16. Le moment de vérité


  Yves découvrait qu'il faisait finalement fausse route. La bouche entrouverte, les sourcils remontés, il était plus qu'étonné par la dernière phrase de Monsieur Éric. Mais il n'était pas le seul ; Jolie et, particulièrement, Célia étaient également dans le même état que lui. Ian et Natasha avaient l'air de se sentir bafoués au plus haut point. Ils n'osaient regarder personne dans ce bureau. « Ian et Natasha ? ne put s'empêcher de répéter Jolie.

— Oui, confirma Monsieur Éric. Il nous a donné le numéro de la chambre et il nous a décrit la fille, alors j'ai tout de suite compris que c'était d'eux dont il s'agissait. Et même sans ça je l'aurais deviné car, en plus, le bruit courait dans tout le Baie de palmier qu'ils ont été aperçus tous les deux hier soir complètement ivres ! » Jolie n'en croyait pas ses oreilles. Ça lui paraissait tellement iréel, surtout quand elle pensait que c'était de Ian et de Natasha dont on parlait. Ian et Natasha, les personnes qui se supportaient le moins dans tout le cabinet, auraient donc passé la nuit ensemble ? Nul n'arrivait vraiment à le concevoir. « Je suis sûr que vous n'imaginez pas l'embarras dans lequel nous nous étions retrouvés en l'apprenant, reprit le plus âgé de la pièce, et nous qui pensions avoir affaire à des adultes responsables ! Qu'est-ce qui vous a pris de faire ça ? Comment avez-vous pu être si inconscients, surtout toi Natasha ? Venant d'une fille aussi intelligente que toi c'est vraiment décevant. Je ne sais même plus si Madame Winnie gardera son intention de te prendre en tant qu'assistante, puisqu'elle disait qu'elle hésitait entre Yves et toi pour ce poste. » Cette fois, Natasha releva immédiatement la tête. Elle avait l'air à la fois surprise et attristée par cette nouvelle, qui venait d'un homme qu'elle commençait maintenant à supplier involontairement du regard, mais qui ne la voyait même pas, obnubilé par son laïus. « Je crois qu'elle le choisira lui finalement parce que...

— Excusez-moi Monsieur Éric, le coupa poliment Yves, j'ai un aveu à vous faire. »

Célia sembla souhaiter qu'il ne pût parler car elle le connaissait bien, elle savait ce qu'il voulait faire à ce moment-là. « Je suis aussi coupable qu'eux car moi aussi j'étais ivre, hier soir. » À l'exception de celle qui l'avait vu venir, tous furent effaré en entendant ça. « Tu veux dire que tu étais avec eux ? lui demanda Monsieur Éric.

— Oui, confessa-t-il, mais je suis remonté dans ma chambre juste après avoir quitté la fête. » Monsieur Éric se pencha en avant, s'appuyant sur les bords de la table. Jolie fixa son jeune ami avec incompréhension, alors que Célia avait petit à petit l'air d'être fière de lui. « Monsieur Éric, fit quelqu'un en entrant dans le bureau, on vous attend. » Le formateur répondit d'un signe de tête et la porte se referma. « Vous pouvez partir, déclara-t-il, mais on en reparlera la semaine prochaine Yves. » Il prit ses affaires et il sortit de la salle en souhaitant, néanmoins, un bon week-end à tous ses stagiaires.

Dés ce départ, Natasha abandonna aussitôt sa pudeur et considéra Yves avec fureur. « Ce n'était pas la peine de faire semblant, lui lança-t-elle sarcastiquement. Tu es sur le point d'avoir ce que tu voulais Yves, à savoir, ma place d'assistante au tribunal !

— Et tu as même le courage de lui parler de cette façon ? s'ébahit Jolie. » Yves essaya de lui tenir le bras pour qu'elle se taise mais elle l'en empêcha. « Je ne vois pas pourquoi je me gênerais, rétorqua Natasha. Je n'avais pas besoin de ça et je ne compte pas me taire face à autant d'hypocrisie de sa part !

— À ta place j'aurais honte de manquer de scrupule à ce point sale...

— Jolie elle n'en vaut pas la peine, tu le sais très bien ! fit Célia en tentant elle aussi de la calmer, alors qu'elle avait également envie de lui hurler dessus.

— Si tu as l'habitude de tout attendre des hommes pour ensuite courber l'échine devant eux sache que ce n'est pas mon cas, déclarait encore celle qui avait commencé. Je suis une femme indépendante et je n'ai besoin d'aucun d'entre eux...

— Dit la fille qui m'a sauté dessus hier soir ! » Jolie ravala les mots qu'elle comptait cracher au visage de Natasha en entendant ceux que venait de dire Ian, qui était calme jusque-là. Les autres aussi furent perturbés par cela et surtout par ce ton taquin qu'il avait pris, celui qui lui était si fidèle. Natasha dirigea son regard colérique sur lui. « Toi je te déconseille de parler, tu ne sais pas de quoi je suis capable ! le menaça-t-elle.

— Si tu parles de retenter l'expérience avec moi, répondit orgueilleusement ce dernier en dégoûtant au passage ceux qui les écoutaient, sache que mes..., fonctions spéciales sont beaucoup trop émérites pour être gratuites.

— Fonctions spéciales et émérites tu parles ! le toussa-t-elle. Non seulement c'était l'une des expériences les plus décevantes de toute ma vie, mais malheureusement aussi l'une des plus mémorables car c'est la première fois que j'ai vu quelqu'un pleurer autant ! »

Yves et Jolie crurent avoir mal compris, jusqu'à ce que le « Hein ? » qu'émit malgré elle Célia les fit réaliser qu'ils n'étaient pas les seuls. Sans attendre, ils laissèrent échapper les rires qu'ils s'étaient forcés de retenir. « C'est quoi cette histoire ? demanda Célia tout en s'esclaffant à son tour.

— Tu dis n'importe quoi ! chercha à se défendre le dindon de la farce, humilié. Ça se voit que tu n'es pas habituée à faire ça puisque tu as pris mes râlements pour des pleurs.

— Que tu arrives ou non à expliquer cela, le confrontait une nouvelle fois Natasha, il resterait quand même les grosses larmes dans tes yeux.

— Il n'y avait aucune larme dans mes yeux !

— La densité du Nil serait faible comparée à elles, je crois que même les chutes du Niagara auraient envie de prendre exemple sur elles !

— Tu vas la fermer maintenant ? aboya Ian.

— Sinon quoi ? Les chutes du Niagara vont se remettre à couler à flot... » Les trois autres auraient sans doute pensé à essayer de tout arranger, si leur préoccupation principale du moment n'était pas de donner libre cours à leur hilarité.

  Yves et Célia, ainsi que leur amie Jolie, marchaient en laissant derrière eux le bureau de Monsieur Éric lorsqu'ils allaient en direction de l'escalier. « Vraiment je ne regrette plus du tout d'être venue aujourd'hui, annonça Jolie en souriant.

— Vous n'allez pas recommencer ? fit Yves.

— Ne joue pas les gentils, dénota Célia.

— Célia a raison, Yves, et encore moins avec cette idiote de Natasha.

— Jolie..., se mettait-il à la blâmer.

— Non non non, je suis d'accord avec elle ! Tu n'aurais pas dû dire la vérité à Monsieur Éric pour que lui et Madame Winnie renoncent de cette façon à leur décision de te choisir toi au lieu d'elle, et puis tu as vu la manière dont elle t'a remercié ?

— La sale ingrate ! »

Il se moquait de leur façon de se mettre d'accord sur la culpabilité de Natasha. Il se contenta pourtant de rester silencieux, observant l'air fâché qu'elles avaient pris juste en s'en souvenant. « Mais, vous avez eu de la chance vous deux ! » ajouta Jolie d'un air malicieux. Yves et Célia se raidirent dès qu'elle le rappela, pendant qu'elle prenait seule l'escalier. « À la semaine prochaine ! » fit la jeune fille en les abandonnant avec un rictus plus que visible. Ils la regardèrent atteindre le rez-de-chaussée et ouvrir la porte, non sans avoir fait un dernier signe de la main auxquels ils répondirent. « Il faut reconnaitre qu'elle a raison, dit Yves avant qu'ils ne descendent tous les deux, on a eu beaucoup de chance toi et moi !

— Oui, soupira Célia, même si nous on n'avait rien fait de mal. » Elle allait avancer lorsqu'il la stoppa en reprenant la parole : « Célia ? » Elle se retourna. « Vu que nous avons fini plus tôt que prévu, que dirais-tu de prendre un verre... Pas un verre de bière, bien-sûr, étant donné ce qui s'est passé hier.

— Et le rendez-vous de demain ?

— Rien ne l'empêche d'avoir toujours lieu ? »

Le visage souriant, Célia pivota du côté de la sortie et elle posa ses pieds sur les marches qu'elle comptait descendre. Yves souriait également, jusqu'à ce qu'elle rata l'une d'elles. « Aah...

— Célia ! cria-t-il en s'élançant vers elle, comme si la foudre allait s'abattre sur sa tête.

— C'est rien, rit celle-ci en se resaisissant au moment opportun, j'ai juste trébuché. »

Elle riait encore jusqu'à ce qu'elle vit la mine apeurée qu'il présentait. Alors, elle saisit tout doucement ses avant-bras, afin de le rassurer. « Hé, souffla-t-elle, tu m'entends ? Ce n'est rien Yves, c'est rien puisque je vais bien... » Mais Yves gardait le regard figé sur l'escalier et ne fixa à aucun moment celle qui lui parlait. Il se libéra d'un seul coup de son étreinte et descendit rapidement ces marches qui étaient à la base de son état second.

Éberluée, Célia ne resta cependant pas les bras croisés. Elle le suivit jusqu'à l'extérieur du bâtiment, dont il s'était éloigné. « Pense un peu à moi Yves ! » s'écria-t-elle, l'empêchant de poursuivre son chemin dans cette rue, où presque personne ne s'intéressait curieusement à eux. « Pense à moi et à ce que j'ai pu rescentir ce jour-là, continuait-t-elle d'une voix tremblante. Je me suis réveillée à l'infirmerie de l'université en me demandant pourquoi mon petit ami n'était pas à mes côtés, lui qui disait que j'étais la seule fille qu'il avait aimée vraiment. J'ai passé la nuit à me poser des tas de questions avant d'apprendre, le matin suivant, qu'il était parti sans me prévenir et après avoir vécu l'un des moments les plus traumatisants de toute sa vie. Pas une seule lettre. Pas un seul message. Pas un seul appel ou une seule réponse de sa part à tous mes moyens de reprendre contact avec lui, rien ! Et après avoir passée quatre années entières à me morfondre pour lui, à me lamenter sur mon propre sort, je vais passer un stage dans la ville où il a vécu en espérant, secrètement, tomber sur lui pour qu'on se retrouve. Pense à moi Yves, et à cette attente perpétuelle dans laquelle j'ai vécue dès le jour de ton départ ; et dis-moi enfin si je dois continuer d'y croire ou, au contraire, renoncer à toi une bonne fois pour toute. » Yves avait les yeux qui brillaient. Célia, elle, avait déjà la figure couverte de larmes quand elle décida de partir de son côté. Mais de nouveau, elle s'arrêta et regarda le jeune homme. « Et il y a aussi une chose que je voulais te dire depuis le jour où on s'est revus : si tu crois que tout ce qui est arrivé est entièrement de ta faute, à savoir l'overdose de Corinne, ma chute dans les escaliers, la mort de Lilly et surtout, celle de Nathy, sache que tu n'en aies en rien responsable ; mais il se peut que tu deviennes par contre l'unique responsable de mon malheur si tu tiens tant que ça à m'éloigner de toi. » Elle ne trouva rien d'autre à rajouter et tourna définitivement les talons, laissant Yves totalement partagé entre ses appréhensions et ses sentiments.

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