Naturellement dangereuses


 Lobako marchait en tête, les autres le suivaient. Maître Sanor était derrière Lobako et était en pleine discussion avec Timus. Ce dernier était passionné par l'ancien mode de vie des Grogneurs. Lorsqu'on les voyait aujourd'hui, jamais on ne se serait douté que ces créatures habillées de peaux de bêtes avaient bâti un jour ces châteaux dans lesquels vivaient actuellement les loups. Les arbres filtraient la lumière du soleil, créant des contrastes sur la fourrure des loups. Ces derniers faisaient attention à ne pas trébucher avec les racines noueuses enchevêtrées dans le sol. On entendait des bruits dans les buissons environnants, des lapins et autres animaux des bois fuyaient sur leur passage.

Une souris grise s'arrêta face à Declan. Une fois à sa hauteur, le mage la regarda avec compassion mais le loup derrière lui coinça le rongeur avec sa patte. Un sourire étira ses babines qui commençaient à saliver. Alors qu'il s'apprêtait à ne faire qu'une bouchée du petit animal, Declan l'interrompit:

- Es-tu affamé au point de remplir ton ventre de loup avec une minuscule souris ?

- Dis donc, Declan, que tu ais décidé de te nourrir d'herbe fraîche et de fleurs ne me concerne pas. Si je veux manger cette souris, et bien, je la mangerai.

- Je n'ai pas décidé d'arrêter de consommer de la viande. Le respect des autres vies n'exclut pas le carnivorisme. Rétorqua le loup. J'ai juste décidé de ne pas prendre de vies inutiles. Et cette souris n'apaisera pas ta faim.

- Non mais j'ai tout de même envie de manger ce rongeur, que tu le veuilles ou non.

A l'instant où le loup approchait sa gueule pour dévorer la souris, un caillou lui tapa dans le visage. Sous la surprise, le loup se redressa, et, sa prise ayant été desserrée, sa proie en profita pour s'enfuir, sous le regard décomposé du chasseur. Il leva vers le mage impassible des yeux à la fois surpris et furieux.

- Alors ça, Declan, tu vas me le payer! Gronda le loup. Je vais te...

- Cory ! Le rappela Lobako sec en les rejoignant.

Le ministre jeta à Declan un regard soupçonneux.

- Qu'est-ce qui te dérange au point d'empêcher tous tes compagnons d'avancer? Adressa-t-il au loup blanc.

- Rien Lobako. Répondit Cory en baissant la tête.

- Bien. Continuons dans ce cas.

Le loup lança un regard haineux à Declan mais n'ajouta rien. Les loups reprirent la route.

La forêt s'épaississait au fur et à mesure qu'ils marchaient. Vada se figea alors, alerte.

- Que se passe-t-il Vada? Lui demanda Declan, inquiet.

- C'est que... j'ai senti quelque chose. Murmura la louve. Quelque chose qui a frôlé ma patte.

Declan la regarda, perplexe. Mais avant qu'il n'ait pu répondre, un des loups hurla de terreur. Ce dernier se retrouva suspendu à un arbre, la tête en bas.

- Au secours! Sauvez-moi! Cria-t-il, paniqué.

- Mais qu'est-ce que c'est que cette plaisanterie! Gronda Lobako en s'approchant du loup. Descend de là immédiatement!

- Mais Lobako! Se défendit le loup. Ce n'est pas une plaisanterie, je ne sais pas ce qu'il s'est passé! Faites-moi descendre je vous en prie!

Dans un bruit de feuille, un second loup se retrouva piégé dans les branches. Tous les loups regardèrent autour d'eux, effrayés. C'est alors que la voix de Maître Sanor résonna dans la tête de Declan.

« Attention Declan ! Derrière toi ! »

Aussitôt, le loup se retourna et tomba nez à nez avec une épaisse liane. Celle-ci semblait animée de vie et ondulait devant lui, tel un serpent cherchant où frapper. Declan s'immobilisa. Jamais il n'avait vu une telle chose. Mais avant qu'il n'ait pu réagir, Vada bondit sur le végétal et le plaqua au sol. Une autre liane arriva derrière la louve. Declan sauta par dessus Vada et donna un coup de patte à la plante qui retourna dans les feuillages. La lutte contre les végétaux avait pris de l'ampleur autour des deux loups. Tout le groupe bataillait contre ces étranges adversaires naturels. Des loups bondissaient, certains se faisaient capturer par les plantes. Peu de temps plus tard, ils étaient libérés par d'autres loups. Maître Sanor cria alors:

- Rassemblez-vous autour de moi! Je vais neutraliser nos assaillants!

Petit à petit, les loups obéirent. Declan se positionna à la droite de Sanor, accompagné de Vada et Timus. Rapidement, ils étaient entourés d'un bouclier lupin. Les plantes bougèrent alors plus lentement, dans des va-et-vient, comme attentives aux gestes de leurs proies. Declan sentait son cœur battre fort dans sa poitrine et au vu des murmures qui émanaient du groupe, les autres étaient aussi perplexes que lui.

- Que faisons-nous maintenant? Demanda Lobako, désemparé.

- Couvrez-moi pendant que je me concentre. Répondit le sage.

Les loups retenaient leur souffle. Un silence de plomb régnait dans la forêt. Soudain, une des lianes trancha l'air et attrapa une des louves à la patte. Elle eut tout juste le temps de pousser un cri qu'elle était traînée vers les profondeurs des bois:

- A l'aide! S'égosilla-t-elle, terrorisée .

Figé, Declan regarda la louve s'éloigner, impuissant. Que pouvait-il faire? Il n'avait pas les capacités du sorcier, qui n'avait d'ailleurs pas bougé et qui gardait les yeux clos, en proie à une profonde concentration. A son grand malheur, un deuxième cordage végétal sortit de l'ombre et saisit Cory et le tira malgré ses vaines tentatives d'esquive. La victime tentait de s'agripper au sol, laissant de profondes traces de griffes derrière lui. Le groupe, une fois de plus, se sentait désarmé face à cette nouvelle attaque, qui affaiblissait leur rempart. Deux nouvelles racines semblèrent apparaître de nulle part, l'une vint prêter main forte pour emporter Cory, et l'autre s'enroula autour du cou d'un membre du groupe et le tira sans retenue.

Le restant du groupe, heurté par la terreur induite par leurs ennemis maléfiques, résistait comme possible à leurs agressions. La fatigue et la peur se faisaient sentir tout autour de Maître Sanor mais Lobako était certainement le plus apeuré de tous, tremblant comme un branchage par un vent d'hiver. Declan prit une grande inspiration et clama alors:

- Mes amis, ne perdons pas espoir! Nous connaissions les risques que nous prenions en quittant nos terres! Nous vaincrons mes amis!

Son discours sembla faire effet car des cris d'encouragements fusèrent. Quand Declan se tourna vers Vada et Timus, ces derniers lui adressèrent de grands sourires, admiratifs mais surtout, déterminés. Les babines du loup s'élargirent et il poursuivit:

- Nous vaincrons pour nos vies, nos roi et reine, nos fa...

Il n'eut pas le temps de terminer qu'un courant énergétique le parcourut. Le loup se figea, et à la vue de l'attitude des autres, ils l'avaient senti aussi.

- Declan... L'appela son amie, interloquée en regardant par dessus son épaule.

Ce dernier la regarda sans comprendre, et se tourna vers sa gauche. Maître Sanor n'avait pas bougé. Cependant ses yeux étaient ouverts et... révulsés. Sa magie opérait. Les poils du sorcier se dressèrent de ses pattes à ses oreilles et une lumière rouge comme le feu se forma autour de lui. Soudain, la terre se mit à vibrer. Les canidés poussèrent des cris, effrayés.

- Que se passe-t-il? Lança une louve, alarmée.

Declan s'apprêtait à lui dire de ne pas s'inquiéter quand une partie de l'aura enflammée du loup se détacha de l'ensemble et traversa le sol, le fissurant sur son chemin. Les loups s'empressèrent de s'écarter sur son passage. Tous retenaient leur souffle en suivant le trajet de l'étrange énergie du regard. Elle termina sa traversée sous une grosse pierre autour de laquelle un halo lumineux se créa. La pierre se souleva de terre et lévita jusqu'à un rocher qu'elle frappa d'une force démesurée. Un nuage de poussière émana de la collision, obstruant la vue aux spectateurs, admiratifs et désorientés. Du trouble émergea une lame de silex parfaitement polie et... aiguisée. La tranche reflétait la lumière du soleil dans sa perfection. L'arme s'éleva et, comme prise de vie, fendit l'air pour trancher les lianes qui assiégeaient les loups. Les prisonniers, désormais libres, poussèrent des exclamations de joie, mêlées à celles de la foule. Les anciennes victimes rejoignirent le groupe qui les acclama, soulagé. La lame fit un tour autour du groupe, admiratif, avant d'éclater sur le sol.

Maître Sanor cligna des yeux et inspira profondément. En l'entendant, Declan se retourna et s'écria, fou de joie:

- Maître Sanor, vous avez réussi! Vous les avez libérés! Grâce à vous nous...

Il s'interrompit en voyant que le mage titubait, l'air perdu.

- Maître Sanor? S'inquiéta le loup.

- Declan, qu'a-t-il? s'affola Vada en le rejoignant.

Le sorcier s'effondra, à bout de forces.

- Maître! S'écria Timus en se jetant à ses côtés. Que lui est-il arrivé?

- Il est simplement fatigué. Répondit le loup gris. Le sort lui a demandé beaucoup d'énergie.

Le vieux loup poussa un soupir.

- Il doit se reposer. Annonça Declan.

Les épaules de Timus s'affaissèrent et il recula.

- Faisons halte ici. Tonna Lobako, reprenant son rôle de chef. Nous avons tous besoin de faire une pause.

Le loup blanc rejoignit les trois loups assis près du sorcier.

- Comment va-t-il?

- Il doit se reposer. Répondit Timus en s'asseyant.

- Très bien. Acquiesça le ministre avant de s'éloigner et d'ajouter par dessus son épaule. Il nous a tous sauvés.

Declan et Vada le regardèrent partir, côte à côte.

- Eh bien. Fit la louve, soulagée. Quelles aventures!

- Oui. Rit son ami. Et nous ne sommes qu'à la moitié du chemin.

Vada eut un petit rire. Elle lui donna un coup d'épaule:

- On ferait mieux de dormir un peu.

- Oui tu as raison. Approuva Declan.

Sur ces mots, ils se roulèrent en boule et fermèrent les yeux . La journée avait été riche en émotions.

Un cri les réveilla alors. Declan et Vada se redressèrent brusquement. C'était Timus! Une liane était revenue et l'avait attrapé autour du ventre!

- Timus! Crièrent les deux loups simultanément.

Les deux amis se mirent à courir en direction du loupiot. Il tentait de trancher le cordage avec ses griffes et ses crocs mais ses efforts étaient inutiles.

- Au secours! Finit-il par appeler.

Les autres s'étaient rassemblés autour de la scène, inaptes à régir. Declan fit alors demi tour et partit vers le sorcier, toujours couché.

- Maître Sanor! Le héla-t-il. Vous devez faire quelque chose! Timus est en danger!

Il avait beau secouer le loup, ce dernier restait inconscient. La magie lui avait demandé trop d'énergie.

- Je vous en prie, réveillez-vous!

Sa voix devenait implorante. Il devait se réveiller. Maître Sanor était le seul à pouvoir sauver Timus. Quoi que... Le vieux loup avait dit que Declan avait de grandes capacités. Il était temps de les mettre en pratique pour la bonne cause. Son ami devait être libéré.

Le loup gris se redressa, déterminé. Il s'assit et se concentra. Il fit abstraction des cris qui l'entouraient et de la peur qui lui serrait le ventre. Le jeune sorcier inspira profondément et se détendit. Maître Sanor l'avait fait. Il pouvait le faire également. Lorsque le calme régna dans son esprit, Declan visualisa le décor qui l'entourait. Il avait aperçu une grosse pierre avant de fermer les yeux et décida de l'utiliser comme son enseignant avant lui. Il l'imagina se lever du sol, entourée de lumière. La pierre flottait désormais dans son esprit en direction d'une autre roche, imposante également. Declan lâcha mentalement la pierre qui brisa son enclume naturelle. Un disque tranchant s'éleva de la fumée et trancha la liane qui retenait Timus prisonnier.

Declan soupira et ouvrit les yeux. Les pierres étaient toujours à leur place... et le loupiot avait disparu. Le silence était maître, alors que Vada l'observait, dépitée. Le loup la regarda quelques instants, sans voix, réalisant qu'il avait échoué. Timus n'était plus là, il avait bel et bien disparu. Il sentit son cœur s'alourdir dans sa poitrine et ferma les yeux, sentant les larmes monter. Qu'allaient-ils pouvoir faire désormais? Comment allaient-ils le retrouver? Il ouvrit soudain les yeux. Quelqu'un avait posé sa patte sur la sienne, Vada. Elle avait le regard aussi triste que lui et semblait chercher en vain les mots pour le rassurer.

- Nous le retrouverons et le sauverons. Finit-elle par déclarer, d'une voix qu'elle voulait assurée. Je t'en fais la promesse.

Après un long moment de recueillement, ils se relevèrent et s'éloignèrent de ce triste lieu tandis que chacun se remettait des derniers événements.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top