06. Les cinq vingtenaires


  Yves avait la tête baissée sur le document qu'il lisait, tout comme les autres, et il sentait déjà ses paupières s'alourdir. Il faisait tout pour rester concentré mais c'était plus fort que lui, il lui fallait une pause. Afin de s'assurer qu'il n'y avait pas que lui qui éprouvait cela, il releva les yeux pour observer ses collègues : Ian avait l'air d'avoir l'esprit bien plus ailleurs que sur les feuilles qu'il faisait semblant de passer en revue. Natasha, ce n'était pas surprenant, était totalement détendue — alors que ça ne faisait pas moins quatre-vingt-dix minutes que Monsieur Éric les avait laissés revisiter ces papiers. Et quand il posa son regard sur sa voisine de gauche, celle-ci lui fit un clin d'œil, avec la langue tirée. Yves se mit à rire tout doucement. Jolie pareillement. Il fallait dire que depuis leur conversation d'il y a quelques jours, ils étaient devenus de plus en plus proches. Célia, qui les avait entendus, les épia un long moment. Elle se mit à s'inquiéter.

« Je m'ennuie, s'exclama Ian en déposant bruyamment ses papiers sur la table. Franchement, c'est un stage ça ?

— Tu t'attendais à quoi, toi ? soupira Jolie en souriant. »

Elle ne savait pas ce qu'il pensait d'elle. Elle était toujours sympathique avec lui tandis que Natasha, elle, levait les yeux au ciel ou grimaçait à chaque fois qu'il ouvrait la bouche. Elle le considérait comme un abruti qui passait son temps à dire n'importe quoi juste pour pouvoir faire l'intéressant. Yves ne parlait à Ian que très peu ; on dirait qu'il se mettait à ne plus du tout l'apprécier, peut-être à cause de Jolie. Célia quant à elle n'avait rien à lui reprocher jusque-là et si c'était le cas, il était au moins la seule personne à qui elle aurait pu adresser la parole dans ce bâtiment en dehors des encadreurs. « Tout sauf ça ! rétorqua-t-il, collant son dos sur le dossier de sa chaise. J'aurais même voulu qu'ils nous fassent une sorte de bizutage comme à l'université !

— Quoi Ian ! s'égosilla Jolie.

— Tu n'es pas sérieux ? dit Célia à son tour. » Yves le fixa également, pendant que Natasha continuait à jouer les m'as-tu-vue. « Ce serait quand même mieux que cet ennui mortel, et puis ce n'était pas aussi grave que ça quand on y repense !

— Parle pour toi ! refit Jolie. J'y ai échappé, heureusement, parce qu'il paraît que c'est très humiliant comme expérience.

— Oh alors là tu n'as pas idée ! répondit Yves.

— Pourquoi ? l'interrogea Ian. Moi j'ai dû suivre un des anciens partout durant une semaine, qu'est-ce qu'on t'a fait faire à toi ? » Ils le regardaient tous, y compris Célia vu qu'elle n'avait jamais su ce qui s'était passé pour lui et vice versa. « Trois types, de troisième année si je ne me trompe pas, m'ont forcé à porter un uniforme d'école primaire qui était bien trop petit pour moi... Et après ils m'ont obligé à les accompagner faire un tour en ville avec jusqu'au soir.

— Oh-ah-ah-ah ! rigolait Ian. Dans cette tenue ?

— Dans cette tenue, confirma-t-il.

— La honte !

— Mon pauvre, lui dit Jolie, mais n'empêche que tu devais toujours être le plus beau même habillé comme ça ! » Il lui lança un regard réprobateur, le sourire aux lèvres malgré tout, cependant Célia considérera ces propos comme une confirmation aux soupçons qui prenaient vie dans son esprit. Jolie, qui ne faisait rien d'autre que plaisanter, se tourna vers elle : « Et toi Célia, comment ça s'est passé pour toi ? » l'avait-elle surprise. Yves sembla également curieux. Célia parût gênée. « Pardon, s'excusa celle qui avait posé la question, tu n'as pas envie d'en parler peut-être ?

— Non ça va, déclara-t-elle calmement, c'est juste que je ne m'y attendais pas. En fait, on nous avait demandé avec mon amie Solange de chanter la chanson Johnny de Yemi Alade et ça, devant une dizaine d'étudiants dans la cours.

— Ah cette chanson, s'exclama Ian. C'était un succès dans presque toute l'Afrique ! » Il se mit à chanter : « I'm looking for my Johnny... Where is my Johnny... »

« Et vous avez vu comment elle bouge dans le clip ? demandait-il.

— Tu n'avais vu que ça toi ! réprimanda Célia en souriant.

— Tous les garçons, et précisément ceux qui avait dix-sept ans comme moi à l'époque, l'ont sans doute aussi remarqué, pas vrai Yves ? » Celui-ci se contenta de secouer la tête, abêti. Jolie et les deux autres filles eurent l'air de remettre en cause la santé mentale de Ian. « Natasha, reprit-il à l'intention de la plus silencieuse d'une voix coquine, toi t'as fait quoi ?

— Je ne vois pas pourquoi j'en parlerai avec toi ! cracha celle-ci. » Célia fut surprise car elle ne l'avait pas vu venir alors que Jolie et Yves, qui s'y attendaient un peu, prétendirent avoir trouvé un intérêt soudain aux lectures qu'ils avaient abandonnées quelques instants plus tôt. « J'avais oublié qu'il n'y a personne d'assez bien pour mademoiselle « Je me crois si supérieure »...

— Bravo Ian, lui rendit-elle, t'as tout compris ! Tu n'es pas si bête que ça finalement ? » Elle et Ian échangèrent un regard glacial, mettant mal à l'aise les autres. Ils n'appréciaient pas du tout ce climat de tension.

  Le ciel semblait avoir eu vent de leur prière car la porte s'ouvrit. Juste après, ils se levèrent tous sans exception : Monsieur Éric venait d'entrer et, à côté de lui, se tenait la grande patronne, madame Winnie. C'était une femme d'une grande classe, et ça se voyait déjà à l'allure de ces vêtements. Ils étaient un mélange entre « Femme d'affaires » et « Mère africaine ». Dépourvu de pantalon, son style inspirait néanmoins le leadership et le respect. Yves ne l'avait jamais aperçue jusqu'à présent, ce fut donc la première fois qu'il rencontra cette dame qui en dépit de sa masse, aurait donné à n'importe quelle fille l'envie de devenir comme elle plus tard, puisque qu'en plus de l'élégance qui était la sienne, son visage était loin d'être désagréable à regarder. « Bonjour à tous ! les salua-t-elle.

— Bonjour madame ! avaient-ils répondu simultanément.

— C'est la première fois que j'ai l'honneur de vous voir au grand complet ; où est Yves ?
— C'est moi madame, dit-il poliment.

— Je suis contente de faire enfin ta connaissance Yves ! J'avais déjà rencontré les autres et il ne restait plus que toi. Sois le bienvenu !

— Merci madame.

— Mais asseyez-vous, on n'est pas à l'école ! »

Les cinq stagiaires s'exécutèrent, charmés par cette femme à la fois charismatique et maternelle. Monsieur Éric, derrière elle, avait un large sourire. « Votre formation se passe bien ? » leur demandait-t-elle quand il sortit après un appel cellulaire. Ils furent tous affirmatifs. Elle les questionna également sur leurs études et à aucun moment elle ne se montra sévère, ou hautaine.

« Éric chéri ? fit-elle en se tournant vers Monsieur Éric, et les surprenant par cette appellation, dès que le bruit de la porte signala son retour.

— Patronne, répondit celui-ci en souriant.

— Tu leur as parlé de la fête pour les six ans du cabinet ?

— Je..., ne l'ai pas jugé nécessaire !

— Pourquoi ? s'étonna-t-elle. Ils font aussi partie de l'équipe maintenant, ça les concerne !

— Je ne savais pas que tu comptais également les inviter !

— Ce n'est pas gentil Éric ! Tu vois, tu me fais passer pour la méchante ! » Yves, Jolie, Célia et Ian ne purent se retenir d'émettre un gloussement. Monsieur Éric et sa patronne en furent ravis. Celle-ci avait l'air satisfaite de les avoir dans son entreprise, un milieu paisible qu'elle faisait fonctionner dans une ambiance très conviviale.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top