, je vais voir si un taxi peut passer nous prendre.

— Mais ça va être cher... se plaint-elle.

— Ne te tracasse pas, on fera plus attention la prochaine fois, lui assure-t-il, en mettant fin à leur étreinte, avant de s'éloigner pour contacter la compagnie.

La Norvégienne a pu compter sur des gens pour l'aider à mettre fin à son calvaire. Les passants semblent davantage agir, ici.

Charlie n'a jamais eu cette chance. Personne ne l'a jamais défendue. Pourtant, bon nombre ont assisté au cauchemar qu'elle endurait chaque jour.

La Bretonne en est persuadée : jamais cela ne serait allé si loin si Gabriel avait été là. Tout aurait été différent.

À bien y réfléchir, sans lui et son soutien quotidien et sans faille, elle ne serait d'ailleurs plus là depuis longtemps...

— Un taxi va passer nous chercher d'ici quelques secondes. Apparemment, le chauffeur est à quelques rues, l'avise Gabriel, en revenant à côté d'elle.

Et, à peine lui a-t-il annoncé cette information, le fameux véhicule noir s'arrête près d'eux.

— Ah, le voilà ! s'écrie-t-il, ravi.

Après avoir rangé leurs courses dans le coffre, ils s'installent sur les sièges en cuir à l'arrière de la Mercedes. Jetant un coup d'œil dans le rétroviseur pour vérifier qu'ils se sont attachés, le conducteur finit par démarrer et prend la direction de leur appartement.

Perdue une nouvelle fois dans ses sombres pensées, Charlie se contente de regarder la route défiler sous ses yeux et reste silencieuse tout au long du trajet. 

Arrivés à bon port, ils déchargent la voiture, règlent la course et rejoignent leur domicile.

— Voilà une bonne chose de faite, claironne Gabriel en rentrant. Il ne nous reste plus qu'à ranger toutes nos provisions.

— Côté nourriture, on est tranquille pour quelques jours, ajoute Charlie, en contemplant la montagne de sacs qui s'amoncellent dans la cuisine.

Grâce à leur travail d'équipe hors-pair, le frigidaire et les nombreux placards fonctionnels se retrouvent remplis quelques minutes plus tard.

Alors qu'il se tourne vers le salon, Gabriel s'étonne.

— Tiens, je n'avais pas remarqué tout à l'heure le gris anthracite qui recouvre les murs.

— Maintenant que tu le dis, je n'y avais pas fait attention non plus. Heureusement, le plafond et le sol sont clairs.

— Tu as raison, ça permet d'apporter un peu de luminosité lorsque les volets sont fermés, souligne-t-il, avant d'être interrompu par l'estomac de Charlie qui crie famine.

Rouge comme une pivoine, elle place instinctivement ses mains sur son ventre.

— Pardon, grommelle-t-elle, confuse.

— Pas besoin de t'excuser pour si peu, Bambi. On ferait mieux de préparer le repas avant que tu nous fasses une crise d'hypoglycémie.

Partante, elle hoche la tête.

— De quoi as-tu envie ce soir ?

— De quelque chose de simple. Des pâtes peut-être ?

— Ça me va, oui.


* REMA 1000 : Enseigne norvégienne qui propose une large gamme de produits à sa clientèle et qui présente l'avantage d'un excellent rapport qualité-prix.

* Hvordan vil du betale : signifie « Comment souhaitez vous payer ? » en Norvégien.

* Jeg snakker ikke språket ditt, fru : signifie « Je ne parle pas votre langue, Madame » en Norvégien.


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