LA CHASSE
L'avantage d'avoir un cheval rapide et fiable était que si d'aventure Namjoon croisait des bestioles qui lui voulaient du mal, Galba les semait. Un confort inespéré lors d'un périple dangereux.
L'inconvénient était que parfois les deux compagnons de route n'étaient pas d'accord sur l'itinéraire à prendre. Peut-être que le guerrier lui aurait fait confiance, si toutefois son cheval avait la moindre idée de leur destination. Alors il perdait parfois du temps à se bagarrer pour prendre tel ou tel chemin.
Mais qu'importe, le retour prit deux jours de moins que l'allée vers Visantri, et, s'il avait trouvé le village de Balmir triste et sinistre à son premier voyage, la chose n'était que plus frappante au retour de la Capitale. Peut-être que la pluie qui suivit la neige et s'abattait sur eux sous ce ciel gris sombre jouaient également le rôle afin de dépeindre cette bourgade comme des moins hospitalières.
L'eau avait trempé les rues en terre battue, et, hormis le son de la pluie, elles étaient d'un calme inquiétant ; la seule chose qui y traînait était un chien, la peau sur les os, mangeant des carcasses si décomposées que le guerrier n'aurait su dire de quoi elles provenaient.
Il ne traîna pas, pressant son cheval vers la taverne et sa modeste écurie. Ce n'est qu'une fois le destrier à l'abri qu'il descendit de son dos et le libéra de son harnachement et de ses sacs de transport. L'eau dégoulinait de ses vêtements, ayant même traversé le cuir de son pantalon.
"Tu as troqué Souris ?"
Namjoon se tourna vivement vers le son de la voix, faible à travers les échos de la pluie. Le fils du tavernier se trouvait là, assis sur une botte de foin. Son visage était creusé par la fatigue et teinté d'hématomes. Sa chevelure s'était transformée en une coupe sans forme peinant à descendre plus bas que ses oreilles.
"Par Plenilunium, qu'est-ce qu'il s'est passé ici ?", murmura Namjoon en s'avançant vers lui.
Jimin sourit faiblement mais ne répondit pas.
"Tu as désobéi au couvre-feu une fois de trop ?
— ... On peut dire ça...
— Jimin, j'aimerais sincèrement savoir. Je dois savoir ce qui se passe si tu veux que je t'aide.
— Mais je ne te demande aucune aide, guerrier.", rétorqua froidement Jimin avant de descendre de sa botte de foin. "Laisse-moi prendre soin de Souris numéro deux, et va profiter de l'âtre de la taverne."
Namjoon allait répondre quand d'autres jeunes du village arrivèrent en direction de la taverne et s'arrêtèrent en les apercevant, l'un d'eux sembla hésiter un instant puis partit en courant, le reste du groupe à sa suite.
"Je vois que tu t'es fait de nouveaux amis.
— Ils ont peur de moi. Je crois que tout le monde a peur de moi, maintenant.
— Qu'as-tu fait..."
Cette fois le son de la voix du père de Jimin les interpella.
"Jimin, viens aider à- Oh ! Sire Namjoon, nous nous faisons un plaisir de vous revoir ici ! Venez vite au chaud, laissez Jimin s'occuper de votre cheval !"
Namjoon hocha la tête puis regarda le jeune homme.
"Notre conversation n'est pas finie.
— ... Nous verrons."
Namjoon soupira mais laissa Jimin et Galba seuls, ne refusant pas l'idée de se sécher et se réchauffer.
Dès son premier pas dans la taverne, la chaleur du feu vint lui brûler les joues. Il sourit ; la taverne lui semblait bien plus vivante que la première fois. La pluie qui s'abattait sur le village avait contraint les fermiers à cesser le travail dans les champs et s'abriter. Les regards se tournèrent aussitôt vers lui et certains se levèrent même pour venir le saluer et lui serrer la main, acclamant le retour de leur soi-disant sauveur.
"Par ici !", tona gentiment la voix du tavernier qui désigna une place au bar du geste de la main. "Voulez-vous que je dépose certains de vos vêtements près de la cheminée afin de les faire sécher ?", proposa-t-il gentiment alors que le guerrier s'installait
"Je préfère les garder sur moi, merci.", fit le guerrier en souriant poliment.
"Je vous mettrai une chambre avec cheminée, le temps est devenu bien plus humide très rapidement.
— Merci. Dites-moi...", fit-il alors en saisissant la pinte que lui tendait le tavernier. "Il est difficile de ne pas remarquer le visage de Jimin... Que s'est-il passé..?
— ... Kelmait et ses amis s'en sont pris à lui. Cela faisait longtemps qu'ils l'importunaient.
— Les mêmes qui l'insultaient le jour où vous l'avez forcé à creuser sa propre tombe ?
— ... Je regrette de lui avoir fait faire ça. Je ne pensais qu'à son bien. Je voulais juste qu'il prenne conscience des dangers qu'il court. Au lieu de ça, c'est devenu un spectacle humiliant pour lui qui a ouvert la porte aux railleries des autres...
— Je comprends. Vous ne pensiez pas à mal, je suis sûr qu'il le sait.
— Je l'espère."
Namjoon prit une gorgée, encore frigorifié par les températures hivernales, ce qui fit sourire son hôte.
"Ce n'est pas la bonne saison pour chasser le monstre.
— Mais je le chasserai tout de même. Cette fois je resterai jusqu'à vous ramener sa tête au bout de mon épée."
Mais Namjoon était fatigué par son voyage, alors pour l'instant, l'idée était une bonne nuit au chaud, reposer son fessier et son corps, et se mettre en chasse dès le lendemain. La lune se leva bientôt sur le village, la taverne se désemplit et les volets des habitations se fermèrent. Après avoir rempli son ventre et abreuvé son foie, on alluma la petite cheminée de sa chambre et on apporta une bassine d'eau chaude et un gant.
L'homme était torse nu, près de la cheminée, frottant ses bras avec du savon et cette eau chaude lorsqu'on toqua à sa porte.
"Entrez ?"
Il sursauta presque de surprise lorsque la silhouette du fils du tavernier apparut à l'ouverture de la porte. Il n'attendait aucune visite, mais plus encore, Jimin n'était pas vraiment sur sa liste des personnes qui avaient envie de converser avec lui.
"Tu m'apportes quelque chose ?"
Jimin prit le temps de répondre, préférant d'abord observer le corps en évidence devant lui, non pas par plaisir d'observer des muscles biens formés, mais plutôt contemplatif devant le nombre de cicatrices plus ou moins profondes et épaisses qui ornaient cette peau.
"Alors c'est vraiment ton job ?
— Quoi ?
— Te battre contre ce que vous appelez les Monstres.
— Ce n'est pas par gaieté de cœur, tu sais.", fit Namjoon en retournant frotter ses bras alors que Jimin fermait la porte dans son dos.
"Pour la vengeance ?"
Namjoon esquissa un sourire mauvais avant de lever les yeux vers le fils du tavernier.
"La vengeance de certains vaut protection des autres. Ce qui fait du mal une fois continuera.
— Et eux, qui les protègent ?"
Cette fois, Namjoon eut un rictus de surprise.
"Les protéger ? Pourquoi protéger des tueurs ?
— Vous ne voyez pas ce combat comme une guerre ? Les Bêtes contre les Humains..."
Le guerrier laissa tomber l'éponge dans la bassine d'eau et attrapa les bords dans l'idée de se relever, mais Jimin s'avança et s'agenouilla devant la bassine, remontant ses manches et attrapa l'éponge avant de prendre la main rugueuse du guerrier dans la sienne. Doucement, il commença à frotter contre sa peau. D'abord surpris, Namjoon le laissa finalement faire. Profiter de cette étrange intimité n'était pas une mauvaise chose pour engager une conversation. Alors, devant le silence du plus jeune, il réengagea la conversation.
"Une guerre suppose un objectif, une idéologie à protéger, un territoire.
— Une guerre peut être menée par vengeance.
— Il n'y a pas d'armée.
— Vous n'êtes pas le seul à arpenter ces contrées pour les tuer.
— Il n'y a pas de chef.
— C'est pour ça que leur guerre est vouée à l'échec.
— Ils ne tuent que par instinct.
— Peut-être... Peut-être pas... Mais pouvez-vous m'assurer qui a été le premier à verser le sang, de l'Homme ou de la Bête ?"
Le guerrier soupira et ne répondit rien, se contentant d'observer Jimin laver sa peau avec soin. Ses cheveux tranchés avaient encore moins bonne mine à la lueur de la cheminée et l'obscurité renforçait le sombre de ses bleus.
"Je comprends que tu traverses une période très compliquée... Mais ne compare pas ta situation à ces créatures. Tout le monde n'est pas une victime des Hommes, Jimin."
Le guerrier sentit alors les mains de Jimin trembler contre sa peau.
"Je ne suis pas... une victime."
Namjoon ne surenchérit pas. Il sentait qu'il s'approchait d'une discussion qui serait sans issue face à l'entêtement du plus jeune. Inconsciemment, il passa sa main dans les mèches coupées ou déchirées de son vis-à-vis et soupira encore en se rappelant l'ordre du Roi.
"Tu n'es pas obligé de rester dans ce village. Si tu n'y vois plus rien de bon, tu peux t'en aller.
— ... Ce n'est pas ce que je veux.
— Comment tu peux vouloir rester après tout ce qu'ils t'ont fait ?
— ...
— Tu pourrais m'accompagner à Visantri. Les gens ne jugent pas les autres, là-bas.
— Combien de fois il va falloir que je vous le répète ?!", fit le plus jeune en jetant l'éponge de toutes ses forces dans la bassine. "Je ne peux pas partir de Balmir !
— Mais pourquoi ?!
— ... Il y a quelque chose que je veux protéger ici.
— Tes parents n'ont pas besoin de ta protection, je suis sûr qu'ils ne veulent que ton bonheur !
— Vous ne savez rien sur moi."
Cette phrase était glaçante. Si froide que Namjoon resta un instant sans répliquer ; un instant durant lequel Jimin s'en alla, claquant la porte dans son dos.
Le guerrier soupira puis alla repêcher l'éponge pour finir sa toilette. Ses conversations avec Jimin étaient toujours courtes et sans issue. Il apparaissait puis disparaissait comme un fantôme et toujours selon sa propre volonté. Ce n'était qu'un gamin obstiné.
En relevant la tête, il vit la reflection du miroir qui donnait sur la fenêtre. Deux yeux le fixaient, bercés dans la lueur rouge de la nuit. Deux yeux qui finirent par cligner puis croasser avant de s'envoler dans un battement d'ailes bruyant. Namjoon soupira ; ce village était réellement lugubre. Puis il réfléchit alors qu'il continuait de passer l'éponge, cette fois sur son torse. Le ramener à Visantri aurait dû être une mission facile au vu de sa situation, et là-dessus, Namjoon ne pouvait qu'approuver les paroles du Roi. Alors pourquoi Jimin se montrait si compliqué ? Pourquoi cette manie de parler en métaphore, se comparant aux Bêtes, leur cherchant des excuses ? Lui, qui avait grandi à Balmir, devrait pourtant les haïr, effrayé chaque jour par le danger qu'elles représentaient.
C'est une question qui le tarauda toute la nuit, ou presque, car le sommeil finit par bien vite le rattraper. Alors, quand le petit matin arriva et qu'il s'affaissa au bar en quête d'un bout de pain pour combler son estomac. Il ne prit pas de gant pour interroger le tavernier.
"Hier soir, j'ai proposé à Jimin de m'accompagner à la Capitale. Il me semblait qu'il y serait plus heureux qu'ici avec le harcèlement qu'il subit."
L'aubergiste était pris de court. Il regardait Namjoon sans dire un mot avec les yeux écarquillés, puis balbutia.
"M-Mais Jimin nous est utile ici, c'est très soudain, je-
— Vous préférez qu'il continue de vivre la vie et les brimades qu'il subit ici ?
— Evidemment, j'aimerais que cela cesse mais... Mais... Je... Oui, j'imagine qu'il pourrait être plus heureux ailleurs.
— Alors allez lui parler, il a refusé de m'accompagner parce qu'il voulait vous protéger. Il n'y a que vous qui serez capable de le laisser partir."
Le tavernier hocha la tête lentement, un peu perdu, mais il fallait être bien égoïste pour garder son enfant dans un tel environnement. Alors Namjoon s'en alla l'esprit plus tranquille, persuadé qu'avec l'aide du tavernier, il serait capable de ramener Jimin à Visantri.
La pluie avait continué de tomber toute la nuit et ce matin encore. Pourtant les fermiers n'avaient eu d'autres choix que de retourner s'occuper de leurs troupeaux. Namjoon, quant à lui, soupirait, indécis quant au programme de la journée. Il devrait déjà être sur les traces de la Bête, rechercher des empreintes au sol et s'approcher de son refuge. La pluie et le sol meuble ne pouvait que l'aider à les faire apparaître.
Alors il se motiva finalement, remit sa cape à peine sèche et sa peau de bête pour se protéger du froid. Il sortit du bâtiment, son épée lourde fermement attachée à son dos. Il alla chercher Galba ; Jimin était endormi dans la paille humide près des chevaux et Namjoon prit grand soin de ne pas le réveiller alors qu'il harnachait son destrier, le plus discrètement possible.
Mais au moment où il se mit en selle, la voix rauque du jeune homme à peine réveillé l'interpella.
"Alors tu vas chasser la Bête ?
— ... J'aimerais au moins trouver ses traces pour connaître le secteur où elle se terre.
— Bien du courage, grand guerrier.", répondit simplement Jimin avant de refermer les yeux.
"Tu as passé la nuit dehors ?
— Ici, oui, j'imagine que tu peux considérer qu'il s'agit de dehors.
— Tu n'as rien entendu, par hasard, qui pourrait m'indiquer une direction pour commencer à chercher ?
— Hmmm...."
Jimin se redressa et prit sincèrement le temps de réfléchir, ce dont le guerrier était reconnaissant.
"Il y a toujours du bruit vers la forêt. Je n'ai rien entendu dans le village cette nuit. Je ne pense pas qu'il y ait eu d'attaque.
— Merci.", répondit Namjoon en lui offrant un sourire alors qu'il pressa ses jambes contre le flanc de son cheval qui partit au petit galop dans la rue boueuse de Balmir.
Le guerrier sortit du village, encouragé par quelques villageois aux visages si sales qu'il n'en discernait plus la peau. Il inspecta les traces menant de la route à la forêt sans y voir autre chose que les traces de quelques roues de charrettes, de quelques sabots et quelques empreintes d'oiseaux. Alors, il s'engouffra dans la forêt brumeuse, repensant à la première fois où il y avait été, et sa première rencontre avec ce qui lui semblait maintenant être la Bête qui persécutait Balmir. Comme il était curieux qu'il l'ait trouvé lorsqu'il ne la cherchait pas, alors qu'elle lui paraissait maintenant insaisissable.
Instinctivement, il suivait les traces des charrettes qui avaient quitté le chemin pour s'avancer dans les bois inexplorés. Tout était silencieux, pesant, il ne croisa qu'un corbeau et quelques rares oiseaux. Puis, après une vingtaine de minutes à suivre les traces, il entendit des voix humaines. Il mit pied à terre et serra les doigts sur le pommeau de son épée, s'approchant aussi discrètement que son corps lui permettait. Il fallut s'approcher à quelques mètres pour commencer à discerner leur silhouette dans le brouillard, mais leurs voix, elles, étaient claires.
"... Si Kelmait était là, on aurait déjà fini de ramasser ce bois !
— Arrête de jacasser, tu sais très bien que la Bête l'a tué...
— Ou alors il s'est barré pour échapper aux corvées !"
Namjoon reconnut les voix jeunes du groupe qui avait insulté Jimin après le jour de pluie de son premier voyage ici. Pas de piste à suivre, mais la parfaite occasion de leur rappeler un peu d'humanité. Alors il s'avança franchement, sortant du brouillard devant eux, tonnant :
"Ca alors. Je pensais trouver un monstre, j'en ai trouvé trois à la place."
Ils sursautèrent et s'écartèrent de quelques pas.
"On ne fait que ramasser du petit bois, monseigneur !
— En ce moment, oui. Mais un autre de vos passe-temps est de harceler les autres, je me trompe ?"
L'un s'avança et explosa de rire.
"Alors le grand chasseur de Monstres est venu nous faire une leçon de morale ? Vous aussi vous avez pitié de ce pauvre petit Jimin ? C'est répugnant !"
Namjoon fronça les sourcils et dégaina son épée, sans aucune intention de l'utiliser. Il la pointa vers le jeune qui s'était mis à lui tenir tête.
"Notre race s'éteint dans les griffes de monstres, nous avons un ennemi commun, et pourtant vous tenez encore à vous en prendre aux vôtres. Votre vie est pathétique.
— Comment pouvez-vous le défendre...", fit le jeune qui s'était avancé, en reculant cette fois, confronté à la pointe de l'épée.
Un autre s'avança plus timidement, hésitant autant dans ses gestes que dans l'assurance de sa voix.
"Il.. Il n'est peut-être pas tout blanc, non plus ! Il se fait passer pour une victime mais Kelmait a disparu, et je suis sûr que votre petit favori sait très bien ce qu'il s'est passé !
— Arrête, Eidin, Kelmait n'aurait pas perdu contre lui, même si cette salope l'aurait provoqué !
— Il l'a peut-être eu par surprise !"
Namjoon fronça les sourcils mais resta silencieux un instant, écoutant leur dispute.
"La vérité c'est qu'on en sait rien, m'sieur ! Mais Jimin pourrait très bien y être pour quelque chose. Ne vous laissez pas embobiner aveuglément par son joli petit minois.
— Petit minois dont vous avez pris grand soin, n'est-ce pas ? Je vous entends, mais je devrais probablement vous rendre la pareille."
Sur ces mots, il rangea l'épée dans son fourreau et attrapa le premier par le col, s'apprêtant à élancer son bras et son poing contre sa face de raclure.
"A-Attendez ! Oui, on a fait ça, mais on voulait juste s'amuser ! Et comme de par hasard c'est durant la nuit qui a suivi que Kelmait a disparu ! C'était la nuit qui a suivi votre départ !
— La nuit..?"
Le bruit d'une branche se cassant le fit sursauter mais le croassement qui suivit le fit maudire ces satanés corbeaux.
"Qu'importe que ce que vous dites soit fondé ou non, vous mériteriez que je m'amuse avec vous, moi aussi. Vous avez de la chance que je m'en tienne là. Ne vous en prenez plus à lui, qu'importe ce que vous pensez savoir."
Il lâcha alors le col du jeune qui tomba de tout son poids sur le sol, et retourna près de son cheval. Il tenta de ne pas trop songer à ce que les garçons avaient dit. Jimin était d'une candeur certaine, à ses yeux. Il ne pouvait pas être impliqué dans la disparition de Kelmait. Pour autant, il doutait. La question n'était pas de se demander ce que Jimin ferait s'il s'était senti humilié et blessé, mais de savoir si ce n'était pas un motif valable pour un homme, quel qu'il soit. Et il savait, au fond de lui, que la réponse était oui. Il en aurait le cœur net.
Il erra dans les bois encore plusieurs dizaines de minutes sans oser s'écarter du chemin qu'il avait fini par rattraper. Le brouillard était si épais que s'enfoncer dans les parties sans sentier se résumait à signer pour se perdre. Il ne vit aucune trace étrange qui pourrait être celle de la Bête, alors, un peu déçu, il rentra, avec la promesse au bout des lèvres d'obtenir la vérité concernant Jimin et la disparition de ce foutu Kelmait. Bien qu'il ne le porte pas dans son cœur, il se devait de connaître la vérité.
Il était l'heure du repas de midi lorsqu'il revint bredouille au village. Pourtant la taverne était calme, si calme que la mère de Jimin n'était pas aux fourneaux mais derrière une chaise, coupant de manière plus propre les cheveux de son fils qui avait subi l'affront de ces vauriens.
Lui se laissait faire, les yeux fermés, basculant sa tête à gauche ou à droite selon ce que lui indiquait sa mère d'une pression du bout des doigts.
Namjoon cessa de les fixer pour aller commander à manger. C'est lorsqu'on lui servit une soupe copieuse qu'il chercha l'inspiration pour la suite de ses investigations, son regard perdu dans le tourbillon provoqué par le mouvement circulaire de sa cuillère.
D'un côté il y avait la Bête, de l'autre, ses tracas concernant Jimin. Soit il passait le reste de sa journée à chevaucher autour du village en quête d'indices, soit il suivait le garçon. Sachant qu'il avait toujours en tête de se balader la nuit pour tenter de devenir la proie de la créature. Cette option lui semblait moins viable.
Il porta le grand bol à ses lèvres et en aspira le contenu presque d'une traite, brûlant sa gorge sous le regard ahuri de l'aubergiste.
Au moment où il reposa le récipient d'un geste sec sur la table, il se résigna ; sa décision était prise. Cette nuit serait pour le Démon, et cette après-midi pour Jimin.
"Merci pour le repas.", dit-il simplement avant de se déplacer vers la cheminée et s'allonger sur l'une des rustres banquettes face à elle. Il ferma les yeux, faisant mine de faire une petite sieste, mais il écoutait Jimin et sa mère, prêt à le suivre au moment même où ce dernier s'en irait.
Le temps fut long, en l'attendant. Une fois la coupe terminée, Jimin resta un bon moment dans la taverne, prenant son propre repas, aidant à nettoyer quelques tables, puis soupirant à la fenêtre en observant la pluie tomber.
C'est au bout de quelques heures qu'il franchit enfin la lourde porte d'entrée. Namjoon s'étira et partit à sa suite avant de réaliser que Jimin allait simplement voir les chevaux. Alors il attendit contre la devanture de l'auberge, dans un angle mort par rapport à l'écurie. Il patienta, encore et encore, laissant l'humidité et le froid ronger doucement ses os jusqu'à ce qu'il ne sente plus ses doigts. La nuit tomba sans que Jimin ne réapparaisse. Alors le guerrier fit mine d'aller voir son cheval et s'avança ; qui sait si le fils du tavernier n'avait pas sauté par-dessus les murs de l'enceinte pour s'en aller en douce, après tout. Mais non, il était toujours là, brossant les chevaux avec soin, s'étonnant de voir arriver la silhouette du guerrier.
"C'est étonnant de te voir donner une visite à ton cheval à cette heure tardive.", fit-il simplement en relevant à peine les yeux vers la silhouette de Namjoon qui s'approchait l'air de rien.
"Je viens voir s'il est en forme. Je pense faire un tour ce soir, voir si la Bête n'a pas envie de me croquer une jambe ou deux.", articula-t-il un peu pris de court.
"Cette nuit..?
— Oui ? C'est si surprenant ?
— Oh non... Je ne m'attendais pas à ce que tu utilises cette technique si rapidement, la dernière fois tu avais attendu ton dernier jour sur place, je crois.
— Bah... Visiblement il n'y a que ça qui pourrait marcher. Je n'ai rien discerné dans la forêt ouest.
— Ah...", fit simplement Jimin en repensant aux indications qu'il lui avait donné le matin.
Namjoon posa la main sur l'encolure de son destrier qui ne lui prêta pas la moindre attention, se contentant de mâchouiller son foin avec dédain.
"Bon, et bien... il a l'air en forme..?"
Jimin ne répondit rien, perdu dans ses pensées ou concentré sur son brossage, le guerrier n'aurait su dire.
"Allez, un petit casse-croûte et on est partis !", fit-il pour briser le silence, retournant au chaud de la taverne. Il s'insulta intérieurement, il n'était pas fait pour être espion. Lui qui voulait suivre discrètement Jimin avait été si maladroit... Quitte à même révéler son plan pour se trouver une excuse. Bah... Ça ne changera rien, après tout.
Après s'être rassuré, s'être réchauffé, et avoir préparé son estomac pour la longue nuit qui l'attendait, Namjoon ressortit dans le froid pourpre. Il sella Galba et constatant que Jimin avait disparu. Qu'importe, il était l'heure d'abandonner sa petite partie d'espionnage et chercher son Monstre.
Il marchait au pas dans le village, cherchant l'inspiration et une direction. La seule qu'il n'avait pas encore fait était l'ancienne enceinte de Balmir, celle qui avait jadis resplendi de richesses et de vie. Moins adaptée qu'une forêt pour une bête sanguinaire, mais après tout, qu'avait-il à perdre à roder dans cette zone, pour changer ? Son but n'était pas de chercher, de toute façon, mais d'être trouvé.
Il s'avança au trot sur l'ancien sentier. La lune de sang, aussi gigantesque soit-elle, avait la lumière bloquée par d'épais nuages noirs qui ne lui facilitaient pas la tâche. Heureusement, son cheval discernait bien mieux que lui le chemin, alors il le laissait faire.
Le guerrier plissa des yeux lorsqu'il vit quelque chose bouger au loin, plus en avant, lui semblait-il, sur le sentier qu'il avait choisi. Mais les nuages étaient trop épais pour lui permettre d'en discerner plus, et la lune bien moins vaillante qu'il ne l'aurait voulu. Elle toujours si sanglante, si rayonnante, avide de peindre le monde dans cette couleur au goût de fer, elle d'habitude qui ne laissait guère les nuages lui marcher dessus, cette nuit, pourtant, peinait bien à rendre la vie plus facile à Namjoon. Prudemment, il ralentit sa monture et avança au pas, sur le sentier, attentif, prêt à capter le moindre mouvement à venir.
Il retenait sa respiration durant un temps qui lui sembla être une éternité jusqu'à revoir à nouveau un signe de sa première contemplation ; quelque chose bougeait bien sur le sentier. Quelque chose qui pouvait être homme, ou bête, ou peut-être les deux. Le guerrier ne le distinguait pas. Alors il sortit en silence et en délicatesse la lourde épée de son fourreau et demanda à Galba de presser le pas. Mais le mouvement avait été loin devant, et visiblement, quel que soit son auteur, il ne se dirigeait pas dans leur sens. Après d'interminables minutes, préparé à combattre, ce n'est que des touffes d'herbes, des arbustes et un chemin vraiment catastrophique, rempli de trous, qu'il croisa. Il en vint même à douter de ce qu'il avait vu. Alors il continua encore d'avancer, franchissant l'ancien mur d'enceinte de la bourgade de Balmir. C'était un petit mur en pierre et en ruine de deux mètres de haut qui protégeait et contrôlait les allées et venues dans la ville, à l'instar de celui de la Capitale, dont la seule différence était la taille... et l'état. Les ruines du mur laissèrent place à la désolation des anciennes habitations, de pierres et de paille, bien plus coquettes que ce qui avait été reconstruit à quelques lieues de là. Le silence régnait, quelques fois perturbé par les oiseaux de nuit, et l'ambiance était lourde. Pourtant, le guerrier ne voyait plus rien de la piste qu'il suivait. Ni son, odeur ou mirage. Plus rien que la nuit et ces maudits oiseaux.
Au bout d'une quinzaine de minutes à errer dans les décombres, il scruta l'immense bâtisse en son centre : l'ancien château de la famille noble qui avait dirigé ce comté. Namjoon s'avança jusque dans sa cour et attacha son cheval à l'un des anciens anneaux. C'est lorsqu'il fut près du sol, et qu'un nuage accepta de concéder un peu d'éclat à la lune, qu'il la vit : une trace peu profonde dans le sol de terre battue, humide et boueux ; une trace de chaussure qui avait peu de chance d'être à la taille des pattes de la Bête. Le cœur de Namjoon commença à battre plus fort dans sa poitrine malgré son calme apparent car un nom revenait sur ses lèvres, qu'importe s'il voulait l'écarter : Jimin. Qu'importe s'il ne le croyait pas, ou s'il refusait de le croire, son instinct lui rappelait toujours ce nom. Pourtant il était plus préparé que jamais, le pommeau était serré dans sa main alors qu'il remontait lentement les empreintes qui le dirigeaient fatalement jusqu'à l'entrée de l'ancien château.
Les fenêtres étaient brisées et le vent s'engouffrait entre les battants de l'immense porte en bois. Un bout de la façade avait été tant ravagée qu'elle s'était effondrée au premier étage. Les portes en bois de l'entrée principale grincèrent sous l'effet du vent, s'ouvrant légèrement, le poussant à pénétrer à son tour dans cette noirceur quasi totale. L'air était épais, poussiéreux, et l'odeur était celle du bois humide en décomposition, le faisant redoubler de prudence. Face à lui, un immense escalier en bois massif montait et tournait sur lui-même. Il jeta rapidement un coup d'œil sur sa droite et sa gauche, les ailes du château semblaient calmes. Il comptait les inspecter, jusqu'à ce que le bois ne craque à l'étage, le faisant sursauter. Coïncidence ou pas, c'était devenue la nouvelle destination du guerrier. Il commença très prudemment à gravir l'ouvrage ; celui-ci n'était plus que lambeaux, jonché de trous qui étaient si larges que le guerrier devait franchir les marches bien souvent deux par deux, se tenant à une rambarde qui, peut-être, le trahirait d'un grincement. Pourtant, c'est avec une discrétion satisfaisante qu'il arriva enfin à l'étage, et un certain soulagement.
La lueur d'une bougie, vacillante sur le plancher, trahissait la présence de quelqu'un dans l'une des pièces attenante au grand palier. A pas lents, il s'approcha, discernant des petits bruits par-ci, par-là, qu'il ne reconnaissait pas. Des ombres passaient furtivement devant le halo des chandelles. Il était maintenant à l'embrasure de la porte, l'épée levée prête à s'abattre. Il ne suffisait plus que d'un pas pour voir, ou être vu, et avoir le cœur net sur ce qui se tramait dans cette ancienne demeure.
"Ahah, doucement... Ah... Doucement..."
La voix le fit sursauter, une voix qu'il ne reconnut que trop bien : celle du fils du tavernier, emplit de joie et de taquinerie comme il ne l'avait jamais entendu. Un peu désemparée, aussi... Était-il soulagé d'entendre que ce n'était que lui ? Au fond de lui, il avait peur de ce qu'il allait découvrir et priait pour que ce ne soit qu'un rendez-vous galant à l'écart du village.
Il eut pourtant l'envie d'intervenir, sermonner Jimin pour ce lieu peu accommodant pour un rendez-vous nocturne. Il ne savait pas pourquoi, pour la première fois, ses pieds refusaient de lui obéir, et son cerveau s'interdisait à prendre une décision. Il restait là, à entendre les gloussements de Jimin et quelque chose de... gluant ? Le guerrier commença à se détendre. Ce n'était qu'un rencard, une cachette pour s'abandonner à des plaisirs que les villageois jugeaient immoraux. Il se le répéta en boucle sans parvenir à bouger de sa place. Il était impoli d'écouter, pourtant quelque chose le chiffonnait. Il suffisait de deux pas rapides pour passer de l'autre côté de l'embrasure de la porte et voir ce que les deux faisaient dans son angle mort actuel. Juste deux pas, et au pire quoi ? Ce n'était que Jimin, il lui ferait la tête un ou deux jours et finirait par le suivre à Visantri.
Il s'apprêtait à le faire quand un nouveau son, cette fois, lui glaça le sang ; celui d'un grognement doux mais profond, provenant d'une bête aux cordes vocales probablement immenses. Une goutte de sueur perla sur sa tempe et sa tête qui aurait dû être en train de bouillonner d'idées, de pensées et de réflexions était un désert aride et vide. C'est effaré qu'il ne réfléchit plus et avança simplement son visage et ses yeux vers le creux de la porte ; c'est là qu'il la vit.
Le cœur de Namjoon battait si fort dans sa poitrine que ce seul organe aurait pu faire découvrir sa présence. Son sang cognait dans ses tempes, résonnant dans sa tête, le vidant de la moindre pensée. C'était la première fois qu'il ne savait pas quoi faire : Jimin était assis sur un fauteuil, la silhouette complètement engloutie sous l'immensité du monstre qui était sur lui, lui léchant le visage de coups de langues visqueux et enjoués, dévoilant des crocs immenses dont le fils du tavernier ne s'inquiétait même pas, se contentant de caresser le pelage de la Bête, riant toujours ou se plaignant lorsqu'un coup de langue trop fort le plaquait contre son siège.
"Sale bête !", ria-t-il avant de tenter en vain de le repousser. "Calme toi... je sais que tu as envie de sortir, je sais... Le guerrier te cherche ce soir, je te l'ai expliqué, n'est-ce pas..?", tenta-t-il à nouveau bientôt interrompu par un coup de tête amical qui faillit l'assommer.
Namjoon cessa de regarder. Son corps tremblait, sans savoir laquelle de ses émotions le provoquait. Il n'était pas préparé à ça. Que ce soit un monstre aussi dangereux ou que cette situation d'une absurdité telle qu'il était sans voix.
Il secoua la tête, tentant de se ressaisir. Il fallait analyser la situation calmement. Après tout, Jimin était seulement en train de faire un câlin à un gros chien... Un chien énorme. Ce n'était pas du tout un chien, en fait. Ses pattes arrières terminaient sur des sabots fendus, son pelage était épais, adapté au froid, plus foncé que l'écorce des arbres, sa queue longue de deux ou trois mètres semblait puissante, capable de mettre à terre le plus vaillant des hommes. Des ailes en membrane noire immenses étaient repliées sur son dos épais. Le devant de son corps, lui, ressemblait à un loup géant. Sa tête, ses pattes, sa mâchoire, tout lui rappelait ces canidés... Sauf les cornes accrochées fièrement à sa tête, peut-être... Mais il était plus grand encore que les loups géants. Les habitants de Balmir avaient justement estimé sa taille : en restant sur ses quatre pattes, son garrot toisait le faîtage des plus petites maisons du village. Cette bête n'avait rien à voir avec le petit menu fretin qu'il avait affronté dans la forêt à sa première venue à Balmir.
Pourtant, s'il comptait le tuer, c'était le moment ou jamais : pendant que ce monstre était occupé et lui tournait le dos. S'il voulait le tuer, c'était maintenant, lâchement, devant les yeux de Jimin qu'il devrait ensuite faire prisonnier. Il inspira, rassembla sa concentration, et eut une pensée pour le garçon. S'il réussissait son coup, il ruinerait sa vie. Il s'apprêtait à la changer à jamais et à teinter son insouciance en cauchemar et réalité.
D'un pas décidé, il s'avança dans la pièce, l'épée déjà brandie au-dessus de sa tête, prête à prendre l'élan nécessaire pour transpercer le cuir du Démon. Mais le bois craqua sous son poids, et il tourna sa tête d'un geste si vif que Namjoon faillit douter. Pourtant il ne vacilla pas, terminant son mouvement, alors que le cri de Jimin résonnait dans tout le château, faisant terminer la course de sa lame dans le dos du monstre, traversant ses ailes jusqu'à sa chair. Il grogna, beugla et se redressa avant de faire face au guerrier qui avait déjà reculé de deux pas, observant la suite prêt à riposter.
Les yeux du monstre étaient d'un rouge ardent et une fente verticale ornée d'un jaune brûlant y siégeait. Des yeux particuliers qu'il avait déjà vu sur d'autres bêtes qu'il avait décimées, il en était sûr. Le regard typique des monstres de son genre.
Le moment en suspens cessa lorsque la créature réduit la distance entre eux d'un seul mouvement et d'un coup de mâchoire puissant que le guerrier parvint à éviter grâce à sa lame.
"Ne vous battez pas !!", supplia Jimin qui s'était maintenant levé, aux côtés de la Bête, la paume posée sur son flanc.
"CE MONSTRE TUE DES GENS, JIMIN ! C'EST MA MISSION D'Y METTRE FIN !
— TU N'Y ES PAS OBLIGÉ !
— Es-tu fou ?! Ce monstre a anéanti ton propre village !"
Jimin s'était avancé, protégeant la créature de son propre corps, pourtant si menu. Il s'était érigé en bouclier entre le guerrier et le monstre.
" Il ne veut que vivre !
— En bouffant des humains ? TU CAUTIONNES ÇA ?
— J'aurais préféré qu'il en soit autrement, mais qui es-tu pour juger que son existence vaut moins que celle d'un homme ?!"
Le mercenaire siffla de fureur, replaçant sa lame devant lui, prêt à asséner un nouveau coup.
" J'en ai assez entendu, écarte-toi !
— Non !"
Le regard du garçon était dur et déterminé. Namjoon jaugea la situation. Dans le dos de Jimin, la Bête grognait à son encontre, une menace claire planant sur le guerrier s'il tentait ne serait-ce que d'érafler la peau de son ami. Les babines retroussées montrait une dentition de crocs intimidante par leurs apparences, chacune d'elle ayant la taille d'une dague à pousser. Une menace planait dans l'air, pendant que le guerrier cherchait la solution la plus parfaite pour atteindre la Bête sans blesser gravement le palefrenier alors même qu'il était actuellement la source de toute sa colère.
Un Corbeau croassa, plus loin, dans les pièces par delà la chambre. Sans comprendre pourquoi, la Bête fut distraite un moment par ce bruit, tournant la tête. Ce fut le moment dont le guerrier avait besoin. Il bondit, se contentant de pousser le garçon d'un mouvement sec de l'épaule, avant de brandir son espadon devant la Terreur du village. Mais, jamais il n'avait connu pareils réflexes : la Bête baissa la tête, prête à repousser l'assaillant de ses cornes. La lame grinça contre l'os noir sur lequel il poussa pour s'écarter rapidement de la gueule mortelle.
Aussitôt, la Bête se jeta à nouveau sur le guerrier qui esquiva, sautant habilement sur une table en bois avant d'y prendre appui pour se jeter à nouveau sur le dos lacéré de la Bête et d'y planter son épée, encore et encore. La créature ne pouvait rien faire, prise au piège par sa taille dans une salle si petite et la présence de Jimin qu'elle risquait de blesser.
Il allait gagner. Il allait réellement le faire, il avait l'avantage. La Bête battait des ailes pour tenter de le chasser de son dos, grognait, essayait en vain de l'atteindre de ses crocs ou de se débattre, cognant dans les murs de la pièce, faisant trembler le château. Mais le guerrier tenait bon, la lacérant encore et encore de sa lourde épée. Le sang du monstre, aux couleurs de la lune, coulait contre le cuir de son pantalon, le pénétrant sans que Namjoon n'y prête la moindre attention.
L'odeur de sueur et de fer avait commencé à emplir la pièce, et alors qu'il ne prêtait aucune attention à Jimin, une force étrange l'expulsa du dos de la Bête, l'aveuglant d'une lumière si vive qu'il ferma les paupières avant de heurter violemment l'un des murs, l'assommant presque, et le traversa. Tentant de se redresser sans parvenir à respirer, sa main repoussant inconsciemment les débris laissés dans son sillage, il vit s'avancer vers lui le fils du tavernier. Il ne ressemblait plus au Jimin qu'il avait vu jusque-là ; ses yeux étaient pourpres radiant d'une lueur lugubre ; un rouge pur, entier, qui avait été jusqu'à engloutir la présence des pupilles de son porteur.
Namjoon chercha son épée à tâtons sans parvenir à mettre la main dessus. L'air commençait à lui manquer face à ses poumons qui refusaient de s'exécuter, et sa tête tournait.
De sa vue floue, obstruée par le sang qui s'écoulait de son crâne, s'épandait sur son front et tout son visage, il chercha son assaillant des yeux. Mais ce ne fut qu'un garçon choqué qu'il vit à travers le mur détruit. Jimin regardait sa paume, haletant alors que sur la droite de sa vision l'immense Bête de Balmir bougeait, profitant de ce moment pour charger le mur, le détruisant entièrement. Elle était maintenant sur lui, sa gueule ouverte, prête à se refermer sur son corps et le broyer entièrement. A le pourfendre de part en part. Devant cette vision de la mort, et la certitude qu'il ne pouvait plus rien y faire, il ferma les yeux, mais la voix de Jimin résonna avec délicatesse.
"Attends."
On aurait dit un murmure, pourtant la Bête s'immobilisa complètement, se contentant de grogner alors qu'elle se retournait vers lui. Profitant de cet instant de répit, Namjoon reprit les recherches de son épée, à tâtons. Le bruit des semelles du garçon lui devenait plus distinct à chaque pas qu'il faisait, et bientôt, il était devant lui. De sa vision il vit ses bottes s'arrêter au niveau de son visage, et ses genoux se plier pour s'accroupir près de lui, le narguant presque.
"Tu n'aurais vraiment pas dû venir ici. Nous t'aurions épargné si..." Le garçon s'interrompit, cherchant ses mots avant de finalement soupirer. "Je suis désolé, guerrier."
De gestes faibles, Namjoon se redressa, son souffle revint peu à peu, le rendant haletant, blessé et désarmé. Il regarda Jimin dans les yeux.
"Alors c'est bien toi qui a tué Kelmait ? J'en reviens pas que les gosses aient raison... Ces ordures..."
Jimin ne répondit rien, impassible. Puis, il se redressa et passa ses doigts dans les poils de la Bête en une douce caresse alors qu'il s'en allait de la pièce.
"Régale-toi."
Un rugissement, une gueule immense qui allait l'engloutir, puis tout devint flou. La dernière chose que Namjoon vit avant qu'un nouveau halo incandescent n'embrase la pièce, fut des choses noires qui tombèrent sur lui, légères comme des plumes.
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