17. Les réminiscences d'un jeune désemparé
Yves se remémorait le jour de son départ de l'université, à moitié penché vers la rivière qui ruisselait sous le pont où il s'était fixé. Il se revoyait, montant l'escalier qui menait à cette chambre qu'il partageait avec Nathy à l'époque, ainsi que celui-ci lorsqu'il l'interpela en arrivant derrière lui. « Yves, disait-il en se rapprochant, je viens d'apprendre pour ta copine. C'est incroyable que quelqu'un ait pu lui faire ça !
— Oui ; répondit Yves, essayant de paraître moins nerveux qu'il ne l'était réellement. »
Il voulut poursuivre son prolongement mais Nathy reprit encore : « Et c'est vraiment l'autre folle qui lui a fait ça ? » Le jeune homme le dévisageait alors, surpris. « Ne t'étonne pas que je sache, lui fit remarquer son colocataire. On sait tout, nous !
— Ce qui m'étonne c'est que tu te mettes à t'intéresser subitement à ce qui m'arrive, alors que tu m'as fait clairement comprendre que tu ne voulais rien à voir à faire avec moi.
— Je te rassure tout de suite je ne me suis pas mis d'un coup à croire aux rumeurs te concernant, je suis bien placé pour savoir que ce sont des mensonges.
— Je n'y avais même pas pensé ! dit Yves, avec une mine de dégoût.
— C'est bon, ne fais pas cette tête ! se vexa Nathy. Je voulais juste être sympa avec toi. » Yves sembla ne pas le croire. « Toi ? Être sympa ? Avec moi ?
— Oui parce que, aussi étonnant que ça puisse paraître pour toi, les gays ne sont pas aussi monstrueux qu'on a pu vous le faire croire ; et même si tu auras sûrement du mal à le croire, le fait que tu m'aies défendu et que tu ne m'aies tout simplement pas traité comme les autres le font a beaucoup compté pour moi.
— Raison pour laquelle tu m'as remercié en étant toujours désagréable avec moi ?
— Tu m'excuseras garçon, mais comment ne pas l'être avec tous les individus de sexe masculin quand la plupart d'entre eux n'ont pas arrêté de te faire vivre les pires horreurs ?
— Ça ne t'excuse pas Nathy ! Je ne suis pas responsable de ce que tu as vécu, moi.
— Peut-être mais tu aurais pu si tu y réfléchis bien ? »
Yves soupira puis se retourna. « Tu sais quoi, je n'ai pas le temps de discuter avec toi. Je dois retourner à l'infirmerie.
— Ouais c'est ça, s'exclamait celui qui le suivait, quand je pense que j'ai essayé d'être gentil avec toi pour une fois ! » Il soupira encore en tentant d'ignorer Nathy, dont les talons résonnaient malgré tout dans ce couloir où ils marchaient tous les deux. Yves fut le premier au pas de la porte et donc, c'était à lui de l'ouvrir. Il commença à chercher sa clé, sans avoir l'air de se rappeler où est-ce qu'il l'avait mise. Nathy sortit la sienne et passa devant lui. « Laisse-moi faire, dit-il en l'insérant dans la serrure. Tu es beaucoup trop tendu, ça se voit que tu as besoin de te reposer.
— Merci Nathy, souffla l'autre.
— Pas de quoi Yves, ce n'est qu'un tout petit geste comparé à ce que tu as fait pour moi jusque-là. Et en plus, on dirait qu'on l'a laissée ouverte ce matin ! » L'étudiant de dix-neuf ans examina son jeune camarade de chambre durant ce court instant. C'était comme s'il avait su, sans s'en rendre compte, que cet acte banal allait rester à jamais gravé dans sa mémoire.
Quelques secondes après qu'ils soient entrés dans la pièce, Nathy ouvrit sa garde-robe et sans qu'on ne l'eût vu venir, Lilly, qui s'y était cachée, brandit un couteau et le poignarda. Yves, qui était derrière lui, fut épouvanté par la scène. Sur-le-champ, Nathy tomba dans ses bras, dépourvu de ses forces par l'arme blanche introduite dans son ventre. Lilly dirigea sa main sur sa bouche. Ses yeux, déjà bien rouges avant le forfait, brillèrent davantage. « Qu'est-ce que tu as fait Lilly ? haletait Yves, agenouillé sur le sol. Qu'est-ce que tu as fait ?
— J'ai..., balbutia Lilly en fixant la victime étendue sur les jambes de celui qui lui parlait. J'ai cru que c'était toi, ça aurait dû être toi !
— Mon Dieu Lilly qu'est-ce que tu as fait ?
— Je ne voulais pas le tuer, ça aurait dû être toi ! Tout ça c'est de ta faute ! »
Yves se trouva incapable de faire quoi que ce soit, regardant tantôt Nathy qui se vidait de son sang, tantôt la jeune érotomane qui n'arrêtait pas d'hoqueter. « Il faut l'emmener à l'hôpital, déclara-t-il après un long silence.
— Il est déjà en train de mourir, reprit Lilly, il va mourir et c'est uniquement toi le responsable ! Tu l'as tué !
— C'est sérieux Lilly, est-ce que tu le réalises ? Il est encore temps, on peut encore essayer de faire quelque chose pour lui !
— Tu oublies que je risque aussi la prison si on y va ? Il n'est pas question qu'on m'arrête à cause de la mort d'un pédé, un de moins ne sera que bénéfique pour l'humanité ! »
Il releva alors ses yeux dégoulinant de larmes sur elle. « Non mais tu te rends compte de ce que tu dis, s'écria-t-il, c'est un être humain Lilly ! Ce..., ce sang qui se répand, c'est le même que celui qu'il y a dans nos veines à toi et moi !
— Non je ne veux pas aller en prison, se mit-elle à répéter, je ne veux pas aller en prison !
— Tu t'es condamnée toi-même dès le moment où tu as poussé Célia dans les escaliers. » Il dégagea lentement Nathy afin de sortir de la chambre, mais Lilly passa devant la porte. « Laisse-moi passer Lilly !
— On ne peut plus rien pour lui Yves, mais nous on peut encore partir !
— Je n'irai nulle part avec toi et sache qu'on te retrouva toujours, peu importe le lieu où tu comptes te réfugier.
— Là où je comptais t'emmener au moins, personne ne pourrait nous retrouver.
— Qu'est-ce que tu veux dire ? » Lilly sortit à cet instant un assez grand canif de sa poche et Yves recula aussitôt. « Je voulais te tuer pour pouvoir ensuite te rejoindre plus tard, annonçait-t-elle. Je te l'ai dit, si je ne peux pas être avec toi, aucune fille ne pourra l'être non plus. » Yves demeura bouche bée, angoissé comme jamais il n'avait cru pouvoir l'être. « Voilà pourquoi je suis venue t'attendre, cachée à l'intérieur de cette garde-robe ; rajouta-t-elle en avançant vers lui. Je t'aime Yves et je n'imagine ni ma vie sans toi, ni la tienne sans moi. »
Lilly courut en pointant vers lui la lame de l'instrument qu'elle tenait mais Yves attrapa son bras et serra dessus dans le but de la faire lâcher. Cependant, Lilly n'avait pas abandonné. Chacun tentait de toutes ses forces de désavantager l'autre. Dans l'agitation, Lilly ramena son bras à elle et soudain, le canif perfora sa hanche droite. Yves cessa de se débattre lorsqu'il la vit expirer : « Tu nous as tués ! », et il fit deux pas en arrière en constatant avec effroi ce qui s'était produit. N'attendant pas une seconde de plus, il bondit hors de la chambre à la recherche d'une aide quelconque : « S'il vous plait ! disait-il, désemparé, aidez-moi, s'il vous plait ! » Mais personne ne l'écoutait. Certains riaient de sa tête, ou de sa façon de pleurer, tandis que d'autres le fuyaient, peut-être à cause de la rumeur qui courait sur lui ou du sang sur ses vêtements. Et quand il trouva enfin des gens qui prêtèrent attention à lui et qui entreprirent de l'aider, Yves se hâta de retourner dans sa chambre pour finalement réaliser qu'il était trop tard : Lilly et Nathy n'étaient à présent rien de plus que deux cadavres étendus sur ce sol, où il ne tarda pas à s'écrouler en fondant en larmes. Yves pleura. Il se sentait fautif. Il pleurait parce qu'il se sentait fautif et impuissant. Ce fut ainsi jusqu'à l'arrivée des ambulanciers et des policiers, qui essayèrent du mieux qu'ils pouvaient de le calmer avant de décider, en accord avec les résponsables de l'université, de choisir la seule option qu'ils avaient trouvé préférable : prendre contact avec sa famille et le faire quitter ce lieu, où il jura de ne plus jamais revenir après la tragédie à laquelle il avait assisté.
Toujours sur ce pont, Yves repensait à tout cela, emmitouflé dans sa veste, le visage sec mais toutefois recouvert d'une grande et inexprimable tristesse. Corinne était morte, Lilly et Nathy aussi, et il avait eu peur qu'il en soit de même pour Célia si elle refaisait à nouveau partie de sa vie. Pourtant, le fait qu'il se fût permis de réveiller une bonne fois pour toutes ses souvenirs le fit réaliser le détail le plus important, celui qu'il s'était forcé d'ignorer depuis déjà trop longtemps : il avait besoin d'elle, il avait besoin de Célia.
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