ღ Chapitre 1 - La lumière au bout du tunnel ? (Partie 1) ღ
Mesdames, messieurs. Nous commençons notre descente vers l'aéroport de Bergen. Nous vous invitons à regagner votre siège et à vous assurer que vos bagages à main sont rangés dans les coffres prévus à cet effet ou sous le siège devant vous. Les portes et issues doivent rester dégagées de tous bagages. Des navettes sont mises à disposition à la sortie de l'aéroport pour ceux qui souhaitent rejoindre le centre-ville.
De nature anxieuse, Charlie ne peut s'empêcher de s'imaginer les pires scénarios qui soient.
Et si l'avion était victime d'une défaillance de dernière minute ?
Et si du monoxyde de carbone se répandait à la vitesse de l'éclair dans les différents espaces, provoquant une intoxication et entraînant la mort de toutes les personnes à bord, d'une pierre deux coups ?
Et si un trou d'air se formait sans crier gare, les empêchant de redresser l'appareil à temps ?
Et si des oiseaux venaient à s'engouffrer dans les réacteurs ?
Et s'ils se retrouvaient aspirés par une force inconnue et disparaissaient sans laisser de trace ?
Il faut l'avouer, les décollages et les atterrissages n'ont jamais été une partie de plaisir pour la Bretonne.
Tétanisée à l'idée que l'avion dans lequel elle se trouve vienne embrasser avec férocité le bitume de la piste de l'aéroport, elle déglutit bruyamment. Sentant la panique s'emparer de son corps frêle, elle ferme ses yeux bleus du plus fort qu'elle le peut.
Connaissant la peur incontrôlable qui s'empare d'elle dans les transports aériens, Gabriel, son meilleur ami, saisit sa main et la presse en douceur.
Qui sait ? Peut-être que ce geste aura pour vertu de la tranquilliser ?
Ces quelques minutes de descente lui paraissent durer une éternité. Surtout avec cette douleur lancinante qui ne le quitte plus. Les ongles de la jeune fille enfoncés dans sa paume, il grimace.
Au vu du supplice qu'il subit présentement, il n'a, sans l'ombre d'un doute, pas réussi à l'apaiser.
Et puis, ça y est. C'est terminé.
— Charlie, on est arrivés, la prévient-il, en murmurant dans le creux de son oreille. Tu peux rouvrir les yeux.
Méfiante, elle se risque à ouvrir un œil. Puis l'autre. En effet, après un rapide examen de la situation, il semblerait que Gabriel ne lui ait pas menti.
Les roues n'auront finalement pas explosé !
Ils se trouvent bel et bien sur la terre ferme. Quel soulagement !
— Mais Gabriel, tu te rends compte ? Nous avons réussi à échapper à une panne de moteur au décollage et, à l'instant même, à éviter que des oiseaux viennent s'engouffrer dans les réacteurs ! C'est formidable !
— Bergen, nous voilà ! s'écrie-t-il, ravi de retrouver l'enthousiasme dont sa meilleure amie faisait preuve autrefois.
S'apercevant soudain des regards consternés des passagers sur elle, Charlie sent le rouge lui monter aux joues et se recroqueville, par automatisme, sur son siège.
Pourquoi a-t-elle la fâcheuse manie, malgré son douloureux vécu, de toujours se laisser submerger par les émotions ?
Ce n'est pas logique.
D'un côté, être remarquée et jugée par les autres est devenu l'une de ses grandes phobies. De l'autre, elle persiste à attirer l'attention sur elle, sans le vouloir.
Quelque chose doit clocher chez elle.
C'est certain.
Perdue dans ses pensées, elle suit Gabriel, en silence. Seul le bruit des roulettes des bagages qu'elle vient de récupérer se fait entendre. D'ailleurs, ce n'est que lorsque le vent frais vient claquer ses joues avec violence qu'elle prend conscience qu'ils sont sortis de l'aéroport. De nombreux taxis, garés en file indienne, attendent, coffre ouvert, le long du trottoir. Timidement, elle relève la tête vers son meilleur ami.
Ce n'est pas de chance pour elle. Il semble attendre une réponse.
Mais à quel propos ?
— Tu disais ? s'enquiert-elle, en se raclant la gorge, gênée.
— Ah, ma petite Charlie... Je te retrouve bien là. Toujours dans la lune, hein ? la taquine-t-il, avec affection.
— Désolée... Je ne faisais pas attention... grommelle-t-elle, sans doute agacée par elle-même.
Amusé par sa réaction, il lui adresse un sourire franc.
— Je te demandais si tu te sentais prête à monter dans la navette qui nous attend ?
— Oh ! Euh... Oui ! J'imagine ?
— Plus tôt on la prendra, plus tôt on pourra découvrir la ville et notre appartement, avance-t-il alors comme argument.
— Alors allons-y ! conclut-elle.
Gabriel sur ses talons, elle s'engouffre dans leur nouveau moyen de locomotion, chargée comme un baudet.
Pleine de bonne volonté, elle demande poliment un ticket de bus au chauffeur.
— Cela fera soixante-quinze couronnes*, s'il vous plaît.
L'équivalent de sept euros et cinquante centimes pour seulement quelques kilomètres ? Ce n'est pas possible !
Pensant sans doute à une blague, elle s'esclaffe.
— J'ignorais que la coutume était d'accueillir les étrangers par une boutade. C'est original. Mais combien dois-je réellement payer ?
Mordillant sa lèvre avec nervosité, le vieux monsieur la regarde longuement.
— Je suis sérieux, Madame. Le trajet jusqu'au centre-ville coûte soixante-quinze couronnes, répète-t-il, d'une voix à peine audible.
C'est plus fort qu'elle. Les yeux arrondis comme des soucoupes, elle se tourne vers son meilleur ami. Pas de réaction de sa part. Aucune trace de soutien à l'horizon non plus. C'est à se demander s'il a entendu les propos aberrants tenus par l'employé... Elle seule semble s'étonner du côté absurde de la situation. Elle croirait se retrouver dans un film de Charlie Chaplin...
Certes, son université lui avait mentionné le fait que la vie était chère en Norvège, mais jamais elle n'aurait imaginé que les prix seraient aussi élevés !
C'est impossible !
Complètement abasourdie par cette nouvelle, elle se retourne vers le chauffeur et lui tend la somme exigée.
— Je vous remercie, dit-il en prenant la monnaie et en lui tendant son ticket. Bienvenue dans notre pays, lui glisse-t-il, avant de reporter son attention sur le grand brun.
Encore une fois, elle tombe de haut. À peine arrivée, voilà qu'elle se retrouve déjà sans un sou vaillant*. Ou presque...
Estomaquée, elle fait quelques pas avant de revenir à la raison.
Traverser seule cette foule d'inconnus est inconcevable. Les battements de son cœur s'accélèrent rien que de penser à cette folle idée. Ses mains deviennent moites. Son souffle se fait plus irrégulier. Finalement, mieux vaut attendre Gabriel. Le risque d'entendre fuser des moqueries sera moindre. Le risque de se prendre un coup dans le ventre aussi.
Mais peut-être que la mentalité ici est différente ?
Peut-être que se trouver à Bergen revient à être dans une bulle, loin de toute méchanceté gratuite ?
L'arrivée de son meilleur ami à ses côtés l'empêche de cogiter plus longtemps.
— Prête ? la questionne-t-il, d'un ton se voulant rassurant.
— Prête, répète-t-elle, en le suivant fièrement, exactement comme si elle était en pleine ascension de l'Everest.
Pour leur plus grand bonheur, deux jeunes hommes, mallettes en main, se lèvent en les voyant arriver. Ils leur indiquent par le biais de gestes compréhensibles, qu'ils peuvent s'asseoir et prendre leurs places.
Après les avoir remerciés longuement dans un anglais encore un peu maladroit, Charlie et Gabriel s'installent, reconnaissants, sur les sièges à la teinte vert pomme.
Le moins qu'on puisse dire, c'est que ce comportement est bien différent de ce que l'on peut retrouver fréquemment en France...
Leur séjour ici semble démarrer sur les chapeaux de roue. Pourvu qu'ils s'y plaisent...
Les portes de la navette se referment.
Les voilà désormais en route vers Bergen, ville notamment caractérisée par les fjords et les montagnes qui l'entourent. Bordés par des sapins si resserrés qu'ils empêchent un simple rayon de lumière naturelle de percer entre leurs branches, les chemins sinueux qu'ils empruntent assombrissent davantage tout ce qui pèse déjà sur les maigres épaules de la jeune femme.
La tête reposant contre la vitre, Charlie, en proie à de douloureux souvenirs, ne peut s'empêcher de penser à la raison qui l'a poussée jusqu'ici.
— Bouge de là, sale pu*e ! rugit Briac, les yeux animés d'une perversité diabolique, exactement comme s'il était possédé par un de ces êtres démoniaques.
— Non mais tu comprends ce qu'on te dit ? s'emporte Romuald, dont le souffle fétide s'exhale avec une rapidité déconcertante de sa bouche dédaigneuse.
— Faut manger, l'allumette ! lance Loïc avec virulence, avant d'envoyer valser Charlie, à l'aide de ses griffes acérées, contre un des murs du couloir menant aux salles de cours.
— Bah alors le squelette, tu dis rien ?
Chaque jour, c'était la même chose. Elle devait subir ces paroles rabaissantes et ces coups à répétition au visage et sur le corps. Et si elle avait le malheur de lâcher un léger cri de souffrance, juste UN, les coups reprenaient jusqu'à ce qu'un mince filet de sang, au goût amer et ferrugineux, finisse par franchir la barrière de ses lèvres.
Leur odeur corporelle infecte et leur respiration bestiale la dégoûtaient.
Pourquoi ces nombreux spectateurs n'intervenaient pas ?
Ces monstres venaient retirer son insouciance, sa vie si paisible en un claquement de doigt, pour la seule et unique raison qu'ils en avaient décidé ainsi.
Sa vie lui échappait toujours un peu plus. Mais après tout, cela n'avait plus d'importance.
Plus aucune espèce d'importance.
* 75 couronnes (NOK) : L'équivalent de 7€50 environ.
* Sans un sou vaillant : Se retrouver fauchée. Être ruinée, sans argent.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top