08. Le pouvoir de quelques mots


  Yves doutait encore de cette cordialité que lui témoignait Gloria, qui venait de le laisser après l'avoir enlacé, et il sondait attentivement sa façon de lui sourire : comme si ce n'était pas la même que celle qui fut désagréable avec lui au début de sa dix-neuvième année. Cette Gloria qui l'avait sali avec sa salade un matin avait à son égard, aujourd'hui, une conduite similaire à celle qu'elle aurait eu en retrouvant un vieil ami. Il ne comprenait pas ce changement, mais il préféra jouer le jeu. « C'est incroyable pour moi de te revoir, renchérit-elle, ici en plus !

— Pour moi également, fit Yves. Tu vas bien ?

— Très bien, et toi ?

— Ça va. »

Ils ne parlaient plus pendant quelques secondes. « Qu'est-ce que tu fais là ? reprit finalement Gloria.

— Je..., prends de l'air à deux pas du cabinet où j'effectue mon stage. Et toi, tu fais quoi ?

— Oh je fais juste quelques courses pour une cousine qui se marie. » Ils se sourièrent l'un l'autre. « En fait, à qui appartient le cabinet où tu passes ton stage ?

— À une certaine madame Winnie, répondit-il.

— Madame Winnie ? répéta-t-elle en fronçant les sourcils. On dirait que ça me dit quelque chose... Mais oui, quelqu'un m'a dit l'autre fois que Célia faisait son stage chez une avocate de ce nom ! » Yves eut l'air accablé. « Ouais nous y sommes tous les deux, balbutia-t-il.

— Ah, je parie que vous avez dû être heureux de vous retrouver ? se réjouit-elle pour eux.

— Disons que..., ce fut une grande surprise, pour chacun d'entre nous.

— Je vois. » Elle sembla réfléchir sur ce que sous-entendait cette phrase, dite en plus avec cet air. « Yves je profite de l'occasion pour m'excuser de mon comportement, à l'université.

— Ce n'était pas vraiment grave tu sais, dit-il.

— Si ça l'était, disconvint-elle. Je voudrais que tu comprennes qu'à cette période-là j'étais très triste, je n'arrivais pas à me faire à l'idée que mon amie soit morte à cause de sa propre inconscience. Il me paraissait plus logique de te rejeter toute la faute.

— N'empêche que t'avais un peu raison.

— Non j'avais tort, tu n'étais et tu n'es coupable de rien de ce qui s'est passé avec Corinne, Nathy, ou même avec Lilly et Célia. » Yves croisa les bras en baissant la tête. Il parut ne pas du tout consentant. « Yves regarde-moi. » Il s'exécuta doucement. « Rien de ce qui s'est passé ce jour-là n'est de ta faute, assura-t-elle. Il serait temps que tu le comprennes pour pouvoir enfin vivre en paix. Tu dois le faire non seulement pour toi, mais aussi pour ceux que tu aimes. Tu ne penses pas que... Célia le mérite ?

— Tu te trompes Gloria, il n'y a plus rien entre Célia et moi. D'ailleurs, c'est loin d'être mauvais pour elle.

— C'est plutôt toi qui te trompes, Yves...

— Gloria, refit-il en ne la lâchant pas du regard, quand j'ai rencontré Célia c'était une fille drôle, accueillante, adorable. Mais à cause de moi, elle n'est plus rien de tout cela. »

Gloria l'observait silencieusement. Elle était chagrinée par sa manière de voir les choses. « Je crois que..., soufflait-t-il, qu'il..., je crois qu'il faut que je rentre.

— Moi aussi je dois y aller, reprit la jeune fille avant de poser sa main sur son bras. Mais Yves, laisse-moi te dire que je reste sûre d'une chose : à part toi, il n'existe personne d'autre qui puisse faire son bonheur. Ne laisse pas Célia t'échapper s'il te plait. » Il ne dit rien. Cependant, les mots de Gloria avait eu sur lui beaucoup plus d'impact que ce qu'il voulait se faire croire à lui, et également lui faire croire à elle.

Un pas après l'autre, Yves montait au premier étage. Il aurait été facile pour n'importe qui de se rendre compte de sa gêne au vue de cette démarche lente qu'il prenait en avançant. Il ne savait pas comment faire son retour, après sa réaction de tout à l'heure, et il se demandait en même temps si Monsieur Éric avait été mis au courant.

Lorsqu'il piétina la septième marche de l'escalier, il s'arrêta et il respira un bon coup. Pas totalement apaisé, il décida malgré tout de progresser vers le corridor. Mais la présence de Célia devant la porte le stoppa. Cette dernière, qui regardait le pavage, le sentit arriver et posa les yeux sur lui. Nul ne bougea, durant environ cinq secondes. Puis, le revenant choisit d'être le premier des deux à enfin briser la glace : « Pardon, ânonna-t-il, je pourrais passer ? » Célia se retourna, par réflexe, avant de revenir à lui. « Je t'attendais Yves ; déclara-t-elle en le quittant des yeux, perturbée par cet échange, et par cette nouvelle proximité. Je... Je... Je voulais te dire, s'il te plait, n'en veux pas à Ian. La plupart du temps il ne sait pas ce qu'il dit. » Yves parut surpris par cette demande qu'il jugeait curieuse, venant de celle avec qui il n'avait pas encore officiellement rompu jusque-là. « Il ne sait pas ce que tu as vécu ni l'effet que ces mots ont pu avoir sur toi. En son nom, je te prie de pardonner son ignorance.

— Tu sembles bien décidée à redorer son image, on dirait ! » Un soupçon de jalousie se cachait dans sa phrase pudique. Son interlocutrice en fut flattée, mais elle lui tourna le dos avant qu'il ne pût le percevoir. « Tu es sorti parce que tu te sentais mal mais ce n'était pas vraiment grave, lui dit-elle. C'est ce que nous avons dit à Monsieur Éric, Jolie et moi.

— Merci à elle,... et merci à toi. » C'était tout ce qu'il avait su prononcer. Il était bien plus préoccupé par l'idée qui lui traversait l'esprit — à savoir que Célia fût intéressée par Ian — alors que celle-ci poussait joyeusement la poignée du bureau de leur encadreur. Elle était contente de ne pas être la seule jalouse par rapport à l'une des personnes qu'ils côtoyaient pour ce stage. De plus, la jalousie d'Yves signifiait tant pour elle : ça signifiait qu'il l'aimait probablement encore.

  Vers la fin de l'après-midi, Yves était en train de se diriger vers sa chambre. L'ayant sans doute entendu, sa sœur sortit de la sienne et l'observa. Il fit semblant de se soucier de la porte qu'il ouvrait. Mariam réfléchissait, examinant à la loupe chacun de ses gestes. « Hé Yves, s'écria-t-elle, toi tu savais d'où venait mon goût pour le shopping ?

— Euh non, répondit-il en pivotant vers elle, il te vient d'où ?

— Unh, de maman tiens !

— De Maman ?

— Si j'te dis ! Tu ne te demandes même pas où elle est ? Et bien là elle est partie subitement se payer le sac dont lui a parlé la voisine l'autre jour, tu y crois toi ?

— Non ! s'exclama Yves. Et moi qui pensais qu'elle n'avait en tête que les provisions...

— Moi aussi je le pensais tu vois, ah ! Aucun de nous n'aurait pu le prédire. » Elle se mit à rigoler, pendant que la personne à qui elle parlait souriait humblement. « Quelle sœur incroyable, pensait-il. Elle a vu que je n'étais pas prêt à faire le premier pas et elle a préféré mettre sa fierté à elle de côté. Elle n'a même pas refait allusion au fait qu'on se soit fâchés ! Elle n'a pas voulu que moi son grand frère, je sois obligé de lui présenter mes excuses, alors que je suis pertinemment conscient que je le devrais. J'ai honte de manquer de courage, je sais que jamais je n'aurais osé faire pareil. »

«  Aaah, Mariam ! soupira-t-il.

— Quoi ? dit-elle, avec surprise.

— Non rien. » Il ouvrit en fin de compte sa porte et, juste quand il allait la passer, Mariam le réinterpela : « Yves ?

— Oui ; fit-il, les yeux fixés sur elle.

— Tu es mon seul frère Yves, je n'arrêterai jamais de me mêler de ta vie ou de m'en soucier parce que c'est comme ça ! Je serai prête à tout, si ce tout peut me permettre de contribuer à ton bonheur. » Yves resta silencieux. Il comprit parfaitement ce qu'elle voulait lui certifier et c'était ce qu'elle avait accompli, au moyen de ces quelques mots.

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