Maître Sanor
Dès les premiers rayons du soleil apparus, le clairon sonna la disparition de Lordwolf et de Bellaya.
Le loup gris se réveilla en sursaut . Il lui fallut peu de temps pour comprendre ce qui l'avait réveillé : les hurlements d'alerte de la cloche étaient assourdissants . Il dévala les marches quatre à quatre et partit à la recherche de la salle de conseil . Il demanda son chemin à deux gardes qui lui indiquèrent le couloir de gauche . Du bruit provenait d'une des portes . Des loups semblaient être en désaccord. Cinq loups, trois blancs et deux gris étaient assis autour d'une grande table de bois . Tout en leur physique inspirait la détermination et la supériorité hiérarchique .
- Mais non !! hurla un loup blanc énervé . Nous sommes bien plus nombreux qu'eux ! Nous allons forcément les vaincre !
- Ses loups, oui , mais Savage ? Fit un loup couleur gris-sable .
Le loup gris s'approcha tout doucement et attendit, assis, impassible .
- Lordwolf se chargera de lui !
- Et s'il échouait ? Insista le loup gris-jaune .
- Eh, bien s'il échouait, tant pis; gronda le loup arctique; nous continuerons à nous battre jusqu'à ce que nous échouions aussi !
- Mais ... s'apprêtait à contredire le loup gris .
- Il n'y a pas de '' mais'' qui tiennent ! S'écria le loup blanc . Il faut charger ces ...
- Ça suffit !! coupa fermement Lobako, un loup blanc à la forte carrure et à l'air farouche . Nous étions censés élaborer une stratégie de guerre, pas nous chamailler comme des louveteaux ! En tant que conseiller du roi, je vous demande de vous calmer .
Il reprit sur un ton plus doux :
- Le témoin de l'enlèvement est arrivé, nous devons lui faire part de notre choix .
Il fit un hochement de tête à l'adresse de l'un des loups gris . Ce dernier éclairci sa voix avant de déclarer à l'adresse de Declan :
- Bienvenue étranger . J'espère que vous avez passé une agréable nuit . Mes confrères et moi avons pris une décision . Comme c'est vous qui avez découvert l'enlèvement de nos suzerains et qui nous avez alerté, nous trouvons approprié que ce soit vous qui annonciez à la population ce que nous avons voté : nous récupérerons le roi Lordwolf ainsi que la reine Bellaya de force .
- Je ne peux pas . Répondit aussitôt le loup gris .
- Comment ? Fit le conseiller du roi .
- Vous ne pouvez pas les attaquer .
Il y eut quelques rires nerveux tandis que Declan poursuivait :
- Vous êtes de la même famille . Ce sont vos frères, vos sœurs, vos cousins, vos cousines ...
- Je ne vois pas ce que cela change . Rétorqua le loup blanc, indifférent . Ils ont essayé de nous voler la Source .
Ce fut au tour du loup gris de s'exprimer ainsi :
- Comment ?
Il poursuivit sur un ton sans réplique .
- Ce ne sont pas eux qui ont voulut vous prendre de l'eau enchantée .
- Ah bon ? Fit le loup blanc faussement ébahit par cette découverte . Alors, qui est-ce ?
Il avait prononcé ces derniers mots avec sarcasme .
- Ce sont bel et bien des loups noirs . Avoua le loup gris . Mais ce ne sont pas ceux-là .
- Que sous-entendez-vous par ''ceux-là'' ? Demanda l'un des loups gris, visiblement intéressé . Y a-t-il d'autres groupes de loups dans le monde ?
- Je pense que ce que l'étranger souhaite dire par là c'est que ce n'est pas cette génération . Répondit l'un des loups blancs .
Comme le loup concerné l'observait en coin avec gratitude, le loup blanc lui demanda :
- N'est-ce pas ?
Le jeune loup décrocha son regard de celui du loup blanc et hocha la tête silencieusement .
- Mais même si ce ne sont pas les mêmes loups, ce sont leurs descendants, des loups noirs, impurs . Méprisa Lobako . Le sang des traîtres coule dans leurs veines .
Avant que quiconque ait pu faire une objection, il poursuivit :
- Qu'est-ce qui nous dit que nous pouvons lui faire confiance ? cracha le conseiller . Qu'est ce qui nous dit que ce n'est pas un espion de Savage envoyé pour que nous n'attaquions pas et que Savage puisse prendre le pouvoir ?
Il termina d'un air sournois :
- Alors que ce loup ne nous a même pas donné son nom .
Le loup gris aplatit ses oreilles, gêné . Sa queue se balançait de frustration . Il savait que son manque d'identité allait lui causer des problèmes .
Tous les regards se tournèrent vers lui, attendant une réponse .
- Je suis Declan . Lâcha-t-il .
- Declan . Répéta un des loups blancs .
Il murmura :
- Ce nom me dit quelque chose .
- N'es-tu pas le fils de Lamona qui fut l'une de nos meilleures chasseuses ? Demanda le loup couleur sable .
- Et de Brethekan . Compléta un autre conseillé, troublé . Qui fut l'un des généraux de Savage .
Des murmures parcoururent l'assemblé .
- Hybride . Murmura Lobako .
Declan se tourna vers lui, piqué au vif .
- Il est impur ! Poursuivit-il . C'est un traître ! Tuons-le !
Le conseil complet s'était tourné vers lui . Le loup blanc se calma . Il venait d'avoir une idée .
- A moins que ...
Il leva les yeux vers le loup dont ils décidaient le sort .
- A moins qu'il n'accepte de proclamer à la population la guerre contre Savage; souffla le conseiller; et qu'il n'accepte de combattre à nos côtés .
Declan s'était également mis à réfléchir et le choix du loup blanc pouvait bien s'emboîter avec son plan . Leurs regard se croisèrent . Ils étaient tous d'accord .
- Très bien . Répondit le loup gris sans quitter Lobako du regard . Je vais annoncer la bataille à la population .
Sur ces mots, il quitta la pièce et se dirigea vers la place publique . Alors il monta sur le piédestal . Les loups vaquaient à leurs occupations, sans inquiétude . D'un instant à l'autre, tous leurs regards seront posés sur le loup qui devra leur annoncer la terrible nouvelle. Le cœur du loup gris tambourinait dans sa poitrine . Il aperçu Vada dans la foule qui le regardait fixement . Il prit une longue inspiration .Alors, il clama :
- Oyé, oyé, citoyens de la Source .
Les loups s'interrompirent pour regarder celui qui avait lançé cet appel . Petit à petit, ils se regroupèrent autour de l'estrade .
- Je viens vous annoncer que tous loups et louves en mesure de combattre, devront se joindre à la bataille, ce soir, contre les Exclus . Nos souverains, le Grand et Brave Lordwolf et la Somptueuse et Noble Bellaya nous ont été enlevés par les Exclus et nous allons les libérer .
- Que s'est-il passé ! s'exclama un des loups .
- Hier, dans la nuit, ils ont été endormis, puis traînés dans la neige . Ils sont certainement en route en ce moment même . Répondit Declan, peiné .
Des murmures inquiets accueillirent ces mots .
- Nous partirons ce soir au crépuscule . Acheva-t-il .
Tandis que la foule se dissipait, inquiète, il quitta la place, le cœur lourd et retourna à ses appartements . Cette fois-ci, il ne se perdit pas mais sa peur que son plan n'échoue recouvrait toutes autres pensées . Declan ne sortit que pour se nourrir . Il ne lui en fallut pas plus pour comprendre le désordre du royaume en l'absence du roi et de la reine : aucune partie de chasse n'avait été organisé de la journée par le conseiller, qui devait remplacer le roi . Les loups avaient été contraints de chasser en petit groupe ou en solitaire . Des vols étaient commis, mais n'ayant plus personne pour juger les loups, ils étaient aussitôt relâchés . Des loups pleuraient, inquiets de la situation . ''Pourvu que Savage ne s'empare pas du pouvoir '' ''Faites que la guerre fasse peu de pertes '' .
Declan partit chasser . Il quitta le palais et après avoir franchi les remparts, s'élança dans la Forêt du Cerf . Pour un loup de la Source, chasser en solitaire s'avérerait impossible. Pour Declan, c'est un jeu de louveteau.
A travers les nuages, de fins rayons de soleil éclairaient et réchauffaient la forêt . Il n'y avait pas de vent . Quelques écureuils courraient dans les branches et des oiseaux gazouillaient . Declan marchait tranquillement, à pas feutrés . Enfin, il aperçut ce qu'il cherchait : un grand cerf aux muscles impressionnants pour un cervidé, se promenait, inconscient du danger . Il se mit à brouter l'herbe et releva la tête pour s'assurer de sa sécurité . Il mangea encore quelques brindilles et regarda dans la direction du jeune loup sans le voir .
Declan s'arrêta un instant et se mit à trotter, tête et queue basses pour être le plus discret possible . Declan gardait une distance d'une dizaine de mètres entre le cerf et lui . Il jetait de vifs coups d'œil vers sa proie . Arrivé vers sa droite, il courut . Mais le cervidé l'avait vu arrivé et s'enfuit . Le chasseur garda sa vitesse, oreilles plaquées contre l'arrière du crâne, queue alignée avec le corps, l'agilité dans les os, la prédation dans le sang . Il ne tarda pas à rattraper sa proie . Le loup gris bondit . Mais le cerf vira vers la gauche . Le canidé,griffa sa proie. Comparé à un autre loup qui se serait déjà arrêté pour reprendre son souffle, Declan ne fit ni de pause, ni ne ralentit. Il redoubla au contraire, de vitesse pour arriver à sa hauteur . Ensuite il le harcela de coups de crocs .
Soudainement, le cerf fit volte-face . Le loup s'arrêta de justesse, manquant de percuter ses bois . Il recula de quelques pas, tout en grognant . Le cerf haletait tout en balançant ses bois . Declan tenta de l'assaillir par la droite mais le cerf le bloqua d'un mouvement de tête . Declan essaya par la gauche mais le cerf para . Alors le loup fit mine d'attaquer à droite mais il passa à gauche, et, avant que le cerf puisse bloquer le loup, ce dernier l'attrapa à la gorge et l'étouffa . Il mangea sans crainte d'être attaqué et son repas terminé, il retourna au château .
A son retour, il n'y avait toujours pas eut de partie de chasse organisée .
Enfin rassasié, Declan retourna à ses appartements . Il se promena dans le village tout l'après-midi . Sur le chemin du retour, un messager l'interpella :
- Declan !
Declan s'arrêta pour dévisager le loup gris qui l'avait héler :
- Qu'y a-t-il ?
- Le conseiller Lobako requiert votre présence lors de son repas à six heures .
Declan ria intérieurement . Il n'ira certainement pas manger avec un loup qui voulait le tuer quelques heures plus tôt : c'était tout à fait insensé ! Il se contenta de répondre poliment :
- J'en serai honoré mais ... je ne peux accepter .
Le messager hocha lentement la tête, entendu .
- J'ai prévu de me préparer pour la bataille tout à l'heure . Faites lui passer que je suis profondément peiné de décliner son invitation et que nous pourrons voir cela après la guerre si nous sommes toujours en vie .
Il hocha de nouveau la tête et déclara :
- Très bien Declan . Je vais de ce pas annoncer votre refus au conseiller .
Declan le salua de la tête . L'envoyé de Lobako tourna les talons et partit dans le couloir .
Le loup gris rejoignit son logement . Il dévora sa cuisse de cerf .
Les loups gris et blancs quittèrent leur territoire au crépuscule, le conseiller Lobako en tête . Declan trottait derrière les conseillés . La soirée était agréable et une légère brise soufflait dans leur dos, améliorant leur marche . La neige crissait sous les pattes des loups . Le jeune Timus semblait s'être pris d'affection pour Declan car il ne cessait de le questionner sur la vie de loup en solitaire, sur comment il faisait pour chasser seul par exemple alors qu'il n'avait pas de meute, sur si c'était la première fois qu'il allait sur la terre des Exclus, sur le pourquoi il était gris, et sur l'enlèvement de Lordwolf et Bellaya . Declan ne parvenait pas à répondre aux questions du loupiot car ce dernier les enchaînait sans aucune pause .
- Mais d'où viens-tu exactement Declan ? Demanda Vada en ignorant le jeune loup .
Declan lui lança un regard en coin, et, après quelques instants de réflexion, répondit :
- Eh bien, je ne sais pas exactement .
Les épaules de Vada s'affaissèrent, sous la surprise de la louve .
- Tu ne sais pas ? Répéta-t-elle .
- C'est à dire que j'ai beaucoup voyagé . S'expliqua le loup avant de dire tout de même : je crois que je viens d'une vallée .
- Une vallée ? Fit Vada . Comme celle près des Pics du Dragon ?
- Il me semble, oui . Approuva le loup, incertain .
- D'ailleurs, c'est quoi un dragon ? S'enquit Timus .
- C'est une sorte de gros lézard avec des cornes de bœuf, des ailes de chauves souris, qui crache des flammes .
- Trop bien !!! souffla le loupiot avec de grands yeux . Et ça existe les dragons ?
- Bien sûr que non ! Railla un loup de gros gabarit derrière eux . Ce louveteau est prêt à croire n'importe quoi !
Declan soupira en lançant un regard exaspéré au loup blanc . Il se retourna ensuite pour se pencher vers le jeune loup :
- Disons plutôt que personne n'en a jamais vu .
- Oh mais peut être qu'ils existent alors ! S'écria Timus .
- Qui sait ? Fit Declan tandis que Vada lui donnait un léger coup d'épaule, amusée .
La neige crissait sous leurs pattes et la brise s'était arrêtée . Il avait cessé de neiger, et heureusement car la neige leur arrivait à mi-patte . Quelques oiseaux chantaient des sommets des pins qui entouraient les loups . A certains endroits, on pouvait voir des trous creusés par des marmottes, ainsi que des sillons de lapins, d'autres plus petits, par des campagnols ou des souris . A la gauche de Declan, Vada fredonnait un petit air doux .
- Quelle chanson fredonnes-tu ? Demanda le loup gris à la louve .
- C'est un chant que ma mère chantait souvent quand j'étais encore une loupiote .
- Et qu'est-il arrivé à ta mère ? Demanda curieusement Declan .
- Eh bien . Fit Vada en aplatissant les oreilles, troublée . Elle est partie .
- Oh . Murmura le loup . Je suis désolé .
- Les loups noirs nous avaient attaqués . Ils étaient des milliers, nous peinions à retenir l'ennemi en dehors de nos murs . Ma mère était enceinte, elle n'était pas en état de combattre. Les loups qui ne pouvaient participer au combat, ont été évacués par une porte à l'arrière du château . Nous étions sur le point de perdre notre royaume mais le roi Lordwolf et la reine Bellaya mobilisaient leurs troupes comme des frères et sœurs . Savage était là, aussi . Lui et Lordwolf se sont affrontés dans un terrible duel . Lordwolf vainquit le loup noirs et ils repartirent .
Après quelques instants de silence, la louve conclut :
- Je n'ai plus revu ma mère depuis ce jour .
- Mais c'est terrible !! s'écria Timus .
Declan vit que des larmes perlaient sur le visage de Vada . Après un instant d'hésitation, Declan murmura, honteux :
- Je suis désolé . Je n'aurai pas du te demander cela . Cela ne me regardait pas .
- Non, ce n'est pas grave . Contredit la louve en séchant ses larmes . Tu as eu raison de me poser la question .
- Oui eh bien moi c'est Titou que j'ai perdu . Se plaignit Timus .
- Ah oui ? Fit Vada en relevant la tête . Et qui était Titou ?
- C'était un petit loup en bois que mon père m'avait fabriqué . Expliqua le loupiot, triste .
- Ah . Fit Declan . Je croyais qu'il s'agissait d'un vrai loup .
Vada lui donna un coup d'épaule et jeta à Declan un regard réprobateur .
- Comment est-ce arrivé ? Demanda-t-elle, solidaire .
- J'étais parti à la rivière me baigner et attraper du poisson . J'avais laissé Titou sur la berge pour être sûr de ne pas le perdre . Je me suis beaucoup amusé dans l'eau . Au bout d'un moment, mon père m'a appelé pour le repas . Je suis vite sorti de l'eau pour les rejoindre . Une fois à la tanière, je me suis rendu compte que j'avais oublié Titou et quand je suis retourné à la rivière, Titou n'y était plus .
La discussion s'arrêta là tandis que les loups poursuivaient leur marche . Ils arrivèrent alors devant une sombre forêt, la forêt du Crépuscule .
Les loups s'arrêtèrent . Declan regarda autour de lui, surpris . Tous avaient l'air terrifiés . Seul, Lobako poursuivit sa route . Alors, ce dernier se retourna :
- Qu'avez-vous donc ? Ne me dites pas que vous avez peur de ces vieilles légendes ! Railla-t-il .
- Quelles légendes ? Demanda Declan à Vada .
- Tu ne connais donc pas les Grogneurs ? Souffla la louve blanche, à la fois abasourdie et apeurée .
- Les Grogneurs ? Fit le loup gris, curieux .
- Ce sont de terrifiantes créatures poilues et nauséabondes . Ils s'habillent des carcasses de leurs proies . Leur dents sont longues et jaunes . Les Grogneurs chassent en bande et secouent de gros bâtons en hurlant . De plus ... commença Vada .
- Les Grogneurs sont l'évolution d'une civilisation qui vivait sur ces terres en maître bien avant que vous ne le dominiez . Acheva une voix derrière eux .
Tous se tournèrent vers la mystérieuse voix . Elle provenait d'un buisson d'où sortit un loup gris, avec une longue cape bleu violacé sur le dos . Ses yeux argentés scrutaient les loups les uns après les autres, les regardant droit dans les yeux . Lorsque son regard croisa celui de Declan, ce dernier eu la malaisante impression que le vieux loup voyait à travers lui . Il ne cilla pas et Declan put voir dans ses yeux une grande sagesse . Le vieux loup fronça les sourcils, et ses yeux s'illuminèrent .
- Qui es-tu étranger ? Lança Lobako .
- Je suis Maître Sanor . Répondit le sage en souriant.
- Pourquoi nous suis-tu Sanor ? Fit Lobako . Et qu'y a-t-il de si drôle ?
- Je veux vous aider . Répondit le loup, ignorant la deuxième question du conseiller .
- Nous aider ? S'exclama le loup blanc, amusé . Mais à quoi veux-tu nous aider ? Tu ne sais même pas ce que nous faisons ici !
Avant que le sage n'ait pu répondre, Lobako ordonna au groupe:
- Venez, vous autres, nous n'avons pas de temps à perdre avec ce vieux fou !
Alors que les loups reprenaient leur route, Maître Sanor lança :
- Mène donc tes camarades à leur perte, Lobako ! Si tu crois pouvoir sauver tes souverains sans moi et vaincre Savage à toi seul, fais donc ! Mais Savage dominera alors les deux royaumes, tandis que moi, pauvre vieux fou, comme tu le dis, poursuivrai ma vie en ermite, à me nourrir de baies et de prunes .
Lobako s'était arrêté net en entendant parler de ses suzerains :
- Comment sais-tu que le roi et la reine ont été enlevés ?
Le sage sourit mystérieusement :
- Ah, je sais bien des choses . Je ne suis pas l'un des créateurs de la Source pour rien .
Il laissa échapper un petit rire .
- L'un des créateurs de la Source ? Murmura Declan avant de lancer au loup : Tu veux dire que tu es Maître Sanor, je veux dire LE Maître Sanor ?
- Le seul et l'unique, confirma le sage avant d'ajouter, cachottier : enfin, dans cette dimension .
- Woahhh ! Soufflèrent des loups .
Le rire cassant de Lobako interrompit ce moment d'extase :
- C'est n'importe quoi ! Lâcha-t-il avec dédain avant de s'adresser au groupe . Vous êtes tous si naïfs!
- Pourquoi cela ? Fit le sorcier . Pourquoi ne serais-je pas Sanor ?
- Parce que TOUT LE MONDE sait que Sanor et ses disciples sont partis loin d'ici par la Mer du Mégalodon il y a plusieurs centaines d'années !!! persifla le loup blanc .
- C'est justement ce qui devrait te faire douter . Insista Sanor . Quand j'y pense, votre mentalité n'est pas si loin de celle des Grogneurs .
- Comment oses-tu ! Se vexa Lobako . Nous, comme des Grogneurs ! Nous sommes très certainement la civilisation la plus avancée de l'histoire d'Orbisia !!!
Le regard du sage s'assombrit et il secoua la tête en soupirant, désespéré :
- C'est ce que disaient les Grogneurs, avant de sombrer dans le chaos .
- Que s'est-il passé ? Demanda Timus .
Sanor lui lança un regard compréhensif et s'assit avant de demander au groupe de l'imiter, ce qu'ils firent, curieux .
- Je vais vous raconter une histoire . Commença Sanor . Autrefois, Orbisia était dominée par des êtres impulsifs, poussés par leurs instincts primaires, excessivement, par l'envie de pouvoir . La monarchie absolue étant devenue intolérable pour eux, ils ont mis en place un stratagème de vote, pour choisir un chef, qui déciderait du fonctionnement du pays, le royaume si vous voulez . A seule différence que certains chefs étaient eux-même votés à majorité par d'autres êtres, eux-même élus par le peuple . Mais des groupes secrets se créèrent doucement et manipulèrent leurs dirigeants, à l'insu du peuple, qui avait une totale confiance envers ses supérieurs . Le peuple appréciait ce fonctionnement car le chef qui se trouvait au dessus n'avait pas tout les pouvoirs, mais ceux-ci aveuglèrent bientôt les dirigeants, qui ne recherchèrent que le pouvoir et la richesse, qu'ils avaient eux-même créé comme monnaie d'échange, au début en métal, puisé dans la terre, puis illusoire . Et ...
- Pourquoi le peuple n'appréciait-il pas la royauté ? Demanda Timus, troublé .
- Parce qu'il ne dépendait alors que d'un seul être, qui, généralement, ne voulait que s'enrichir .
- Ah . Fit Timus, triste pour cette civilisation .
- Et pourquoi leur troc devenait-il illusoire ? Demanda Declan, intéressé .
- Ah . Fit le sage, en réfléchissant . Comment t'expliquer cela ? Hum ... Vois-tu , Tu vois ce qui est autour de toi, tu peux le toucher, le prendre .
- Oui . Affirma le loup gris . C'est réel .
- Et bien, quand tu te regardes dans l'eau, tu vois ton reflet, le ciel, les oiseaux . Expliqua Maître Sanor . Peux-tu les toucher, les prendre ?
- Non . Répondit Declan .
- Eh bien, c'est un peu le même principe pour leur monnaie . C'est comme s'ils avaient besoin de voir leur nourriture dans l'eau pour croire qu'ils pouvaient la manger .
- Mais . Fit Declan, . Si l'eau est trouble, ils ne peuvent voir la nourriture, et donc, ils ne peuvent la manger ?
- Disons, qu'ils n'en ont pas le droit, sauf dans des cas exceptionnels . Répondit Sanor . Manger des animaux tués sans autorisation est illégal, et il faut payer avec de la monnaie inexistante, ou avec du métal, pour manger .
- Mais ils peuvent faire cela en cachette ! S'exclama Vada .
- Oui, mais ces bipèdes ont ravagés Orbisia en la polluant de fumée et en recouvrant les forêts de maisons de pierres, en habillant leur maison de la peau des bêtes qu'ils ne mangeaient pas, comme trophées . Ils ne croyaient que ce qui était approuvé par leur chefs, ou ce qu'ils voyaient . Mais ils travaillaient tellement, et écoutaient tellement ce que disaient leur supérieurs sur ce qu'il se passait dans le monde, ce qui était généralement négatif, comme des meurtres ou des guerres, qu'ils ne prenaient plus le temps de regarder le ciel, ce qui se passait autour d'eux . Les clans se battaient pour des terres qu'ils pouvaient partager, sans négocier, car il ne fallait pas communiquer avec l'ennemi . Sur les chemins, les ancêtres de Grogneurs voulaient être premiers, et se bousculaient, créant de nombreux accidents . Petit à petit, les créatures subirent les conséquences de leurs actes irréfléchis, éboulements, tremblements de terre, guerres, famines, intoxication par la fumée . Ils durent abandonner les machines qu'ils avaient créés et qui avaient fini par les dominer, et se cachèrent dans les montagnes où ils restaient des arbres et de l'air respirable . Petit à petit, ils régressèrent pour devenir, ce que vous appelez Grogneurs .
- Mais n'y avait-il pas des Grogneurs qui se rendaient compte de leur décadence ? Fit Timus .
- Si . Répondit Sanor . Ils étaient très nombreux en vérité mais éparpillés sur la surface d'Orbisia . Et ils essayaient de faire prendre conscience de ce qu'il se passait aux autres personnes qui ne les croyaient pas forcement . Ils s'exprimaient par la musique, le chant, l'écriture, le dessin, les images mouvantes, qu'ils appelaient « films », l'architecture, par la discussion . Aussi, ils communiquaient grâce aux moyens de l'époque pour échanger leurs idées, créer ensemble de nouvelles choses pour dénoncer ou insister sur certains points de leur société . Mais beaucoup également n'osaient pas dire ce qu'ils pensaient, de peur d'être jugés par les autres .
- Mais peu importe ce que d'autres peuvent penser de nous ! S'exclama Declan ! Si l'on cherche à satisfaire tout le monde, on ne s'en sort plus .
Des murmures d'approbation se firent entendre .
- Je suis tout à fait d'accord avec toi Declan . Affirma Sanor . Mais ce n'est pas ce que pensaient de nombreux Grogneurs . Car, s'il ne faisaient pas comme les autres, ces derniers les rejetaient, et ils se retrouvaient seuls . Or leur instinct, tout comme le vôtre, veut que, tout seul, vous craigniez de ne pas survivre . Puis cela est rassurant, pour la plupart des êtres de faire parti d'un groupe, non ?
Declan, ainsi que d'autres loups, hochèrent la tête .
- Mais, Maître Sanor, demanda Timus . Comment s'appelait cette civilisation ?
- Cette civilisation s'appelait les Hommes .
- N'essayez pas de changer de sujet, Sanor . Reprit le conseiller . Dites-moi donc quelque chose de personnel à mon sujet . Quelque chose que personne à part moi ne peut savoir . Ainsi croirai-je en vos pouvoirs magiques.
- Oh mais je n'ai pas de pouvoirs magiques . Contredit le sage .
- Comment ?? fit Lobako, perdu . Mais vous aviez dit avoir des dons !
- Oui, sourit le sage . Des dons, pas des pouvoirs .
- Comment cela ?
- Je m'explique . Fit Sanor devant l'incompréhension du conseiller . Un pouvoir magique est une force venue d'une énergie magique, ce qui, théoriquement, n'existe pas .
- Mais alors ... fit Declan .
- Un don est un sens plus développé que la moyenne . Par exemple, la clairvoyance, est, comme son nom l'indique, le faite de voir clair, soit, l'extension de la vue . Comme des visions, voir des êtres d'autres dimensions .
- Et vous, quels dons avez-vous ? Demanda l'un des loups, perplexe .
- Un peu tous . Sourit Sanor .
- Pouvez vous nous montrer ? Fit Timus, excité à l'idée de voir Sanor faire de la magie, enfin, utiliser ses dons .
- C'est ridicule ! Railla Lobako . Comme si ...
Il fut interrompu par un caillou gros comme une griffe qui le percuta en plein front . Le loup poussa un cri de surprise . Il rit, moqueur :
- Si ce n'est que cela, l'ampleur de vos capacités, je crois bien que nous ne ...
Des grondements l'interrompirent . Lorsqu'il leva la tête vers le ciel, il vit que de nuages gris étaient apparus dans le ciel qui était pourtant bleu quelques instants plus tôt, et s'étaient regroupés au dessus du loup blanc avant de se vider de leur contenu sur lui . Ce dernier lança un regard furibond au mage qui sourit, amusé . Timus riait aux éclats, tandis que tout le groupe riait du conseiller maintenant trempé . Lobako gronda, humilié, en fixant le mage qui ne se laissa pas intimider .
- Vous vouliez voir l'ampleur de mes capacités . Se justifia-t-il . Vous en avez maintenant une petite idée . Et ce que j'ai fait, n'importe lequel d'entre vous peut le faire, avec beaucoup d'entraînement .
- Même moi ? Fit Timus, ébahit .
- Oui Timus, même toi . Confirma chaleureusement le loup .
- Trop bien !!! s'écria le loupiot . T'as entendu Declan, même moi je vais pouvoir faire de la magie . Enfin, se reprit-il, avoir des dons !!
- Oui, fit Declan en souriant au jeune loup . Tu pourras faire pleuvoir sur Lobako autant de fois que tu voudras !
- Ces paroles firent rire les trois loups tandis que Vada se mêlait à la plaisanterie .
- Mais pour que vous ayez des dons, reprit Sanor, il faut que vous soyez prêts à les avoir . Physiquement et moralement . Pour cela, il faut que votre demande vienne du cœur .
Les yeux du loup se plissèrent tandis qu'il balayait le groupe du regard :
- Je peux vous aider à avoir des dons . Et il semblerait que l'un de vous soit prêt à avoir des capacités psychiques .
Ses yeux s'arrêtèrent sur Declan qui s'agita nerveux . Après quelques instants de silence, tous fixaient le loup gris en murmurant . « Declan ? » « lui aussi va devenir un mage ? » « comment se fait-il que Declan puisse avoir des dons et pas nous ? »
- Moi ? Fit le loup, surpris .
- Oui toi . Approuva le sage en souriant . Ta détermination et ta générosité à sauver le roi Lordwolf et la reine Bellaya, sous les ordres de qui tu n'es nullement, nous ont prouvés que tu étais maintenant capable de t'affirmer à Orbisia en tant que mage .
- Mais c'est tout à fait naturel que je veuille les aider, contredit Declan, les sourcils froncés . Ce sont de bons souverains . Mais cela ne fait pas de moi un sage aux multiples pouvoirs .
- Non, en effet . Mais tes actes durant toutes tes vies et la sagesse que tu as obtenu grâce à ton expérience pluridimensionnelle nous ont confirmé que tu étais digne de posséder des dons .
- D'accord . Acquiesça Declan . Comment procède-t-on pour avoir des capacités psychiques ?
- Il faut s'entraîner . Répondit simplement Maître Sanor . Des jours et des jours durant .
Alors que le loup gris réfléchissait, il reprit, rassurant :
- Mais je vais t'aider à parfaire tes dons .
- Très bien dit Declan . Comment cela ?
- En débloquant une partie de ton être qui t'était jusqu'alors inconnue . Une glande située à l'intérieure de ton cerveau . Ta glande pinéale .
- Ma glande pinéale ?
- Oui Declan . Répondit Sanor en souriant . Également appelée troisième œil, la glande pinéale permet d'avoir de l'intuition, de rêver, de concrétiser tes rêves et, bien entraînée, à voir le futur et les êtres d'autres dimensions .
- Les êtres d'autres dimensions ? Fit Timus, ébahit .
- Oui Timus . Fit Sanor . Des êtres qui sont comme toi et moi mais qui ont une vibration plus élevée . La tienne doit être à un degré plutôt élevé, mais qui fait de toi un être de la troisième dimension . Celle des êtres des autres dimensions doit être bien plus élevée .
- C'est pour cela que nous ne pouvons pas les voir ? Demanda Declan .
- Oui . Répondit le sage . Moi-même je suis un être de la sixième dimension . Mais vous pouvez me voir car je me suis incarné en tant qu'être physique .
- Waouh . Soufflèrent les loups, ébahis . Mais que faites-vous là, sur Terre dans ce cas ? Fit Timus . Pourquoi n'êtes vous pas restés dans la sixième dimension ? Vous vous êtes perdu ?
Le sage rit doucement :
- Perdu, moi ? Oh non, non . Je suis ici pour accomplir un mission de la plus haute importance : Celle de vous enseigner un partie de mon savoir .
- Oh !
- Et, si les circonstances me le permettent, de déverrouiller la conscience de l'un de vous .
- Declan . conclut Vada .
- En effet . Confirma Maître Sanor . Si ce dernier est d'accord bien entendu .
Tous se tournèrent vers le loup gris . Le concerné plongea son regard dans celui du mage et répondit :
- Je suis prêt .
- Bien . Dit le sage en s'approchant . Alors détends-toi .
Ces paroles ne rassurèrent pas le loup qui au contraire se crispa d'avantage . Declan s'efforça de se détendre tandis que le mage posait sa patte sur sa tête . Il sentit alors un léger craquement entre ses deux yeux . Ses sourcils se froncèrent de stupéfaction tandis qu'une vive lumière l'éblouit .
Il courait vers un cerf . Il sentait l'air filer sur sa fourrure . Le cervidé ne bougeait pas et continuait de le fixer d'un regard bienveillant . Il ne semblait nullement effrayé par ce loup qui courait vers lui . A moins que ce ne fut pas un loup . Ce n'était d'ailleurs pas Declan . Voilà que le cerf lui léchait la figure et que l' « être qui n'était pas Declan » se mettait sur le dos en agitant ses sabots . Il n'avait nullement envie de dévorer ce cerf . Il ressentait pour lui de l'amour fraternel . En réalité, le nouveau Declan qui est en fait un ancien Declan avait une envie folle de manger l'écorce goûteuse de ces arbres là-bas . Le cerf qui était près de lui était son père .
Le véritable Declan se sentit alors tiré vers l'arrière .
Declan était en haut d'une falaise de plusieurs dizaines de mètres . Mais il n'avait pas peur . Ce n'était pas la première fois qu'il sautait d'une telle hauteur et ce n'était pas la dernière . Alors, il sauta dans le vide . Le paysage se renversa autour de lui tandis que la pression de l'air augmentait contre ses flancs . Declan qui n'était pas Declan ouvrit ses ailes et se redressa . Le décor se stabilisa lui aussi et l'air s'engouffra dans ses plumes noires . Les forêts d'Ardèche défilaient sous lui . Le soleil, qui était déjà haut, faisait briller les plumes de l'animal comme l'ardoise . Declan était libre !
De nouveau, le loup fut projeté en arrière .
Il faisait noir . Tout du moins ce n'était pas sûr car Declan ne pouvait dire s'il faisait noir . Le plus correct aurait été de dire que pour Declan, il ne faisait rien du tout car il n'avait aucun organe de perception visuelle . Declan se demandait même s'il existait . Enfin, pensait-il réellement ? car il ne semblait pas avoir de cerveau . Il ressentait seulement . Il ressentait du vent sur son corps, car il avait bel et bien un corps . Mais aussi, bien que son empathie de loup soit déjà très développée, plus développée que celle des Grogneurs en tout cas, l'empathie qu'il possédait actuellement, ou antérieurement dans ce corps-ci était incommensurable . Il ressentait la vie autour de lui, la vie de ce qui pouvait être des plantes, des animaux . Declan ne pouvait savoir de quoi il s'agissait ni même dire ce qu'il était exactement, il ne voyait pas, n'entendait pas, ne parlait pas, mais bougeait au rythme du vent et sentait ce dernier sur son corps .
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top