15. Les marques indéfectibles d'un sentiment
Yves dormait encore, au moment où la lumière du soleil éclairait déjà sa chambre, torse nu, son pantalon bordeaux à moitié caché sous un drap, couché sur le ventre, et la bouche entrouverte. Son corps, fatigué à la suite de ses nombreux écarts de la veille, avait sûrement besoin de récupérer de l'énergie. Pourtant, ce repos fut interrompu par un son. Il ouvrit doucement les paupières, réveillé tout comme sa curiosité par une chanson émise par une voix féminine :
« ...Qui brûle
Consume
Sans jamais s'épuiser
Tu es entré dans ma vie
Dans mes jours
Dans mes nuits
Pour brûler
Consumer
Tout ce que j'étais... »
Yves resta allongé, intrigué par cette voix qui lui semblait à la fois inconnue et inexplicablement identifiable.
« ...Parce que c'est toi
Qui a mis toute cette musique en moi
Parce ce que c'est toi
Qui fait chanter mon corps
Encore mieux que ma voix
Parce que c'est toi
Qui m'a donné la rage d'aimer
Parce que c'est toi
Qui a fait une femme de l'enfant que j'étais
Tu es ma vie
Mon âme
Je ne suis que femme
Caresse
Tendresse
Tristesse quand tu t'en vas... »
Plus elle chantait, plus il avait l'impression que sa détentrice n'était pas éloignée de lui. Il se recroquevilla, discrètement, tout en remontant le drap sur ses épaules.
« ...Je suis flamme quand
Tu me prends
Poussière quand
Tu me rends
Et ma chair et mon sang
Ne brûlent que pour toi... »
N'ayant pas su résister plus longtemps, il se redressa pour savoir à qui appartenait la voix qui l'émerveillait autant. « Oh, désolée de t'avoir réveillé ! s'exclama Célia, placée à droite de ses affaires rangées. Quand je chante, je... Je finis toujours par oublier tout c'que... » Comme elle, Yves resta interdit. Il ne l'avait apparement jamais entendu chanter et en outre, il ne l'avait apparement jamais cru capable de le faire aussi bien. La jeune fille avança d'un pas hésitant près du lit et s'assit à quelques centimètres de celui qui, gêné à présent d'être à demi dévêtu devant elle, se couvrit prestement le haut du corps. « Je voulais m'assurer que tu allais bien et j'ai frappé sans avoir reçu de réponses en retour, se justifiait-elle sans le regarder en face. Je..., alors je me suis permise d'entrer et je t'ai vu en train de dormir et...
— Tu as décidé de m'aider à préparer mes affaires ? termina-t-il pour elle.
— Je ne voulais ni te réveiller, ni te laisser avoir des ennuis avec Monsieur Éric ou Madame Winnie à cause d'un retard mais ne t'inquiète pas, je n'ai touché à rien de trop personnel ! » Yves fut légèrement amusé de la voir se débattre autant dans ses explications. « De toutes les façons je n'aurais pas été le seul à avoir des ennuis dans ce cas-là.
— Ah c'est vrai, soupira-t-elle en levant malgré elle les yeux au ciel, Natasha doit être aussi dans le même état !
— Tout comme Ian, spécifia-t-il. » Célia se tourna lentement vers lui, l'intérrogeant involontairement du regard. « Nous étions ivres tous les trois à cause du vin et j'ai fait ça sûrement pour l'embêter, avoua-t-il. Je ne suis pas fier de moi, je le reconnais, et je le suis encore moins lorsque je repense à la manière dont je me suis comporté avec toi.
— Ne t'en fais pas Yves, le déculpabilisa-t-elle. En plus, est-ce que je pourrais t'en vouloir après le cadeau que tu m'as offert pour mon vingt-troisième anniversaire ?
— Oh ça, fit-il en souriant humblement, c'est une idée de Mariam elle... Elle a fait exprès d'acheter ta robe, vu qu'elle était là quand tu l'as découverte, et elle m'a presque forcé à te l'offrir de cette façon.
— Je n'arrive pas à le croire, s'étonna Célia, et comment elle a su pour la date ?
— Elle ne le savait pas c'est le fruit du hasard et évidemment, il a tourné à son avantage.
— Quelle histoire incroyable ! Merci à vous deux, sincèrement.
— Il n'y a pas de quoi, tu l'as justement méritée vu comme tu étais belle dedans. » Ce compliment lui fit baisser les yeux, et Yves s'en sentit embarrassé. « Ton cavalier d'hier te l'a sûrement dit lui aussi ? » poursuivit-il en la bouleversant cette fois. « Alors comme ça tu m'as vue ? demanda-t-elle presqu'à voix basse.
— Oui, affirma-t-il sur un ton analogue, Ian et Natasha m'ont dit que c'était un de tes ex...
— Oui, le coupa-t-elle. C'est Léo, le garçon que j'ai fréquenté après Steve et..., avant toi. » Le jeune homme se mit à faire semblant d'analyser ses orteilles. « Nous nous sommes retrouvés par hasard et chacun de nous deux a voulu prendre des nouvelles de l'autre ; dit-elle, encore dans le but de clarifier les choses. Et, c'était qui la fille avec laquelle tu dansais ?
— Imen, répondit-il ingénument, c'est une nièce à moi.
— C'est..., une nièce ? Oooh d'accord. »
Il ne comprit pas la raison du soulagement dans sa voix, mais il ne la lui demanda pas. « Elle est assez jolie, reconnut-elle finalement. Et elle sait danser, d'ailleurs, je ne savais pas que tu dansais aussi bien !
— Et moi je ne savais pas que tu chantais aussi bien ! lui rendit-il en la fixant à nouveau.
— Arrête de dire n'importe quoi ! s'écria-t-elle gaiement, afin de cacher sa honte naissante.
— Je parle sérieusement Célia, tu as une très jolie voix.
— Elle n'a rien fait de spécial, à part fredonner une chanson française que j'ai entendue je ne sais où et que je n'arrive plus à me sortir de la tête !
— Tu es libre de penser tout ce que tu veux, mais sache juste que je ne suis pas d'accord. »
Elle fit une grimace. Yves, effaré, ne se retint pas et s'en moqua. Perdue au départ, Célia ne tarda pas à tomber toutefois dans le même fou rire que lui. Ils partagèrent tous les deux ce court moment, également heureux de se retrouver d'une énième façon. Quelques secondes après pourtant, une fois le silence replacé, la jeune fille observa graduellement la pièce dans laquelle ils étaient. Elle se plongea rapidement dans ses pensées. « Quoi ? s'enquit celui qui était enveloppé, à sa gauche.
— Rien, répondit-elle timidement, c'est juste que... » Elle se stoppa environ cinq secondes « J'ai eu une impression de déjà-vu. » Yves ne mit pas du temps avant de deviner ce à quoi elle faisait référence. Elle parlait sans doute de la seule matinée qu'ils avaient passée ensemble ; celle qui avait succédé à cette soirée d'il y a quatre ans, et qui aurait pu être celle de leur rupture, s'ils n'avaient pas choisi simultanément de revenir sur leur décision. « Tu avais raison tantôt, déclara-t-il, il ne faudrait pas être en retard.
— C'est vrai ; approuva-t-elle, grandement peinée. »
Elle reposa ses pieds sur le sol et marcha en direction de la sortie, lorsqu'Yves l'interpella soudainement : « Célia ! » Elle se retourna aussitôt. « Est-ce qu'on pourrait se voir..., disons demain, quand on quittera le cabinet ? » Célia eut un sourire qui s'élargissait petit à petit. Elle le dévisagea longtemps, comme pour être sûre que c'était bel et bien vrai. Yves attendait sa réponse avec impatience et elle le savait, ce qui expliquait pourquoi elle se faisait un plaisir de faire durer le suspens. « Eh bien, commença-t-elle en minaudant, je verrai si je pourrais ! » Le visage d'Yves exposa au grand jour la joie qu'elle lui avait procurée. Il l'admira pendant qu'elle sortait — dans son haut de couleur verte couvert par une petite veste noire, et accompagné d'un beau jean bleu-ciel — presque satisfait de ne pas avoir su résister une fois de plus à sa mine tristounette.
Dans le bus garé devant l'hôtel Baie de palmier, Yves était installé trois sièges après Célia, sur laquelle son attention était entièrement centrée. Il n'y avait qu'eux, et quelques avocats du cabinet, lorsque Natasha débarqua et qu'ils la regardèrent tous presqu'au même instant, Yves se rappelant peut-être du jour précédant. Tête baissée, elle prit place à la première rangée. Plus personne ne refixa les portières du véhicule ou du moins, pas avant que Madame Winnie n'entrât, l'air totalement austère. Monsieur Éric, peu après, arriva tout aussi sérieux que sa patronne et la plupart des passagers, dont Yves, semblèrent trouver cela curieux. Ceux qui étaient encore dehors les rejoingnirent une minute plus tard et Ian, qui était avec eux, marcha jusqu'au fond du bus sans lever les yeux lui non plus. « Bien, fit Monsieur Éric, puisque nous sommes tous là je crois que nous pouvons partir. » Madame Winnie et lui allèrent s'assoir avec leurs collègues, et le chauffeur démarra pour ramener tout le monde au cabinet.
La fin de la virée fut également l'heure de la descente générale. Célia pourtant ne se leva pas immédiatement. Elle attendait de voir Yves passer parmi la file de personnes qui sortaient du bus et une fois que ce fut le cas, elle tenta de se rapprocher de lui. Malheureusement, deux ou trois membres du barreau l'obligèrent à remettre à plus tard ce projet en s'interposant entre eux ; et elle dut donc avancer derrière ces hommes, qui étaient en plus beaucoup plus grands qu'elle. Lorsqu'elle piétina la terre ferme et qu'elle l'aperçut, elle fut ravie : il n'y avait plus aucun obstacle en vue. Elle décida de faire aussi vite qu'elle pouvait pour le rejoindre. Mais juste au moment où elle voulut lui adresser la parole, Jolie arriva en diagonale en les saluant : « Bonjour vous deux !
— Ça va Jolie, demanda Yves, tu nous as manqué hier ?
— Oui je sais, mais je ne voulais à aucun prix créer un malaise avec ton rival en attisant sa jalousie, confessa-t-elle en souriant. Bien sûr ce n'est pas lui qui m'a demandé de rester, mais je le connais assez pour savoir que l'envie ne lui aurait pas manqué de le faire... » Elle se tut subitement, observant distraitement le bus. « Oh, fit-elle sur un ton un peu plus bas, mais pour Madame Winnie et Monsieur Éric...
— Tu étais surchargée, continua Yves en riant presque, c'est ce qu'on a dit. »
Célia finit par oublier à quel point elle avait été contrariée par sa collègue, et elle fut agréée également par la négociation. « Au fait Jolie, lui dit-elle, il aurait mieux valu que tu ne viennes pas puisqu'apparemment nous ne ferons rien aujourd'hui.
— Quoi ? s'exclama-t-elle, en même temps que son jeune ami.
— Tu ne le savais pas toi non plus Yves ? Madame Winnie nous a accordé toute une journée de libre, à nous les stagiaires.
— Vraiment ? s'étonna-t-il.
— Donc je suis venue ici pour rien ? reprit plaintivement Jolie. Si c'est ça, je ne vois pas ce qui m'empêcherait de faire demi-tour.
— Je te le déconseille, lui suggéra l'informatrice. Monsieur Éric a demandé à nous voir tous et en prenant en compte l'air sérieux que lui et Madame Winnie ont depuis ce matin, j'en déduis qu'il vaudrait mieux ne pas se retrouver en conflit avec eux pour le moment. » Yves et Jolie se regardèrent un instant avant de fixer à nouveau leur interlocutrice, qui fit un mouvement d'épaule pour leur faire comprendre qu'elle n'en savait pas davantage.
« Nous sommes profondément déçus de vous. » déclara Monsieur Éric d'une voix calme, mais autoritaire. Dans le burreau, Jolie dévisagea les autres sans vraiment se rendre compte qu'ils étaient tout aussi intrigués qu'elle l'était. « Madame Winnie est tellement consternée qu'elle a préféré ne pas en discuter avec vous, poursuivit-il. Elle et moi nous avions confiance en vous ! Honnêtement, les mots me manquent. » Sans savoir pourquoi, Yves semblait ne plus être à son aise. Ne supportant plus du tout d'attendre, Jolie prit le risque de poser la question qui brûlait sur les lèvres de tout le monde : « S'il vous plait Monsieur Éric, débutait-t-elle en se montrant aussi respectueuse qu'elle le pouvait. J'étais absente hier et je..., euh, sans vouloir paraître impertinente j'aimerais bien savoir ce que nous avons fait pour vous rendre si mécontents.
— Tu veux savoir pourquoi nous sommes si mécontents ? répéta ce dernier, lui faisant presque regretter sa curiosité. Eh bien figure-toi que le patron de l'hôtel Baie de palmier dit avoir vu l'une de nos stagiaires sortir de la chambre d'un de ses collègues ce matin. »
Yves et Célia posèrent instantanément leurs yeux l'un sur l'autre. Ils étaient décomposés. Guidée par son instinct, l'intérrogatrice assise près du jeune homme les observa. L'air coupable qu'ils affichaient, tous les deux, la fit réaliser que ses soupçons étaient peut-être fondés. Mais ils ne s'en souciaient pas, à ce moment-là. Ils étaient trop occupés à s'en vouloir d'avoir été moins discrets qu'ils ne l'avaient cru. Ils n'eurent pas le courage de croiser le regard de leur formateur, même s'ils l'entendaient toujours : « Ian, Natasha, qu'avez-vous à dire pour votre défense ? »...
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