05. La véritable histoire


  Yves regrettait de ne pas avoir vu Mariam depuis maintenant deux jours. Il n'avait pas cessé de s'en vouloir, que ce soit au moment même où il l'avait poussée en rugissant sur elle ou à cet instant précis, pendant qu'il entrait dans l'immeuble après son départ de chez lui. Assise seule sur une des chaises du rez-de-chaussée, Jolie lui fit un signe de la main. Il y répondit, avec un peu de gêne. Il ne savait pas encore si ce que Ian lui avait raconté était vrai ou faux. Mais toutefois, il partit la rejoindre et elle le reçut en souriant. « Salut mon cher et tendre époux !

— Bonjour ! la salua-t-il à son tour, amusé. Tu vas bien ?

— Je vais très bien et toi ?

— Ça va. Tu ne vas pas dans le bureau de Monsieur Éric ?

— C'est fermé vu qu'il n'est pas encore là, alors autant l'attendre ici plutôt que d'aller devant la porte.

— Ah d'accord !

— Mais qu'est-ce que tu attends pour t'asseoir ? Ne reste pas debout ! »

Il l'écouta et s'installa à côté d'elle. Plus personne ne parlait. Yves posa ses coudes sur ses genoux et mit son menton sur ses doigts reliés. S'étant souvenu que Célia pouvait débarquer d'une minute à l'autre, il fixait la porte d'entrée. « À quoi tu penses, encore ? le retaquina Jolie.

— À... Rien qui te concerne, ma tendre épouse ! renchérit-il sous le ton de la plaisanterie. » Ils eurent un rire léger. « C'est Ian que tu guettes ? Je vous vois souvent vous parler, il a vraiment grandi !

— Ah bon ; fit-il, plus embarrassé que surpris.

— La première fois que je l'ai vu, reprit-elle, il ne devait pas avoir plus de seize ans, je crois.

— Et, c'était où que vous vous êtes vus ? » Elle se tut et se tourna vers lui, lisant à travers son regard et ce ton hésitant qu'il s'agissait plus d'un besoin d'être sûr que d'une question au hasard. Jolie sut qu'il était au courant, et il le comprit. Elle baissa la tête. « Quand j'ai fini mes études secondaires, narrait-elle, j'ai rencontré un type qui était beaucoup plus âgé que moi et au bout de quelques jours seulement, je suis tombée amoureuse. Je l'aimais tellement que j'étais prête à faire n'importe quoi pour lui. Je suis allée jusqu'à me mettre toute ma famille à dos, car personne ne l'appréciait à la maison. Je passais mon temps à pleurer parce que ça me faisait du mal. J'étais sûre d'être heureuse et à mes yeux, ma famille n'avait pas l'air de vouloir mon bonheur. Comme si ça ne suffisait pas, lui et moi nous n'arrêtions pas d'avoir des désaccords à ce sujet si bien qu'un jour, il m'a demandé de choisir entre eux et lui. Bien entendu je ne lui ai pas répondu tout de suite, j'ai d'abord demandé conseils à mes amis. Mais malheureusement pour moi, la majorité d'entre eux m'ont dit que j'étais assez grande pour savoir ce qui serait le mieux pour moi et que mes parents n'avaient rien à redire là dessus. J'ai donc décidé de partir avec lui, contre leur avis, dans un autre pays. »

Elle s'interrompit un instant pour s'assurer qu'il était attentif. « Tu devais être extrêmement amoureuse pour prendre cette décision ? dit-il.

— Malheureusement encore, oui je l'étais. » Il plissa des yeux, comme pour lui demander « Pourquoi ».

« Une fois ensemble nous avons commencé à avoir toute sorte de disputes et petit à petit, je me suis mis à découvrir son vrai visage. Je le soupçonnais de me tromper avec une autre, c'était ça la cause principale de nos conflits. Cependant, malgré mes soupçons, une part de moi continuait à lui faire confiance ; la suite des événements m'a prouvé que j'avais eu tort...

— Il ne t'a pas trompée dis-moi ? s'étonna Yves.

— Pas seulement, préludait-elle. Il a osé ramener l'autre, dans ce lieu où il m'avait au départ accueillie, avant de me jeter à la rue dans ce pays où je ne connaissais personne d'autre que lui. Je l'ai supplié à genoux, je me suis humiliée comme jamais je n'aurais cru pouvoir le faire dans ma vie pour qu'il ne m'abandonne pas après ces dix-huit mois que nous avions passés ensemble ; mais elle l'avait hypnotisé. Il m'a chassée de chez lui et je n'ai pas eu d'autres choix que de... Que d'aller rejoindre une maison où je pouvais gagner de l'argent en échange de... Quelques faveurs envers les clients. »

  Un court moment de silence s'était passé. « Pourquoi tu n'es pas retournée chez tes parents ? lui demanda-t-il.

— Je n'avais plus rien Yves, pas un sou. Et je n'avais pas le courage de le faire car j'avais peur de me retrouver devant eux. Je les avais quittés pour lui, je me disais qu'ils avaient dû sûrement me renier. Je n'avais pas le choix ! » Yves fut refroidi par cet aveu de Jolie qui, en dépit de cette histoire, demeurait calme comme si elle était anodine. Il pencha également la tête, étant sans doute encore en train d'enregistrer ces informations dans son cerveau. « Donc, tu es une... C'est... C'est comme ça que tu gagnes ta vie ?

— Avant oui, répondit-elle. Et puis deux ans plus tard, une amie de la maison s'est trouvée un riche veuf qui l'a prise en seconde noce. Elle m'aimait bien et elle me disait toujours que cette vie-là n'était pas pour moi. C'est donc sans grande surprise que, trois mois après son mariage, elle m'a demandée de venir vivre avec eux. Elle en avait discuté pendant longtemps avec son mari. Il n'était pas d'accord au début, mais elle avait fini par le convaincre. C'est comme ça que j'ai quitté la maison : j'ai pris un nouveau départ en les rejoignant. C'est un homme généreux son époux ! Il s'est arrangé pour qu'elle et moi puissions aller à l'université. Je le considère un peu comme l'un de mes bienfaiteurs. Ensuite, j'ai rencontré Yves. C'était un ami de son neveu qui était déjà bien riche pour ses vingt-six ans. Ce n'était son argent qui m'a intéressée, je tiens à le préciser, mais c'était sa façon d'être. Tu lui ressembles beaucoup d'ailleurs, qui sait si c'est dû au prénom ! » Il eut un petit sourire. Jolie avait l'air sincère, et ça se voyait à des kilomètres qu'elle aimait son homme.

« Il connaissait déjà mon passé avant de me rencontrer en personne et, comme tu dois bien t'en douter, ça était une source de problème, surtout avec sa famille. Mais Yves a su se battre pour nous même quand moi je doutais. » Cet Yves, il l'appréciait déjà, et il trouvait enfin de compte qu'elle avait raison de dire qu'ils avaient des points communs. Il se souvenait de la façon dont il avait lutté quand Célia ne croyait plus en leur relation, à cause des ennuis qu'ils avaient eus à l'instant où Lilly était réapparue dans sa vie. À l'époque, il pensait encore que leur amour méritait d'être défendu. « Si seulement c'était le cas, comme pour Jolie et son mari ! » se dit-il. «  Quatre ans plus tard, achevait-elle, nous voilà mariés ! Je remercie le ciel de m'avoir envoyé quelqu'un d'aussi brave, et d'aussi compréhensif, car ce ne sont pas tous les hommes qui seraient capables d'accepter un passé aussi compliqué que le mien. Peut-être que je ne la mérite pas, mais je ne suis pas prête à échanger cette chance que j'ai eue ; vraiment !

— Et, recommençait Yves, tu n'as jamais repris contact avec ta famille ?

— J'avais trop honte, beaucoup trop. Je craignais qu'ils soient incapables de me pardonner. Mais, Yves a insisté pour que je le fasse. Et quelques mois après le mariage nous sommes allés à la maison.
— J'imagine leur réaction !

— Bien sûr, ils ne s'attendaient pas à me revoir. Et ils ont été choqués par ce que j'ai réussi, quand même, à leur raconter. Ce moment-là, ce fut le plus pénible de toute ma vie ! Je n'aimerais en aucun cas le revivre... » Elle émit un rire, conduisant son confident à calquer sur elle par réflexe. « Mais Yves, ajouta-t-elle, j'ai découvert que peu importe ce qu'on peut faire, quand on a eu une vraie famille, elle sera toujours capable de nous le pardonner. Il suffit juste de montrer qu'on reconnait et qu'on regrette nos torts. »

Yves devint taciturne, pensant sûrement à Mariam et lui, et il trouvait finalement que Jolie était quelqu'un de bien ; son seul défaut était d'avoir, comme tous les humains, son propre lot d'erreurs et ses propres imperfections. Relevant les yeux, pour vérifier qu'il ne fût pas dégoûté par elle, celle-ci s'étonna de trouver de l'admiration dans son regard. Une fois de plus, le jeune homme avait appris que juger un individu sur ses fautes passées n'était qu'un raccourci direct sur le chemin de la présomption puisqu'au fond, il n'y avait personne de totalement bon ou mauvais.

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