Chapitre 6

Chinara.

Arrivée à la maison, je cours sur la pointe des pieds en direction de mon dressing. En traversant le salon, je jette un œil à ma cousine, allongée sur un matelas à même le sol. Elle dort à point fermé et je me sens un brin coupable.

Depuis que je suis rentrée de la Corée du Sud, j'ai réemménagé dans ma chambre que je partage avec mes deux sœurs. Elle est donc maintenant contrainte de sortir tous les soirs, le matelas du placard pour l'installer dans le salon lorsqu'elle veut dormir. Quelques fois, elle dort directement sur le canapé, trop fatiguée pour vêtir le matelas de ses draps.
   
Dans notre famille nombreuse, seul mon frère possède sa chambre et de surcroit son intimité.

L'intimité au sein de notre modeste appartement est un luxe que personne ne peut s'offrir, sauf lui.

Et depuis que ma cousine a emménagé chez nous, dans le cadre de ses études mais surtout à cause de sa relation avec sa mère qui devenait de plus en plus fructueuse, il y a un peu plus de cinq ans, c'est encore pire.

C'est en partie à cause de ce manque crucial de ne jamais avoir un temps rien qu'à soi entre les murs de sa propre maison, que j'ai toujours tout fait pour intégrer les programmes d'échanges mis à disposition par l'Université.

C'est peut-être horrible à penser, mais il n'y a que lorsque que je ne suis pas chez moi, que je me sens respirer un air plus pur.

Ici, j'étouffe, je suffoque, toujours ensevelie par la présence de quelqu'un, toujours contrainte de supporter l'opinion de chacun, que je le veuille ou non.
   
Depuis que je me suis réinstallée à la maison, j'ai du mal à me réadapter à son fonctionnement et à ses règles. Si j'ai toujours été très indépendante, cet attrait me concernant n'a fait que décupler lorsque je suis partie en Espagne lors de ma première année à l'Université, en Angleterre durant ma troisième année, et en Corée du Sud l'année dernière.

J'étais censée rentrer fin août, mais la santé de ma grand-mère se détériorait vitesse grand V. J'étais trop inquiète pour continuer de vivre tranquillement à Séoul ; je devais rentrer.
   
C'est difficile de passer d'une liberté totale à un contrôle parfois excessif. Mes parents me questionnent pour tout et rien, remettent en question le moindre choix que je prends et me refusent carrément le droit de sortir dès lors qu'ils estiment que je sors « trop ».
   
Pas facile d'avoir vingt-deux ans et de toujours vivre chez ses parents ! Je suis à la fois, fille et femme. Adulte mais enfant.
   
En déposant ma veste en cuir sur le portant qui occupe le couloir reliant les chambres, la salle de bain et les toilettes, j'actionne le flash de mon iPhone afin de fouiller dans mon dressing encré dans le mur tout en évitant de réveiller la population endormie. Je m'empare de ma brassière qui imite un haut de bikini rose fuchsia et de mon pantalon baggy Carhartt noir.

Contrainte de passer dans ma chambre pour récupérer mon maquillage et mes boucles d'oreille, j'espère de tout cœur ne réveiller personne. Mais moins surprise que je ne le devrais, je tombe sur ma petite sœur de seize ans, toute éveillée en bas de notre lit superposé.
   
— Alors cet anniversaire, ça s'est bien passé ?
   
Melody a le nez rivé sur son téléphone puis tourne le regard vers moi et tique sur les vêtements que j'ai passé par-dessus mon bras.
   
— La soirée continue ? me demande-t-elle un sourire aux lèvres.
   
J'hoche la tête de haut en bas, prudente, de peur de me manger quelconque remarque désobligeante.
   
— Amuse-toi bien, alors ! Et défoule-toi bien, surtout. Demain, ça risque d'être éprouvant.
   
Mais ma petite sœur est décidément plus mature que son âge. Elle ne porte jamais aucun jugement et préfère observer que parler inutilement.

Nous sommes différentes elle et moi, mais on se complète bien. Elle est plus introvertie, plus timide et moins sociable que moi mais elle est foncièrement gentille. Si gentille d'ailleurs, qu'elle pense désespérément que le monde le lui rendra.

Mais le monde est mauvais. Il est dur et blessant.

Et ma sœur a le cœur trop sincère, trop pur.

C'est pourquoi, j'ai toujours pris grand soin de lui cacher la laideur de nos secrets familiaux. Mais je sens bien que ce n'est plus qu'une question de temps avant qu'ils ne lui explosent à la figure.
   
— Et n'oublie pas de me montrer ta tenue avant de partir.
   
— Ça marche, le nain, balancé-je en récupérant mes boucles d'oreille en forme de papillon.
   
Je farfouille dans mes trousses de beauté à la recherche d'un blush rose à paillette, d'un gloss rose bonbon et de phare à paupière rose également.

Avec Eva on s'est mises d'accord pour s'habiller toutes les deux avec une pointe de rose. On aime être assortie et des fois s'habiller carrément de la même façon. Eva c'est un peu comme ma sœur et ça nous fait bien marrer lorsqu'on nous considère réellement comme telles.
   
— Où est Ya Sasha ? demandé-je en observant le lit une place de notre grande sœur.
   
Toujours le nez dans son téléphone, Melody hausse les épaules.
   
— Je ne sais pas trop, elle est sortie sans rien dire. Tu connais ta sœur.
   
Ouais.

Ya Sasha préférerait mourir que d'en dire trop sur sa vie privée. Aussi, nous n'en savons rien.

Elle semble dure et impitoyable et son franc parlé blesse telles des lames aiguisées spécialement faites pour trancher des cœurs. Et si lorsque j'étais plus jeune j'ai eu beaucoup de mal à ne serait-ce que m'entendre avec elle, toutes ces années que j'ai passé loin de la maison nous ont étrangement liées. Au travers de nos FaceTime récurants, j'ai appris à la connaître.

Ya Sasha n'est pas aussi froide et méchante qu'elle veut le laisser croire. En fait, elle se protège de manière excessive pour ne jamais avoir à souffrir. Et c'est cette peur de connaître les douleurs d'une blessure au cœur qui la rend si suspicieuse. Même envers les propres membres de sa famille, au point de ne rien révéler en ce qui la concerne.
   
Je comprends alors dans les mots que ma petite sœur me déclare que notre grande sœur est certainement sortie, elle aussi, dans le but de se changer les idées.

De notre fratrie, c'est elle qui était la plus proche de notre grand-mère. Jusqu'à ce que je naisse, c'est cette dernière qui s'est chargée de l'élever durant huit bonnes années. Ma grande sœur mais également mon grand frère ont vécu avec elle.
   
Notre Mémé, notre seconde mère.

Peu de temps avant ma naissance, ma mère qui avait entrepris de reprendre ses études sous les menaces de sa propre mère, venait de les terminer. Et alors elle s'en est donnée à cœur joie pour remplir le rôle de la femme au foyer qu'elle convoitait tant mais que ma grand-mère lui avait toujours interdit si elle n'avait pas d'études dans son bagage.

Mémé c'était la figure rassurante et sage de notre famille. Elle nous comprenait tous parfaitement et demeurait à elle seule, l'unique solution à tous nos problèmes. Le remède ultime de nos plus douloureux maux.

Et maintenant qu'elle a disparue, c'est toute la maison qui crie, qui hurle, comme infectée par un virus incurable.
   
— Du coup, je suppose que Noah est sorti, lui aussi ?
   
Melody hoche la tête dans un soupir triste qui enserre ma poitrine.
   
— Ouais. Il fait le mec fort pour nous mais je l'ai entendu pleurer tout à l'heure.
   
Les yeux de ma petite sœur s'emplissent de larmes et je sens ma gorge se nouer de détresse. La tristesse me rattrape et j'ai soudain envie de pleurer, moi aussi.
   
— Cet idiot oublie que même s'il est notre grand frère, il a le droit d'être triste devant ses petites sœurs.
   
J'aime au-delà du possible mon frère et mes sœurs mais notre sale tendance à vouloir impérativement se montrer forts en toutes circonstances nous fait défaut, aujourd'hui.

Seulement, je ne peux nous en vouloir. Nos parents sont si pudiques dans l'expression de leurs émotions que nous n'avons tout simplement pas eu d'autres choix que d'imiter ce trait de caractère, que je trouve, pour ma part, très toxique.

Au lieu de surmonter notre deuil commun, de partager notre peine et notre douleur ensemble, on s'enferme dans des non-dits, dans des façades, dans du paraître.
   
— Et toi, grosse tête, tu ne sors pas ? Lui demandé-je la gorge si serrée qu'elle me fait souffrir pour chacun des mots que je débite.
   
Melody se retourne face au mur afin de fuir mon regard. Sa voix se brise dans un sanglot étouffé, qu'elle peine à me cacher.
   
— Non. Flemme.
   
Elle prononce le moindre mot pour ne pas se trahir mais c'est trop tard : je sais qu'elle pleure. J'aimerais sauter dans ses bras et l'étreindre de toutes mes forces, mais nous n'avons jamais été tactile au sein de notre famille. Alors je me contente de lui caresser tendrement l'épaule, pour ne pas trop envahir son espace vitale.

Surtout que j'ai bien compris le message dissimulé derrière les faibles mots qu'elle m'a communiquée.
   
« Non, je ne suis pas comme vous, moi. Je n'arrive pas à faire semblant d'aller bien et à déguiser si bien ma tristesse que je finis par l'oublier. »
   
Je sors de la chambre, le cœur lourd et m'en vais dans la salle de bain le ventre enseveli sous le poids de la culpabilité.

Je rosie davantage mes joues à l'aide de mon blush à paillette, repasse un coup de crayon à mes lèvres avant d'y passer mon gloss rose bonbon et finis par appliquer un peu de phare à paupière rose au coin de mes yeux.

Coiffée de bohemian braids couleur chocolat m'arrivant en bas du dos, je m'empare de mes six barrettes aux six nuances de rose. J'en fixe trois au-dessus de mon oreille gauche afin de maintenir mes cheveux en arrière. Et lorsque je m'empare de ma dernière barrette pour la fixer sur le côté droit de ma chevelure, ma mère entre lentement dans la salle de bain. Je sursaute malgré moi, l'impression d'être prise en flagrant délit.
   
— Tu es toute belle, ma fille.
   
Mon cœur déboule littéralement à mes pieds au son de sa voix. J'ai du mal à supporter ses yeux striés de fils rouges, ses paupières gonflées par le chagrin et la fatigue sans oublier sa moue tremblante de tristesse.
   
— Tu sors, toi aussi ? me demande-t-elle en se mouchant, maladroitement.
  
Mon cœur se serre au fond de ma poitrine. Il se met à peser une tonne et je me sens soudain si lourde que j'ai tout simplement peur de tomber.

Ma mère est si triste qu'elle n'arrive même plus à cacher ses émotions, elle qui ne les montre jamais d'ordinaire. Alors, comme elle, j'ai envie d'être la femme forte qu'elle a toujours représentée pour moi.
   
— Je reste à la maison avec toi, si ça te permet d'aller mieux, ne serait-ce qu'un peu.
   
Elle fait non de la tête dans un faible sourire avant de poser ses mains de part et d'autre de mes épaules.
   
— Non. Je veux que tu ailles t'amuser, ce soir.
   
Je sens mes yeux s'emplir de larmes.

À force de sans cesse cacher mes propres émotions, j'ai maintenant du mal à jauger l'ampleur de ce que je ressens. Et je me rends compte que j'ai mal, si mal...

Je suis si triste.

Si démunie.

Si faible, en réalité.

Et il n'y a absolument rien que je puisse faire. Je dois juste accepter la fatalité de la vie. Peu importe que je fasse un caprice et que je me refuse à aller de l'avant. La vie, cruelle, continuera son cheminement, avec ou sans moi.
   
Ma mère me tire d'en dehors de la salle de bain, avant de me pousser délicatement dans le couloir, un sourire bancal aux lèvres. Elle retourne dans sa chambre en me souhaitant une bonne nuit. Et je ne suis plus si certaine de toujours avoir envie de me rendre à cette fête, moi.
   
Je me redirige vers ma chambre, éteins la lumière en constatant que Melody s'est endormie les larmes aux yeux et songe sincèrement à faire de même : pleurer toutes les larmes de mon corps jusqu'à trouver refuge au monde des songes.

Mais mon téléphone se met à vibrer dans la poche arrière de mon pantalon. Eva est en bas de mon immeuble. Elle me demande de faire vite car elle est très mal garée. Alors, je ne réfléchis pas trop, j'attrape un gilet à capuche à la va vite, cours, toujours sur la pointe des pieds, avant d'ouvrir puis de refermer la porte d'entrée. Je descends les marches quatre à quatre, et m'empresse de rejoindre mon amie.
   
Un léger sourire pend au coin de mes lèvres lorsque je détaille Eva habillée d'un pantalon cargo oversize noir, d'un bandeau rose et de Nike Dunk Low, rose également.

Elle a coiffé sa belle chevelure crépue d'un chignon plaqué sur le côté, en le décorant d'une multitude de pinces roses en forme de papillons. Pour sublimer son visage de princesse tout en mettant en valeur son teint uni d'une couleur cacao, elle a maquillé ses lèvres d'un gloss rose cerise et habillé son grand regard de biche de faux-cils, comme moi.
   
— Prête ? me demande-t-elle.
   
J'hoche timidement la tête, pas du tout prête en réalité, mais carrément tétanisée. Trop d'émotions se bousculent dans mon crâne et j'ai l'impression de ne pas prendre les bons choix - pour ne pas changer !
   
— Ce soir, on oublie tout et on donne tout sur la piste de danse, OK ? me dit-elle tout en serrant ma main dans la sienne.
   
Heureusement pour moi, Eva comprend mes doutes et perçoit mon chagrin au travers de ses yeux coloré d'une couleur qu'on penserait noire dans un premier temps, mais qui est en réalité bleue de nuit.
   
Elle démarre la voiture et prend la direction de chez les jumelles. Une fois garée n'importe comment sur le bas-côté de la route devant leur immense maison, nous voyons Neyla et Sierra faire le mur ce qui nous fait marrer Eva et moi.
   
Ouais, pas facile d'avoir vingt-deux ans et de toujours vivre chez ses parents !
   
Une fois nos amies installées sur la banquette arrière, je parviens à oublier mon mal tant je rigole de bon cœur. Neyla et Sierra se tiennent tout le long du trajet, le temps qu'on aille récupérer Loana, aux poignées accrochées au plafond de la voiture. Elles critiquent à tour de rôle la manière dont Eva conduit, ce qui me fait rire aux éclats bien que je sois d'accord avec elles.

Eva conduit comme si elle jouait à Mario Kart. Excès de vitesse, virage et si elle ne peut pas balancer de bananes et de carapaces rouges, elle s'en donne à cœur joie pour balancer des insultes à tout va sur ceux qui la klaxonnent.
   
Une fois Loana parmi nous, nous mettons vingt minutes pour nous rendre chez Liam durant lesquelles nous chantons sur les morceaux phares de Rihanna. Puis, lorsque nous arrivons à destination, c'est Eva qui me tire en dehors de la voiture lorsque je me rends compte que je suis celle qu'on attend.

Eva me donne la main dans un sourire qui détend mes muscles crispés par un sentiment étrange de peur et de culpabilité. J'enfonce alors mes doigts entre les siens et la suis en direction de la maison de Liam.
   
Dans le jardin, malgré le froid de canard qui règne, certains amis de Liam discutent, verre d'alcool à la main. Neyla et Sierra se font vite interpeller et ça y est, elles sont déjà en train de discuter avec des garçons qu'elles ont l'air de connaître depuis des années. Les jumelles sont aussi sociables qu'elles aiment flirter. Alors avec Loana et Eva, on ne s'attarde pas plus longtemps avant de filer à l'intérieur de la maison.
   
Des musiques afrobeat raisonnent si fort au travers des enceintes dispatchées aux quatre coins du salon, que tout mon corps en tremble. Mais ça ne me dérange pas, au contraire. Plus fort retentit la musique, plus loin mon chagrin se perd au fond de moi.
   
Tandis qu'Eva et moi nous dirigeons vers la cuisine pour nous servir à boire et se recharger en bonbons, Loana, elle se rend sur la piste de danse en quête de se déhancher avec le premier venu sur les titres les plus côtés de Melvitto.

Des accords sensuels, rythmés par des airs de guitare électrique et de batterie s'échappent des baffles. J'observe Loana se trémousser de manière très érotique contre un jeune homme, plutôt grand et assez pas mal dans son genre avec ses cheveux noirs et lisses en bazar sur le haut de son crâne, son teint laiteux et sa bouche aussi rouge qu'une fraise.
   
Un léger pincement me picote le fond de la poitrine car je ne peux m'empêcher de penser au petit copain de Loana. Si dévoué et si amoureux qu'il n'a d'yeux que pour sa bien-aimée. Lorsqu'elle agit de manière si désinvolte et carrément rentre-dedans avec d'autres garçons, Lennon, son petit ami de plus de trois ans, en ressort systématiquement blessé. Et je trouve Loana un peu injuste d'agir de la sorte en toute connaissance de cause.

Si elle avait été célibataire, son comportement me laisserait de marbre. Elle est libre de séduire et de vouloir plaire à qui elle en a envie. Mais en l'occurence, elle est en couple. Et si je ne l'ai moi-même jamais vraiment été, je n'arrive tout simplement pas à comprendre ni même à cautionner ce genre de comportement.
   
Faire du mal à la personne que l'on est censé aimer ? Délibérément ?
   
L'amour n'est pas aussi romantique que dans les livres et les séries que je me tue à lire ou à regarder et, je trouve ça bien dommage.
   
Alors que les musiques sensuelles se font remplacer par des chansons plus rythmées et qu'un individu se met à filmer mon amie en train de se frotter à sa conquête de la soirée, Eva m'attrape la main lorsque Jump de Tyla se met à résonner dans le salon.

Elle me traîne presque en courant au milieu de la piste et je sais instinctivement ce qu'elle a en tête. On a appris une nouvelle chorée sur cette musique il y a peine deux semaines de ça. Alors, après avoir échangé un regard et un sourire complice, Eva et moi déchirons tout au milieu d'étudiants qui se sont écartés afin de faire un cercle autour de nous. Parfaitement synchro, on enchaîne les mouvements de danse sous les cris et les applaudissements de la foule. Et lorsque le son se termine, Eva et moi nous tapons dans les mains, fières de notre prestation.
   
On se dégage de la piste sous les compliments de filles et de garçons plus ou moins éméchés. Nous les remercions toutes souriantes en prenant la direction de la cuisine à la recherche de rafraîchissements. Accoudée sur l'un des comptoirs qui fait office de véritable bar et sirotant ma boisson, Loana nous rejoint et nous tapote l'épaule.
   
— Crâneuses.
   
— Jalouse, je réponds du tac au tac le sourire aux lèvres.
   
Eva pouffe de rire tandis que Loana nous partage une œillade étrange. 
   
— Vous dansez même pas si bien que ça, pas besoin de se la péter non plus.
   
Le rire d'Eva s'arrête avant qu'il ne laisse place à une moue provocatrice.
   
— Peut-être que si tu n'étais pas autant occupée à coller un mec qui n'est pas le tien, tu aurais remarqué à quel point on a bien dansé.
   
La répartie d'Eva me surprend aussi bien moi que Loana. Mais le fait est qu'Eva aussi a un copain et qu'elle ne supporte pas les actes de tromperie. Et pour elle, Loana en commet beaucoup trop même si elle aime jouer sur les mots de ses actions ambiguës.
   
— Tu te penses meilleure que moi ? 
   
La tension monte de deux crans. Eva et Loana mènent une bataille de regards meurtrière, des sourires emplis de dédains suspendus au coin de leurs lèvres.
   
— Du calme, les filles, entamé-je alors. On ne va pas se chamailler pour de la danse, quand même.
   
Je tapote dans le dos de mes amies dans un rire délicat, histoire de détendre l'atmosphère. Et ça fonctionne assez bien. La tension électrique s'amenuise et nous nous mettons à passer en revue toute la soirée qui est, je dois bien le reconnaître, un vrai succès.

La musique est bonne, les cocktails originaux et faibles en alcool ce qui me permet de rester lucide, il y a des bonbons dans chaque recoin de la maison et ça, c'est le paradis. Et c'est d'ailleurs la nouvelle mission dans laquelle Loana s'engage : récolter un maximum de friandises. 
   
Elle s'enfuie hors de la cuisine, le pas dansant, à la recherche de plus de sucreries. Eva aussi décide de s'éclipser un instant le temps d'aller aux toilettes. Je me dirige alors dehors, à la recherche des jumelles que nous avons totalement délaissées depuis notre arrivée.
   
En chemin, malheureusement pour moi, je me heurte contre quelqu'un dans un couloir éclairé seulement des faibles leds provenant du salon. En relevant la tête, je constate mi-dépitée, mi-amusée, que mon gloss s'est étalé dans une trace de baiser sur un t-shirt blanc.
   
— Je vais ressembler à un tombeur maintenant.
   
Je lève encore la tête et croise un regard qui enserre mon cœur.

J'ai l'impression de plonger dans une marrée qui mélange le vert et le marron, mais non.

Les iris qui se dressent devant moi, sont aussi noirs qu'un ciel de minuit dépourvu d'étoiles.
   
C'est l'un des joueurs de l'équipe de basket à laquelle Liam appartient. Le jeune homme était là tout à l'heure, au restaurant.

Mais je ne connais rien de lui.

Ni âge, ni prénom.

Rien.

Le garçon étire ses lèvres pulpeuses et pleines, aussi roses qu'une framboise, qui me font loucher sur elles sans retenue. Ses yeux noirs, emplis de malice, ne me lâchent pas, comme amusés par le fait de se moquer de moi à mes dépends.
   
Et en le scrutant à mon tour, je ne peux m'empêcher de penser qu'il est très beau. Presque trop beau, en fait. Avec son teint bronzé, semblable à du caramel, encore plus opaque que du miel, ses cheveux tressés en nattes collées dans des zigzag artistiques, sa petite moustache accompagnée de son bouc, il ressemble à une jeune star de rap US en pleine effervescence.  
   
— Chinara, c'est ça ?
   
Le garçon se rapproche de mon oreille, faute de la musique assourdissante dans la maison. J'acquiesce avant de lui demander :
   
— Et toi ?
   
— Kelal.
   
Plus audacieuse que d'ordinaire, certainement à cause de la petite dose d'alcool qui se dandine dans mon sang, je m'entends lui susurrer à l'oreille, tout en m'agrippant à son t-shirt :
   
— Qu'est-ce que je peux faire pour me faire pardonner ?
   
Kelal s'éloigne de mon oreille pour poser ses yeux obscurs sur moi.

Il me scrute, il m'observe, il me détaille dans les moindres recoins mais s'attarde plus particulièrement sur mes lèvres.

Prise d'une adrénaline soudaine, je me mets alors à les humecter et à les mordre avant de sourire de manière joueuse. Kelal se fend d'un sourire à son tour et sa beauté brute me fait atrocement mal au cœur.
   
Il tend la main vers ma joue puis la caresse délicatement. Son emprise sur ma peau me donne des frissons, bien plus encore que la musique assourdissante générée par les enceintes et qui fait vibrer mon corps.

Son regard me transcende, j'ai l'impression qu'il veut me voler le moindre de mes secrets, la plus intime de mes envies.

Et soudain, je me sens vulnérable, je me sens triste et pire, je suis prise d'un violent manque d'affection. Si Kelal est vraiment capable de me dérober mes pensées alors j'espère qu'il comprend la requête presque désespérée que je formule en mon for intérieur.
   
Lentement, il se rapproche de moi, sa bouche toujours fendue d'un sourire, à la fois amusé et surpris par la tournure des évènements. Je me délecte de ses caresses tout en fermant les yeux quand enfin, ses lèvres se déposent sur les miennes.
   
Froides.
   
C'est la première chose qui me vient en tête.

Ses lèvres sont froides, contrairement à celles de Nathan qui sont si brûlantes qu'elles me réchauffent jusque dans l'âme.
   
Kelal glisse sa langue dans ma bouche et c'est agréable. Sa salive se mélange à la mienne, son souffle se confond dans le mien. Il m'enserre la taille, me presse contre lui. Dans son baiser, il me mord, me revendique, mais c'est étrange. Plus il m'embrasse, plus je me sens seule.

Alors, je m'empare de sa bouche plus sauvagement, fais fondre ma langue sur la sienne, à la recherche de plus de chaleur. Je passe mes mains dans ses cheveux tressés, puis croise mes bras autour de son cou en quête de plus de réconfort.

Mais c'est un échec.
   
J'ai toujours froid, je me sens toujours terriblement seule et perdue et je n'arrive pas à faire sortir Nathan de mon idiot de cœur.

Car lui seul arrive à le combler.

Et ça m'énerve tant, ça m'énerve tellement.

Le monopole qu'il détient dans le creux de mes pensées, l'emprise qu'il possède sur mon corps... je suis à sa merci.

À travers ce baiser, j'aspire désespérément à la reconquête du contrôle de moi-même.

En vain.

Nathan ne quitte pas mon esprit.
   
— Tu es tellement belle, me dit Kelal entre deux baisers, tu embrasses tellement bien.
   
Ses compliments me font plaisir mais je me sens coupable de penser à autre tandis que je partage un moment intime avec lui.

Un moment qui ne mènera à rien.

Un moment sans lendemain, je le sais bien.

Et je sais aussi que j'en serais triste. Car le plaisir éphémère m'écorche toujours l'âme à vif.

Moi, ce que je convoite, c'est l'affection désintéressé, l'amour incontrôlé, le désir acharné. Tout ça, en même temps. Alors, forcément, je ne peux me perdre en actes intimes sans y laisser un bout de mes sentiments.
   
— Oh, Nara ! roucoule une voix féminine et pâteuse. Quel spectacle ! Ça me donne chaud !
   
Interrompus, l'impression d'être prise en faute, je me dégage de Kelal, le souffle court. Je me tourne en direction de notre perturbatrice, une étrange sensation enserrant ma poitrine.
   
Loana a les doigts enfoncés dans la main de Nathan.

Mes sourcils se froncent malgré moi, ma gorge se noue de colère tandis que mes yeux s'arrondissent de stupéfaction.

Mon sang ne fait qu'un tour.
   
Putain, c'est quoi son problème ? S'afficher avec Nathan, sous mes yeux, main dans la main, alors qu'elle sait tout ce que je ressens pour lui ?
   
Nathan remarque mes yeux qui ne lâchent plus sa main entrelacée à celle de Loana et alors, il retire immédiatement ses doigts glissés entre les siens.

Pas perturbée pour un sou face aux réactions qu'elle suscite, Loana se niche contre le bras de Nathan avant de déclarer la voix rocailleuse et les yeux légèrement salis par l'alcool :
   
— On allait dehors rejoindre les jumelles et les autres, vous venez avec nous ou vous avez encore des choses à régler ?

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hello! on fait la connaissance d'un nouveau personnage aujourd'hui! envie de le voir en image? moi oui!

que pensez-vous de lui? futur problème? prochaine solution?

on oublie pas le daily commentaire et la daily étoile ❤️

à très vite! ❤️❤️

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