1 - Une carte postale trop parfaite
Arriver à Newport Beach, c'était comme atterrir sur une autre planète. Tout ici ressemblait à une carte postale trop parfaite : des rues bordées de palmiers s'étiraient à perte de vue, flanquées de villas modernes et imposantes. L'odeur saline flottait dans l'air, et une lumière dorée baignait tout. C'était un décor superbe, presque magique, mais à mes yeux, tout cela semblait artificiel, comme un tableau sans profondeur. Je ne pouvais m'empêcher de me sentir étrangère à cet endroit.
Marina, ma mère adoptive, m'avait promis que je finirais par m'y faire. Elle répétait que cette ville serait un nouveau départ, une chance de tout recommencer. Mais rien ne m'avait préparé à cette sensation de vide. Ici, chaque détail me paraissait étouffant : la perfection des paysages, la propreté presque clinique des rues, et surtout, l'impression de ne pas être à ma place. Tout semblait calibré, réglé au millimètre pour donner une image idéale, mais où était la vraie vie, dans tout cela ?
Le premier jour à Newport High fut pire encore. Rien à voir avec mon ancienne école, qui était imparfaite mais authentique. Ici, tout semblait sorti d'un magazine : des élèves impeccablement habillés, des filles en jeans sculptés et crop tops à la mode, des garçons arborant une décontraction qui semblait calculée. Leur confiance débordait, et moi, dans mes vêtements simples, mes cheveux encore en bataille après le voyage, je faisais tâche. Chaque regard semblait me dévorer, non par hostilité, mais par curiosité. J'étais une anomalie dans leur monde parfait.
Au bureau du principal, j'ai reçu mon emploi du temps. Un homme jovial, au sourire trop large pour paraître sincère, me l'a tendu avec des paroles clichées :
— Bienvenue à Newport High, Kaïa. Notre école a une culture unique, mais je suis sûr que tu vas t'y adapter rapidement. Tu verras, ici, tout est une question d'image.
À ce moment-là, ce mot « image » résonna comme une alarme dans ma tête. Il ne parlait pas de qui j'étais, mais de comment je serais perçue. L'apparence semblait tout dicter, et j'avais déjà l'impression que je ne tiendrais pas la distance.
Lorsque je quittai son bureau, mon regard croisa celui d'une fille blonde et bronzée, l'image même de la perfection locale. Elle m'offrit un sourire poli, mais le malaise restait palpable. À l'extérieur, les élèves s'étaient regroupés en clans bien définis : les populaires, les sportifs, les artistes. J'étais seule, une pièce dépareillée dans ce puzzle parfaitement agencé.
Je pris place sur un banc, observant discrètement cette chorégraphie sociale. Je n'avais aucune envie de me lever et de me jeter dans cette foule intimidante. Pourtant, il fallait bien commencer quelque part.
Un groupe de garçons bruyants attira mon attention. L'un d'eux, un blond aux yeux perçants, se détachait des autres par son assurance presque insolente. Il marcha directement vers moi. Mon estomac se noua.
— Nouvelle, hein ? dit-il avec un sourire en coin.
Je hochai la tête, incapable de trouver mes mots.
— Bienvenue à Newport, ajouta-t-il, son ton oscillant entre curiosité et amusement. Un conseil : ici, tout le monde se souvient de ce que tu portes.
Il rit doucement avant de repartir vers son groupe. Ses paroles étaient destinées à m'ébranler, mais je refusais de lui donner cette satisfaction. Je restai immobile, les poings serrés sur mon sac.
La cloche sonna, et je me dirigeai vers ma première classe. Trouver la salle fut une autre épreuve : les couloirs étaient un véritable labyrinthe. Chaque élève semblait trop occupé pour répondre à mes questions. Finalement, je tombai sur une fille qui avait l'air aussi perdue que moi. Elle tenait son téléphone d'une main et regardait autour d'elle avec une expression confuse.
— Salut, tu sais où est la salle 204 ? demandai-je timidement.
Elle leva les yeux et sourit, un sourire authentique cette fois.
— Oui, je cherche la même salle. Viens, on peut chercher ensemble, proposa-t-elle.
Nous marchâmes côte à côte, engageant une conversation légère. Elle s'appelait Jenna, et contrairement aux autres, elle semblait dépourvue de cette arrogance qui flottait dans l'air. Nous arrivâmes enfin à la salle, juste avant que la cloche ne sonne. Je choisis une place près d'elle, reconnaissante d'avoir trouvé une alliée.
Le cours était déjà bien entamé lorsque je remarquai que le garçon blond de tout à l'heure était assis deux rangs devant moi. Il se retourna brièvement, comme s'il voulait s'assurer que je l'avais vu. Mon cœur s'accéléra. Jenna, qui avait remarqué mon trouble, murmura discrètement :
— Lui, c'est Liam Walker. Fils du maire et star de l'équipe de surf. Un vrai cliché ambulant, mais les gens l'adorent. Fais attention, il aime jouer avec les nouvelles.
Ses paroles m'intriguaient autant qu'elles m'inquiétaient. Pourquoi Liam semblait-il si déterminé à attirer mon attention ? Je n'avais rien d'extraordinaire, rien qui puisse m'intéresser à ses yeux. Mais il était clair qu'il ne comptait pas m'ignorer.
Pendant le déjeuner, Jenna m'invita à sa table. Deux autres élèves nous rejoignirent : Nate, un garçon aux cheveux bouclés et à l'humour facile, et Tessa, une fille réservée mais chaleureuse. Pour la première fois depuis mon arrivée, je me sentis un peu moins seule. Ils étaient différents, plus naturels, moins obsédés par les apparences.
Cependant, la tranquillité fut de courte durée. Alors que nous quittions la table, Liam apparut soudain devant moi, un sourire narquois étampé sur le visage.
— Alors, tu t'intègres bien, la nouvelle ? demanda-t-il d'une voix trop douce pour être honnête.
Jenna s'interposa, les bras croisés et le regard noir.
— Tu n'as pas autre chose à faire, Liam ?
Il haussa les épaules, indifférent.
— Juste un conseil, Kaïa. Fais attention à qui tu traînes. Les gens ici ont la mémoire longue.
Il s'éloigna, laissant derrière lui une tension palpable. Jenna posa une main rassurante sur mon épaule.
— Ne l'écoute pas. Liam adore jouer les intimidateurs.
Mais ses paroles m'avaient dérangée plus que je ne voulais l'admettre. Pourquoi semblait-il déterminé à m'ébranler ? Et pourquoi son regard m'avait-il donné l'impression qu'il voyait quelque chose en moi que je ne comprenais pas encore ?
Après les cours, Jenna proposa de me faire visiter les environs. Nous marchâmes le long de la plage, les vagues s'écrasant doucement contre le rivage. Ça semblait apaiser un peu le chaos dans ma tête. Elle me parla des endroits à visiter, des cafés où elle aimait aller pour lire ou écouter de la musique. Sa présence était une ancre dans cette mer d'incertitudes.
Alors que nous atteignions le bout de la promenade, le soleil commençait à se coucher, peignant le ciel de teintes d'orange et de pourpre. Un groupe de jeunes était rassemblé autour d'un feu de camp improvisé, leurs rires se mêlant au bruit des vagues.
— C'est ici que tout le monde traîne après les cours, expliqua Jenna. Les surfeurs, les populaires, même les artistes parfois. C'est un peu le cœur social de Newport.
Je les observais de loin, consciente de mon statut d'intruse. Parmi eux, je remarquai Liam, bien sûr. Il était entouré de filles qui semblaient pendre à ses lèvres. Mais malgré l'atmosphère détendue, son regard se posa brièvement sur moi. Un sourire énigmatique étire ses lèvres avant qu'il ne reporte son attention sur ses admiratrices.
— Viens, dit Jenna en me tirant légèrement par le bras. Je te présenterai à quelques personnes.
Je voulus protester, mais l'idée de rester une spectatrice éternelle me semblait pire encore. Alors, avec une certaine appréhension, je suivais Jenna dans la lumière vacillante du feu.
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Les éclats de rire et la musique semblaient s'amplifier à mesure que nous approchions. Mon cœur battait un peu plus vite, un mélange d'excitation et d'inquiétude. Jenna me lâcha enfin le bras pour s'avancer avec aisance, saluant plusieurs personnes d'un geste de la main ou d'un sourire éclatant.
— Hé, tout le monde ! cria-t-elle au-dessus du brouhaha. Je vous présente...
Elle se tourna vers moi, attendant que je complète.
— Kaïa, dis-je avec un petit sourire timide.
Quelques regards se tournèrent vers moi, certains curieux, d'autres indifférents. Une fille aux cheveux roses, assise en tailleur près du feu, leva sa bière dans ma direction.
— Salut, Kaïa! lança-t-elle. Bienvenue au club des marginaux qui font semblant d'être cool.
Quelques rires éclatèrent. Jenna roula des yeux.
— T'inquiète, c'est Sky. Elle a une opinion sur tout, et la plupart du temps, elle n'a pas tort.
Sky haussa les épaules avant de reporter son attention sur sa guitare qu'elle grattait distraitement. Je me détends légèrement.
Puis, un éclat de rire attira mon attention, et mon regard se posa à nouveau sur Liam. Il était maintenant debout, une bière à la main, racontant quelque chose qui semblait captiver son petit cercle. Je ne pouvais pas m'empêcher de noter la facilité avec laquelle il attirait les gens autour de lui, comme s'il était une étoile gravitant au centre de leur univers.
— Raph! interpella Jenna, coupant net son histoire.
Il tourna la tête, visiblement surpris d'être interrompu, mais son expression changea en me voyant.
— Je te présente Kaïa, ajouta-t-elle. Elle est nouvelle en ville.
Il me fixa un instant, son sourire énigmatique toujours présent.
— Nouvelle, hein ? dit-il en s'avançant. Bienvenue à Newport.
Il tendit sa main, et je pris une seconde de trop avant de la serrer. Sa poigne était ferme, sa chaleur presque déstabilisante.
— Merci, murmurai-je.
— On t'a déjà initiée aux vagues ou on te réserve ça pour plus tard ?
— Pas encore, dis-je, incapable de savoir s'il plaisantait ou non.
— Alors il faudra y remédier, déclara-t-il, ses yeux fixés dans les miens.
Je ne répondis pas, et il sembla savourer mon hésitation avant de reculer légèrement.
— On en reparlera, dit-il avec un sourire, avant de retourner à son groupe.
Jenna se pencha vers moi, visiblement satisfaite.
— Pas mal pour un début, non ?
Je hochai la tête, même si je n'étais pas sûre de ce qu'elle voulait dire. Mon regard dériva à nouveau vers le feu, vers ces visages inconnus, et je me demandai si je pouvais vraiment me faire une place ici.
Un éclat de rire m'arracha à mes pensées, et pour la première fois depuis longtemps, je me surprends à sourire, même un tout petit peu.
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La soirée avançait, et malgré ma réserve initiale, je commençais à me sentir un peu moins étrangère. Jenna avait un talent naturel pour mettre les gens à l'aise, et elle semblait déterminée à m'intégrer dans son cercle.
Je me retrouvai bientôt assise sur une vieille couverture près du feu, une boisson fraîche entre les mains. Sky, la fille aux cheveux roses, jouait doucement de la guitare, des accords simples mais mélodieux qui semblaient hypnotiser les vagues elles-mêmes.
— Alors, Kaïa, tu viens d'où ? demanda un garçon en face de moi. Il portait une casquette à l'envers et un sourire un peu trop large pour être honnête.
— D'une petite ville dont personne n'a jamais entendu parler, répondis-je en haussant les épaules.
— Oh, mystérieuse, j'aime ça, lança-t-il avec un clin d'œil.
— Ça suffit, Nate, intervint Jenna en lui lançant un coussin trouvé je ne sais où. Essaie de ne pas l'effrayer dès son premier soir.
Nate rit et leva les mains en signe de reddition.
— Désolé. Bienvenue quand même.
Je souris timidement, mais avant que la conversation ne continue, un mouvement attira mon attention. Raphaël venait de s'asseoir à côté de Sky, récupérant la guitare qu'elle lui tendait. Il ajusta rapidement les cordes avant de commencer à jouer.
Les premières notes flottèrent dans l'air, et une étrange tension s'installa autour du feu. Tous les regards étaient tournés vers lui, captivés par la musique. Sa voix, rauque et légèrement éraillée, s'éleva bientôt au-dessus du crépitement des flammes.
C'était une chanson que je ne connaissais pas, mais les paroles semblaient avoir un poids, une signification personnelle.
"Lost in the tide, drifting away,
Searching for something to make me stay..."
Je ne pus m'empêcher de le fixer, hypnotisée par la sincérité qui émanait de lui. Il jouait comme si le monde autour n'existait plus, comme s'il était seul avec ses pensées.
Quand il termina, un silence respectueux plana un instant avant que tout le monde n'éclate en applaudissements.
— Toujours aussi dramatique, murmura Sky avec un sourire, mais il était évident qu'elle appréciait sa performance.
Rapahël posa la guitare sur ses genoux et balaya la foule du regard, s'arrêtant brièvement sur moi.
— Une dédicace pour la nouvelle ? demanda Sky, l'air taquin.
Il haussa un sourcil, un sourire en coin étirant ses lèvres.
— Peut-être une prochaine fois, dit-il, avant de détourner les yeux.
Je sentis mon cœur s'emballer, confuse par cette attention soudaine. Je n'étais pas sûre de ce qu'il cherchait à faire, mais une chose était claire : Raphaël n'était pas aussi simple qu'il en avait l'air.
La soirée continua, et bien que je me sois un peu détendue, je ne pouvais m'empêcher de repenser à son sourire, à ses regards en coin, comme s'il cherchait à percer quelque chose en moi que je n'avais pas encore découvert moi-même.
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