Namjoon piétinait. Leur voyage avait pris du retard suite à l'attaque des Maudits et, comble du désespoir, leur ravitaillement avait été rendu inutilisable. Une petite troupe s'était détachée avec un chariot afin de se rendre dans le village le plus proche et récupérer des victuailles. C'est ainsi que le guerrier attendait les soldats à côté du chariot. Il lui semblait que cela faisait une éternité qu'ils étaient rentrés dans l'épicerie, le laissant seul avec les chevaux et Jimin. Le garçon avait fortement insisté pour venir et "voir du paysage", et il aurait été suspect de lui avouer qu'ils avaient peur que les Maudits ne soient venus pour lui. Alors, d'un commun accord, Jin et Namjoon avaient fini par céder. Après tout, il était plus que probablement que leur voyage se soit déroulé on ne peut plus tranquillement car les monstres organisaient leur attaque. S'ils leur avait fallu autant de temps, alors ils ne risquaient pas grand-chose à s'éloigner un après-midi, d'autant plus que la situation sur place était elle aussi au bord de l'anarchie malgré la présence du Roi qui faisait de son mieux pour guider les préparations.

Les deux hommes ne se parlaient pas. Le plus jeune passait son temps à cajoler les chevaux et à jeter des coups d'œil aux quelques ruelles de ce village plus que rural, mais néanmoins propre. La bourgade paraissait bien plus lumineuse et chaleureuse que Balmir. Les maisons étaient bâties en bois clair et les toitures en lin séché. Pas de taverne, pas d'auberge, juste un petit village tranquille qui possédait néanmoins un petit commerce qui sauvait actuellement le convoi du Roi.

"Comment tu as dis que ça s'appelait déjà, le village ?", demanda soudainement le palefrenier.
"J'en sais foutrement rien, enfin, je crois que les gardes qui avaient la carte pendant le chemin ont prononcé le mot "Lanmei". Pourquoi ? Tu comptes t'y installer ?
— Peut-être bien, pour écouler mes vieux jours ? J'aime le calme d'ici. On peut entendre les oiseaux chanter et l'air n'a pas une odeur nauséabonde... J'aurais aimé que Kook puisse voir ça, aussi..."

Namjoon esquissa un sourire sincère bientôt transformé en moue alors que la fin de la phrase approchait. Il allait répondre une phrase cinglante du type "pour entamer une collection de beaux bourgs détruits ?", mais se résigna à ne faire aucune remarque à ce sujet.

"Attends de découvrir Visantri."

Jimin n'alimenta pas plus la discussion. Son expression était soudainement devenue plus sombre, comme si la seule évocation du nom de son ancien compagnon avait réussi à anéantir le peu de bonheur qu'il avait réussi à rassembler depuis son départ de Balmir. Il lui manquait probablement bien plus profondément que ce que le guerrier ne pouvait imaginer, mais Namjoon était le premier à comprendre que le temps ne faisait que panser certaines blessures et non les guérir.

Jimin s'écarta un peu de son champ de vision, se blottissant contre un mur plus loin, et le temps commença à s'étirer à nouveau dans un sentiment de longueur ennuyante.

"Bon, ça suffit, qu'est-ce qu'ils foutent à l'intérieur ?", tonna Namjoon avant de s'avancer d'un pas décidé jusqu'à la porte de l'épicerie qu'il repoussa d'un geste brusque.
"Doucement avec le mobilier!", s'indigna un petit homme propre sur lui, avec une barbe soyeuse tressée en son centre.
"Je serai plus doux si vous étiez plus rapides. Pourquoi la situation s'éternise-t-elle ici ?
— Ils ont des problèmes de stock...", l'informa l'un des gardes. "On cherchait une solution pour avoir le plus de nourriture possible mais le bougre ne démord pas.
— C'est-à-dire ?
— Notre dépôt a été attaqué pas plus tard qu'hier, pendant la nuit. Si nous vous donnons tout ce que vous réclamez, il n'y aura plus rien pour les villageois.", lui indiqua l'épicier.
"Vous avez vu ce qui a pillé les stocks ?
— Des Rooqs !
— Ah, eux.", fit simplement Namjoon.

Il savait que c'était à cause d'eux, bien qu'il était surpris que les Maudits ne viennent pas des zones qu'ils avaient croisés. Quoi que, le solitaire qui était avec eux venait probablement des lagunes près de Visantri. Conscient de leur responsabilité dans cette affaire, Namjoon préféra ne pas insister.

"Vendez-nous ce que vous pouvez et gardez le reste pour les villageois.
— C'est à dire, rien !", lui indiqua l'homme.

Cette fois le guerrier fronça les sourcils.

"Comment ça, rien ?
— Nous sommes un petit village, avec de petites récoltes et un petit dépôt. Les stocks ne sont plus suffisants pour assurer à nos villageois un hiver paisible !
— Bon écoutez, il nous faut seulement de quoi nourrir vingt-quatre hommes pendant trois jours. Une fois arrivés à Visantri nous ferons savoir au Roi que votre bourg a besoin d'aide et il vous enverra du riz pour l'hiver. Vous gagnez au change."

Mais alors que Namjoon s'attendait à ce que l'homme se jette sur l'occasion, celui-ci s'esclaffa.

" Mais bien sûr ! Comme si le Roi allait si facilement accéder à votre requête ! Non mais vous vous prenez pour qui ?!"

Cette fois, le guerrier soupira. Il écarta la cape de l'un des gardes, dévoilant le blason incrusté dans l'armure et frappa dessus d'un coup plus sec que ce qu'il n'avait voulu, faisant vaciller l'homme qui tenta de rester impassible.

"Vous trouvez qu'il ressemble à quoi ?
— A un garde ?
— Bon point. Maintenant, veuillez prêter une attention toute particulière au blason moulé sur l'armure, au niveau de sa poitrine."

L'épicier fronça les sourcils, se rapprochant légèrement pour voir, puis se recula.

"Jamais vu ça.
— C'est l'insigne des gardes du palais. Ces soldats sont la garde personnelle du Roi et ils sont ici parce que sieur le Roi, en personne, l'a demandé ! Donc, oui, le Roi écoutera et enverra du riz !
— Nous ne devions pas ébruiter la présence du Roi, messire Namjoon !", fit le soldat en se retournant vers lui, les sourcils froncés.

D'un geste sec, Namjoon lui remit une petite tape derrière la tête puis gronda.

"Qui vient de l'ébruiter à part toi ?! J'avais juste dit que c'est le Roi qui nous avait dépêché !"

Le garde ouvrit la bouche, puis la referma, se ravisant. Contrarier le guerrier ne lui semblait plus une si bonne idée, à la réflexion. Mais c'est la voix mielleuse de l'épicier qui sonna le glas de la paix.

"Allons, allons, nous n'allons pas faire une scène ici pour si peu ! Je vous vends la moitié du stock, et je compte sur votre parole pour faire venir le riz.
— Ça sera fait.", lui assura Namjoon en tournant les talons, laissant les gardes procéder au reste de la transaction.

Lorsqu'il sortit de la boutique, il chercha le palefrenier des yeux, sans le trouver. Son cœur commença à cogner dans sa poitrine.

"Jimin ?!"

Pas de réponse. Ses jambes commencèrent à s'activer et le guerrier courrait dans une direction puis dans une autre, sans savoir de quel côté chercher. Il s'imaginait déjà devoir expliquer au Roi que le Salvateur s'était fait la malle. Ou avait été kidnappé, qui sait ! Peut-être que d'autres Maudits attendaient à Lanmei et l'avaient récupéré !

Puis, il le vit, au détour d'une maison, bavardant tranquillement avec deux jeunes de son âge. Namjoon s'approcha, suspicieux. L'un était un jeune homme et l'autre, une jeune femme d'à peine dix-huit ans. Il hâta son pas et cria à nouveau le nom de Jimin afin d'attirer son attention. Le palefrenier se retourna, surpris, et les deux jeunes firent un pas de recul devant la dégaine et la démarche du guerrier qui paraissait furieux.

"Ne commence pas à errer comme ça, ça peut être dangereux !", le gronda le guerrier en attrapa son bras de sa seule main disponible.
"Je discute simplement !", rétorqua Jimin en se dégageant, visiblement courroucé par l'intervention de l'autre.
"Tu discuteras avec les gardes autant que tu veux quand on sera de retour au camp !"

Et là, sans crier gare, le jeune homme attrapa à son tour le bras de Jimin.

"COURS !", hurla-t-il avant de commencer à se carapater, suivi par celui qu'il pensait sauver. Namjoon qui pourtant avaient des réflexes plus que rapides, fut saisi de court par cette surprenante situation. Il lui fallut une bonne seconde pour se mettre en chasse à son tour, intimidant à Jimin et aux autres de s'arrêter. Pourtant, personne ne semblait prêt à l'écouter. Le guerrier, trop affaibli par la bataille, les perdit rapidement de vue. Pourtant le village n'était pas grand et le seul bâtiment qu'il y avait dans la direction où ils étaient partis était un petit moulin à l'extérieur du cercle des habitations.

Il prit alors le temps de marcher tranquillement, certain de les retrouver là- bas. Sur place, il commença par faire le tour du bâtiment, vérifiant les extérieurs et les accès. La seule possibilité d'entrée et de sortie était une petite porte sur l'avant. L'unique fenêtre était si petite qu'elle ressemblait davantage à une meurtrière, il aurait fallu qu'ils soient des chats pour se faufiler par là. Alors, il dégaina son épée et s'approcha. Il tenta d'ouvrir la porte de sa main droite, celle qui était retenue, tout comme son bras, contre lui, utilisant une posture étrange où il dû se tordre, mais le verrou avait été mit.

Alors il recula, donna un grand coup de pied dans la porte en bois qui s'écarta et se cogna avec élan sur le mur intérieur tant le coup avait été porté sans retenue.

Pourtant, à sa grande surprise, il n'y avait rien. Rien, si ce n'est de la paille dispersée en un épais matelas sur le sol. Il soupira et tourna le dos, et c'est durant ce mouvement qu'il vit une chose étrange dans sa vision périphérique : un pied.

Non pas un pied seul, détaché de son corps respectif, mais juste un pied, et le début d'une cheville, dépassant du matelas de paille.

"Si j'utilise la pointe de mon épée pour dégager la paille qui vous recouvre et que vous bougez ça risque de piquer un peu.", commença-t-il en attendant une réaction. Mais aucune ne vint. Pas un bruit, pas un souffle. Est-ce que c'était en fait un cadavre qui avait été planqué là ?

D'un geste précis, il utilisa la pointe de son épée qu'il passa en dessous d'une bonne dizaine de centimètres de paille puis la souleva d'un coup sec. Dévoilant des bouts de corps de trois personnes : le jeune homme, la jeune femme, et Jimin, qui avait la bouche recouverte de la main du premier.

"Relâchez-le !"

Jimin utilisa alors l'une de ses mains pour dégager celle de l'homme, qu'il garda dans la sienne.

"Ils ne sont pas armés.
— Ils ont tenté de te kidnapper !
— C'est juste des villageois !
— Et je peux savoir pourquoi ils t'ont emmené avec eux, dans ce cas ?!"

Jimin se leva. Il prit le temps de dépoussiérer ses vêtements et de se frotter pour faire tomber les brins de paille.

Devant la scène maintenant tranquille, Namjoon rengaina son arme. Les deux jeunes se redressèrent légèrement.

"Je pensais que vous lui feriez du mal...", bégaya le villageois.

Le guerrier soupira et lança un regard noir à Jimin, comme s'il était celui à blâmer de cette situation.

"C'est ce que tu leur as dit ?!
— Bien sûr que non. Tu ne dois ce quiproquo qu'à ton allure de dépravé et ton ton autoritaire."

Le guerrier soupira lourdement. Il commençait à comprendre la situation.

"Et toi, alors ? Pourquoi tu les a suivi plutôt que de t'arrêter et leur expliquer ?
— Qu'y-a-t-il de mal à vouloir se faire courir derrière par un homme grand et musclé ?"

Namjoon leva un sourcil, incertain d'avoir bien entendu. Cette phrase était à des kilomètres du Jimin qu'il connaissait aujourd'hui. Il lui fallut de longues secondes pour se souvenir que Jimin n'a pas été froid et morne, qu'il n'a pas toujours été celui qu'ils avaient récupéré accroché au poteau de Balmir presque laissé pour mort. C'est vrai, lorsqu'il l'avait rencontré avant son affrontement avec la Bête, le jeune homme avait ce côté taquin, énigmatique, pas toujours de très bon goût, mais c'était en effet un aspect de sa personnalité que Namjoon avait oublié.

C'est finalement un sourire qui fit son apparition sur les lèvres du guerrier.

"On dirait que cette sortie t'as fait du bien.", dit-il simplement, doucement.

Les yeux du palefrenier s'écarquillèrent légèrement. Namjoon remarqua à peine cette expression de surprise sur son visage face à la douceur de ses mots. Mais Jimin ne rétorqua rien, se contentant de sortir du moulin.

"Il faut y aller, les gardes doivent avoir terminé, ils risquent de s'inquiéter ou de partir sans nous."

L'autre acquiesça. Mais avant de lui emboîter le pas il se retourna vers les deux restés dans le moulin.

"Merci d'avoir essayé de me sauver.", dit-il en leur adressant un sourire sincère.

Le Corbeau était perché sur la branche d'un arbre dont les racines s'abreuvaient directement dans le Landsih. Il observait une dizaines de soldats s'affairer à regrouper les affaires et repartir des chevaux qui, visiblement, étaient maintenant trop peu nombreux par rapport au nombre de gardes. La petite tête couronnée supervisait lascivement.

"Les chevaux blessés sont-ils en état de suivre le convoi jusqu'à Visantri ?
— Certains plus que d'autres... Mais ils n'ont pas le choix, si nous les laissons ici dans leur état c'est la mort assurée.
— Nous avancerons doucement. La moitié des gardes seront à pied."

Taehyung ne pouvait que trop bien deviner que tout ce n'était pas passé exactement comme prévu. Mais ce qui l'inquiétait était surtout l'absence du Salvateur. Pourtant, il ne paniquait pas tout de suite. Namjoon manquait également à l'appel, à condition que ce ne soit pas son esprit épuisé qui ait halluciné et ne l'ai imaginé en compagnie de Jin à Balmir. Et, si jamais Jimin s'était bien échappé, il n'avait plus qu'à tendre l'oreille pour comprendre de quel côté fouiller. Ou bien il était mort ? Tous les cas de figure lui convenaient, à la réflexion.

Il commença à somnoler sur sa branche. La situation n'était pas passionnante, dès lors qu'il avait à peu près compris la situation. Mais une voix plus forte que les autres le fit rouvrir les yeux.

"Je commence à avoir faim ! Ils rentrent quand avec les provisions les autres ? Ça prend une plombe !
— J'espère qu'il ne leur est rien arrivé.
— Lanmei est à peine à une heure et demi, que veux-tu qu'il leur arrive ? On s'est déjà tous prit dans la gueule hier, de toute façon."

Lanmei ? Si Taehyung avait bonne mémoire, c'était un village en aval du Landsih. Curieux de savoir s'il avait une opportunité, il se décida à aller voir. Un petit paquet était accroché à sa patte : Maera avait accepté de lui confier le poison et l'avait joliment emballé. Pour autant, il espérait que ça ne grillerait pas sa couverture de gentil Corbeau sauvage. Il savait qu'il devait faire attention.

Il volait avec assurance, remontant la rivière, et c'est sur un petit chemin qui la longeait qu'il aperçut une petite troupe de plusieurs humains, accompagnés de deux chevaux tirant un chariot. Le contenu était recouvert d'un drap pour le protéger.

Il chercha un arbre sur lequel se poser le temps de regarder le petit convoi passer, à l'abri des regards et curiosités, puis il attendit sagement.

Il reconnut sans peine le grand gabarit de Namjoon, et les vêtements du Salvateur parmi les armures. Le moral de cette étrange troupe semblait meilleur, par rapport à ceux restés sur place. Il n'y avait que le visage de Jimin qui était plus morne, plus renfermé. Si Jin l'avait autorisé à prendre part à cette petite expédition dans l'espoir de lui rendre le sourire, il semblait néanmoins que le jeune homme pleurait toujours la perte d'un être cher malgré sa résilience. Si seulement il savait...

Il réfléchit un instant, se reconcentrant sur son rôle. Jouer à l'homme blessé sur le côté de la route ne marcherait pas pour rejoindre les gardes dans leur voyage. Jimin ne l'avait aperçu que très furtivement, mais Namjoon ne connaissait que trop bien son visage et sa présence rendait les choses compliquées. Il risquait d'avoir le même problème avec Jin si celui-ci ne restait pas tranquillement dans sa tente ou son carrosse. Il fallait que Jimin soit seul... En tout cas, pas avec eux.

La nuit était probablement un moment plus propice, quand bien même Taehyung détestait plus que tout devoir à planifier ça.

Il continua d'observer silencieusement pendant plusieurs heures. D'abord, les soldats se remplirent le ventre, ensuite ils se mirent en route, profitant de l'après-midi pour avancer. Le rythme était lent. Ils étaient blessés, fatigués, leurs armures pesaient lourd et leurs bottes étaient davantage faites pour s'adapter aux selles que pour marcher pendant des heures à côté de leurs chevaux éclopés.

La fin de journée approchait lorsque l'un des soldats partit à cheval en éclaireur, revint avec une bonne nouvelle : des ruines de l'ancienne civilisation étaient à trente minutes de marche. Pas de toit pour les abriter de la pluie - de toute façon, le ciel était clément -, mais de hauts murs pour se protéger de potentiels intrus, humains ou monstres et être à l'abri du vent.

Ils le suivirent dans cette direction, le Corbeau à leur suite. Lorsqu'ils arrivèrent sur place, cela ressemblait plus à une jungle de lierres qu'à des murs. On ne voyait plus grand chose des agglos, cachés sous d'épais végétaux, mais on le devinait à la façon dont la verdure s'amassait sur elle-même en des hauteurs irrégulières. La charpente en bois qui devait tenir le bâtiment en place il y a fort longtemps avait été complètement dissoute par le temps. Elle avait dû tomber, et les insectes et autres vers avaient dû s'occuper de la digérer dans un processus probablement interminable.

Ils firent un feu au milieu des quatres murs et attachèrent les chevaux à l'extérieur, faute de place. Alors que tous s'activèrent et que Jimin était inatteignable auprès de tous ces gardes, Taehyung fit le choix de ne pas s'approcher et d'attendre que tous dorment, y compris Namjoon.

Les voix des soldats s'élevèrent par delà les murs en ruines jusque tard dans la nuit, mais bientôt, plus aucun son n'en sortait mis à part quelques ronflements et respirations. L'un des soldats montait la garde devant la brèche qui leur avait servie d'entrée, mais ce n'était pas ce qui arrêterait Taehyung. L'important était que rien ne rentre, n'est-ce pas ? Il n'allait pas interdire à l'un de ceux à l'intérieur de sortir.

Alors il espérait que Jimin le suivrait.

De quelques coups d'ailes furtifs, le Corbeau se posa près de la couche du Salvateur. Il dormait sur le côté, les genoux remontés contre son ventre, se servant de l'un de ses bras comme oreiller.

Le Corbeau hésita. Il avait peur de griller sa couverture, pourtant il savait qu'il ne prenait pas trop de danger. Si Jimin ne le suivait pas ce soir, il n'y aurait rien d'étonnant à ce qu'un Maudit le suive, cela pourrait même piquer sa curiosité et le forcer à le suivre plus tard, et s'isoler...

Alors Taehyung commença à farfouiller près de lui, faisant mine de chercher de la nourriture si proche de son visage que ses plumes le touchaient furtivement. Il fallut peu de temps pour que le garçon ne se réveille et ne regarde le Corbeau avec étonnement sans oser bouger de peur de le faire fuir.

Mais alors que le volatile se tourna vers lui, il entendit le Salvateur inspirer et couper sa respiration sous l'effet de surprise, avant de souffler doucement et murmurer.

"Tu n'es pas un Corbeau ordinaire, n'est-ce pas ?"

Comme seule réponse, le Maudit le fixa. Ils échangèrent un long regard se fondant dans les yeux l'un de l'autre, et alors que tout l'être de Taehyung vibrait d'une étrange sensation d'apaisement, le Salvateur murmura à nouveau.

"Les autres Corbeaux n'ont pas d'yeux d'un rouge profond comme les tiens."

Sur ces mots il allongea lentement la main vers lui, pour ne pas l'effrayer. Le bout de ses doigts caressèrent ses plumes et une chaleur intense, un bien être indescriptible, grandit dans le corps du Corbeau qui avait alors l'impression de ne vivre que pour cet instant.

Les caresses du Salvateur avaient le même effet qu'une drogue pour lui, et, oubliant un instant son plan, il s'approcha jusqu'à sentir son souffle contre ses plumes. Il ne sut résister à la tentation lorsque ce dernier leva la couverture, l'invitant à le rejoindre, lui offrant un endroit chaud.

Blottit contre le torse du jeune homme, Taehyung maintenant dans un état de relaxation enivrant. Il ferma les yeux et s'endormit sans même s'en rendre compte.

Ce fut le raffut de quelques soldats durant les premières lueurs du soleil qui tira le Corbeau d'un sommeil si profond qu'il jurait n'avoir jamais aussi bien dormir. Les armures cliquettaient alors qu'ils les remettaient avec nonchalance, provoquant un gémissement de Jimin, visiblement mécontent d'être tiré de son sommeil.

Taehyung le savait, il devait se sauver avant qu'un certain guerrier ne se lève à son tour. Alors il se dégageant, non sans une once de tristesse et fit battre ses ailes sous le regard triste de Jimin qui ne le retint pas.

Sa journée, il l'a passa à les observer de loin, à l'affût de la moindre occasion de retrouver le Salvateur seul à seul. Il lui semblait pourtant que cette occasion ne viendrait jamais. Namjoon était bien trop souvent collé à lui, le surveillant sans lui avouer.

Une part de lui était profondément triste pour Jimin, triste de voir ce garçon être la marionnette de deux forces s'opposant. Cette même part le suppliait de ne pas mener à bien sa mission afin de vivre encore et encore des moments aussi doux que la veille. Pourtant il s'était juré de ne plus se permettre la faiblesse dont il avait fait preuve. La vie d'Hoseok était en jeu autant que les autres dans cette guerre silencieuse.

Alors que la garnison fit une halte, on envoya finalement Jimin et un autre soldat aller chercher de l'eau dans le Landsih qu'ils continuaient de suivre jusqu'à la mer.

C'était une belle occasion bien que Taehyung n'ait aucune idée sur son procédé.

Devait-il se retransformer ? Profiter de la proximité qu'il avait créée avec lui en tant que Corbeau ? Il se décida finalement pour la deuxième option et se posa sur un petit rocher qui ornait les berges, face à la rive où Jimin et le soldat étaient maintenant en train de puiser de l'eau dans plusieurs sceaux.

C'est avec soulagement qu'il vit Jimin posé son regard sur lui et écarquiller les yeux de surprise. Il faillit prononcer un mot mais se tourna finalement vers le soldat qui l'accompagnait.

"J'ai vu quelque chose, je vais aller voir.", lui dit-il brièvement avant de filer en courant sans lui laisser le temps de répondre ou de le retenir.

Il courut de son côté de la rive jusqu'à ce que le garde fut hors de vue et fit alors des bruits de langue, dans l'espoir que le Corbeau le repère. C'est volontiers que Taehyung répondit à l'invitation, atterrissant à quelques mètres de lui, sur le sol.

Le Salvateur lui sourit avant de s'accroupir.

"Il me semblait bien que c'était toi. Alors comme ça tu nous suit, hein"

Le garçon semblait amusé, et le Corbeau sautilla pour s'approcher, traînant derrière lui la petite sacoche contenant le poison.

"Qu'as-tu la ?" demanda Jimin, apperçant pour la première fois la petite sacoche accrochée à sa patte.

Incertain de la marche à suivre, le Corbeau recula alors. S'il le laissait la prendre maintenant et sans contexte, il était sûr que Jimin n'y toucherait pas et ne se risquerait pas à goûter par curiosité.

Triste de voir le Maudit reculer, Jimin fit un rictus.

"Très bien, je ne toucherai pas à ta sacoche. Est-ce que ça te convient?"

Taehyung paniquait. Il était enfin seul à seul avec le Salvateur. S'il avait la moindre idée de la marche à suivre, il se devait d'agir, quand bien même se serait à contre-cœur. C'était maintenant le moment de tout donné et de tout tenter afin de ne rien regretter.

Il s'appocha à nouveau du garçon et leva la patte en sa direction, l'invitant à prendre le paquet, ce que Jimin fit après une seconde de surprise.

Dès qu'il fut entre les mains de l'autre, Taehyung prit une grande décision. Il s'écarta et laissa la lumière pourpre émettre de son corps et grandir jusqu'à ce qu'il apparaisse sous sa forme humaine.

Jimin était bouche bée, incapable de dire le moindre mot pendant un instant. Taehyung ne pouvait que trop bien s'imaginer combien il devait être surpris.

"J'ignorais que les Maudits pouvaient se transformer d'eux-même comme tu viens de le faire...", finit-il par dire avec une lueur particulière dans ses yeux.
"Pas tous. Que moi, en fait...", lui avoua timidement le Corbeau en posant ses mains sur ses bras, incertain de comment se positionner.

Jimin s'approcha alors de lui, coinçant le petit paquet entre deux doigts et se servit du reste pour poser ses deux mains sur le visage du Maudit, le scrutant comme s'il devait se convaincre qu'il ne venait pas d'halluciner.

Taehyung ne broncha pas, le laissant aller à son observation minutieuse. Puis c'est un murmure qui franchit les lèvres du garçon.

"Ce n'est que la deuxième fois que je vois un visage si beau.", fit-il finalement avec un sourire triste.

Le Maudit était ému. Un mélange de la sensation qu'il avait pu ressentir la veille, et d'autre chose, comme si chacun des compliments que le Salvateur proférait était soudainement plus important que tout au monde. C'était comme être amoureux, pourtant il le savait, ce n'était qu'une réaction chimique dans son cerveau, comme un chien auprès de son maître. Il ne devait pas céder, et pourtant il était tellement happé par le Salvateur, par son aura, par la tendresse de ses doigts et la chaleur de son souffle.

Puis, Jimin recula, un sourire sur les lèvres.

"Je suis reconnaissant que tu aies choisi de te dévoiler. Je suis désolé si je manque de mot, je ne m'attendais vraiment pas à ça...
— Je voulais te parler." ,commença le Maudit, incertain du choix de ses mots.

Jimin se contenta d'acquiescer, le laissant pleinement réfléchir à sa formulation. Mais d'une réflexion sur comment convaincre Jimin d'avaler le contenu du paquet, il bifurqua. Ne devait-il pas d'abord gagner sa confiance ?

"Je ne m'étais jamais sentit aussi bien avec un humain, jamais autant en confiance... Alors je me suis dis que j'aurais aimé apprendre à te connaître...
— Tu n'as rien à craindre avec moi.", lui confirma chaleureusement le Salvateur.

Soupirant, détestant devoir jouer la comédie, chose dans laquelle il était pourtant maître, Taehyung se résigna une nouvelle fois à ne pas écouter ses instincts les plus primaires.

"Peu sont les humains aussi bienveillants avec nous... Avec moi.
— Pourtant tu en as déjà rencontré, n'est-ce pas ?"

Cette fois, ce fut au tour de Taehyung d'être surpris. Face à son expression, Jimin leva le petit paquet à hauteur des yeux.

"Ce sachet vient de Maera. Tu étais à Balmir.
— Comment-...?
— Il y a un petit sigle apposé sur toutes ses affaires. Notre guérisseuse a beaucoup de talent, et parmi eux un certain sens de l'organisation. Lorsqu'elle apportait des remèdes, c'était toujours dans ce genre de sachet, et elle y avait cousu un genre d'insigne pour les reconnaître et les récupérer, eux et les fioles, le cas échéant. Il faut dire qu'elle ne roule pas sur l'or."

Le Maudit était agité: il s'était déjà dévoilé à Jimin sous sa forme humaine lorsque celui-ci était attaché au poteau, un paquet de noix en offrande pour gagner sa confiance et un couteau caché près à fendre l'air. Il avait parié sur le fait que Jimin ne se souviendrait pas de cette interaction déplaisante, et commençait maintenant à douter.

Le silence s'était installé entre eux. Jimin continuait de l'observer, les sourcils froncés.

"A bien t'observer, j'ai l'impression que ce n'est pas la première fois que je vois ton visage... Mais je n'arrive pas à me souvenir d'où."

Taehyung eut envie de bondir de joie. Si l'autre s'était rappelé de leur échange, alors il se serait également souvenu que le Maudit avait menti au sujet de Jungkook auprès de la guérisseuse. Il se souvient encore du regard que Jimin avait posé sur lui lorsqu'il s'en était rendu compte, un regard suspicieux, loin d'être amical. Fort heureusement pour lui, l'épreuve du poteau avait laissé des séquelles, la fatigue et la maladie qu'il avait dû affronter à ce moment avait probablement joué un rôle dans sa mémoire floue. Il était impératif que le Corbeau l'utilise à son avantage.

"J'ai effectivement rencontré Maera à Balmir.", lui confia-t-il en signe de bonne foi. "J'étais blessé, je me suis présenté sous ma forme humaine, et elle m'a préparé un remède pour m'aider à me remettre. C'est ce que ce paquet contient. C'est à ce moment que je t'ai vu pour la première fois."

Un tissu de mensonge enrobé d'une légère couche de vérité. Pourtant, Jimin semblait encore perdu dans ses pensées.

"Plusieurs fois j'ai aperçu un corbeau aux yeux pourpres se mêler de choses qui ne le regardait pas.", lui confia-t-il alors. "Un petit corbeau qui semblait beaucoup s'amuser à venir observer l'intérieur des chambres de l'auberge en se posant près des fenêtres."

Taehyung se tendit.

"Tu es apparu en même temps que Namjoon. Est-ce à cause de lui que tu étais blessé ?"

Le Maudit dû se retenir pour ne pas expirer lourdement afin d'évacuer le stress qui avait grandi en lui puis venait de se relâcher. Jimin semblait vouloir le croire, lui et sa bonne foi construite de toute pièce. Pour autant, devait-il inventer un nouveau mensonge et accabler le guerrier ? Il voyait mal pourquoi Namjoon aurait attaqué le pauvre petit corbeau innocent qu'il était. Contrairement à beaucoup de ses semblables, Taehyung n'avait pas l'étiquette "Maudit" collé à son front.

"Je sais me faire discret, même quelqu'un désireux de tuer tous ceux de mon espèce n'aurait pas pensé s'en prendre à moi !
— Visiblement tu es moins discret que ce que tu ne penses être.", plaisanta Jimin en submergeant le Corbeau d'un regard lourd. "Tes yeux sont beaux, mais ils te trahissent."

Le rouge monta dans ses joues jusque dans ses oreilles. Le Maudit ne savait plus où se mettre. Est-ce que Jungkook aussi avait dû endurer ce genre de sentiment dévorant lorsqu'il était en sa compagnie ? Probablement. Il comprenait mieux l'obsession qu'il pouvait avoir pour le garçon.

Dans leur dos, une voix cria le nom de Jimin. Le Corbeau reconnut sans mal le timbre de Namjoon, sa voix profonde et rocailleuse. Alors qu'il s'apprêtait à s'éclipser et avait déjà fait deux pas en arrière, le Salvateur lui tendit le sachet.

"Garde-le. Ton voyage n'est pas terminé, ce médicament pourrait t'être utile !", lança le Maudit avant de partir en courant, refusant de se transformer au risque que la lumière ne soit trop visible.

En un instant, Jimin l'avait perdu de vue, et le moment d'après le guerrier apparut dans son dos, visiblement soulagé de le voir enfin.

"Tu es fou de disparaître comme ça...", lui confia-t-il à mi-voix, sans avoir le cœur de le gronder.
"Tu as peur de quoi ? Des Maudits ? Ils semblent m'apprécier, tu sais. Je risque peu en leur compagnie dans l'éventualité où j'en croiserai un.
— Tu m'en diras tant...", articula finalement le guerrier, évasif. "Et je peux savoir pourquoi tu as abandonné l'autre soldat faire la corvée d'eau seul ?
— Parce que c'était chiant.", inventa l'autre du tac au tac, visiblement peu enclin à lui partager sa rencontre et j'avais envie de chier.

Namjoon haussa les épaules, et ils rentrèrent au camp tous deux, attrapant au passage les sceaux qui avaient été laissés là, manque de bras pour les porter.

Lorsque le voyage reprit, les environnements d'habitudes tranquilles aux abords de Visantri grouillaient de bruits inquiétants. Les animaux fuyaient devant eux alors qu'ils sentaient d'autres créatures chercher à se rapprocher, tapis dans l'ombre. La garnison ne craignait pas de nouvelle attaque imminente alors que le paysage de la vallée de Landsah se transforma en landes rocailleuses mais fleurit. La présence du Landsih avait permis à la végétation de rester reine dans un paysage de pierres, offrant un contraste agréable à l'œil.

Les gardes se partageaient les chevaux restants, les montant à tour de rôle ou les laissant se reposer. Jimin errait entre le carrosse du Roi qui lui faisait volontier une place, le dos d'un cheval ou la marche. Il aimait beaucoup monter, il avait toujours été doué. Fut un temps, il sortait les chevaux qui restaient à l'auberge pendant une longue période pour leur faire faire un peu d'exercice, et retrouver ces sensations rendait le voyage moins ennuyeux.

Il laissait son bassin voguer au rythme du pas de son destrier alors qu'il mangeait un morceau de pain maintenant dur, héritage du stock acheté à Lanmei dont plus personne ne voulait.

Le guerrier s'approcha au petit trot puis ralentit son cheval à son niveau.

"Tu entends ça ? Tes petits copains nous observent.
— Ils n'en ont pas le droit ?", demanda naïvement le palefrenier.
"Ce qui m'inquiète c'est ce qu'ils vont faire ensuite.
— Hmm..."

Le guerrier hésita un instant puis reprit.

"Si tu veux éviter un nouveau rituel funéraire envers ces monstres, tu n'as plus qu'à reproduire à grande échelle le petit miracle que tu avais réussi à faire il y a quelques jours.
— C'est une menace ?
— Une simple suggestion. J'aimerais éviter de te voir à nouveau au bord des larmes simplement parce que nous devons nous défendre.
— A quoi bon ?"

Cette fois, Namjoon le regarda avec incompréhension. Pourquoi diable ne sautait-il pas sur l'occasion de prouver qu'il était possible de permettre de coexister ? Non pas que l'idée ravisse plus Namjoon maintenant que plus tôt, mais n'était-ce pas ce que Jimin désirait ?

"Je ne te comprends pas.", lui avoua-t-il, démuni.
"Même si je parviens à les arrêter, vous en profiterez pour les tuer, comme la dernière fois. Comme les barbares que vous êtes.", son ton était dur, et le guerrier ne put que soupirer en réponse. Jimin était vraiment une énigme pour lui. Tantôt il voulait refaire le monde, le lendemain il abandonnait déjà. Le problème était que ce comportement capricieux risquait la vie de tout le monde. Le guerrier avait beau détester ce rôle, il se devait de redonner un peu d'espoir au Salvateur.

"Si tu donnes ton accord pour essayer, le Roi donnera l'ordre de ne pas attaquer à moins que eux nous attaquent. C'est un bon moyen pour voir ce que l'on peut espérer, tu ne crois pas ?"

Jimin prit son temps pour répondre puis finit par hocher la tête. Satisfait, le guerrier retourna au milieu du convoi rejoindre le carrosse royal pour faire part à Jin de leur plan. Quelque part, il était soulagé : son bras n'était toujours pas remis, les soldats n'avaient pas le moral et parmi les survivants ils étaient beaucoup à être blessés. La dernière fois, l'attaque avait eu lieu dans la surprise la plus totale. Le fait qu'ils soient capables de les entendre ici l'inquiétait au plus haut point. Une part de lui se disait que si Jimin échouait ce serait un véritable massacre.

Après quelques échanges, le Roi donna son accord, et rapidement, le mot passa entre les gardes, non pas sans colère, mais aucun ne broncha.

Rapidement, la formation changea. Jimin se retrouva à l'arrière, le guerrier à ses côtés.

"Ne devrais-je pas être devant ?
— Ils sont autour de nous. Je suis près à parier qu'ils attaquent, ça sera par l'arrière.
— Ah...
— Ne t'inquiète pas, je reste avec toi.
— N'est-ce pas toi qui t'inquiète ?", ironisa le plus jeune avec un brin de froideur dans sa voix rauque.

Il n'y avait effectivement pas d'étincelle de peur ou d'inquiétude dans ses yeux. Il paraissait convaincu qu'à défaut de ne pas parvenir à les retenir, il ne lui arriverait rien quand bien même il n'avait pas encore connaissance de tout. Là-dessus, le guerrier le savait effectivement bien plus en sûreté que le reste de la garnison. Pourtant il aurait été étrange de le laisser faire seul.

Le guerrier capta le regard fixe de Jimin en hauteur, comme s'il observait quelque chose. Intrigué, Namjoon se tourna à son tour dans la direction, mais il ne vit rien, si ce n'est une fine branche bouger.

Il n'interrogea pas Jimin, préférant le laisser se concentrer. Pourtant, pendant tout le temps où le soleil restait haut dans le ciel, aucune attaque ne vint. La pression ne redescendait pas pour autant. Les bruits, les cris hostiles des Maudits, parfois même celui d'une respiration lourde cachée dans une végétation pourtant clairsemée, leur indiquait que la menace se rapprochait de plus en plus.

"Il n'y a plus qu'une dernière journée de marche.", intervint l'un des gardes à l'attention du mercenaire. "Devrions-nous continuer de progresser durant la nuit ?
— Dans l'espoir de quoi ? Les semer ? Nous sommes à pieds et éreintés. Nous ne les prendrons pas de vitesse."

Il leva les yeux vers le ciel, la lune pourpre avait commencé à faire son apparition sur la ligne d'horizon. "Ils sont bien plus nombreux que nous, nous devrions trouver un abri avec un accès restreint afin de réussir à les contenir si les choses devaient déraper. Envoyez un éclaireur chercher un lieu avec deux entrées maximum."

Plus le temps passait, plus Namjoon sentait l'anxiété monter en lui. L'échange entre les astres procédait lentement dans le ciel, et à mesure que la lune montait et faisait briller sur eux la lumière rouge, les bruits grandissaient et s'activaient. Des grognements, des hurlements à moins de cinq cent mètres d'eux. La tension était palpable parmi les gardes; étrangement il n'y avait que Jimin qui affichait une mine sereine. Il entendit finalement arriver à grand galop l'éclaireur. Il avait un visage pâle, visiblement il avait croisé des créatures qu'il aurait préféré garder loin. Pourtant il articula.

"Il y a une ancienne mine à moins de deux kilomètres !"

C'était parfait. Les plus faibles furent installés dans les chariots de provision maintenant quasi-vides, et le Roi fit même une petite place dans son carrosse, puis le convoi fut lancé au petit trot. Les chevaux avaient beau être au bord de flancher par fatigue, ils sentaient le danger autour d'eux, leur donnant l'adrénaline nécessaire pour avancer finalement à un bon rythme.

L'éclaireur les guida : l'entrée de la mine était quasi invisible tant les végétaux en avaient fait leur maison, les branches fines des arbustes coupaient les joues des soldats qui entrèrent sans ralentir, et, aussitôt au niveau de l'entrée, Namjoon sauta sans prendre la peine de ralentir son cheval, le laissant rejoindre les autres, vite imité par le Salvateur. Il dégaina rapidement sa lourde épée, compensant l'impossibilité de la saisir à deux mains par sa force brute et son équilibre.

Rapidement, on leur apporta deux chariots de provision pour bloquer l'entrée et on alluma des torches pour y voir plus clair. Un passage très mince avait été laissé afin qu'ils ne puissent entrer qu'un par un si le combat devenait inévitable.

Un groupement de soldats s'étaient formés derrière eux, et le Roi les avait rejoint, parfaitement curieux de savoir si Jimin parviendrait à mettre en pratique ses pouvoirs inconnus.

C'est lorsque le soleil s'éclipsa pour de bon et qu'il ne trônait plus dans l'air que le prisme des rouges et une odeur de soufre et de poussière de roche, que les premiers yeux pourpres apparurent devant eux, reflétant parfaitement la lumière naturelle, les faisant paraître tels deux rubis flamboyants. Mais, au-delà de ces deux rubis, ce qui faisait frémir les gardes était la taille de la créature qui s'était approchée, devançant les autres, le ton inquiétant de son grognement et les crocs qui scintillaient par dessous ses lèvres retroussées, aussi grands que l'index du guerrier. Il se déplaçait sur ses quatre pattes avec souplesse malgré sa taille de grizzli. Ses muscles étaient saillants, visibles au travers de ses poils courts parfois beiges, parfois noirs en forme de taches.

Naturellement, Jimin s'avança. Namjoon le suivait tel son ombre, prêt à intervenir, pourtant il fut arrêté net dans son élan par le Salvateur lui-même qui lui fit signe de s'arrêter avant de continuer à s'approcher, lentement, le centre de gravité abaissé.

Dans le fond, de plus en plus de paires yeux étincelants apparaissaient, et s'approchaient plus lentement encore que le premier.

La créature continuait de grogner alors que Jimin continuait de s'avancer, aucun ne cédant du terrain à l'autre. La situation était plus que périlleuse, le jeune homme était maintenant complètement à portée de l'Unique qui se tenait devant lui.

En silence, les deux se toisèrent un moment, sans plus bouger, puis, dans l'effarement le plus total des soldats restés derrière, le Maudit se mit à genoux sur ses deux pattes de devant. Il venait de s'incliner. Jimin fronça les sourcils et Namjoon l'entendit à peine murmurer ;

"Pourquoi te prosternes-tu..?"

La créature resta dans cette position, se contentant de relever sa tête vers le Salvateur. Ils échangèrent un regard pendant une éternité alors que tous retenaient leur souffle. Ils paraissaient dialoguer sans user de mots, comme une télépathie, ou un langage trop mystique pour être entendus des mortels.

Puis, Jimin se tourna lentement vers la troupe.

Le regard qu'il avait fit bondir le cœur de Namjoon dans sa poitrine. : pourquoi paraissait-il si stupéfait et si triste ? Quelle vérité venait-il de comprendre ? Instinctivement, ses doigts se refermèrent plus fermement sur la garde de son arme.

Ses yeux rencontrèrent ceux du Salvateur, et une goutte de sueur apparut sur son front lorsqu'il y reconnut du doute.

"Ne fais pas ça...", murmura-t-il si bas qu'il doutait même que Jimin l'eût entendu.

Il le savait, il le sentait, Jimin avait compris qu'il était important, et au moins une partie de pourquoi il l'était. Les mots qu'il avait prononcés plus tôt dans la journée cognaient maintenant dans la tête de Namjoon comme une crainte cherchant à s'extirper de son crâne. Le Roi s'avança d'un pas, visiblement, Jin aussi venait de comprendre ce qui se jouait maintenant dans la tête du Salvateur. Pourtant c'est bien le guerrier que Jimin fixait si intensément, comme s'il attendait que la réponse vienne de lui. Alors c'est la voix de Namjoon qui résonna dans les cavités de la mine.

"Tu as promis d'essayer, il y a à peine quelques heures."

Son timbre était clair et assuré, bien plus qu'il ne l'était en réalité. Ses paroles devaient être un mystère pour les soldats qui les accompagnaient, pourtant aucun n'osait ne serait-ce que respirer au risque de perturber l'échange.

"Es-tu désespéré, Namjoon ?"

La voix de Jimin lui glaça le sang, bien plus rauque qu'à l'habitude. Son timbre cristallin avait fait place à une gravité bien plus sombre qui faisait écho dans les paroies de la mine.

"Non. Je suis convaincu que c'est possible. Tes rêves, tu n'es plus qu'à une journée de marche de pouvoir les accomplir."

La créature rugit alors et voulut charger, comme si elle avait été mise en colère par ces mots, mais d'un simple geste de la main du garçon, elle s'immobilisa.

"Sans que je ne comprenne complètement pourquoi, ils croient en moi.
— Que penses-tu qu'ils veulent, dans ce cas ?
— Que je viennes avec eux. Et...", le Salvateur laissa ses mots en suspens.
"Nous mettre en miettes, n'est-ce pas ?", fit alors Namjoon avec une pointe de moquerie incontrôlée. "Il y a à peine quelques heures tu nous traitait de barbares. Pourtant il n'y a qu'une solution pour arrêter tout ça.
— On m'a promis une voix. Une voix, seul contre tous. Je voulais vraiment essayer, mais...
— Tu ne seras pas seul contre tous.", intervint cette fois le Roi d'une voix forte et assurée. "Je serai là."

Jimin rit alors doucement, hasardant ses doigts dans le poil de la créature devant lui, comme des caresses instinctives qui avaient plus vocation à l'apaiser lui plus que le Maudit.

Ses yeux commencèrent alors à briller sous la lumière de la lune ; Namjoon y devinait des larmes retenues. Jimin mit alors un genou à terre, se mettant à hauteur de la tête que la créature gardait basse, en signe de soumission. Il posa son front contre le sien et ferma les yeux, murmurant du bout des lèvres.

"Je suis désolé. Il reste tant à faire."

La créature émit alors un faible grognement et tourna, repartant lentement, comme à contre cœur, dans la direction opposée, bientôt suivie par toutes les autres.

Jimin resta figé, les regardant s'en aller. C'est Namjoon qui s'approcha et posa la main sur son épaule.

"C'est un choix juste que tu as fait ce soir.
— Va savoir. Mais il se pourrait que je regrette de ne rien tenter."