Chapitre 10
Nathan.
Je vais certainement passer pour un fou, mais tant pis, je n'en peux plus.
Garé une rue plus loin de chez elle, je ne réfléchis pas deux fois avant d'appuyer sur le bouton « envoyer » de mon écran.
« Descends. Je veux te voir. Maintenant. »
J'enclenche la première de ma voiture et me rapproche de chez elle pour arriver devant le portail de sa résidence. Et alors que deux minutes défilent sans que je n'aie aucun retour de sa part, je me mets soudain à réfléchir correctement.
Et si elle n'était pas chez elle ?
Et si elle ne voulait pas me voir ?
Et si elle prenait mon message pour un ordre venant de la plus ignoble des pourritures ?
Ce que je suis certainement, soyons honnête.
Je ne daigne pas lui adresser le moindre mot, je l'ignore dès que je le peux et durant tout ce temps où on ne s'est pas vu, je n'ai jamais cherché à prendre de ses nouvelles.
Parce que la vérité c'est que j'ai réussi à l'oublier, à repousser son souvenir le plus loin possible dans les limbes de mon esprit.
Pour cesser de penser à elle, je me suis perdu dans les bras de ceux et celles qui, comme moi, aiment les marques d'affection charnelles sans se risquer à fonder de réelles relations. Plus le temps passait, plus je parvenais à façonner de nouveau mon quotidien exactement comme il l'était avant que Chinara ne débarque dans ma vie et ne chamboule tout.
Sauf que maintenant qu'elle est de retour à roder autour de moi, tellement près de mon entourage mais inexplicablement hors de ma portée, j'ai l'impression de perdre la tête.
Il faut que je mette les choses au clair. Tant pis, si ça ne me ressemble pas, si ça ne colle pas avec l'image du mec désintéressé que je me trimballe. J'ai besoin de réponses.
Peu importe que je me torture les méninges à essayer de les obtenir tout seul, je sais que c'est peine perdue. Je ne peux pas penser pour elle.
Et au-delà de ça, Chinara c'est ce genre de fille à te faire croire qu'elle va bien ou à te faire croire qu'elle ne ressent rien lorsqu'en réalité, elle est au plus mal et qu'elle est blessée à vif. Et je l'avais oublié. Son comportement me ruine le cerveau de questions qui ne finissent jamais de jacasser dans ma tête.
Pourquoi pleurait-elle ?
Pourquoi avait-elle l'air si désemparée lorsque je l'ai retrouvée près de chez moi ?
Pourquoi, diable me donnait-elle l'impression d'appeler à l'aide lorsqu'elle m'embrassait si tristement encore deux jours plus tôt ?
Je poireaute pendant dix longues minutes qui m'ont l'air de durer des années entières où je vieillis, rongé par les remords, ravagé par des questions qui n'ont jamais trouvées de réponses. Et alors que je me résigne à rentrer chez moi penaud, je la vois marcher lentement, les mains serrées contre sa poitrine, comme si elle avait froid.
Chinara.
Je la suis du regard, impuissant, un brin de culpabilité et de nostalgie coincé dans les entrailles.
J'aimerais que tout redevienne comme avant.
Chinara passe la porte collée à son portail avant de s'installer dans ma voiture. Son odeur de fruits rouges paralyse mon nez pendant une brève seconde. Puis, je me sens respirer un air nouveau avec elle tout près de moi.
Je me sens bien mais je me sens nerveux, aussi. Un peu con, je dois bien avouer, car elle va certainement me prendre pour un fou. Après tout, ça ne me ressemble pas.
Courir après une fille... et d'ailleurs, ça n'est même pas vraiment ce que je fais.
Chinara se frotte les mains avant de se frotter les épaules tout en fermant les yeux hyper fort. Ce qui me fait penser qu'elle n'a pas encore plongé son regard dans le mien.
Peut-être qu'elle aussi, elle est nerveuse.
— On n'est qu'en septembre mais il fait déjà super froid.
Chinara gigote et discute sur son siège l'air de rien. Ouais, elle doit certainement être nerveuse. Mais je ne relève pas car elle a l'air de se donner du mal pour être naturelle même si je sens bien qu'elle est mal à l'aise. Elle se saisit de sa ceinture lorsque je fais vrombir le moteur de ma voiture.
— Pourquoi tu n'as pas pris de veste ? tenté-je alors tandis que je m'engage sur la route.
Chinara ne m'échange toujours aucun regard, trop focalisée à contempler son téléphone éteint entre ses mains.
— J'ai dit à mes parents que je n'en avais pas pour longtemps, sinon ils ne m'auraient pas laissés sortir.
— Toujours aussi stricts ? Demandé-je en me remémorant les conversations que l'on partageait concernant nos parents et qui mettaient toujours mon cœur en émoi.
Chinara a toujours réussi à me sortir les vers du nez. Même lorsque je ne le voulais pas, surtout quand j'avais plus que tout besoin de me retrouver seul avec moi-même.
Elle avait toujours les bons mots, le sourire réconfortant, la caresse délicate et si je voulais lui en livrer plus sur mes plus profondes peines, je n'ai rien fait, finalement. Et elle ne me forçait pas non plus. Elle respectait mes limites même si c'est elle qui, dans un premier temps me permettait de me surpasser.
Mettre des mots sur mes tourments ?
Très peu pour moi.
Devant une femme que je ne connaissais que depuis quelques mois ?
Encore moins.
Mais je n'ai rien contrôlé au début. Sa bienveillance m'est tombée dessus et moi, pris de court, j'ai succombé devant son amitié empathique.
— Pire.
Un silence s'installe pendant les cinq minutes où je conduis en direction d'un parking. Situé en hauteur sur une montée, on peut apercevoir les bâtiments illuminés de la ville voisine et dans la nuit, je trouve ça vraiment magnifique. On dirait que les étoiles se sont échouées sur la Terre pour nous éclairer à même le sol.
Toujours dans le silence, Chinara se met à jouer avec ses ongles, peint d'une couleur blanche nacrée qui, je trouve, se marie parfaitement à son teint semblable au plus délicieux des brownies à la noisette.
— Tous ces bâtiments éclairés dans la nuit, je trouve ça joli. On dirait que les étoiles sont tombées sur le sol.
Chinara regarde droit devant elle, les lèvres fendues d'un léger sourire. Sa phrase raisonne en moi dans un écho qui me rend étrangement lourd.
On pense pareil, songé-je.
On se comprend sans se forcer. Du moins, on se comprenait.
Quand est-ce que cette cohésion a cessé d'exister ?
Je peux presque entendre le côté condescendant de ma personne se moquer de moi face à la formulation de cette question pour le moins stupide, en mon for intérieur.
Mais j'en ai marre de faire durer le suspense, alors je mets carrément les pieds dans le plat :
— Pourquoi tu pleurais, Chinara ?
Ma soudaine question et mon brusque changement de sujet a le mérite de la faire sursauter puis voltiger vers moi. Et enfin, ses yeux ébènes se frottent à mon regard.
C'est aussi obscur que c'est clair.
Sombre mais lumineux.
La contradiction qui se loge au sein de son regard désigne avec une justesse presque parfaite la manière dont Chinara est constituée.
Pleine de contraste, de discordance. Difficile de savoir sur quel pied danser.
— Quand ? me demande-t-elle prise de court.
— Quand on s'est revu pour la toute première fois après tes trois années d'absence.
Elle baisse les yeux, comme si je venais de l'acculer de reproches mais je ne la blâme en aucun cas. Elle avait envie de partir et de découvrir de nouvelles cultures. Ce n'est certainement pas moi qui allais l'en empêcher malgré mon pincement au cœur que de l'imaginer loin de moi.
Chinara se mord les lèvres et dans la nuit, je parviens à voir ses yeux scintiller et briller de larmes menaçantes.
— Et puis, quelques jours après, tu es devenue carrément inactive sur les réseaux.
Elle relève la tête d'un mouvement sec, comme surprise que je remarque un tel détail la concernant.
L'affliction qui habille son regard me prive de mon air. J'ai du mal à respirer car, je n'ai pas envie de représenter à ses yeux la pourriture que je suis, en réalité. J'aimerais qu'elle m'estime plus que ça.
— C'est de ma faute, c'est ça ? C'est à cause de tout ce qu'il s'est passé il y a trois ans ? C'est à cause de mon rapprochement avec Loana à l'anniversaire de Liam ?
Plus je parle, plus l'irritation se fait voir dans l'expression de ses sourcils qui se froncent et se froncent sur son front.
— Tu te trompes, me coupe-t-elle aussi tranchante qu'une lame aiguisée.
Chinara ferme les yeux puis inspire et expire difficilement.
Douloureusement.
Quand elle retrouve une respiration plus calme, elle me communique une œillade que je parviens à soutenir à grande peine.
Son regard noir est mouillé par un voile étincelant. J'ai l'impression qu'à tout moment, une pluie de larmes risque de ruisseler le long de ses joues mais il n'en est rien. Elle me transcende de son regard parsemé de mille et un messages sans qu'elle ne me dise rien. Le même regard qu'elle me communiquait encore deux jours plus tôt.
— Le soir où tu m'as trouvé en pleure vers chez toi, finit-elle par déclarer du bout des lèvres, je venais tout juste de perdre ma grand-mère.
Sa vérité me frappe à l'instar d'un sceau d'eau glacé que l'on lance à une personne pour qu'elle revienne à la réalité. Et ma réalité a un gout de merde. Je me sens comme une merde car j'étais persuadé que le chagrin de Chinara tournait autour de moi. Que son comportement était un miroir au mien.
Mon égo est piqué à vif. Au bout du compte, j'étais le seul à me prendre la tête en imaginant des scénarios plus pathétiques les uns que les autres. Le monde de Chinara ne tourne pas autour de moi. Et j'étais bien con de penser le contraire. Après tout, ça fait trois ans.
— Et le jour qui a suivi l'anniversaire de Liam, c'était le jour de l'enterrement. Ça m'a mis une claque, si tu veux tout savoir, dit-elle tout en remuant la tête de gauche à droite. Je n'avais plus du tout la tête à m'occuper de mes réseaux sociaux.
Elle baisse les yeux vers son téléphone, tripote je ne sais trop quoi sur ce dernier avant de le brandir sous mon nez.
— Mais regarde ! me dit-elle dans un timide sourire, j'ai posté une vidéo tout à l'heure. Parce que ça va aller.
Elle hausse les épaules, pas totalement convaincue devant ses paroles malgré son air résigné.
— Tu es venue jusqu'à chez moi après tout ce temps. On a passé la nuit ensemble alors j'ai cru que...
Ma phrase se perd dans l'habitacle de ma voiture. J'ai tout simplement du mal à assimiler qu'en fait, Chinara n'avait pas l'esprit enseveli par le « nous » que nous représentons, elle et moi. J'étais le seul à me creuser les méninges comme un fou.
— Oui, je suis désolée. J'ai marché pendant des heures et je me suis retrouvée devant chez toi un peu par hasard.
Elle baisse la tête et moi, je n'ai pas envie de la croire. Mais c'est certainement mon égo qui refuse cette éventualité : Chinara n'a pas spécialement cherché à me voir, ce soir-là.
— Et je n'aurais pas dû partir sans rien dire, c'était pas cool.
Elle se remet à jouer avec ses ongles tandis que j'observe le moindre de ses mouvements comme si je pouvais y déceler un message codé, un message qu'elle refuserait de me dire à haute voix. Mais je ne perçois rien. Aussi, j'arrête de scruter son corps lorsqu'elle pose ses prunelles sur moi avant de me déclarer aussi déterminée que possible :
— Au vu de comment ça s'est terminé entre toi et moi, il y a trois ans, je n'avais pas envie d'être un boulet du passé qui viendrait t'encombrer, alors j'ai juste disparue en pensant que c'est ce que tu aurais voulu.
Chinara ne s'en rend pas compte mais elle m'assène d'un ultime coup de grâce.
Je comprends dans ses paroles qu'elle n'a plus de sentiments pour moi, qu'elle s'est remise de notre relation. Et je crois bien que, inconsciemment, égoïstement, je voulais qu'elle cultive encore et toujours ne serait-ce qu'une goutte d'amour pour moi. Mais cette goutte s'est évaporée depuis longtemps et maintenant que j'en ai pleinement conscience, je me sens largué.
Il faut que je me ressaisisse, je n'ai pas le choix.
Comme il y a trois ans, je vais tout mettre en œuvre pour l'éjecter de mes pensées.
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à bientôt pour la suite! on oublie pas la daily étoile et le daily commentaire si ce chapitre vous a plu ☺️🩵
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