ღ Chapitre 3 - La rentrée (Partie 3) ღ

D'une démarche chancelante, Charlie pénètre dans l'amphithéâtre. Les doigts resserrés autour de l'anse de son sac, elle s'approche des marches qui mènent aux différentes rangées de sièges. De crainte d'attirer l'attention, elle en descend quelques unes à pas de loup et se précipite vers un strapontin dans un coin où personne ne viendra se joindre à elle. Apeurée, elle balaie les alentours du regard. Le cœur prêt à sortir de sa poitrine, elle s'assoit sans un bruit et tente de reprendre son souffle. D'un geste maladroit, elle essuie ses mains moites sur son jean. Dans cet environnement hostile et sonore, elle se sent oppressée. Toutes ces têtes qu'elle ne connaît pas la rendent mal à l'aise. Avec difficulté, elle avale sa salive et se hasarde à se convaincre qu'ici tout ira bien.

Tremblante, elle sort une poignée de minutes plus tard un bloc-notes ainsi que sa trousse remplie de fournitures qui lui seront utiles. Son stylo porte-bonheur entre les dents, elle attend, comme les autres étudiants, que les professeurs arrivent. Comme si ses pensées avaient été entendues, ils entrent par la porte du bas et rejoignent le long bureau en bois dans le brouhaha. Charlie retient sa respiration, rattrapée à nouveau par son angoisse. Alignés en rang d'oignons, l'un d'eux abat trois fois une brosse sur l'immense tableau noir. La communicante croit défaillir. Aussitôt, le silence se propage à la vitesse de l'éclair et finit par régner en maître.

— Bonjour à toutes et à tous. Je suis Erik Thorn, enseignant chercheur spécialisé dans le digital et responsable de la licence communication. Au nom de toute l'équipe pédagogique, je vous souhaite la bienvenue.

En guise de réponse, les élèves hochent la tête et dévisagent les intervenants tour à tour. La mine sérieuse, Charlie prend des notes pour s'assurer de ne rien oublier. Les matières présentées lui parlent. Certaines lui donnent même grandement envie de suivre les leçons de manière assidue.

Rouge de concentration, elle continue à gratter le papier lorsque les activités extra-scolaires sont développées par la responsable pédagogique de l'établissement.

— Des balades par groupe d'une vingtaine de personnes peuvent être organisées si vous nous en faites la demande, annonce Madame Johansen, la directrice de l'université de Bergen. Je tiens à préciser également que les cours se tiendront dans nos locaux du lundi au jeudi inclus. Nous avons pris cette décision pour que vous puissiez découvrir le pays et notre culture. J'espère que ça vous convient ?

— Oui ! s'exclame l'assemblée en chœur alors que Charlie se recroqueville sur elle-même, effrayée à l'idée qu'on la remarque.

— Très bien. Je vais continuer mon tour dans ce cas pour rencontrer les différentes promotions. Je vous souhaite une très belle journée et n'hésitez pas si vous ressentez le besoin de venir me voir, mon bureau se situe au dernier étage tout au fond du couloir.

Intimidée, Charlie triture son t-shirt avec nervosité. D'horribles pensées surgissent dans son esprit sans crier gare.

Et si ce n'était que des paroles en l'air ?

Et si elle se retrouvait ici aussi prise à partie par un groupe d'individus malveillants ?

Et si ce qu'elle a subi à Rennes n'était que du pipi de chat comparé à ce qu'elle s'apprête à vivre ici ?

Exactement comme si elle ne voulait pas voir ce qui l'attend, elle ferme ses yeux remplis de larmes du plus fort qu'elle le peut et essaie de se calmer en pinçant l'arête de son nez en trompette.

De son côté, le dos droit, Gabriel se tient à proximité d'une cohorte de diverses nationalités. Parmi eux, une jeune femme haute comme trois pommes aux yeux verts perçants et à la chevelure de feu attire son attention. D'un air avenant, elle lui adresse un magnifique sourire qui dévoile des dents blanches parfaitement alignées.

Avec assurance, elle prend place à sa droite et sort ses affaires.

— Salut, je m'appelle Brenda, se présente-t-elle avec un accent texan reconnaissable entre mille.

Louchant sur son opulente poitrine, Gabriel ne perçoit que des bribes de ce qu'elle lui raconte.

— Hey, c'est ici que ça se passe ! le rappelle-t-elle à l'ordre, en faisant des signes exagérés dirigés vers son visage.

— Oui... Pardon ! Je suis là ! répond-il, très troublé.

Amusée, elle pose sur l'avant-bras frissonnant du futur manager une paume douce et chaude puis lui explique qu'elle a l'habitude d'avoir ce type de réactions de la part de la gente masculine. Gêné, Gabriel se racle la gorge et tente de se rattraper tel un singe à une branche. Le résultat escompté ne se produit pas. Le miracle n'a pas lieu. À la place, au fur et à mesure qu'il développe son point de vue, il s'embourbe de plus en plus. Hilare, Brenda ne peut se retenir de rire plus longtemps. Elle ne pensait pas que les français étaient si marrants. Au grand dam de Gabriel, l'entrée tonitruante des fonctionnaires met fin à leur complicité naissante. En véritable cancre – et fier de l'être –, il s'avachit alors sur sa table et écoute d'une oreille distraite les informations qui sont données au compte-goutte.

— Tout au long de cette année, vous serez amenés à travailler sur des projets ayant pour objectif de vous faire progresser, indique le doctorant en management stratégique. Des restitutions écrites et orales sont attendues. Nous vous communiquerons le planning ultérieurement.

— Le coefficient de ces travaux est élevé, ajoute l'un de ses collègues, Monsieur Hansen.

— Comme je vous le disais là, ce sont des points qui peuvent être donnés si vous prenez tout cela au sérieux, reprend le thésard. Nous nous tiendrons bien évidemment à votre disposition pour vos questions éventuelles.

Après ce discours qui paraît interminable à Gabriel, divers documents sont ensuite distribués dans les rangées. Le moral dans les chaussettes, il prend conscience que ce séjour à Bergen ne va pas être des vacances comme il se l'était imaginé au premier abord... Grimaçant, il se risque à jeter un œil aux feuilles désormais entre ses mains. L'emploi du temps hebdomadaire lui donne envie de se sauver à toutes jambes. Vingt-cinq heures de cours ? C'est beaucoup trop ! Le plan de la fac ? Comment ne pas se perdre dans ce lieu immense et austère ? Le week-end de trois jours rattrape la mise. C'était moins une !

— Oh ! Hé ! Du bateau ! s'écrie Brenda.

Mortifié, Gabriel pivote dans sa direction. Ses yeux exorbités et déjà tués font leur effet. L'Américaine, bonne vivante, s'esclaffe.

— Je te demandais si tu accepterais qu'on bosse ensemble pour avoir d'excellents résultats ?

— Avec plaisir ! tonne-t-il aussitôt, par peur que sa requête ne s'envole.

— Parfait alors. On se voit plus tard, je vais manger en ville avec mes colocataires.

— Pas de soucis, bon appétit !

Pressé d'échapper à cette atmosphère si studieuse, Gabriel regroupe ses effets promptement. Pris par le moment, il en oublie même Charlie et les raisons qui l'ont fait venir ici.


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